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Le « Printemps de Septembre » de Toulouse change d’époque.

Il n’est pas facile d’évoquer l’art contemporain en France sans entendre une remarque amusée ou sarcastique. Mais rassurons-nous, la crise financière actuelle achève peut-être un cycle qui a trop longtemps réduit l’imaginaire à une fonction divertissante.
Écoutez plutôt cette phrase : « Là où je vais, je suis déjà ». Ce n’est pas un slogan creux. Ni le thème d’une programmation théâtrale. C’est une invitation, ouverte, chaleureuse, émouvante. Elle recouvre les affiches du Festival de création contemporaine, « Le Printemps de Septembre », à Toulouse. Ces mots résonnent encore, quelques jours après avoir arpenté les différents lieux d’exposition d’une ville décidément trop rose. Elle part de nous, parle de moi, viens vers vous. Le Directeur artistique, Christian Bernard (actuel directeur du MACMO à Genève), a créé l’un des itinéraires les plus ouverts qu’il soit, où l’art ne nous disqualifie pas, mais puise dans nos ressorts créatifs pour que chacun soit capable de créer sa route, prendre des chemins de traverse, se perdre dans le réseau. Nous ne sommes plus statique mais toujours au centre dans une communication circulaire entre l’artiste et nous. L’immatérialité se matérialise par le lien que chaque spectateur peut entretenir avec l’?uvre. Avec cette édition, « Le Printemps de Septembre » guide chacun d’entre nous à se repérer dans cette époque post-moderne naissante alors que la crise financière actuelle enterre une certaine approche de la modernité. Petite sélection d’un grand festival populaire.


À l’Église des Jacobins, certains visiteurs pleurent, tandis que d’autres se déplacent pour mieux coller leur oreille aux enceintes du ch?ur polyphonique de Janet Cardiff, «The Forty Part Motet». Nous sommes inclus dans les processus complexes de la musique (« Spem in Alium » de Thomas Tallis, 1573) : c’est le corps tout entier qui fait caisse de résonance. Jamais je n’ai écouté à ce point mes ressentis. La postmodernité est là : l’émotion peut-être un vecteur d’épanouissement, dépouillé des croyances religieuses et sociétales qui dicteraient ce qu’il faut entendre et éprouver. Un grand moment.

Tout comme l’exposition de Claude Lévêque, à la Maison Éclusière. Avec «Rendez-vous d’Automne», attendez-vous à ressentir  un espace particulier. Alors que l’on marche sur un sol de brindilles et de feuilles mortes, que l’automne nous envahit, nous faisons un voyage entre la vie et la mort, où les fantômes de nos nuits et de nos jours peuvent à tout moment surgir. C’est forcément émouvant, car Claude Lévêque convoque à la fois les bruits, les sons, les odeurs, d’un rite initiatique que l’on ferait dans la maison de son enfance. Sauf qu’ici, nous perdons toute temporalité pour nous retrouver au centre d’un espace imaginaire qui fait de nos pas, de nos souffles, de nos frissons, de nos rires une ?uvre d’art.
C’est confiant que j’entre au Musée « Les Abattoirs », lieu d’Art Contemporain. Christian Bernard précise avec pédagogie son intention1 (la modernité vivrait-elle ses derniers instants ?). Dans plusieurs salles, les murs tapissés (métaphore de la toile internet ?) accueillent différentes ?uvres puisées dans le patrimoine des musées toulousains. L’artiste John M. Armeleder a été chargé de mettre en mouvement cette mise en abyme. Dans chaque pièce, les ?uvres se répondent : là un détail trouve un prolongement ici. Mon regard se nourrit de mes liens. Je ne cherche plus à comprendre, je relie. Je construis ma toile dans une dynamique si transversale que j’en oublie l’approche verticale (qui est l’auteur ? Quelle année ?). J’entre dans l’histoire de l’art comme si j’en faisais partie ! Je passe de salle en salle pour jouer encore et encore. A ce stade-là, l’exposition devient ludique. Les visiteurs s’observent, se sourient. Nous sommes à deux doigts de nous parler et de faire la fête. L’hédonisme a franchi l’espace trop souvent fermé des lieux d’exposition. Jouissif !

