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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Le Festival d’Avignon, espace d’expérimentation raté du futur “104” de la Ville de Paris.

La Maison Jean Vilar propose deux expositions: au rez-de-chaussée, un espace est dédié à Fréderic Fisbach, l’artiste associé. Au premier étage, une installation pour célébrer le 60e anniversaire du Festival d’Avignon par une jolie série de portraits suspendus dans le temps et la projection d’un film sur Jean Vilar. Entre les deux, un escalier. C’est tout. Pas de pont, ni de passerelles. La Maison est fragmentée. Pourtant, Fréderic Fisbach est un conteur d’histoire (il aurait pu au moins nous raconter son parcours de festivalier au fil du temps). Il préfère accrocher sa prose dans des cadres vissés au mur, mettre un lit au centre (pour s’y coucher? Devant tout le monde?). Une installation nous permet de marcher sur des petits coussinets en caoutchouc et nous asseoir (ou s’allonger) pour écouter avec des casques les explications de Fisbach sur la genèse de ses pièces, sur ses tournées…L’endroit est idéal pour se reposer, mais vide de tout contenu. Quel peut bien être le sens de cette installation qui ne relie rien, ne suggére rien si ce n’est de la radio en conserve? En sortant, je suis un film sur la construction du “104” (un lieu d’art pour tous de la ville de Paris). Aucun intérêt. Aucun.
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Je quitte la Maison Jean Vilar pour le gymnase du lycée Mistral où Robert Cantarella (co-animateur du futur 104!) propose “Hyppolyte” de Robert Garnier . La jauge est minuscule (à peine 50 spectateurs). En entrant, j’ai la surprise de me trouver à nouveau dans un appartement (après le loft dans “Les feuillets d’Hypnos et le plumard de la Maison Jean Vilar, je me lasse de cette proximité!). Quelques casques sont posés sur les sièges, mais pas assez pour tout le monde (on y écoute la voix des acteurs accompagnée par une guitare électrique). Le musicien est d’ailleurs présent devant son ordinateur (je ne verrais jamais son visage) et un technicien filme la pièce (où il sera possible de la visionner sur grand écran dans une salle adjacente!). Vous l’aurez compris, nous sommes face à un déluge de moyens. Mais servent-ils au moins une recherche autour du théâtre? Donne-t-il au texte de Garnier (c’est une langue du 16e siècle) une force, une méta- compréhension… À moins qu’ils ne permettent aux comédiens de poser un contexte si porteur qu’ils innoveraient dans leur jeu sur scène (ou sur le lino, c’est au choix)?

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Rien de tout cela. “Hyppolyte” est ennuyeux, mal interprété (Nicolas Maury, déjà remarqué dans “les feuillets” est toujours aussi insupportable à écouter), où les objets de la vie moderne (un micro-ondes) ne servent strictement à rien si ce n’est à occuper un espace laissé vide par des comédiens qui clame leur texte avec application (c’est quand même une performance). Ils sont desservis par une mise en scène clostrophobique, entravée par le mobilier d’Ikea et surtout gêné par la présence d’un chien qui se contente de leur courir après (le sens m’échappe à la même vitesse que l’animal). Fatigué par ce théâtre prétentieux, je ne pense qu’à partir. Impossible. J’ai peur du chien et cela se voit. Je me contorsionne, ouvre un livre, penche la tête en avant, en arrière. Je souffre. Et j’ai toujours peur de ce chien pas du tout sympathique. Pourquoi n’ai-je pas de casque? A quoi rime cette discrimination? Mes questionnements volent haut…
Ainsi, je deviens le spectateur-acteur dont rêve tant Fréderic Fisbach.
En partant, je n’ose pas lui dire à quel point je me suis trouvé convaincant dans mon rôle.
Je cavale vers la sortie de peur de tomber sur le maître-chien.

Pascal Bély
www.festivalier.net

“Hyppolyte” par Robert Cantarella a été joué le 20 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Warlikowski met fin au « silence des hétérosexuels » lors du Festival d’Avignon.

