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Notre problème avec Faustin Linyekula

Cet article fait suite à celui que j’ai publié il y a quelques jours à propos de la pièce de Faustin Linyekula , «Pour en finir avec Bérénice ». Sylvain Pack ne partage pas mon analyse.  

Titus, le fils du Roi de Rome convainc son amoureuse Bérénice de quitter la Palestine pour le rejoindre. Cet homme doit diriger Rome alors que son peuple s’oppose à cette union avec une étrangère. Les deux protagonistes s’aiment passionnément et vont devoir faire face au dilemme de leur responsabilité. Titus a déjà choisi et renvoie son amour chez elle. Ils acceptent leur destin tragique. Bérénice met-elle fin à ses jours ?…

Voilà, esquissé, le drame auquel l’équipe de Kisangani va s’atteler durant le spectacle “Pour en finir avec Bérénice“, joué dans le cloître des Carmes. Voilà une histoire qui m’était inconnue, écrite par Jean racine il y a 4 siècles. Voilà aussi mon problème… La distance de la langue, l’incompréhension de ces vers, l’inaccessibilité de leur syntaxe et de leur musique. Ce qu’a dû, d’autant plus, affronter le chorégraphe et metteur en scène Faustin Linyekula, originaire d’un pays ultra colonisé, ultra envahi par la langue française : le Congo.

Six siècles plus tôt, les Portugais commencent la traite négrière dans ce pays majoritairement pygmée et bantou. Les Français prennent le relais puis bien plus tard, le Congo expulse ses envahisseurs et acquiert son indépendance en 1958. Le Congo a connu toutes les déchirures, tous les déracinements de l’esclavage. Sa conquête d’autonomie et les compromis politiques qu’il a dû subir, lui a valu du sang et beaucoup de cadavres encore. C’est le problème de Faustin Linyekula et c’est un problème de taille, comparé au mien ce soir.

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Il rentre sur scène en tapant des cailloux, qu’il ne lâchera presque jamais. Ses acolytes déversent du café sur scène, ressource congolaise autrefois florissante et aujourd’hui tari. Leur visage est recouvert de blanc, des perruques de cour tout aussi ridicules et fantomatiques seront portées, envolées, perdues. Faustin Linyekula ne cessera jamais de battre le pouls de son pays, avec la musique, avec son corps, avec le désert que laissent le massacre et les guerres… et même si le pathos de certains interprètes tiraille dans cette cour rafraîchie par le mistral, l’équilibre de l’approche, comme la bassine que porte sur sa tête une des femmes, ne verse ni dans la plainte, ni dans la colère. Faustin Linyekula défie et recherche. Il fait éminemment parti de cette génération consciente et concentrée, avec Israël Galvan ou Ivo Dimchev, qui par la danse et la performance aborde les angoisses de notre monde.

Concernés par des affaires autant intimes que communautaires, ils proposent, en échange, des activités de recherche esthétique portées au regard du public. Et si la forme n’est pas close, si elle est longue, voire maladroite, elle n’est pas prête à consommer, elle n’est pas facile et surtout, elle n’est pas occidentale. L’équipe de Faustin Linyekula se débat avec les débris d’une culture violée et l’appétit dévastateur du pétrole qui règne autour de son lieu de travail. C’est ce qui est donné à voir et à entendre, lorsque le plus simplement du monde, les acteurs témoignent de leur temps de travail autour du futur cadavre de Bérénice et la transforme en scène de comptoir : ” 2,5 millions… non 3, mais non il y a eu 5 millions de morts. Je vous dis qu’il y en a eu 4, 5 ! ” Et on rit. On s’amuse parce que ces acteurs sont touchants, qu’ils sont distants comme exprès, respectant le dessin qui est fait “Pour en finir avec Bérénice”.

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Ce spectacle est furieusement fragile et retenu, abordant un concept presque immaîtrisable tant la douleur est sourde et désespérée et, notre conscience européenne, si susceptible à ce sujet. Pour renvoyer  à l’article de Pascal Bély, je ne crois pas que Faustin Linyekula soit trop immature pour toucher à ce sujet. Je pense qu’il est plutôt très difficile de l’entendre, que la décolonisation et le néocolonialisme doivent être chevauchés par ces nouveaux artistes bien plus que par ce dernier défilé du 14 juillet qui fait honte à notre pays.

Notre problème avec Faustin Linyekula a jailli avec un public resté silencieux, apprenant à ne rien renier et à comprendre les fondements de cette violence raciste. Le travail de l’art vivant n’est pas une forme figée, il se réfléchit et se questionne, n’aboutit pas toujours, d’un spectacle à l’autre. Ce soir, je renvoie à ces hommes de scène toute mon admiration en essayant de faire claquer mes deux mains comme des pierres. Je résiste mieux, je rentre chez moi et cherche plus de détails sur l’histoire des Congolais, découvre les liens qui unissent la mienne à la leur.

