Iriez-vous dans un jury régional comme spectateur pour participer à la sélection de deux danseurs parmi onze audités dans le cadre d’un concours national, « Talents Danse », organisé par l’ADAMI? Quand la Compagnie Kelemenis, mandatée pour coordonner l’audition à Marseille, m’a contacté, je n’ai pas hésité une seconde : c’est oui ! Il y avait dans cet accord, un désir : évaluer mon regard de spectateur après trois années d’écriture sur le blog et ressentir le contexte de la danse contemporaine, à partir de cette modeste audition. Car « Talents danse » est un concours attrayant : il évalue la posture du danseur-interprète dans son lien avec le chorégraphe.
Le jury, composé de Mireille Guerre (Directrice du Théâtre des Bernardines), Deborah Larry, Santiago Congote (danseurs), Patrick Servius (Chorégraphe) et Nathalie Ducoin (administratrice de la Compagnie Kelemenis) créé rapidement un climat de confiance propice à des échanges argumentés, éloignés du jugement de valeurs (j’aime, je n’aime pas) mais toujours attentif à porter un regard sur le positionnement du danseur. Soucieux de faire un retour à l’issue de la prestation, nous mesurons les enjeux d’un tel concours pour des jeunes interprètes le plus souvent assis sur quelques certitudes, parfois enfermés, mais habités par une énergie créative qui ne tarde pas à nous contaminer. Mais surtout, la danse fédére notre jury, par le consensus pour laisser notre perception individuelle évoluer à mesure de la complexification de nos échanges. Oui, la danse est l’art du fragile, du tissage, de l’articulation entre le conscient et l’inconscient. Communiquer sur le mouvement me guide personnellement vers un langage partagé.
Les candidats envoyés par des écoles paraissent souvent isolés, pris dans un rapport quasi fusionnel avec leurs enseignants (qu’ils n’hésitent d’ailleurs pas à nommer « chorégraphe »). Transgressant la règle du concours (à savoir présenter un extrait d’une ?uvre d’un chorégraphe), ils nous jouent leur création personnelle. L’interview révéle une quasi-ignorance des courants chorégraphiques actuels, ne fréquentant que trop rarement les théâtres. Le syndrome « Star Academy » semble inspirer certaines écoles qui transforment leur centre en château fort coupé du monde. C’est ainsi que j’ai parfois envie de les envoyer tous à Paris pour opérer un déconditionnement, les sortir de cette « folie douce ». Les festivals de danse seraient bien inspirés de se rapprocher de ces écoles pour créer quelques passerelles et ouvrir ce qui n’aurait jamais dû se verrouiller.
D’autres danseurs, s’il maîtrise une belle technique, semblent peu habités par la dimension complexe de l’art chorégraphique. L’?uvre s’impose, comme s’ils ne s’autorisaient pas de la prolonger. Le rapport est tout aussi vertical que celui cité précédemment. C’est inquiétant à l’heure où les jeunes danseurs flamands sont plus affranchis des formes verticales, plus émancipés, donc plus créatifs.
Mais nos deux lauréates sont là, alors qu’une troisième nous fait douter. Fragiles et éclatantes, habitées par leur projet de s’émanciper. Quand l’une s’affirme sur le terrain d’une recherche, l’autre déboule jusqu’à nous « éclabousser de son intégrité », tandis que la troisième est lumineuse dans sa quête d’ouvrir des portes pour créer des ponts, des articulations entre théâtre et danse.
À les voir, on se rêve chorégraphe pour qu’elles interprètent, là, notre désir de vouloir les “faire monter à la capitale“.
Suite le 13 décembre 2008 à Paris à Micadanses.
Pascal Bély
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« Jerk », mise en scène par Gisèle Vienne à partir d’une nouvelle de Dennis Cooper a séduit le public portugais et d’une façon générale l’ensemble de la critique européenne. Dont acte. Je me suis ennuyé. Joué en anglais (le français a perdu de sa superbe au Portugal !), je suis passé à côté malgré tout le talent du marionnettiste Jonathan Capdevielle. L’univers de Gisèle Vienne (celui des marionnettes), de la pédophilie, de la violence des textes de Cooper ne me touche pas. Comme en 2005 lors du
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En entrant, le danseur et chorégraphe Haïm Adri est déjà sur scène. Habillé de blanc, il porte un masque d’une mélancolie contagieuse, entre figure mythologique et celle de nos angoisses contemporaines. Il danse sur sa couverture alors que résonnent derrière lui les sons et les images d’un monde en ébullition où l’on passe sans le voir, où l’on s’arrête pour évoquer questionnements et souffrances. Autant de paroles résonantes. Sa danse est son territoire ; sa couverture, le prolongement du corps, d’un au-delà. Entre lui et moi, il y a la distance : lui à terre, moi sur le banc. Le « je » est un « autre » : peut-il se jouer ? Puis-je rester de là où je suis ? Alors qu’il se lève pour faire danser sa couverture, je m’approche, je m’accroche. Voilà les marionnettes de l’enfance puis la danse des désirs d’un imaginaire possible. Les mouvements évoquent notre lien entre lui et nous, entre attraction et peur. Haïm Adri n’est plus très loin, car nous communiquons, loin d’une communion judéo-chrétienne (après tout, la référence au sans domicile fixe m’a effleuré dans un contexte anxiogène de crise). Il faut toute la force de la poésie pour entrer en résonance avec cette homme qui, dépossédé de ses habits blancs, endosse les nôtres, veste et pantalon trempés. Pendant que les gouttes tombent, je lâche. Essoré.
Nous sommes dans le hall d’un musée de Tokyo qui organise une rétrospective Vermeer. Une famille s’y donne rendez-vous à l’initiative de la s?ur aînée. Un couple s’y sépare, le temps d’une visite. Deux amies étudiantes déambulent pour y retrouver leur ancien professeur. Une jeune héritière rencontre le personnel du musée avec son avocat pour préparer une donation. Les personnages défilent, se croisent, s’entrecroisent, s’entrechoquent. Leurs liens, déjà fragiles, entrent en résonance avec le rapport que chacun entretient avec l’art, rendant poreuse la frontière entre les tableaux de Vermeer et le jeu des acteurs. L’art autorise toutes les reliances au moment où chacun cherche un lien pour faire face à l’absence, à ses difficultés de communication.