Ces trois voyages nous conduisent tout naturellement à l’Hôtel Dieu pour oser toucher les objets glissants et usés par la société de consommation de Laurent Faulon; à nous exposer, grâce à l’artiste suisse Delphine Reist, à la brutalité d’un pouvoir masculin pour ressentir avec émotion la détermination féminine. Et comme nous en voulons encore, nous allons à l’Espace Ecureuil regarder le film « Shifting » d’Alex Hanimann où un chien plutôt dangereux a priori devient peureux par le seul fait qu’une caméra le braque. Vingt minutes où l’on se surprend à vouloir zoomer avec la focale alors que nous sommes simplement voyeur de nos peurs. Époustouflant.
La peur encore au ventre, nous partons vers le Château d’Eau pour entrer dans le monde en 3D du duo de photographes italiens Botto e Bruno. Avec eux, l’espace urbain défiguré de nos villes est une toile de maître, où les photos froissent notre regard formaté pour oser voir ce que nous refusons d’admettre : la créativité est partout.
Même en Afghanistan. Pour le croire, rendez-vous à l’Espace EDF Bazacle. Quatre vidéos vous attendent, filmées par Lida Abdul. On peut s’asseoir au centre et visionner en même temps ces quatre moments volés à la guerre. Cette mise en abyme donne l’espoir que même l’automne de Claude Lévêque puisse effacer les traces d’un printemps noir.

Pascal Bély
www.festivalier.net

1. « Dans l’archipel de l’art contemporain, rares sont devenus les artistes qui se réclament du moment moderne. Presque tous se vivent comme relevant de la « condition post-moderne » ou mieux, désormais, comme ressortissant d’un destin mondialisé, plus déterminé anthropologiquement et géographiquement qu’historiquement. Pourtant, beaucoup des formes proposées au nom de l’art (d’)aujourd’hui sont manifestement très informées des lexiques et des scansions majeures de la modernité. Certes, elles en jouent au moins au second degré, mais les échos ou les réactivations décalées qu’elles en proposent montrent que subsiste un régime « anamnésique » de l’art, une forme de prospective nostalgique qui continue de relever le paradoxe des modernes, condamnés, comme le pointait Roland Barthes, à faire du nouveau avec de l’ancien ».

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“Le Printemps de Septembre” jusqu’au 19 octobre 2008.

 Sur Le Tadorne, les articles de l’édition 2007:

La jeunesse se réfugie au ?printemps de septembre? de Toulouse.

Les hirondelles Katharina Ziemke,Daniel Dewar et Grégory Gicquel au “printemps de septembre” de Toulouse.

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Avignon, c’est aussi en automne.

Diane Fonsegrives habite Avignon. Elle écrit pour le Tadorne. Des « Rencontres photographiques d’Arles » l’été dernier à l’exposition de Douglas Gordon actuellement à l’affiche en Avignon, je prends toujours beaucoup de plaisir à lire ses chroniques. Respirez, là voilà qui nous guide…
Pascal Bély – Le Tadorne.

Et si la gloire de se croire visionnaire n’était pas ? Et si la photographie était « Nous », aveugle et déconcentrée, née d’une angoisse de ne pas avoir vu l’instant, de l’avoir vécue sans en laisser de trace dans nos souvenirs ? Une mort stupide, car nous ne sommes pas, puisque non conscient de l’acte. Et pourtant nous sommes, car nous nous voyons tels que nous ne sommes pas, même si notre réalité physique nous rappelle cela à chaque jour. “Those I have forgotten but will never remember” est écrit sur le mur.
C’est à travers des supports photographiques et vidéo que Douglas Gordon nous impose notre vraie dimension, non celle qui nous sert de repère parce que l’on se l’est simplement imaginée. Il décompose le mouvement des corps à l’infini, trace dans le geste la violence de nos êtres, l’amour, la haine, la mort qui nous dessinent. Sommes- nous être ou pulsion ? Regard ou Regardé ? Et si le mouvement composait uniquement la symphonie de nos existences sans consistance sur terre, sans vie, sans que nous en soyons totalement maître parce que l’on n’en a pas conscience. C’est ce que Maître Gordon semble vouloir nous chuchoter à l’oreille en nous demandant de nous voir simplement dans le miroir de la vérité et de regarder notre beauté (Si Dieu l’estime), celle de la vie. 

Diane Fonsegrives – www.festivalier.net

“Douglas Gordon” à la Collection Lambert en Avignon, jusqu’au 2 novembre 2008.