Sylvain Pack – sylvainpack.blogspot.com

“Pour en finir avec Bérénice” de Faustin Linyekula au Festival d’Avignon du 17 au 24 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

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Du corps en Avignon.

Le corps traverse quasiment toutes les oeuvres du Festival d’Avignon. Si lors de l’édition de 2005 où Jan Fabre était l’artiste associé, il nous était imposé comme une provocation, cette année il crée un langage. Pour certains spectateurs, c’est une révélation. Pour moi, c’est un bonheur particulier de pouvoir appréhender le texte à partir de la danse comme me l’a permis  Maguy Marin. Mais tous les artistes n’intègrent pas cette complexité de la même façon.

Chez les allemands Falck Richter et Anouk van Dijk, «Trust», est joliment nommé «chorégraphie textuelle». Ici, « l’homme devient une sorte de dessin au crayon à papier aux contours incertains et perdus». Ce flou est incarné par dix acteurs (dont un musicien) qui opèrent un grand écart permanent entre l’intime et le mondial, l’individu et le groupe, l’amour du jeu et le jeu de l’amour. Les corps s’écroulent sur les canapés, forment des grappes le long des échafaudages, s’enroulent puis se perdent dans l’espace. Un couple se déchire parce qu’elle dépense, comme une banque mondiale, des milliards d’euros virtuels qu’il n’a pas. Elle croit avoir été avec lui trois semaines il y a quatorze ans, mais il s’entête à lui rappeler qu’ils sont ensemble depuis quatorze ans, mais qu’elle est partie il y a trois semaines…
Le texte est une logorrhée verbale sur le déclin de l’humain (et au passage de l’humanité). Le discours est connu. Est-il sincère, vrai ? Me bouleverse-t-il pour interroger, questionner, mettre en doute ? Tout sonne comme une évidence d’autant plus que la danse est convoquée, non pour créer un métalangage, mais pour servir, illustrer un texte vif, mais sans visée. Ici le corps n’est pas « politique » mais assujetti au politique, au texte de Richter. « Trust » glisse peu à peu vers le « produit » théâtral parfait. La danse donne de l’image, le texte un son entendable et le tout séduit. Mais surtout, le corps ne porte aucun stigmate de la souffrance parce que Richter s’en fout. C’est beau, mais vide.

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« Pour en finir avec Bérénice », tentative théâtrale du chorégraphe Faustin Linyekula pour évoquer la colonisation, emprunte le même chemin que « Trust ». En transposant Bérénice (reine de Palestine qui s’exila à Rome par amour pour Titus, son colonisateur) dans son pays (le Congo), Faustin Linyekula tente de démontrer qu’entre les mots et les corps, il y a le chaos produit par la colonisation. Sauf qu’il délimite en permanence sa chorégraphie (puisqu’il danse sur un côté de la scène et parfois en fond) du jeu des acteurs. Les langages se superposent, mais ne s’articulent pas comme s’il séparait ce que la colonisation savait si bien fusionner. En imposant une langue et son langage du corps, les colonisateurs ont réduit des pans entiers de la culture congolaise. Pour incarner ce processus, Faustin Linyekula danse pour illustrer et créer de l’image. Il « colonise » le texte par un corps qui danse, là où il aurait pu offrir une chorégraphie engagée sur les blessures du corps provoquée par une langue maltraitée. Il peut toujours nous effrayer quand les acteurs proposent de le faire disparaître comme acte de résistance. Trop tard…

Quelques jours auparavant, l’Espagnole Angelica Liddell avait bouleversé le public avec « La casa de la fuerza», puis avec « El ano de Ricardo ». Ici, le corps est politique parce qu’il fait texte. Dans « la casa », nul besoin d’une danse pour illustrer. Le corps est propos. Quand qu’elle est désespérée, Angélica se fait des scarifications sur scène. Tandis qu’elle sent son coeur saigner de tristesse, elle se fait faire une prise de sang pour immaculer ensuite son chemisier blanc. Avec elle, le corps est sexuel parce que textuel. C’est encore plus frappant avec «el ano de Ricardo» où elle incarne LE dictateur. Ses corps « politique » et biologique se fondent parce que tout est lié. « Comment aurait été Lénine s’il n’avait pas été malade » se plaît-elle à dire alors que son corps porte les stigmates de la dépression, qu’elle pisse, qu’elle boit, qu’elle fume,…A côté, son bouffon, muet aux cheveux blonds mal colorés, improvise quelques mouvements d’une grande grâce.

