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EN COURS DE REFORMATAGE

Où va danse quand elle se perd ?

Les festivals de Marseille et Montpellier parient sur l'avenir à partir de trois ?uvres qui me paraissent symptomatiques d'une époque où l'on ne sait plus très bien où l'on va?
gravite.jpg« Gravité » de Fabrice Lambert présenté au Petit Théâtre de la Criée de Marseille est un solo de vingt minutes où l'on nage dans la confusion. Le danseur se déplace dans un espace liquide où les variations à la surface sont projetées sur un écran vidéo. Le corps prend alors des formes inédites qui nous éloignent progressivement de la scène et centre notre regard sur la toile. Troublant. L'écriture chorégraphique est à lire à plusieurs niveaux et l'on est saisi par la surréalité émergente d'un tel dispositif. On l'est tout autant face à sa vacuité : à quelle place est le spectateur ? N'est-il pas un gentil cobaye sur qui l'on expérimente des effets visuels et sensitifs ? À quoi sert la créativité si elle n'est pas au service d'un propos, d'une vision, d'un sens ?
LTNT-6.JPGCes mêmes questionnements se posent au cours de la (très longue) proposition du chorégraphe autrichien Philipp Gehmacher, « like there's no tomorrow » présentée à Montpellier Danse. C'est « une incitation à jouir du moment présent, mais aussi être l'expression de l'angoisse du lendemain ». Trois danseurs parcourent mécaniquement l'espace parsemé d'enceintes (Ha ! Ha ! Bien vu pour tous ceux qui ont attendu avec angoisse la musique?libératrice !) pour se coucher, se lever, se toucher à partir de gestes millimétrés (pour jouir, j'imagine?). C'est long, ennuyeux, soporifique et pour tout dire?très laid. Certes l'art peut tout embrasser, tout questionner et le spectateur tout analyser. Mais à quoi sert la danse si elle ne dit rien pour celui qui la voit ? Avec Philipp Gehmacher, j'ai l'étrange sensation que ma question est stupide. Angoisse?

Avec le chorégraphe João Fiadeiro présent à Montpellier Danse, on peut se poser toutes les questions comme nous y invite le titre de sa pièce : « Où va la lumière quand elle s'éteint ? ». C'est selon la note d'intention, « une composition en temps réel?où l'interprète se rend disponible à tout ce qui pourrait arriver, non pas en improvisant librement ni en créant de nouvelles images, mais en rendant possible la révélation de celles-ci. Il n'est pas question pour lui de trouver des solutions, mais plutôt de poser des problèmes aux spectateurs. Dans un cadre défini par les danseurs, le spectateur se doit de trouver des solutions en se créant sa propre histoire, en se faisant sa propre interprétation. Il devient alors interprète, créateur et auteur. Sur scène, les interprètes fonctionnent un peu comme un écran où la solution du spectateur se projette ». Alors, tenté ? Il faut oser. Non ? Sentez-vous l'audace, la prétention, la toute-puissance du chorégraphe qui, tout en m'imposant son cadre, va chercher mes interprétations pour les jouer sur scène ? Seule la psychanalyse peut opérer de tels transferts !! Je souris donc au départ de leurs maladresses et du talent manipulatoire de João Fiadeiro. Je suis  beaucoup plus circonspect quand une jeune fille s'empare d'un micro pour quitter la salle et nous décrire en détail le Centre Chorégraphique de Montpellier (les bureaux, la photocopieuse, ?) pendant que deux danseurs explorent leur univers?si particulier. Il faut un certain culot pour inviter le spectateur à lire au quatrième degré.
N’aurais-je pas mieux fait ce jour-là de:
1) Débrancher le micro alors qu'assis au premier rang, la prise était à mes pieds.
2) Poser la problématique, prélude à une émission à coup sûr passionnante (la pièce est sponsorisée par France Culture): « l'hyper spectateur interprète, créateur et auteur touchera-t-il des droits avec la nouvelle politique économique de Nicolas Sarkosy, hyper président ? »

Pascal Bély
www.festivalier.net

?????? “Gravité” de Fabrice Lambert a été joué le 30 juin 2007 dans le cadre du Festival de Marseille.
?????? « like there's no tomorrow » de Philipp Gehmacher a été joué le 26 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.
?????? « Où va la lumière quand elle s'éteint ? » de Joã
o Fiadeiro a été joué le 29 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

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LE GROUPE EN DANSE

Avec «Pasodoble» , Michel Kelemenis entre dans l’arène instituée.

