Deux pièces d'Edward Bond mis en scène par Alain Françon sont proposées en cette journée caniculaire de vendredi. « Chaise » et « Si ce n'est toi ». La première nous convie dans un huit clos où une femme cache depuis vingt-six ans Billy. Elle l'a recueillie en 2051 alors qu'il était abandonné dans la rue. De peur d'être repéré par le Bureau des Enquêtes sociales, Billy n'est jamais sorti de ce deux pièces. Il a l'âge mental d'un adolescent qui passe sa journée à s'inventer un monde imaginaire à travers des dessins dont il tapisse le mur. Jusqu'au jour où Alice aide une prisonnière qui attend le bus avec un militaire. Prétendant porter une chaise à celui-ci, elle en profite pour fraterniser avec cette femme au bord de l'épuisement. Cette ouverture lui sera fatale. Billy perd Alice et se retrouve livré à lui-même dans une ville hostile.
 
Avec « Si ce n'est toi », nous sommes toujours en 2077. Un couple vit dans un appartement dénudé où seules une table et deux chaises font office de décor. Jams est un soldat et travaille pour un État répressif qui aseptise et contrôle la population. Sara est une femme soumise qui se réfugie dans ses habitudes et ses névroses. Mais un homme venant de l'autre bout de la ville (là où les suicides collectifs se multiplient) frappe à la porte et se présente comme le frère de Sara. Il s'assoit sur une chaise qui n'est pas la sienne. Il devient alors le grain de sable qui fait dérailler cette machine savamment huilée.
 Ces deux pièces décrivent un monde où les hommes ne sont plus en capacité de penser par eux-mêmes. En dehors des alternatives binaires et illusoires que l'État leur propose, il n'y a aucune échappatoire, si ce n'est la mort. La maladie mentale est alors de ressentir, d'avoir des émotions, de transcender le réel par l'imaginaire et la créativité. Les comportements sont prévisibles et l'État, loin de produire des richesses et du bien public, réglemente et codifie la pensée à partir d'un système de surveillance sophistiqué. La puissance de l'écriture de Bond est de mettre en jeu ce que nous ressentons de l'évolution de nos sociétés. Il ne ferme pas tout. Dans les deux pièces, le public peut encore s'identifier: à cette femme qui apporte un soin relationnel à cette prisonnière en fin de vie quitte à se mettre en danger ; à cet homme qui, prit dans le conflit interminable du couple, croit au lien fraternel, à la force des souvenirs d'enfance.
 Alain Françon s'appuie sur un groupe de comédiens exceptionnels. Ils paraissent lessivés lors des applaudissements comme si se projeter dans l'univers de Bond en 2077 avait épuisé leurs ressources d'acteurs. Je suis également fatigué tant l'intensité dramatique de la mise en scène positionne le public au centre jusqu'à déplacer le décor dans les gradins à la fin de « Chaise ». Françon nous intègre lorsqu'il accentue les contrastes entre l'État lointain, observateur, jugeant et contrôlant et les hommes et femmes en perte de conscience. Or, l'État, c'est nous qui le construisons. Certains spectateurs refusent peut-être de se positionner en prenant partie pour tel personnage contre l'autre. Françon nous oblige à voir le tout en interpellant notre conscience : la mort des protagonistes n'est pas seulement le fruit d'une interaction qui dysfonctionne dans la famille, dans le couple. Elle est le résultat d'un système que nous élaborons par nos lâchetés et notre désir de nous laisser aller à des facilités. Celles-ci reviennent à nier la complexité de l'être humain, à ne plus le voir comme un sujet en construction à partir de son inconscient.
 A la sortie de « Si ce n'est toi », je rencontre un jeune couple d'enseignants. Autour d'un verre, nous échangeons sur ce théâtre qui bouleverse. À notre façon, nous avons entendu Bond et Françon : ensemble, loin des clichés et autres schémas réducteurs, nous échangeons, nous construisons, nous évoquons nos ressentis. Pour maintenir vivante la conscience humaine. 
 Pascal Bély
 www.festivalier.net 
Pour revenir à la page d’accueil, cliquez ici.
Par thématiques, les articles du Festival d’Avignon:
“Les sublimes”
“Le théâtre des maux”.
“Les mondes enfermants”
“Les hors-jeu”

 
Première étape : 
Au-delà, il nous interroge. Qu'est-ce qui est ridicule ? Son corps ou les codes de la danse ?

D'ailleurs, la pièce commence avec trente minutes de retard. Un jeune homme à la guitare, chante sur scène une chanson de Bob Dylan puis de Noir Désir. Mes voisins continuent les insultes (« il y en a assez de ces fainéants ! ») sauf que?le spectacle a débuté. Malaise. « Les Barbares » de Maxime Gorki écrits en 1905 sont toujours d'actualité. Éric Lacascade a vu juste en les mettant en scène pour la première fois au Festival d'Avignon.
Les comédiens sont au centre de ce thriller. Ils sont tous impressionnants à se déplacer d'un point à l'autre, d'un groupe vers l'autre, de la haine à l'amour. Les différences physiques (les deux enfants du maire, l'un gros, l'autre menue) permettent d'identifier leur rôle de bouc-émissaire et de médiateur pendant que le système est au bord de l'explosion. Ils sont symptomatiques et pourtant ils facilitent le lien entre les deux groupes antagonistes. Lacascade, loin de les ridiculiser, les accompagne avec bienveillance.

