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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Cet «Avignon» auquel je ne comprends rien.

Cette année, le festival d’Avignon véhicule un théâtre de concepts portés par un collectif d’artistes réunis autour de l’artiste associé Boris Charmatz, directeur du Musée de la Danse à Rennes. Il s’en dégage la désagréable impression d’un entre soi qui isole l’art des idées, pose les concepts comme une fin en soi au détriment d’un propos qui créerait les conditions d’un dialogue vivant.

La «session poster» du 14 juillet fut révélatrice de ce constat. Organisée comme une exposition itinérante, le spectateur circule dans différents espaces, occupés soit par un danseur, un chorégraphe, un chercheur…Le « clan » de Boris Charmatz est là. J’observe, mais je peine à relier. Entre la partition chorégraphique sur le rire d’Antonia Baehr et la performance de François Chaignaud (qui demande aux spectateurs de l’attacher avec des ficelles tel un Christ sur la croix), je zappe… Je ne prends pas le temps de contempler la danse de Daniel Linehan trop occupé à scruter la métamorphose de Latifa Laâbissi. Épuisant.

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Le même soir, François Chaignaud (toujours lui, omniprésent dans les festivals, voir l’analyse que j’en faisais lors des Antipodes de Brest en 2010) présente avec Cecilia Bengolea, Marlène Monteiro Freitas et Trajal Harrell, «(M)imosa». Un entre soi autour d’une question : «que ce serait-il passé en 1963, à New York, si une figure de la scène voguing d’Harlem était descendue jusqu’à Downtown pour danser aux côtés des pionniers de la danse post-moderne ?». Bonne question sauf que je ne perçois pas l’ébauche d’une réponse. Les numéros se succèdent rappelant les travestis des années 80 dans les boîtes gay. Seule Cécilia Bengolea est sidérante alors qu’elle arpente le plateau, masqué de la tête aux pieds sous un bas qui laisse apparaître un godemiché et une mâchoire. Troublant, car symbolique des années sida. Mais il manque à l’ensemble une construction dramaturgique qui dépasserait leurs égos démesurés.

Celle d’Olivia Grandville dans «Le cabaret discrépant» est plus harmonieuse. Elle mobilise des noms proches de Boris Charmatz : Sylvain Prunenec, Vincent Dupont, Pascal Quéneau, Catherine Legrand et l’acteur Manuel Valade. Ils sont réunis autour d’Isidore Isou, créateur du lettrisme («mouvement qui renonce à l’usage des mots, s’attache au départ, à la poétique des sons, des onomatopées, à la musique des lettres»). Olivia Grandville tente de revisiter cet art en l’articulant aux oeuvres radicales qui jalonnent l’histoire de la danse. Entre exposition itinérante dans le hall du théâtre (une session poster plutôt réussie car cohérente) et un cours déjanté sur scène, chacun y trouva son bonheur. Sauf qu’à trop vouloir faire le spectacle divertissant, Olivia Grandville empêche toute lecture sur le sens de ce mouvement. Ici aussi, ce qui est montré semble avoir plus d’importance que le pour quoi s’est montré…

« Levée des conflits » de Boris Charmatz a été présentée au Festival «Mettre en scène» en novembre 2010. Bernard Gaurier avait apprécié cette proposition sur ce blog. Mais au Festival d’Avignon, cette oeuvre chorégraphique jouée sur l’herbe du Stade de Bagatelle (pour un Woodstock de la danse…sic), a perdu son sens. Nous retrouvons Olivia Grandville (bien peu inspirée), Catherine Legrand ainsi que  Boris Charmatz lui-même qui décrit « Levée des Conflits” comme un ensemble où «chaque danseur est pris dans un mouvement perméable à la fois au danseur qui le précède et à celui qui le suit, pour fabriquer une chorégraphie dont toutes les parties sont vues simultanément…c’est une sculpture. La pièce est donc essentiellement méditative». Soit. Sauf que l’énergie déployée par les danseurs n’est jamais arrivée jusqu’à moi, car enfermée dans un concept finalement trop «lisible» dans ses intentions. Je me sens ignorant face  à une telle virtuosité. Alors que je m’interroge sur la page Facebook du Tadorne, un lecteur me renvoi vers les cours de Roland Barthes pour décrypter le propos de Boris Charmatz, preuve en est que l’articulation entre la recherche et l’art ne fonctionne pas.

François Verret dans «Courts-circuits» propose un dispositif qui se suffit à lui-même (écrans vidéos, homme orchestre et chanteuse au centre, deux espaces scéniques, des danseurs et des circassiens). Le chaos est savamment orchestré pour narrer la catastrophe. François Verret dévoile ses références dans la note d’intention pour les accumuler dans une «session poster» d’images, de cris et de chansons. Je n’ai strictement rien compris si ce n’est que François Verret ne parvient pas à donner une force poétique à son propos en dehors de la dénonciation tant entendue ailleurs.