Ma migration vers Montpellier Danse touche à sa fin: l’hommage à Dominique Bagouet a illuminé cette édition tandis que le Festival de Marseille célèbre les vingt ans de l’oeuvre de Daniel Larrieu (« Waterproof ») et  le vingtième anniversaire de la compagnie de Michel Kelemenis. Comme un réflexe vital, ces deux rendez-vous se tournent vers le passé pour penser l’avenir d’un art toujours plus fragile. Avec Dominique Bagouet,c’est aussi l’épidémie du sida qui s’est invité dans la programmation (Robyn Orlin, Raimund Hoghe) comme pour mieux rappeler la fonction destructrice et régénérante qu’elle a eue sur la danse.
Ces deux festivals ont permis à trois chorégraphes français de présenter leurs dernières créations. Les ressemblances sont troublantes: Angelin Preljocaj avec «Sonntags Abschied », propose une danse groupale pour le moins enfermente tandis que Mathilde Monnier et son «Tempo 76» choisit une danse collective destructurante (prémonitoire?). Quant à  Michel Kelemenis, il articule le duo avec le groupe dans «Pasodoble». Dans ces trois spectacles, la mise en espace, souvent très raffinée, réjouit le spectateur mais masque la danse comme si ces artistes «institués» s’en remettaient aux formes groupales fermées comme un refuge protecteur. On cherche l’audace, la prise de risque. On ne trouve qu’un monde replié même si les scénographies laissent penser le contraire. Est-ce en lien avec un contexte politique qui enferme progressivement la culture dans un processus de marchandisation ? On peut malgré tout être rassuré sur la viabilité économique de ces oeuvres, appelées à tourner et à assurer la billetterie dans des structures de plus en plus imposantes (cf. les salles qui poussent comme des champignons, tel le Grand Théâtre de Provence d’Aix).
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C’est dans ce contexte que «Pasodoble» de Michel Kelemenis présenté au Théâtre de la Criée de Marseille déçoit alors que sa dernière création, « Aphorismes géométriques » était un chef d’oeuvre. On est d’autant plus frustré qu’un collectif semble s’être constitué autour de cette production : Agatha Ruiz de la Prada, nom prédestiné, s’est particulièrement investie dans la création des costumes ainsi que l’orchestre TM+ (présent dans la fosse) a joué les compositions de Philippe Fénelon créées pour la circonstance.
Nous voilà donc propulsés dans l’arène, lieu par excellence des jeux d’alliance et de coalition. C’est là qu’un duo de danseuses (magnifiques Caroline Blanc et Virginie Lauwerier) se fond au milieu d’un quartet masculin (assez uniforme et très décevant) pour jouer au chat et à la souris (sauf que la bête a un peu grossi, genre taureau très élégant!). Ces rituels sont le plus souvent accompagnés d’une danse sans surprise, comme inspiré d’un ballet classique, avec ses codes collés à l’imaginaire collectif de la corrida. La dramaturgie se perd dans des effets de pure forme où les passages du solo, au duo puis au groupe s’enferment dans des schémas linéaires.
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Pour m’échapper, je me décentre vers les coulisses de l’arène (subtilement séparés par de très fines lamelles de tissu) : il s’y joue l’implicite, ce que l’on ne voit pas sur scène. Je cherche le mouvement qui transcende ce lieu circulaire pour ressentir une force poétique capable de dépasser ces jeux sans importance. Les deux danseuses portent le projet de transformer l’arène en espace élargi (réminiscence des «Aphorismes géométriques»?) tandis que le quartet masculin semble subir, suivre. Le tableau final où la scène est recouverte d’un tissu noir aurait pu ouvrir : il enferme les danseurs dans des envolées qui tombent à plat. Allongés les uns à côté des autres,  les corps semblent ne plus rien avoir à nous dire, prisonnier de ce beau divertissement.
« Pasodoble » est une oeuvre triste. Je n’ai jamais aimé la mise à mort et les coeurs d’Agatha Ruiz de la Prada n’y peuvent rien.
Pascal Bély
www.festivalier.net