Ps : et aussi, j’ai fait la nouvelle collection du petit palais en Avignon. Une nouvelle collection de la peinture religieuse au XVème. Nous changeons de registre, mais je suis toujours autant fascinée par ce travail d’orfèvre. D’abord, on constate le travail de préparation technique des couleurs sur le support surface bois. Puis on y compte les formes rondes, les auréoles, les visages, les anges, les douleurs. Tout est très essentiellement rond. Pas parfait mais rond. Arrivent alors les couleurs qui vous obligent le regard au coeur même de leur âme. Vous êtes stupéfaits. Saisis. Le détail arrive. L’oeil le capte. Les costumes, les arches, les cieux, les dorures de la luxure de la contemplation. L’orfèvrerie de la peinture oblige votre respect. Ensuite l’histoire. Car chacune des oeuvres conte la culture chrétienne à qui veut bien lui créditer un peu de morale. Pour les passions de notre passé de civilisation, pour nos pêchés actuels, pour le plus grand des ravissements A vivre et à revivre inlassablement pour n’admettre enfin que l’art aujourd’hui trouve racine en leur pair.

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« Visa pour l’image » bombarde.

Après le cru exceptionnel de 2007 où le photojournalisme avait dépeint les facettes de l’humain dans toute sa complexité, on ressort de l’édition 2008 abasourdi par autant d’images de guerre. Ce n’est plus l’horreur qui sature (le regard s’habituerait-il ?) mais le schéma répétitif que ces photos finissent par imposer : le culte du héros et de la victime, le clivage entre innocents et bourreaux. Sans minimiser la nécessité d’informer sur les guerres, un rapport de l’ONU précisait leur décroissance dans le monde. Pourquoi une telle avalanche à Perpignan? Voudrait-on nous faire croire que le photoreporter courageux est celui qui risque sa vie au même titre qu’un soldat?
À vrai dire, seule l’exposition « This is war » de David Douglas Duncan sort du lot parce qu’il exprime peut-être le mieux mon propos : ses photos, quel que soit le contexte, nous montrent les processus en jeu et la place du photoreporter. Cette série de clichés écrase toutes les autres parce qu’elle est intemporelle.


 

N’y a-t-il pas d’autres guerres, plus insidieuses, qui gangrènent les sociétés mondialisées? J’ai donc cherché des photos différentes. Il suffisait d’apercevoir les attroupements des spectateurs pour les repérer comme si le lien social entrait en symétrie avec les valeurs guerrières.
Le travail le plus étonnant est sans aucun doute celui de Christian Poveda. « La vida loca » nous parle des Maras, troupes de jeunes qui sèment la terreur dans toute l’Amérique centrale. Les corps tatoués sont photographiés comme autant de peintures qui immobilisent les processus démocratiques de ces pays. C’est à la fois sidérant et fascinant : la peau est ici le terrain de la guerre. Nul besoin de mitrailler le bourbier à coup de clichés pour le sentir « à fleur de peau ».
Sentiment identique avec Nina Berman qui expose ce qui gangrène les USA : le marketing de la guerre, de la sécurité. À force d’avoir peur, les Américains se préparent au pire dans des centres d’entraînement. On y va comme à Disneyland. Les photos, aux couleurs limpides et tranchées, donnent une esthétique de la purification. Effrayant. La France prend doucement ce chemin. Que l’Europe politique puisse nous préserver de ces replis et de ces barricades!



L’Afghanistan occupe une place prépondérante cette année. Outre l’émotion suscitée par Véronique de Viguerie à propos de ses clichés sur les Talibans publiés par Paris-Match, ce pays semble fasciner les photoreporters par sa complexité, loin de la vision réductrice que nous en donne Nicolas Sarkozy. Paula Bronstein lève le voile, pudiquement, pour nous guider à repérer l’immense potentiel de créativité de cette nation. Elle joue toujours sur les contrastes, créée les ouvertures, écartent les simplifications pour finir par franchir la frontière entre l’art et la photo de reportage. Le travail de Paula Bronstein est à l’image de ce pays: un art fragile, une détermination à toute épreuve. Superbe.
De son côté, Stanley Greene nous fait prendre la route de la soie, « aujourd’hui un pipeline pour la drogue et les maladies ». On est stupéfait de voir ces images où la drogue est « l’autre guerre ». Plus d’un million de consommateurs d’opium, 19000 toxicomanes par voie intraveineuse et le VIH qui franchit les frontières. Voilà un vrai reportage, beau et informatif qui comble cruellement la démission de la télévision qui dépêche une armada de journalistes pour dix soldats tués au combat et rate cette route qui finira par croiser nos chemins.
Démarche identique pour Philip Blenkinsop qui nous emmène en Chine pour suivre les abords du Fleuve Jaune. Un voyage en enfer (nous revoilà immergés dans les conditions de vie des mineurs du siècle dernier en Europe) mais avec un regard empathique pour ses Chinois qui triment dorénavant pour nous. Une photo poétique et sociale.
L’Europe ? La France ? Quasiment absentes. On peut se consoler avec la série sur les 20 ans de l’AFP et quelques photos dans le magnifique lieu dédié à la presse quotidienne (l’Arsenal des Carmes, est le seul espace silencieux de « Visa pour l’image » avec une scénographie créée pour le confort du visiteur).
Comment interpréter ce vide sidéral ? C’est le choix inquiétant d’un festival qui ne relie pas le global et le local. Pour comprendre l’ailleurs si lointain, n’a-t-on pas besoin de ressentir, de voir autrement ce qui nous est si proche ? Pour cela, il serait peut-être temps pour «Visa pour l’image » de faire tomber la barrière entre photo de reportage et photo artistique.
Les murs finissent par gêner la vue.

