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Frédéric Fisbach “dépressive” Juliette Binoche.

Juliette Binoche est à l’affiche du Théâtre de l’Odeon à Paris du 18 mai jusqu’au 24 juin 2012. Retour sur “Mademoiselle Julie”, vu au dernier Festival d’Avignon. A fuir…

J’hésite. J’ai mon billet  pour «Mademoiselle Julie»,  mise en scène par Frédéric Fisbach avec Juliette Binoche. Je doute. L’agent d’accueil du Festival d’Avignon m’attend. J’hésite. Une professionnelle de la culture me repère et me lance : «n’y va pas, tu n’aimeras pas». J’admire ceux qui ont des certitudes à votre place. J’hésite. Fréderic Fisbach, c’est risqué. Je n’ai pas oublié «Les feuillets d’Hypnos» qu’il présenta en 2007 dans la Cour d’Honneur alors qu’il était l’artiste associé du Festival. Jamais la Cour n’avait subi un tel outrage. Je n’ai pas oublié la façon dont il a coupé un équipement culturel («le 104» à Paris) de son quartier, l’obligeant à rendre les clefs d’un établissement déficitaireJuliette Binoche, ce n’est pas rassurant. Elle véhicule un tel imaginaire autour du cinéma. Sans vouloir l’enfermer trop vite, Binoche c’est du cinoche. Nicolas Bouchaud, c’est ennuyeux. Son jeu appuyé ne m’a jamais traversé.

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Finalement, j’entre. Premier rang. Le décor m’est familier : murs  blancs, des néons, des vitres et des troncs d’arbres. Comme d’habitude avec Fréderic Fisbach, j’ai l’impression d’être dans une galerie d’art contemporain. Il sait aménager l’espace pour figer la communication.

Julie est fille d’un conte. Profitant de l’absence de son père, elle organise une fête le soir de la Saint-Jean. Elle fait l’amour avec Jean, son valet. La ligne a été franchie : ils sont prêts tous les deux à poursuivre leur aventure en quittant la Suède pour ouvrir un hôtel en Allemagne. Mais leur différence de statut aura raison de leur folie. Ils restent. Elle se tue.

En 2011, quelle interprétation en fait Frédéric Fisbach ? Je ne doute pas du scandale qu’a pu provoquer cette pièce à sa création en 1906. Mais en 2011?Le jeu des acteurs peine à restituer un conflit de classe, tout un plus une divergence de projet. Dans quel environnement  vit Frédéric Fisbach ? Probablement celui qu’il singe lors de la fête entre « amis » où des comédiens amateurs se déhanchent en fond de scène: relations codées, aseptisées, où l’on fait semblant d’en être. Culturellement, Jean et Julie sont si proches que leurs corps adoptent les mêmes codes de comportement. Nicolas Bouchaud n’incarne qu’un employé de classe moyenne qui trouve en Mademoiselle Julie une opportunité de gagner plus en travaillant plus. C’est un peu court. Psychologiquement, leur relation ne véhicule aucun désir sauf lorsque Bouchaud surjoue la séduction.  Mais tout est factice comme si le théâtre devait cohabiter en permanence avec une caméra. Pour s’échapper de cet enfermement, je finis par n’observer que Juliette Binoche. La star va-t-elle faillir ?La portée politique de la pièce s’estompe très vite, même si je décèle les ressorts d’une classe moyenne qui s’ennuie et sommeille (à l’image d’une partie du public?). Fréderic Fisbach nous lasse : le jeu des acteurs est au service de l’espace, de l’esthétique, les métamorphosant peu à peu en figures désincarnées. Il peine à mettre en scène une tension sociale et psychologique : tout au plus, sait-il la réguler.
Le théâtre de Frédéric Fisbach orchestre le vide, agence les langages tel un puzzle, mais ne sait pas les relier. Quand les « amateurs »de la fête  dansent la ronde de «Nelken» par Pina Bausch, je fulmine : il recycle les gestes mythiques  pour masquer l’absence de propos.
Fréderic Fisbach fait un théâtre dans les pas des autres. Avec Juliette Binoche en tête d’affiche, cela se voit. C’est l’avantage de la lumière : on s’y brûle vite les ailes quand on ne sait pas où l’on va.
Pascal Bély, Le Tadorne
« Mademoiselle Julie » d’August Strindberg mise en scène de Fréderic Fisbach du 8 au 26 juillet 2011 dans le cadre du Festival d’Avignon.
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Le Festival d’Avignon, espace d’expérimentation raté du futur “104” de la Ville de Paris.