 Pasodoble” de Michel Kelemenis a été joué le 30 juin 2007 dans le cadre du Festival de Marseille.

Crédit photo: Mathieu Barret.

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES

Raimund Hoghe, in memoriam.

A Thierry.
Raimund Hoghe est de retour à Montpellier Danse. Je l’avais quitté en 2004 avec « “Young People, Old Voices” puis en octobre 2005 sur ARTE avec « Cartes postales ». Depuis, je n’ai cessé d’y faire référence dès que j’évoque la danse engagée. Raimund Hoghe transforme sur scène tout ce qu’il touche comme si sa petite taille et sa bosse dans le dos renvoyaient notre vulnérabilité et notre force. La précision de ces gestes, sa lenteur, son lien aux objets dessinent les contours de la danse du poète. Ce soir, « Meinwärts », créé en 1994, bouleverse une fois encore le public du Théâtre de Grammont.
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Dos au public, assis sur une chaise, il attend. Un carré de bougies rouges, au fond et à droite de la scène, illumine déjà sa présence. Une musique symphonique introduit ce premier tableau à jamais gravé : l’immobilité du corps stoppe le temps de nos sociétés modernes. Soudain, un homme arrive et jette sur les bougies de la terre noire pour les éteindre. La violence du geste évoque les cendres des camps d’internement. Par la magie de la poésie, les poussières déposées par l’histoire vont se transformer en œuvre chorégraphique. Raimund Hoghe nous invite ce soir à nous souvenir du ténor juif Joseph Schmidt (1904 –1942) déporté par les nazis ainsi qu’à commémorer les victimes du sida. Ce rapprochement n’a rien de surprenant : il semble mettre au même niveau les discriminations envers les juifs et les homosexuels emportés par la maladie et l’indifférence. Alors qu’il s’accroche nu tel un trapéziste, son corps devient le lien entre ces deux époques. Notre regard sur sa bosse est notre ouverture pour lire horizontalement l’histoire.
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Des airs d’opéra et des chansons populaires interprétés par Joseph Schmidt sont le décor sonore des rituels du souvenir crées et joués par Raimund Hoghe. Des textes de la période nazie, des lettres de malades du sida ponctuent les séquences comme s’il fallait réparer, se ressourcer par l’écrit pour laisser au corps le temps de se régénérer. Il les lit comme une partition de musique, le souffle parfois coupé. Je retiens difficilement une émotion trop longtemps contenue. En effet, Raimund Hoghe redonne à ceux qui ont vécu les débuts difficiles de la lutte contre le sida, un bout de leur histoire. Nous sommes peut-être quelques-uns dans la salle à avoir connu cette époque où distribuer des préservatifs à la sortie des lycées conduisait au poste de police. Qui se souvient encore de la solitude des malades qui,  pour cacher leur maladie, devaient inventer des stratagèmes humiliants ? Quand Raimund Hoghe répand de la terre rouge sur la scène du théâtre tel un semeur de blé, il réhabilite les morts et inscrit dans notre histoire commune, la longue liste des victimes de la barbarie nazie, du sida et le combat de leurs proches. Le sol finit par être parsemée de petites bougies rouges avec chacune une photo : nous comprenons alors que nous avons créé lui et nous, le plus beau mémorial. 
Et lorsque les grandes portes au fond de la scène s’ouvrent sur le jardin du théâtre, un souffle vital envahit la salle. La danse devient simultanément un art fragile et puissant : elle seule peut transformer une poussière de terre en constellation de danseurs et chanteurs étoiles.
Pascal Bély – Le Tadorne
 «Meinwärts» de Raimund Hoghe a été joué le 29juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.
Crédit photo: Rosa Frank.
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EN COURS DE REFORMATAGE