Pascal Bély
www.festivalier.net

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“Visa pour l’image” sur Le Tadorne
:

Exceptionnelle édition en 2007.

« Visa pour l'image » : de Perpignan vers les théâtres ?

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A la Fondation Cartier, César nous redimensionne.

César ? Il est l’expression d’une jolie promenade dans l’univers de l’ultra réalisme, non seulement dans ces formes propres et intimes à chacun d’entre nous (un pouce, un sein, un poing serré), dans ces couleurs (de l’or, au fluo en passant par la lumière ambrée) mais aussi dans ce message bienveillant qui nous attire du commun vers l’extraordinaire.
Nous possédons tous un pouce dont sa perception visuelle nous échappe au quotidien. Nous ne veillons plus la réalité, habitués à ne plus voir. En surdimensionnant ce dernier, en déclinant sa taille sur plusieurs échelles, le sensationnel se façonne sous nos yeux. On ne peut s’empêcher de comparer son propre pouce, réel et charnu, aux différentes expressions de celui de César, puissantes et colorées. On se prend à se considérer autrement, unique dans l’intérêt de l’instant.
Plus bas, ces carcasses de voitures compressées. D’abord, je suis sous le choc de la violence exprimée. J’image de graves accidents sur des routes, des morts. Je vacille à l’intérieur de mon corps. Puis la couleur des unes et des autres, de violet de bleu de rose, modifie ma perception. Il y a autre chose à voir. Et dans les méandres de ces carcasses se définissent des visages et des animaux. Mon imaginaire se profile. La tragédie s’efface au profit du merveilleux.
Et le merveilleux m’époustoufle dans la surdimension de ces cubes de papiers compressés d’environ 5m x5m. Un mois de lecture d’une revue. Enmagazine -t-on autant sans le savoir ? Je m’inquiète et me radoucis au pied de ces coulées schématisant la forme au mépris de la matière. Du rugueux on transite vers le lisse et laissons cette douce sensation du rond, maternelle dans nos inconscients, adoucir nos perceptions.
César, l’enseignement est saisi. Ne regardons plus la vie dans sa réduction de vision, mais vivons les choses comme Gargentua nous les auraient enseignées, plus épicurienne sûrement.

Diane Fonsegrive – www.festivalier.net

César à la Fondation Cartier (Paris), anthologie par Jean Nouvel jusqu’au 26 octobre 2008.

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L’humanisme des Rencontres Photographiques d’Arles.


Tim Walker

Il est à mon sens le fort de l’intérêt dans cet espace d’exposition. Il était la rencontre que je souhaitais faire en ce lieu et c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai rencontré l’univers de Tim Walker. Dans notre société, il est extrêmement difficile d’être un homme subtil, d’oser afficher ainsi sa sensibilité si enfantine, soutenue par une capacité à l’émerveillement. Les femmes adorent. L’inquisiteur masculin s’avance sans engouement, mais vite se laisse happer dans les clichés. Ici, “la Belle au bois dormant“plus vrai que le trait de crayon de Disney. Plus loin, les fées de cette dernière apparaissent toutes en robe dans un arbre. Là, la princesse au petit pois. Êtes-vous réellement une pure princesse des temps modernes ? Encore plus loin, des chats colorés. L’art touch de Warhol ou un clin d’?il d’Alice au pays des merveilles. Ou bien la voiture- cabane pour partir camper dans des contrées lointaines comme jadis.
On se sait plus bien si la subjectivité de ces photos n’intègre pas complètement une réalité, qui nous est si proche : notre enfance.
Le passé redevient présent avec tellement de bonheur. Tim Walker semble nous dire «plus tard quand je serai grand, je serai petite fille». Et ce n’est pas Bettelheim qui nous affirmerait le contraire.