La Maison Jean Vilar propose deux expositions: au rez-de-chaussée, un espace est dédié à Fréderic Fisbach, l’artiste associé. Au premier étage, une installation pour célébrer le 60e anniversaire du Festival d’Avignon par une jolie série de portraits suspendus dans le temps et la projection d’un film sur Jean Vilar. Entre les deux, un escalier. C’est tout. Pas de pont, ni de passerelles. La Maison est fragmentée. Pourtant, Fréderic Fisbach est un conteur d’histoire (il aurait pu au moins nous raconter son parcours de festivalier au fil du temps). Il préfère accrocher sa prose dans des cadres vissés au mur, mettre un lit au centre (pour s’y coucher? Devant tout le monde?). Une installation nous permet de marcher sur des petits coussinets en caoutchouc et nous asseoir (ou s’allonger) pour écouter avec des casques les explications de Fisbach sur la genèse de ses pièces, sur ses tournées…L’endroit est idéal pour se reposer, mais vide de tout contenu. Quel peut bien être le sens de cette installation qui ne relie rien, ne suggére rien si ce n’est de la radio en conserve? En sortant, je suis un film sur la construction du “104” (un lieu d’art pour tous de la ville de Paris). Aucun intérêt. Aucun.
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Je quitte la Maison Jean Vilar pour le gymnase du lycée Mistral où Robert Cantarella (co-animateur du futur 104!) propose “Hyppolyte” de Robert Garnier . La jauge est minuscule (à peine 50 spectateurs). En entrant, j’ai la surprise de me trouver à nouveau dans un appartement (après le loft dans “Les feuillets d’Hypnos et le plumard de la Maison Jean Vilar, je me lasse de cette proximité!). Quelques casques sont posés sur les sièges, mais pas assez pour tout le monde (on y écoute la voix des acteurs accompagnée par une guitare électrique). Le musicien est d’ailleurs présent devant son ordinateur (je ne verrais jamais son visage) et un technicien filme la pièce (où il sera possible de la visionner sur grand écran dans une salle adjacente!). Vous l’aurez compris, nous sommes face à un déluge de moyens. Mais servent-ils au moins une recherche autour du théâtre? Donne-t-il au texte de Garnier (c’est une langue du 16e siècle) une force, une méta- compréhension… À moins qu’ils ne permettent aux comédiens de poser un contexte si porteur qu’ils innoveraient dans leur jeu sur scène (ou sur le lino, c’est au choix)?

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Rien de tout cela. “Hyppolyte” est ennuyeux, mal interprété (Nicolas Maury, déjà remarqué dans “les feuillets” est toujours aussi insupportable à écouter), où les objets de la vie moderne (un micro-ondes) ne servent strictement à rien si ce n’est à occuper un espace laissé vide par des comédiens qui clame leur texte avec application (c’est quand même une performance). Ils sont desservis par une mise en scène clostrophobique, entravée par le mobilier d’Ikea et surtout gêné par la présence d’un chien qui se contente de leur courir après (le sens m’échappe à la même vitesse que l’animal). Fatigué par ce théâtre prétentieux, je ne pense qu’à partir. Impossible. J’ai peur du chien et cela se voit. Je me contorsionne, ouvre un livre, penche la tête en avant, en arrière. Je souffre. Et j’ai toujours peur de ce chien pas du tout sympathique. Pourquoi n’ai-je pas de casque? A quoi rime cette discrimination? Mes questionnements volent haut…
Ainsi, je deviens le spectateur-acteur dont rêve tant Fréderic Fisbach.
En partant, je n’ose pas lui dire à quel point je me suis trouvé convaincant dans mon rôle.
Je cavale vers la sortie de peur de tomber sur le maître-chien.

