
Cet article a été écrit en avril 2006, à mes débuts de “spectateur blogueur”. Ce fut une révélation.
Il s'est donc passé quelque chose au Théâtre du Merlan en ce dimanche après-midi pour qu'aujourd'hui ma tête divague, pour qu'il soit si difficile de me centrer sur une tâche.
Il s'est donc passé quelque chose pour qu'encore une fois la danse y aille de son joli travail sur mon inconscient.
En ce lundi opaque, il y a l'image de cette femme magnifique et de sa jolie robe bleue (en photo). Elle est “âgée” comme ses 26 autres partenaires. Elle danse « Kontakthof » de Pina Bausch à Marseille devant une salle comble. Cette pièce créée en 1978 est rejouée en 2006 à l'identique mais avec des danseurs de plus de 65 ans. La scène se joue dans le hall d'une maison close avec autant d'hommes que de femmes. Le contexte est explosif. Au bout de 2h45, je sors hagard, lessivé, ailleurs.
Pendant cet espace temps, ces hommes et ces femmes vont s'aimer, se toucher, se haïr, se séduire, nous séduire, se manipuler (dans tous les sens du terme), nous manipuler, s'émouvoir, se tuer, s'embrasser, jouer à l'enfant, se fuir, s'enfuir, s'enlacer, nous larguer, se séparer, revenir, partir. D'un bout à l'autre de la scène, je les suis, je la suis. Elle me submerge d'émotions. Qui est cette femme ? C'est l'Allemagne que je chéris, c'est la femme qui m'a mis au monde, c'est elle que je défends contre l'oppression masculine, qui me laisse pour un autre sans me quitter. Je sais ce que je suis pour elle ; lui n'est là qu’un court instant. Et les autres ? Je fais avec. Ils tournent autour d'elle, elle s'amuse d'eux. Avec eux, elle tourne en rond mais elles les aiment?c'est plus fort qu'elle. Ils sont toute sa vie ; jusqu'à la mort.
Le hall de cette maison est l'espace où toutes leurs vies se rejouent en accéléré, comme dans un film animalier qui suivrait une couvée de canards, de la naissance à la mort?A 65 ans, leurs corps parlent plus que jamais. Leur moindre geste est une danse. Leurs lèvres dansent la séduction, leurs pieds chorégraphient leur inconscient.
A 65 ans, leurs corps sont façonnés, pétris par les mains de l'amour et par la brutalité des sentiments. Ces corps ont tout encaissé ; ils dansent devant nous. A 65 ans, je danserai comme eux, pour elle.
« Kontakthof » est un chef d'?uvre d'humanité. Il nous renvoie à notre propre histoire, à notre vieillesse, à notre corps.
« Kontakthof » est cette maison close dans laquelle nous jouons nos vies amoureuses.
Pina Bausch nous ouvre la porte pour aller danser ailleurs.
Pascal Bély – www.festivalier.net



Il faut oser se perdre dans la zone d’entreprises de la ville Apt à la recherche de la Fondation Blachère, lieu d’art contemporain africain. Oser pour se laisser surprendre par le contraste : au c?ur de ces bâtiments industriels, un bus est posé là. Il déborde de partout. Signe d’une époque devenue folle : il nous faudrait peut-être prendre le temps de poser nos valises.

Je me souviens encore des

Ce soir, Angelin Preljocaj semble poursuivre ce travail en incarnant le corps masculin avec une matière poétique qu’il malaxe, qu’il menace avec un couteau, avec ce décor qu’il déchire, qu’il fait saigner, qu’il décolle. En lieu et place des tables de « MC 14/22 », un autel. L’amour serait-il à ce point sacré ? Le décor épouse tout à la fois la puissance du lien amoureux et la fragilité d’un art, la danse, qui froisse les corps tel le bruit d’un gobelet en plastique écrasé. « Ceci est mon corps » semble-t-il nous dire en substituant au vin du calice ,une pluie d’or qui vient se coller à son corps transpirant. « Ceci est ta danse » voudrait lui répondre le funambule.
Cinq femmes occupent le plateau pour une « projection fantasmée du désir masculin, dont les images contradictoires piègent même celles qui les refusent ». Toute la première partie n’est qu’une succession de poses, inspirées des tableaux italiens du Quattrocento, tandis que la deuxième, voit notre quintet danser sur des tubes discos et pop (Olivia Newton-John, Madonna et les Bee Gees). Parmi elles, une danseuse attire l’attention (sublime Dalila Khatir): elle est ronde et s’amuse (entre autres) avec ses gros seins et ses formes généreuses. Elle est un centre de gravité où se déploie l’imaginaire individuel et collectif. C’est autour de cette figure « maternelle » que se projette le désir. Il n’y a là rien de révolutionnaire dans le propos, mais la chorégraphie d’Herman Diephuis s’appuie sur ce contraste pour jouer avec les clichés et créer une belle dynamique circulaire entre elles et nous.
Ici, rien ne vient cliver la démonstration : il n’y a pas d’un côté un désir masculin dominant et de l’autre une soumission féminine (sinon, je n’aurais jamais pu m’inscrire dans cette proposition !). La danse remet au centre l’interaction : c’est là où tout se joue. C’est cet espace circulaire qui en jeu dans « Ciao Bella » : rien n’est imposé au spectateur et c’est à lui de jouer ou pas. Alors, jouons !