 

Charles Freger

Grand format. Portraits statiques des gardes militaires de différents corps armés étrangers. Au commencement de la rencontre avec l’artiste, on flotte dans le creux, on erre au milieu de ces immobilités sans réflexion. Et puis, l’oeil accroche d’un coup au jeu. On ne fait plus attention aux détails des costumes divers, mais au regard que chacun des sujets des clichés nous renvoie. Un pas à droite. Un pas à gauche. Piqué central. Nous sommes observés sans relâche. Il s’agit du jeu du regard de notre Joconde internationale! Et là, avec notre âme la plus naïve, nous jouons avec chacun des portraits. Bien vu Monsieur Freger !

Françoise Huguier

Des cubes noirs et blancs. Une fenêtre brisée nous accueille à l’entrée avec un cliché en fond. Trois personnes. Deux femmes nettes et provocantes par leurs couleurs de maquillage ; un homme brouillé plus loin. L’avertissement est entendu : êtes-vous prêt à pénétrer dans cet espace, dans ce pays, dans cet appartement reconstitué ? Oui ? Alors bienvenue dans la vie à Saint-Pétersbourg, haut lieu de l’intelligentsia de la bourgeoisie russe du XIXème, qui se dévoile dans la décrépitude la plus significative, tentant de nous dire, « ici nous survivons, nous sommes les héritiers d’une nation. Nous n’attendons plus. Nous agissons, car nous vivons et vivre n’est-il pas le plus bel espoir qu’il soit.” Alors, on lave le linge avec Natacha qui part sa présence filmée réitère inlassablement le nettoyage. L’absurde de l’existence, faire pour refaire sans réalisation. Mais Natacha est une personne et non une notion.

Cube noir. Sa chambre. L’intime de Natacha. Elle est nue. Elle est vulgaire par l’attitude corporelle, tellement attachante. Elle est si femme. On se laisse croire en elle.
La cuisine, cube blanc. Digne d’un décor pensé par Emir Kusturiza. Chat blanc, chat noir. Je n’ai pu m’empêcher de rêver à la grandeur de cet ancien appartement qui avait dû connaître de la majesté en son temps. Les ruines de l’architecture en témoignent. Et là sous nos yeux, l’incohérence d’un bric-à-brac trahissant un inconfort que notre société réfute. En pensée, on s’insurge. On ne peut vivre ainsi. Mais l’existence propre d’une destinée se nourrit-elle de l’inconfort matériel ou de la construction d’une réflexion dans ce corps qui nous transporte ?

Jean-Christophe Bourcart

Il s’agit de clichés de mariage sur différentes époques. C’est l’expression du kitsch populaire. La représentation angoissante du bonheur. On hésite entre la dépression la plus noire et le rire du burlesque le plus fou. Je me suis mariée aussi un jour et ce qui s’étale sous mes yeux a justement été tout ce que je réfutais. De la photo dite stylisée par ces effets dégageant un avenir prédit, à la photo qui confirme que le ridicule ne tue pas, on promène dans l’institution du mariage. Monsieur Bourcart, je salue votre courage de croire encore que le mariage est le plus beau jour de notre vie.

Vanessa Winship

Les écolières des régions limitrophes d’Anatolie orientale.
J’ai été saisie par le cinéma muet de cette jeunesse désolée de petites filles d’ailleurs. Les portraits en pied sont en noir et blanc et traduisent une époque que nous ne retenons plus grâce à la modernité de notre civilisation industrielle. Les regards sont durs et profonds, accusateurs et offrant leur tendresse. On s’avoue incrédule devant ce présent si passé dans nos mémoires. Le plus frappant saisit lorsque l’on se dit que ces jeunes pousses, âgées d’une décennie tout au plus, ont en charge un pari sur l’avenir. Celui du bonheur ? Mais lequel ?
Et c’est si seule avec mes pensées coupables de rien que j’ai laissé là ces gamines.