J’aimerai que l’on ne me rétorque pas que je manque de ces connaissances tant étalées. Les concepts et les penseurs dont il est question alimentent ma curiosité, mais la proposition n’arrive pas à ouvrir le sens à partir de ma sensibilité, me rendant incapable d’inviter ces artistes à nourrir le projet de ce blog.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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PAS CONTENT THEATRE MODERNE

Avec « [Castor & Pollux] », Bengolea et Chaignaud…points de suspension…

La dernière  création de Cécilia Bengolea et François Chaignaud,  “[Castor & Pollux]“, est une performance technique de haut vol d’autant plus qu’elle a  le mérite de mettre le spectateur dans une position peu commune. Que dire d’autre sans risquer de dévoiler ce qui fait la singularité de l’objet ? Comme pour « Pâquerette », lorsque l’on sait ce qui va se passer, que nous reste-t-il à découvrir, à ressentir ou à éprouver?

J’ai rencontré leur travail lors du festival des « Antipodes » à Brest, mais j’en savais déjà beaucoup sur leurs précédentes propositions. Sans les avoir vues, j’en connais les ressorts, ceux là même qui auraient, peut-être, pu m’ouvrir à une émotion personnelle.

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Cela pose la question de l’information, au sens de « préparation » du spectateur à quelque chose « d’inhabituel ». En avons-nous besoin, serions-nous à ce point revêches et timorés ? Le risque serait-il si important de nous voir mécontents de ne pas avoir été prévenus des changements de « codages » ? Ce principe de précaution (est-ce de cela dont il s’agit ?) ne permet pas  de vivre l’expérience proposée et conduit à venir potentiellement en « voyeurs » assister à la « curiosité dont il faut avoir été ». Peut-être empêche-t-il également toute réaction du spectateur autre que l’applaudissement. Dans ce cas, le contenu (s’il y en a un) et de fait, l’artiste, ne se trouvent-ils pas réduits à des « boîtes à faux frissons » qu’il est de « bon ton » d’approcher pour être, qui sait, dans la « norme » du moment ?

Disons-le tout court, je suis admiratif de l’exercice, mais rien ne me touche ici. Ce spectacle m’a laissé « froid » et il me semble que le « buzz » (c’est cela qu’on dit ?) qui entoure ces deux concepteurs (c’est ainsi qu’ils sont nommés sur les feuilles de salles, ça donne à réfléchir sur la « porosité » concept/artistes) à contribué à cela, autant que le fait de ne rien avoir à découvrir à mon entrée dans la salle.

Cela est dommageable compte tenu du travail indéniable qu’ont dû fournir les « danseurs » pour conduire leurs corps à cet endroit là. Il est probable que Cécilia Bengolea et François Chaignaud soient pris dans un système qui tue leur poésie. On les pose (ils se posent…) en objets « en vogue », qui plus est très productifs. On les contraint (ils se contraignent), probablement alors, à lancer leurs béances spectaculairement en pâture. Mais les autorise-t-on (s’autorisent-ils) simplement  à offrir leurs fleurs en cadeau ? Ou les conduit-on  alors (se conduisent-ils)  à n’être que des « performistes» au « plaisir » des « hédonismes contemporains » ?

Mais alors, comment aller voir un spectacle dont on ne devrait rien savoir? Peut-être en acceptant, simplement, de connaître ce dont il traite globalement et à minima, puis en se risquant, quitte à ne pas apprécier et à le signifier. Libérons-nous des filins. Quitte à tomber sur quelqu’un d’autre. Castor et Pollux n’en attendent peut-être pas moins, depuis le temps qu’ils errent dans la voie lactée, enfermés dans leur fausse gémellité.

Cécilia Bengolea et François Chaignaud possèdent le talent du corps. En cela, j’ai l’envie de leur faire la confiance d’être au rendez-vous d’un demain, sans chaînes, pour, dans la liberté de leurs regards, avancer leurs chimères et leur danse plus prés de l’émotion.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

 

« [Castor & Pollux] »  de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué aux Antipodes de Brest du 2 au 6 mars 2010. À voir au Festival Montpellier Danse les 27 et 28 juin 2010.

Crédit photo: Alain Monot.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Au Festival d’Avignon, François Chaignaud et Cecilia Bengolea, concepteurs cherchent chorégraphe.

François Chaignaud et Cecilia Bengolea sont appréciés des Festivals. Après Uzès Danse où ils ont dernièrement présenté « Self and Others » d’Alain Buffard, ils seront à l’affiche de la 30ème édition de Montpellier Danse en 2010 (répondront-ils au souhait de son directeur, Jean-Paul Montanari qui, en les programmant ,souhaite renouveler la danse contemporaine ?). En attendant, ils doivent se contenter de la « 25ème heure » lors du Festival d’Avignon, c’est-à-dire une programmation à minuit, à l’Ecole d’Art.