 La cour du lycée Saint-Joseph accueille Krzysztof Warlikowski, pour « Angels in América I et II ». Ce metteur en scène polonais, habitué du festival d’Avignon, est un réconciliateur. En 2005, au coeur de la tourmente provoquée par l’artiste associé de l’époque (Jan Fabre), « Kroum » avait fait l’effet d’un baume apaisant. Aujourd’hui, il revient pour nous conter le roman de Tony Kushner sur les années sida dans l’Amérique de Reagan. Cette tragédie fait trembler les murs et les gradins, réveille le mistral glacial, et résonne dans cette France décidément bien trop calme.
En juin dernier, le Festival Montpellier Danse s’interrogeait et commémorait les victimes: comment le sida a-t-il influencé la danse ? Quel rôle joue-t-il aujourd’hui ? Comment alerter l’opinion publique sur le drame qui secoue l’Afrique ? Avignon prolonge le débat en inscrivant l’épidémie à l’articulation du politique et de l’intime. Curieuse coïncidence tout de même au moment où l’équipe de Sarkosy, néolibérale et puritaine, brouille les cartes, abat les cloisons pour clore les controverses et marginaliser un peu plus ceux qui pensent différemment. Le théâtre de Warlikowski est donc une bouffée d’oxygène qui repositionne la marginalité au coeur du progrès social, du processus créatif et invite les hétérosexuels (majoritaires) à cesser de considérer l’homosexualité à partir de leur moralité, qu’ils reconnaissent au Sida sa dimension sociale, politique et culturelle. Ces 5h30 donnent à cette tragédie les images d’un film de David Lynch, les métamorphoses d’un Roméo Castellucci, les rythmes d’un Joël Pommerat. Warlikowski réunit mes références théâtrales, incarne mon histoire face au sida dans le jeu exceptionnel des acteurs pour la restituer en fresque vivante
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Deux hommes s’aiment ; l’un est atteint du sida, l’autre pas. Plus loin dans la ville, un couple se déchire : l’un est attiré par les ballades dans les parcs pour y observer les hommes, l’une prend des cachets dans l’attente d’avoir un enfant. À côté de ces amoureux transits, un avocat, proche de l’équipe Reagan, a le sida qu’il dissimule en cancer, hanté d’avoir plaidé la peine de mort pour Ethel Rosemberg. Tous les acteurs de cette tragédie sont reliés, mais profondément isolés dans leur souffrance. Ils sont des marionnettes manipulées par les oligarchies religieuses, enfermés dans les jeux de leur caste professionnelle, prisonnier de leur idéologie. Qui tient les fils ? Comment s’en échapper ?  
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C’est là que Warlikowski démontre toute la puissance de son art : guérir du « sid’amour », c’est ouvrir les espaces de dialogue, libérer les peurs, tisser des liens de solidarité, laisser la place à l’inconscient pour qu’il fasse son travail d’introspection et de réparation. A l’image de l’unité de lieu (grande pièce aux murs argentés, au mobilier d’un ancien pays communiste, à la fois salle d’église et de réunion du parti) qu’il transforme en chambre d’hôpital, en pays imaginaire de l’Antartique, en coulisse de la mort pour mieux relier, élargir là où le sida enferme, cloisonne, tue à petit feu. La mise en scène de Warlikowski est une approche politique face à une maladie réduite par les hétérosexuels à la sphère de l’intime. Elle met en mouvement le lien que les malades ont tissé avec leurs proches: dire, mais pas tout, suggérer pour éviter le voyeurisme, donner du sens à l’inacceptable pour préserver la vie. Warlikowski a tout compris de cette maladie, de sa complexité, mais aussi des enjeux sociétaux : ce sont les minorités qui enclenchent le changement. Il ne simplifie rien, mais ouvre en permanence jusqu’à la scène finale où tous les acteurs assis face à nous, dissertent sur le sens de la vie, nous aident à nous réapproprier la question du sida, facilitent le passage de la fiction à la réalité (l’histoire est toujours en oeuvre avec ce virus).
Deux jours après, une spectatrice me confiera : « il ne faudrait pas réduire « Angels in América » à une pièce sur les homosexuels ». Qui lui parle de réduire ?

