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FESTIVAL D'AVIGNON LES JOURNALISTES!

Pourquoi ai-je quitté la Cour d’honneur durant (A)pollonia? Les réponses de Libération et La Croix.

Il est 1h du matin. Je quitte la Cour d’Honneur bien avant la fin de la représentation d’« (A)pollonia » de Krzysztof Warlikowski. En y entrant à 22h, je n’étais pas prêt. Bruno Bouvet de « La Croix » ressent le désarroi de certains festivaliers dont je suis: « Comment retrouver la Cour d’Honneur après l’avoir laissée sur le souvenir inoubliable de l’épopée nocturne de Wajdi Mouawad… ?». Avec élégance, il précise : « L’émotion unique de ces onze heures et demie de théâtre ressurgit régulièrement dans les conversations des festivaliers, comme s’ils voulaient prolonger le sentiment rare d’une communion théâtrale, public et artistes unis dans la même (folle) aventure ».

De son côté, René Solis de Libération ne s’embarrasse pas de cet aspect et pose immédiatement l’enjeu : «(A)pollonia» est une épreuve: « Attention, danger. Peut-être faudrait-il installer un panneau à l’entrée de la cour d’honneur. Pas parce que le spectacle de Krzysztof Warlikowski est long (4 h 30). Mais car il exige une attention permanente. (A)pollonia nous balance en terrain miné, et jamais sûr du chemin à emprunter. Si le thème a de quoi «faire peur» – Juifs, Polonais, guerre, Shoah – le traitement rassure encore moins, qui manie le paradoxe et trouve dans l’inconfort moral une ligne de conduite ».

Ce n’est pas tant le thème qui inquiète (nous avons vu d’autres en Avignon) mais bien l’inconfort dans lequel Warlikowski nous plonge. L’attention réclamée est au dessus de bien des forces. Le mistral glacial ce soir là, la visibilité réduite dès que l’on dépasse le 10ème rang, la multiplication des sources (la vidéo, deux scènes de théâtre, un concert rock, deux décors mobiles, le surtitrage) ont eu raison des meilleures volontés. A moins d’avoir une culture classique, d’être placé au centre et d’être préparé en lisant trente minutes avant la foisonnante feuille de salle distribuée à l’entrée. Ce que reconnaît René Solis : « La dispersion découle de la multiplication des sources ».

L’agencement de différents textes contemporains dont le récit d’Hanna Krall sur Apollonia Machzynska – Swiatek (mère de famille qui a été exécutée par les Nazis après que son père qui l’a caché ait refusé de se dénoncer) avec des anciens (tirés de la tragédie Grecque avec le sacrifice d’Iphigénie et Alceste) ont pour commencement une pièce de Rabindranath Tagore, « Le bureau de poste », incarnée par deux marionnettes (jouée en 1942  dans un orphelinat du ghetto de Varsovie où enfants et personnels furent gazés à Treblinka). Le spectateur est immédiatement sidéré par la beauté de l’acte artistique de Warlikowski. La suite glace la Cour quand vient se mêler des extraits des « Bienveillantes » de Jonathan Littel incarnés par Agamemnon.

Dans son article, René Solis décrit les différents tableaux. S’il salue le prologue (« pas l’once de pathos »), sa critique se complique à vouloir nous expliquer la suite comme s’il était gagné lui aussi par « l’incertitude » de l’écriture de Warlikowski puis revient sur le processus: « La force des acteurs n’empêche pas qu’on lâche le fil, dans une forêt de références cryptées. L’obscurité avant l’aveuglante lumière de la deuxième partie ».