Ce couple avait déjà fait parler de lui en 2008 avec « Pâquerette » en faisant le plein d’audience à Berlin et Paris ainsi que sur les blogs. Leurs « stratégies de pénétration » avaient pourtant provoqué un débat un peu mou parmi les spectateurs et la critique, faute d’un propos suffisamment fort et lisible. Même si « l’introduction d’un godemiché ne fait pas encore une danse », j’avais applaudi leur audace. Leur deuxième proposition, « Sylphides », présentée ce soir, est un concept. Saluons le projet novateur de ce duo qui se nomme « concepteur » plutôt que « chorégraphe », pour « fabriquer » de la danse. Si les mots ont un sens, rendons hommage à cette autocritique.

Qu’attendre d’un concepteur si ce n’est qu’il nous propose des formes moins esthétisantes, porteuses de sens et de vision ? Or, « Sylphides » n’est qu’une très belle esthétique du corps. Difficile donc d’évoquer ce concept sans entrer dans une description un peu laborieuse. Ici, le corps est aérien puis perd toutes ses articulations, avant de devenir quasiment liquide. Par une étrange alchimie, il se transforme jusqu’à se métamorphoser en forme dansante sur un air de Madonna. L’ambiance est totalement mortifère (la série « Six feet under » aurait-elle inspiré ?) et l’on sourit lorsque nos trois danseurs, en état de larve, cherchent une issue de secours.  Le corps est dansé de l’intérieur, mais il ne véhicule que sa propre image. C’est elle qui fait sens et confère au propos une pauvreté déconcertante. J’observe une « recherche », je recherche une « poétique «  et me voilà positionné comme évaluateur d’un  concept (il en serait sûrement tout autrement dans un espace d’art contemporain).  Conceptuellement, « Sylphides » se regarde, mais sa programmation dans un festival qui nous a proposé en son temps les plus grands chorégraphes est en soi un aveu d’échec.

Cette esthétique a de quoi inquiéter au moment où le corps est traversé par la fureur du monde.

Pascal Bély – www.festivalier.net

« Sylphides» de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué les 18 et 19 juillet 2009 au Festival d’Avignon.

Photo: ©Alain Monot.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

L’anus horribilis de Cecilia Bengolea et François Chaignaud.

Le festival « Tanz im August » à Berlin avait-il prévu un tel buzz en programmant Cecilia Bengolea et François Chaignaud avec « Pâquerette », danse pénétrante munie d’un godemichet ou d’un sex toy (à chacun d’apprécier) ? Toujours est-il que la presse berlinoise a largement relayé « l’événement », augmentant la frustration du public qui n’a pu trouver de place (deux représentations et une toute petite jauge à Tanzfabrik).
Est-ce un événement, une nouvelle approche du corps dansé, une révolution ? J’attends de ces deux explorateurs d’être bousculé et étonné. À l’issue des trente minutes, je quitte le lieu circonspect alors que des rires bien gras résonnent dans les allées. Je ne suis pas plus avancé : s’introduire un objet dans l’anus ne fait pas (encore) une danse.
Pourtant, le premier quart d’heure est prometteur. Habillés de longues robes aux motifs orientaux, nos deux danseurs, telles des statues religieuses, ne tardent pas à fissurer le ciment de nos représentations puritaines. Leurs corps s’étirent puis éructent : on les imagine pénétrés et toute l’intensité dramatique est là. La danse est à ce moment précis l’espace où nous projetons nos fantasmes, où notre imaginaire se nourrit de cette part de mystère (mais qu’il y a-t-il donc sous leurs robes ? Que suis-je finalement venu voir ?), où la relation entre les deux danseurs s’interpénètre.
Alors qu’ils quittent leurs habits, nous découvrons leur corps d’où surgit un sex toy transparent, telle une torche prête à s’enflammer. L’objet, dans l’anus, semble les bloquer dans une équation insoluble : comment danser le plaisir anal tout en prolongeant le mouvement ? La réponse ne vient pas malgré les efforts du couple à danser ce qui les unit. Le corps n’est qu’une matière manipulée, où l’objet est incapable de s’immiscer ailleurs que dans un orifice. Alors qu’ils finissent pas se séparer de cet objet finalement très encombrant, ils tentent à nouveau la performance d’une danse « doigtée » qui n’apporte rien de plus.
Pour faire oeuvre, « Pâquerette » devait transgresser certains codes de la danse. En introduisant le sex toy par des mouvements « classiques » de la danse contemporaine, François Chaignaud et Cecilia Bengolea ne change pas la forme (qui aurait pu véhiculer des valeurs différentes que la seule transgression).
L’anus introduit bien d’autres éléments (sociologiques, culturels, psychologiques) qu’un simple objet ne peut transcender.
La voie est donc ouverte pour créer le mouvement d’un dedans vers un dehors, pour qu’une muqueuse rendre poreuse les frontières. Alors que certains artistes s’intéressent à l’interaction homme – machine, rendons hommage à ces deux danseurs d’explorer les possibles de l’humain.
Avec le temps, cette pâquerette mérite de s’introduire dans un joli bouquet.

Pascal Bély
www.festivalier.net

« Pâquerette» de Cecilia Bengolea et François Chaignaud a été joué le 24 août 2008 dans le cadre du Festival “Tanz im August” à Berlin.