Samuel Fosso

Vous serez beau, chic, délicat et facile à reconnaître.
Monsieur Fosso, vous êtes la mutation d’un même être en différents personnages. À croire que le fait d’un déguisement n’était pas assez intense à votre goût, que vous nous prouver que même nu nous pouvons être autre. Le “je” serais donc un autre ? Nous nageons en pleine anthropologie. Sauf qu’ici l’homme est étudié dans l’environnement d’un studio photo, où sa genèse semble s’identifier au travers des attitudes. 
Qui sommes-nous ? D’où venons- nous ? J’ai une vague impression de relire “Race et Histoire” d’un de vos collègues L.Strauss, fourvoyant nos idées préconçues. L’avez-vous donc lu aussi ?

 

Pierre Gonnord

Grand format environ 150×150. Portraits en couleur sur fond noir.
Pierre Gonnord travaille à la façon des portraits que faisait exécuter la bourgeoisie afin de conserver une haute estime dans les traces de l’Histoire. Le déclic de l’artiste traduit des icônes de sainteté, représentation différente de l’humanité où le plus criant est le portrait de l’aveugle. Il nous intime l’ordre de regarder, afin d’y voir la vérité de ce que nous sommes. Une humanité qui voyage toujours en quête de sa réalité. Rembrandt aurait trouvé ici un héritier dans les visions de son époque.

 

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Aux Rencontres Photographiques d’Arles, Christian Lacroix et ses invités.

Quittons un instant Avignon…Cap sur les Rencontres de la Photo en Arles où Diane Fonsegrive nous communique ses impressions. Clic – Clac. 

Qui n’a pas songé un jour, au détour d’une folie du futile, tomber dans la mode? Du chiffon, des accessoires, de jolies personnes, du glamour, surtout du glamour. Et si l’image, si brillante d’une fausse réalité, était tout simplement un monde réfléchi et construit, qui nous initie cette année en Arles à la création d’un univers, sous un oeil maîtrisé, celui d’un certain Christian Lacroix. Enfant d’Arles, c’est aussi dans l’histoire de cette ville et de ses coutumes de vie des deux derniers siècles, que Christian Lacroix a voulu nous introniser à son univers. Il semblait nous dire “pour me comprendre, comprenez Arles“. Alors, à vous paroles d’archives d’Arlésiens, visions de Lucien Clergue et de Frédéric Georges (1863-1933). Racontez-vous !
Bienvenue au coeur de l’intime qui nourrit l’acte créatif, celui qui construit l’artiste. Visitons Christian Lacroix.

Laissons battre le coeur : Alain-Charles Beau.
Des clichés sombres en noir et blanc, classiques par leur esthétisme qui tente de nous introduire sans trop en dire dans le quotidien de travail de Christian Lacroix. Les collages muraux, le détail du bibelot qui enrichit la pensée, et le résultat. La robe, le décolleté, le modèle. L’homme a donné de lui. Et, j’ai fermé les yeux pour mieux me laisser transpercer par la bande de bruits de l’atelier Christian Lacroix. Qui es-tu ? Je t’entends et je te dessine maintenant.

Cloître Saint Trophisme: Richard Avedon, Katarina Jebb, Jerome Puch.

Respirons à pleins poumons. Nous croisons tour à tour Richard Avedon, avec la scandaleuse fable « En souvenir des regrettés Mr. et Mrs Confort » qui signa son génie en 1995, dans un portofolio publié dans le New-Yorker. On se retrouve tous en regard d’un des clichés dans notre inconscient collectif instruit du monde de l’image où nous sommes tous issus. On souffre, mais on adore.
Auscultons le corps. On se détend avec les polaroïds de Jérôme Puch, plaqués sur ce cube noir imposant, qui nous offre un formidable catalogue de la mimique de la photo festive. Au premier regard, on sourit, au deuxième on remarque l’ordre des photos. L’attitude est classée par comportement corporel. Au troisième, on est prisonnier des détails qui dévoilent les personnalités. Le polaroïd témoignerait-il donc du temps fuyant des défilés de haute couture ? Divertissant.

Fermons les yeux : Katarina Jebb.
Grands formats couleur rectangulaires verticaux
Si le propos lugubre, au travers de l’icône religieuse sacralisant la mode, est intéressant, j’ai été déçue de la mise en valeur des oeuvres avec un éclairage tout de même pauvre et un espace d’exposition à moitié vide. A mon sens, une lumière pieuse, tel le soleil en voile direct aurait sublimé le travail sur couleur.