Généreuse Robyn Orlin à Montpellier Danse.

orlin1.JPGÀ l'entrée du Corum de Montpellier, hôtesses et militants des associations de lutte contre le sida distribuent une sucette. En quelques minutes, le hall fourmille d'étranges humains avec un bâtonnet blanc sortant de la bouche : image surréaliste avant le spectacle de la Sud-Africaine, Robyn Orlin (« We must eat our suckers with the wrappers on? »). Mais gare aux apparences ! L'ambiance dans la salle n'est pas toujours à la fête. L'anxiété est palpable: avec Robyn Orlin, le public est souvent sollicité si bien qu'informée par Montpellier Danse, ma voisine cache ses chaussures sous le siège de peur que les artistes s'en emparent ! La prévention contre le sida est un terrain sensible : comment prévenir avec créativité tout en interpellant chacun sur sa sexualité ?

Pour cela, Robyn Orlin peut compter sur quatorze danseurs ? chanteurs qui disposent tous d'une poubelle en plastique rouge : tout à la fois instrument de musique, elles se métamorphosent en éléments de décor ou plus encore en objet érectile. Elles sont le lien avec le public puisque certains spectateurs sont invités à les prendre dans leur bras. Mais elles sont aussi l'image de l'Afrique, considérée par les Occidentaux comme leur poubelle. Robyn Orlin n'en reste pas là : il lui faut à tout prix créer un interaction quasi charnelle entre le public et ses « performeurs » : la sucette s'invite à nouveau, comme métaphore du rapport sexuel non protégé. Quand l'un d'entre eux offre aux spectateurs du premier rang cet étrange objet du désir, il les reprend pour les lécher avec gourmandise : la clameur du public se fait alors entendre comme une rumeur qui se propage sur la transmission du virus par la salive. Déroutant.
orlin-2.JPGPour dépasser la scène et lui donner de nouvelles dimensions à la hauteur de l'enjeu, une caméra vidéo filme au ras du sol, vers le public, en surplomb du groupe: elle nous renvoie notre propre image, nos préjugés. Elle autorise des angles de vue différents pour permettre le changement de regard sur les malades et la maladie. Magnifique.
Tous ces objets, cette caméra, ces va-et-vient continus entre la salle et la scène envahissent l'espace public pour conférer à « We must eat our suckers with the wrappers on? » les accents d'un manifeste pour préserver l'humanité. Les superbes chants en choeur sont là pour nous rappeler que le sida doit être une préoccupation collective. Les séquences plus intimistes nous plongent au c?ur de notre sexualité, de notre complexité à relier désir et prévention. Robyn Orlin ne juge pas et c'est peut-être pour cette raison qu'elle atteint nos affects. C'est une pièce magnifique où leur destin est le nôtre. C'est une ?uvre intemporelle, car nous n'aurons jamais fini de parler du sida, de ses ravages, mais aussi de cette force vitale qu'il donne. Robyn Orlin est là pour nous le rappeler : le sida n'est pas et ne sera pas une maladie comme les autres. Parce qu'il s'est immiscé dans le corps des artistes, dans notre sexualité, au c?ur d'un continent, créateurs et public doivent s'emparer des théâtres pour le contrer quitte à s'autoriser quelques promiscuités.
Montpellier Danse a fait ce pari fou : transformer le Corum en agora pour que l'indifférence générale à l'égard du sida se métamorphose en ?uvre artistique collective. Debout, le public fait un triomphe à Robyn Orlin et sa troupe.
Debout, on se sent plus fort.

Pascal Bély
www.festivalier.net



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??? «We must eat our suckers with the wrappers on?» de Robyn Orlin a été joué le 26 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

A lire aussi un autre regard sur le blog “Danse à Montpellier“.
Crédit photo: John Hogg.