		
 Au c?ur du Festival d'Avignon, existe un petit havre de convivialité et de lien social. Il faut traverser le pont de l'Europe (tout un symbole), se rendre sur l'Ile de la Bartelasse et suivre la ligne droite. Elle nous mène à Contre Courant. Animée par la CCAS (le Comité d'Entreprise des personnels EDF ? GDF), cette manifestation joue la carte d'une programmation de qualité (Edward Bond, 
À peine remis de cette leçon, « Le numéro d'équilibre » d'Edward Bond mis en scène par Jérôme Hankins, accompagné par une armée de cigales, va faire l'effet d'une déferlante dans ce petit jardin.
C’est dans ce cadre qu'un théâtre a été installé. Sur scène, des cartons et des matériaux de récupération font office de décor. Nous sommes dans un théâtre de rue, un soir d'orage dans ce quartier d'Avignon.
Sizwe Banzi frappe à la porte de la boutique. Il veut une photo pour envoyer à sa femme restée au pays. Il est travailleur étranger et son « pass » est périmé. Il est sous le coup d'une expulsion. Il n'est plus rien. Styles le fait jouer pour lui faire la photo (« tu es le grand patron de l'usine?souris ! Clic ? clac »). Par ce petit jeu de rôles, Style donne plus qu'une photo d'identité ; il le rend humain. Mais il faut trouver un stratagème pour avoir un « pass ». C'est alors que Styles découvre un homme mort avec un « pass » en règle. Sizwe Banzi devient alors Robert Zuellima. 
Survient  ce qui sera sans doute le plus beau moment de théâtre de cette 60e édition : Sizwe (Pitcho Womba Konga, exceptionnel) se dirige vers le premier rang du public (cf. photo) et clame : « Qu'est-ce qui se passe dans ce foutu monde ? Qui veut de moi ? ?QU'EST – CE QUI NE VA PAS AVEC MOI ? ». Les sans-papiers en lutte aujourd'hui en France semblent crier avec lui. La cour résonne. Les murs d'Avignon et de l'Elysée tremblent. Je n'ose plus bouger. Les photos s'animent, les cartons se soulèvent. Le papier vit?
J'ai fait une magnifique rencontre, de celle qui marque la vie d'un spectateur. En sortant, je ne me sens pas tout à fait pareil. J'ai envie de voir le monde différemment, je m'encourage à le penser autrement pour ne pas céder au catastrophisme ambiant qui voudrait 
Ils sont six pour dénoncer avec poésie, la façon dont nous regardons le monde par le petit bout de la lorgnette, nous arrêtant à la moindre difficulté (photo ci contre!). Plus tard, un homme est seul à tourner en rond sur lui-même pour nous parler de sa situation sociale avec un jargon (RMI, Allocation, ASS, ASI,?) qui étouffe progressivement sa voix et sa créativité. Il y a Lili (magnifique Colline Caen) qui cherche absolument à joindre la famille Toulou, mais elle se perd dans la communication verticale. Ils sont deux hommes à vouloir se prendre dans les bras, à trouver les mots pour le dire, mais il est plus simple de parler à leur place pour mieux les normaliser. C'est ainsi qu'alternent différentes scènes où chacun dénonce le statut donné à l'artiste, au poète par la société du divertissement et du zapping. 
Mais Christophe Huysman va plus loin. Avec ses comédiens, des lignes verticales et horizontales, il crée des articulations où naissent des espaces audacieux: ainsi les mots s'entendent, la poésie éclaire notre chemin dans le chaos. En reliant le vertical au transversal, Huysman fait émerger une nouvelle poésie : les corps s'entremêlent, s'emboîtent, se soutiennent, impulsent d'autres formes. Si un élément flanche, tout s’écroule. L’interdépendance trouve ici sa magnifique traduction.Je suis médusé de voir ce jeu de Legos où je crée moi-même ma carte du monde. C'est de la poésie dans la poésie, si bien que l'on peut parfois se perdre dans cette complexité. Qu'importe, il suffit de se laisser guider par la musique des mots, de sortir de notre conditionnement qui nous oblige à tout comprendre, à tout moment. Ces acteurs sont magnifiques, ils portent la pièce à bout de bras (c'est le cas de le dire) et permettent de m'identifier à l'un, à l'autre. La vision de Huysman n'est pas pessimiste : si nous dépassons nos rigidités, nous pouvons créer un nouvel art conceptuel, basé sur la poésie et joué par des artistes pluridisciplinaires qui relie le corps et le texte. Le chaos est créatif si nous acceptons les articulations. « Human » est une réponse à ceux qui dénonçaient la place faites aux nouvelles formes artistiques lors de l'