Or, plus de la moitié des spectateurs se sont perdus ce soir-là dans cette forêt, sans clef de décryptage. À la résonance personnelle, est venu se substituer l’écho entre les époques qu’offre l’imposante scène de la Cour. Nous sommes donc quelques-uns à pointer un problème d’échelle : Warlikowski a privilégié le temps historique au détriment d’un temps de l’humain, seulement suggéré par la musique mélancolique jouée avant l’entracte par un orchestre rock. Dit autrement, Bruno  Bouvet trouve que  « ce montage impressionnant, présenté sur la scène en une suite de tableaux, laisse l’impression mitigée des oeuvres que l’on ne parvient pas totalement à cerner, faute d’en embrasser toute la cohérence. Warlikowski entraîne le spectateur dans une réflexion aussi personnelle que foisonnante, nourrie de multiples références et inscrite dans l’histoire de la Pologne, mais rechigne à en donner les clés ».

Les deux critiques terminent leur propos en saluant l’audace de Warlikowski. Pour René Solis, « il brouille les cartes, pointe où cela fait mal – le présent, la guerre israélo-palestinienne -, mais ne mélange ni ne justifie rien, porté par une colère qui risque tout » tandis que Bruno Bouvet est plus lyrique comme transporté par l’hybridité artistique de Warlikowski : « Avait-on jamais entendu Agamemnon lire un discours sur l’arithmétique guerrière, tiré des Bienveillantes ? Avait-on jamais entendu Clytemnestre lire un fragment de La Mère, le conte d’Andersen ? Et surtout, avait-on jamais assisté à la transformation de la cour d’honneur en salle de rock, grâce aux intermèdes d’une chanteuse énergique, portée par un orchestre très en verve ? »

Je reste convaincu d’être passé à côté d’une oeuvre majeure qui s’apaisera dans une salle de théâtre. La démesure de la Cour a freiné cet élan comme si ce lieu historique et symbolique produisait différentes hiérarchies (ceux qui savent et les autres ; ceux qui sont bien placés et l’arrière banc) alors qu'(A)pollonia mérite un espace plus démocratique, plus ouvert et pour tout dire, plus accessible.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“(A)pollonia” de Krzysztof Warlikowski a été joué les 16, 17, 18 et 19 juillet 2009 dans la Cour du Palis des Papes en Avignon
Photo: Christophe Raynaud de Lage.
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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Warlikowski met fin au « silence des hétérosexuels » lors du Festival d’Avignon.