Pascal Bély
www.festivalier.net

“Hyppolyte” par Robert Cantarella a été joué le 20 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon

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Au Festival d’Avignon, Char écrasé, Fisbach dissocié, public complice.

J’arrive dans la Cour d’Honneur. Le choc. Alors que le public s’installe comme si de rien n’était, je scrute le décor des « Feuillets d’Hypnos » de René Char mis en scène par Frédéric Fisbach avec angoisse et déjà colère. Imaginez, un long loft, quasiment dessiné par la production de TF1, sur la scène d’un lieu mythique. Cette imposante baraque, avec ses appartements, sa place, ses petits gradins, envahit toute la cour. Fisbach se fout du passé. Il l’écrase de sa suffisance et de son bon droit d’artiste associé du Festival d’Avignon, à l’image d’un directeur des programmes d’une chaîne publique qui n’a que le vocable « audimat » comme argument. Mais personne autour de moi pour s’en émouvoir. J’ai envie de vomir. La suite va confirmer mon dégoût…
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Deux centre trente-sept feuillets, poèmes, de René Char se mettent en scène dans cette ambiance trash. Les comédiens dégueulent leurs mots (mention toute particulière à Nicolas Maury, caricature de lui-même), gesticulent, prennent une douche, aboient. Ils déconstruisent les vers de René Char, les rendent quasiment incompréhensibles. Une entreprise de démolition est en marche. René Char, l’enfant du pays, le résistant est ridiculisé, avec l’accent. Je commence à protester. À côté de moi, la clameur monte, mais la présence des proches des amateurs nous empêche d’aller plus loin. Certains partent bruyamment en imitant le bruit des bottes…Quarante-cinq minutes qui font honte au théâtre français, mais toujours aucune manifestation d’un public que l’on a connu bien plus sévère en 2005, lors des spectacles de Jan Fabre.
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Après ce premier carnage, une centaine d’amateurs disséminés dans les gradins atteignent la scène. Ils l’occupent pour mieux noyer ces comédiens. L’effet masse est impressionnant. Les textes retrouvent leur consistance malgré les quelques happenings déplacés de la troupe de Fisbach. Soudain, la fumée envahit les pièces du loft, le lieu même où un homme nu prenait sa douche, où une femme se maquillait quelques miniutes auparavant. Fisbach simule les chambres à gaz. En l’espace d’une heure, il transforme le décor pour manipuler l’histoire à sa guise, utilise des amateurs pour revenir au théâtre, enferme le public dans la passivité (comment peut-il protester alors qu’il est métaphoriquement sur scène ?). Resister aurait été de descendre, de monter avec les amateurs pour mettre fin à cette mascarade. Nous sommes plusieurs en avoir envie mais le courage nous manque. Lors des applaudissements complaisants d’une partie du public, alors qu’une autre reste silencieuse comme sidérée, je me dirige vers les comédiens pour leur tendre un poing vengeur (« c’est une honte »).
Je quitte la cour. Je repense aux leçons de résistance données par Edgar Morin dans l’après-midi lors du « Théâtre des Idées » devant un nombreux public. Je pense à son sourire, à sa pensée lumineuse. Je l’imagine aux côtés de René Char. Mais j’ai mal partout. Deux amis me rejoignent dans un café. Miracle du Festival, nous entamons un débat avec un couple d’Allemands. Ils sortent de la Cour d’Honneur. Ils y ont vu une « bonne lecture publique » (Fisbach perd son statut de metteur en scène !), s’attristent sur les chambres à gaz, saluent les amateurs pour avoir procuré du corps au texte. Nos échanges sont beaux, lumineux. Edgar Morin est là,presque parmi nous.
Monsieur Fisbach n’existe déjà plus. Il peut ranger son loft. Il n’aura même pas les honneurs de l’histoire. Juste la honte de l’avoir bafoué.

Pascal Bély
www.festivalier.net
« Feuillets d’Hypnos » de René Char par Fréderic Fisbach a été joué le 17 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.

Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d’Avignon.