Église des frères prêcheurs: Peter Lindbergh.
L’Eglise des frères prêcheurs est un site arlésien que j’affectionne particulièrement pour les expositions photographiques. Allez comprendre la résonnance du silence, ad repetitam, sur chaque cliché. La lumière grisée si blanche d’un lieu de recueillement. Et, cette année, Peter Lindberg en Dieu païen de la mode, chassé des pages étriquées de magazine pour dompter la pierre par ces regards qui vous avalent, par leur format gigantesque. Noir et blanc. Ces visages surdimensionnés qui scrutent. Ces gens, ces choses, criant leurs personnalités, surplombent nos existences, là, le temps de notre vision. Je suis dans le reflet du cliché et ne vois que ces yeux qui regardent l’abstrait d’ici. Je suis petite et tellement grande, forte de la justesse de la mise en espace. J’adore.

Diane Fonsegrive – www.festivalier.net

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Les hirondelles Katharina Ziemke,Daniel Dewar et Grégory Gicquel au “printemps de septembre” de Toulouse.

C'est au premier étage de ?la maison éclusière?. Nous sommes au ?Printemps de Septembre” à Toulouse, manifestation d'art contemporain qui accueille la jeune génération d'artistes français. C'est un choc. Trois petites pièces, quelques tableaux accrochés sur des murs blancs. Je m'assois à terre en croisant les jambes. Une médiatrice me fait remarquer ma posture, identique à celle de l'enfant sur la toile de Katharina Ziemke. Trouble. Puissance introspective de l'art.
20070922013.jpgIl y a du sang, ce liquide vivant si cher à Jan Fabre, plasticien flamand. Il imbibe la toile, lui confère une intériorité troublante, où les personnages semblent se dévoiler, quasiment nus. L'aspect céramique, loin de figer, produit du mouvement. Entre vie et mort, Katharina Ziemke crée l'espace résonant. Artiste exceptionnelle. Plus qu'un printemps. Une hirondelle.

 

502-Dewar-Gicquel1-web.jpgDaniel Dewar et Grégory Gicquel signent l'une des oeuvres majeures de ce printemps. Des hippopotames, s'étalent et s'effritent, sculptés dans une terre encore humide. Ces animaux s'enchevêtrent et créent le rythme de l'émulation alors que la base de la sculpture s'émiette comme autant de certitudes inadaptées au monde global. C'est le glissement, le mou, les rondeurs de l'animal qui produisent la force de remodeler par le chaos. La glaise fait référence à ce sens tactile qui transforme la réalité, non à partir de matières solides, mais à partir du lien. Plus nous avançons dans cette ?uvre, plus nous sommes de la même matière que ce chaos-là. L'envie de toucher, de marcher sur cette terre, nous rend subitement capable d'aller dans le glissant et l'incertitude. En faisant référence à la transversalité, Daniel Dewar et Grégory Gicquel créent l'interdépendance entre eux et nous. Eric qui m'accompagne ne s'y trompe pas. Assis face à l'?uvre, nous échangeons sur ces hippopotames en nous projetant dans des sublimes ouvertures.
Les hirondelles, en ligne sur le dos des animaux, préparent leurs envolées au-delà des frontières.


Pascal Bély

www.festivalier.net

?????? Daniel Dewar, Grégory Gicquel et Katharina Ziemke dans le cadre du “Printemps de septembre” jusqu’au 14 octobre 2007.

Prochaînement: Déconstruisons au Printemps de Septembre de Toulouse…

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La jeunesse se réfugie au ?printemps de septembre? de Toulouse.

Après la biennale de Lyon qui nous promet les artistes majeurs pour la prochaine décennie, ?Enlarge your Pratice? à Marseille qui cet été tentait de nous convaincre qu'un vent nouveau soufflait sur l'art contemporain en France, c'est au tour de Toulouse avec ?Le printemps de septembre? de nous inviter à accueillir la jeune scène française avec ?Wheeeeel?. Que signifie cette frénésie de jeunesse, d'avenir, comme s'il fallait coûte que coûte se projeter, voir loin dans un environnement médiatique et politique où le futur est comprimé dans le flux de l'information en continu ? À l'issue de cette première journée à Toulouse, une impression s'impose: rien de vraiment neuf si ce n'est le rappel de quelques ?fondamentaux? pour s'ouvrir et dépasser les frontières. Il y a chez ces jeunes artistes une soif, non de créer d'audacieux paradigmes, mais de nous plonger dans des espaces pour expérimenter un ressenti, une place, un regard afin de renouer des liens que notre société toujours plus individualiste empêche de se déployer. Premier retour d'une traversée enfermante et ouverte.