 La cour du lycée Saint-Joseph accueille Krzysztof Warlikowski, pour « Angels in América I et II ». Ce metteur en scène polonais, habitué du festival d’Avignon, est un réconciliateur. En 2005, au coeur de la tourmente provoquée par l’artiste associé de l’époque (Jan Fabre), « Kroum » avait fait l’effet d’un baume apaisant. Aujourd’hui, il revient pour nous conter le roman de Tony Kushner sur les années sida dans l’Amérique de Reagan. Cette tragédie fait trembler les murs et les gradins, réveille le mistral glacial, et résonne dans cette France décidément bien trop calme.
En juin dernier, le Festival Montpellier Danse s’interrogeait et commémorait les victimes: comment le sida a-t-il influencé la danse ? Quel rôle joue-t-il aujourd’hui ? Comment alerter l’opinion publique sur le drame qui secoue l’Afrique ? Avignon prolonge le débat en inscrivant l’épidémie à l’articulation du politique et de l’intime. Curieuse coïncidence tout de même au moment où l’équipe de Sarkosy, néolibérale et puritaine, brouille les cartes, abat les cloisons pour clore les controverses et marginaliser un peu plus ceux qui pensent différemment. Le théâtre de Warlikowski est donc une bouffée d’oxygène qui repositionne la marginalité au coeur du progrès social, du processus créatif et invite les hétérosexuels (majoritaires) à cesser de considérer l’homosexualité à partir de leur moralité, qu’ils reconnaissent au Sida sa dimension sociale, politique et culturelle. Ces 5h30 donnent à cette tragédie les images d’un film de David Lynch, les métamorphoses d’un Roméo Castellucci, les rythmes d’un Joël Pommerat. Warlikowski réunit mes références théâtrales, incarne mon histoire face au sida dans le jeu exceptionnel des acteurs pour la restituer en fresque vivante
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Deux hommes s’aiment ; l’un est atteint du sida, l’autre pas. Plus loin dans la ville, un couple se déchire : l’un est attiré par les ballades dans les parcs pour y observer les hommes, l’une prend des cachets dans l’attente d’avoir un enfant. À côté de ces amoureux transits, un avocat, proche de l’équipe Reagan, a le sida qu’il dissimule en cancer, hanté d’avoir plaidé la peine de mort pour Ethel Rosemberg. Tous les acteurs de cette tragédie sont reliés, mais profondément isolés dans leur souffrance. Ils sont des marionnettes manipulées par les oligarchies religieuses, enfermés dans les jeux de leur caste professionnelle, prisonnier de leur idéologie. Qui tient les fils ? Comment s’en échapper ?  
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C’est là que Warlikowski démontre toute la puissance de son art : guérir du « sid’amour », c’est ouvrir les espaces de dialogue, libérer les peurs, tisser des liens de solidarité, laisser la place à l’inconscient pour qu’il fasse son travail d’introspection et de réparation. A l’image de l’unité de lieu (grande pièce aux murs argentés, au mobilier d’un ancien pays communiste, à la fois salle d’église et de réunion du parti) qu’il transforme en chambre d’hôpital, en pays imaginaire de l’Antartique, en coulisse de la mort pour mieux relier, élargir là où le sida enferme, cloisonne, tue à petit feu. La mise en scène de Warlikowski est une approche politique face à une maladie réduite par les hétérosexuels à la sphère de l’intime. Elle met en mouvement le lien que les malades ont tissé avec leurs proches: dire, mais pas tout, suggérer pour éviter le voyeurisme, donner du sens à l’inacceptable pour préserver la vie. Warlikowski a tout compris de cette maladie, de sa complexité, mais aussi des enjeux sociétaux : ce sont les minorités qui enclenchent le changement. Il ne simplifie rien, mais ouvre en permanence jusqu’à la scène finale où tous les acteurs assis face à nous, dissertent sur le sens de la vie, nous aident à nous réapproprier la question du sida, facilitent le passage de la fiction à la réalité (l’histoire est toujours en oeuvre avec ce virus).
Deux jours après, une spectatrice me confiera : « il ne faudrait pas réduire « Angels in América » à une pièce sur les homosexuels ». Qui lui parle de réduire ?

Pascal Bély
www.festivalier.net

« Angels in América » par Krzysztof Warlikowski a été joué le  20 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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EN COURS DE REFORMATAGE

« Kroum » par Krzysztof Warlikowski: la Pologne soutient Avignon!

Il est 20h30, Karolina, Peggy et Eric (mes chers amis européens) m’attendent à l’extérieur. Nous avons rendez-vous au Lycée Saint Joseph pour l’événement du Festival, « Kroum » de Hanokh Levin, mise en scène par Krzysztof Warlikowski. La Pologne s’invite donc au festival pour le plus grand bonheur de Karolina ! Et quel bonheur !! 2h 45 de théâtre inventif, magnifiquement interprété par une troupe de comédiens unis dans la diversité  (tiens, revoilà le slogan de l’Union Européenne !!). Cette pièce raconte le retour de l’étranger de Kroum dans sa ville natale où il retrouve sa mère et ses amis. Alors que Kroum s’enferme dans sa relation névrotique avec sa mère et ses rêves enfouis, son entourage bouge, évolue dans la douleur, le plaisir, la mort. La mise en scène est grandiose (l’utilisation de la vidéo est une réussite), les acteurs époustouflants de vérité et les changements incessants du décor font penser à la scénographie d’Olivier Py. Mais surtout il y a chez Warlikowski un talent incroyable pour croiser le réel, le désir et l’inconscient…le tout avec humour !

Je me lève pour ovationner cette belle œuvre  et clore ainsi mon périple festivalier en Avignon…Je suis ému, comme à chaque fois, prêt à recommencer…

Pascal Bély – Le Tadorne.