Pascal Bély
www.festivalier.net

« Angels in América » par Krzysztof Warlikowski a été joué le  20 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, Faustin Linyekula manque la rencontre.

Le chorégraphe congolais Faustin Linyekula est une belle personne. Je le ressens généreux, sensible, ouvert. Son corps traduit à la fois fragilité et force. Son regard, toujours bienveillant, accompagne sa voix douce et déterminée. Le Festival d’Avignon l’honore cette année avec deux propositions. Après “Dynozord: the dialogue series III qui ne m’avait pas convaincu, Faustin Linyekula récidive avec “Le festival des mensonges” à la salle de Champfleury. Un orchestre, des chanteurs, un bar géré par une association, des bancs tout autour d’une scène délimitée par des néons et des fils électriques posent le contexte de la soirée. L’ambiance est à la fois décontractée, mais concentrée, au coeur d’un théâtre, d’une fête organisée pour le public. Elle s’inspire d’une coutume des paysans de Patagonie qui, une fois par an, se retrouvent une nuit entière pour un concours de mensonges.
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Faustin Linyekula s’empare de cette tradition pour son pays, la République du Congo (ex-Zaïre), en Avignon. L’occasion est trop belle pour dénoncer, extraits sonores à l’appui, l’ensemble des mensonges, des crimes, perpétués par une classe politique locale et internationale. Ils sont donc trois danseurs (dont Faustin), une comédienne, un orchestre pour accompagner ces bonimenteurs. La danse, souvent à terre, entremêle les corps. Les néons s’interposent, barrent la route, clignotent comme autant de signaux d’alerte. Tout à la fois matériaux pour faire un feu et fluide électrique, ils envahissent le trio et finissent par l’engloutir. La comédienne évoque sa famille (surtout son père, fonctionnaire d’État) et son désir de voter, mais ses paroles tournent en rond comme un disque rayé d’autant plus que les voix de Mobutu, de Giscard brouillent les messages (c’étaient sûrement leur fonction à l’époque!). Soudain, alors que le trio se perd un peu dans la chorégraphie (sophistiquée) de Faustin Linyekula, la danse s’arrête: le public n’investit pas assez le bar! Or, consommer pendant le spectacle est la seule source de financement de la culture au Congo. Cette interruption, loin d’être anodine, renforce notre position “haute” vis-à-vis de l’Afrique (n’aurions-nous que celle-là? A qui vont donc les 25 euros de chaque place?). On nous culpabilise, à moins que Faustin Linyekula assume difficilement sa chorégraphie, plus proche de la danse contemporaine européenne qu’africaine. Nous sommes plusieurs à ressentir ce malaise: le contexte du spectacle flotte entre scène de théâtre et fête populaire (pour des blancs?) et finit par brouiller le propos artistique. Pourtant, l’un des derniers tableaux est époustouflant de beauté et de justesse: sur une longue table, avec des poupées cassées et désarticulées, les artistes simulent une rencontre au sommet entre tous ces menteurs. Le collectif finit sous la table, de nouveau englouti. Au lieu d’ouvrir sur un futur possible pour leur pays, ce final signe le désespoir de ces jeunes artistes dont le seul projet est de partir.
Comment pourrions-nous faire la fête avec un telle conclusion? Pour de nombreux spectateurs, la soirée, prévue pour se prolonger, se termine à l’image d’un Festival qui a bien du mal à nous retenir pour débattre collectivement d’autant plus que les habitants du quartier populaire de Champfleury sont cruellement absents. L’occasion était trop belle, tel “le théâtre des idées” organisé l’après-midi, pour transformer ce “festival des mensonges” en agora populaire sous l’arbre à palabres. Au lieu de cela, chacun repart chez soi pour enfermer à double tour sa vision d’un continent décidément trop loin de nous.
Faustin, revenez! 

Pascal Bély
www.festivalier.net
“Le festival des mensonges” de Faustin Linyekula a été joué le 21 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.