À sa logorrhée, son silence devient le nôtre. Avec Angelica Liddell, ce qui fait danse est un corps qui secrète, qui est traversé par la musique parce qu’elle a toujours accompagné nos métamorphoses. Avec Angelica, boire et manger sont des actes artistiques à l’image de « nourritures terrestres » qu’elle poétise à outrance, mais avec respect. Elle a fait exploser bien des codes établis de la représentation comme si son engagement physique sur scène était sa réponse aux menaces d’uniformisation qui pèsent sur le spectacle vivant. Elle nous déculpabilise en nous aidant à prendre conscience que notre corps est la meilleure voie pour comprendre la danse.

Par sa force, Angelica Liddell nous engage à résister contre ceux qui voudraient manipuler le corps comme «objet artistique ».
Vive la réévolution !
Pascal Bély – www.festivalier.net

“Pour en finir avec Bérénice” de Faustin Linyekula au Festival d’Avignon du 17 au 24 juillet 2010.

“La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell au Festival d’Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

“Trust” de Falk Richter et Anouk Van Dijk au Festival d’Avignon du 17 au 19 juillet 2010.

Crédit photo: Christophe Raynaud de Lage.

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Au Festival d’Avignon, Faustin Linyekula manque la rencontre.

Le chorégraphe congolais Faustin Linyekula est une belle personne. Je le ressens généreux, sensible, ouvert. Son corps traduit à la fois fragilité et force. Son regard, toujours bienveillant, accompagne sa voix douce et déterminée. Le Festival d’Avignon l’honore cette année avec deux propositions. Après “Dynozord: the dialogue series III qui ne m’avait pas convaincu, Faustin Linyekula récidive avec “Le festival des mensonges” à la salle de Champfleury. Un orchestre, des chanteurs, un bar géré par une association, des bancs tout autour d’une scène délimitée par des néons et des fils électriques posent le contexte de la soirée. L’ambiance est à la fois décontractée, mais concentrée, au coeur d’un théâtre, d’une fête organisée pour le public. Elle s’inspire d’une coutume des paysans de Patagonie qui, une fois par an, se retrouvent une nuit entière pour un concours de mensonges.
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Faustin Linyekula s’empare de cette tradition pour son pays, la République du Congo (ex-Zaïre), en Avignon. L’occasion est trop belle pour dénoncer, extraits sonores à l’appui, l’ensemble des mensonges, des crimes, perpétués par une classe politique locale et internationale. Ils sont donc trois danseurs (dont Faustin), une comédienne, un orchestre pour accompagner ces bonimenteurs. La danse, souvent à terre, entremêle les corps. Les néons s’interposent, barrent la route, clignotent comme autant de signaux d’alerte. Tout à la fois matériaux pour faire un feu et fluide électrique, ils envahissent le trio et finissent par l’engloutir. La comédienne évoque sa famille (surtout son père, fonctionnaire d’État) et son désir de voter, mais ses paroles tournent en rond comme un disque rayé d’autant plus que les voix de Mobutu, de Giscard brouillent les messages (c’étaient sûrement leur fonction à l’époque!). Soudain, alors que le trio se perd un peu dans la chorégraphie (sophistiquée) de Faustin Linyekula, la danse s’arrête: le public n’investit pas assez le bar! Or, consommer pendant le spectacle est la seule source de financement de la culture au Congo. Cette interruption, loin d’être anodine, renforce notre position “haute” vis-à-vis de l’Afrique (n’aurions-nous que celle-là? A qui vont donc les 25 euros de chaque place?). On nous culpabilise, à moins que Faustin Linyekula assume difficilement sa chorégraphie, plus proche de la danse contemporaine européenne qu’africaine. Nous sommes plusieurs à ressentir ce malaise: le contexte du spectacle flotte entre scène de théâtre et fête populaire (pour des blancs?) et finit par brouiller le propos artistique. Pourtant, l’un des derniers tableaux est époustouflant de beauté et de justesse: sur une longue table, avec des poupées cassées et désarticulées, les artistes simulent une rencontre au sommet entre tous ces menteurs. Le collectif finit sous la table, de nouveau englouti. Au lieu d’ouvrir sur un futur possible pour leur pays, ce final signe le désespoir de ces jeunes artistes dont le seul projet est de partir.
Comment pourrions-nous faire la fête avec un telle conclusion? Pour de nombreux spectateurs, la soirée, prévue pour se prolonger, se termine à l’image d’un Festival qui a bien du mal à nous retenir pour débattre collectivement d’autant plus que les habitants du quartier populaire de Champfleury sont cruellement absents. L’occasion était trop belle, tel “le théâtre des idées” organisé l’après-midi, pour transformer ce “festival des mensonges” en agora populaire sous l’arbre à palabres. Au lieu de cela, chacun repart chez soi pour enfermer à double tour sa vision d’un continent décidément trop loin de nous.
Faustin, revenez! 

Pascal Bély
www.festivalier.net
“Le festival des mensonges” de Faustin Linyekula a été joué le 21 juillet 2007 dans le cadre du Festival d’Avignon.