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À l'entrée des Abattoirs de Toulouse, Sophie Dubosc propose son rideau de théâtre tout en plâtre. La visite peut commencer comme si nous passions une frontière toute à la fois fragile, éphémère et intouchable. L'art contemporain serait-il un monde à ce point isolé? Sur la droite, des tables d'écolier trouées (?Cher Guy?) par les obus de l'ennui. Sur les bancs de l'école, notre imaginaire ouvrait déjà l'espace rigide du savoir descendant. Sophie Dubosc vise juste et nous prépare pour la suite…

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Stéphane Thidet avec son ?Refuge? provoque l'enthousiasme, un bonheur sans limites. Imaginez un refuge en bois où la pluie tombe à l'intérieur alors que nous sommes au sec à l'extérieur. Des livres posés à terre, le tiroir ouvert d'une table recueille l'eau, une odeur de sapin frais, finissent par nous emporter dans un déluge de poésie et de souvenirs d'enfance. Mais en inversant les prémices, Stéphane Thidet crée l'espace du ?dedans-dehors? accessible à tous où le ressenti empêche quasiment de conceptualiser. En nous réfugiant, nous cherchons cet autre territoire que seul l'art nous promet. Sublime et enfermant.
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Autre refuge, autre bois. Les frères Chapuisat (Grégory et Cyril) avec ? Cryptomnesia? nous proposent un lieu en forme de crypte. Il faut se faufiler à terre pour entrapercevoir l'intérieur à travers une minuscule entrée. Immense, impressionnante, elle est confinée dans cette salle des Abattoirs comme une résurgence d'un passé lointain ou d'un futur proche, prête à faire exploser les murs. C'est un nouvel espace qui s'offre à nous, à l'image des réseaux mondiaux: en quelques secondes, nous passons des pierres verticales des cathédrales aux bois transversaux et enchevêtrés des frères Chapuisat! La visite n'est possible qu'en contorsionnant son corps: qu'ont donc ces Français pour nous rendre l'accès au global si difficile? Sublime et douloureux.
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Progressivement, l'espace se fait plus ouvert. Toujours du bois et cette envie frénétique de toucher, mais les agents de sécurité d'une société privée (présence aberrante et infantilisante) nous en empêchent sans ménagement (la sarkosie s'infiltre décidément partout). Julien Laforge avec ?La mer des mamelles? nous fait tout petit. Ici rien d'intimidant, juste un travail sur la forme où l'intérieur, extérieur, l'explicite et l'implicite s'offrent à nous comme une invitation à se plonger au coeur de la compléxité. On cherche un refuge sous ses mamelles de bois, métaphore de la protection maternelle. ?uvre douce et réconfortante. De quoi avons-nous si peur?


Pascal Bély

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?????? Sophie Dubosc, Julien Laforge, Les frères Chapuisat, Stéphane Thidet aux Abattoirs de Toulouse dans le cadre du “Printemps de septembre” jusqu’au 14 octobre 2007.

Prochaînement: Katharina Ziemke, Daniel Dewar et Grégory Gicquel, les hirondelles du printemps.

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Le Printemps 2008 est là: Pendant la crise, le « Printemps de Septembre » de Toulouse change d’époque.


 


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LES EXPOSITIONS

Exceptionnel ?Visa pour l’image? à Perpignan.

L'édition 2007 de ?Visa pour l'image?, Festival International du photojournalisme à Perpignan est exceptionnelle. Alors que la ?people-isation? envahit nos journaux, que nos médias se recentrent de plus en plus sur la Sarkosie, que la presse écrite gratuite uniformise l’information, Perpignan devient le temps de deux semaines, une destination indispensable pour ouvrir l'oeil sur un monde globalisé. Loin des grands conflits hyper médiatisés, ?Visa pour l'image? montre ce qui se développer de façon souterraine (exploitation des enfants, violation des droits de l'homme dans les prisons, l'humiliation des femmes par les pouvoirs religieux) au profit d'occidentaux avides de produits bon marché. Je quitte Perpignan troublé, submergé par la qualité des expositions proposées. Rapide panorama d'un visa qui autorise tant de traversées…

 

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Jane Evelyn Atwood
Dimitar Dilkof

 


Six photographes, artistes ? reporter au regard décalé, à la frontière de l'art et du reportage. font un génial ?pas de côté? pour ouvrir notre conscience envers des pays classés dans nos mémoires.
Jane Evelyn Atwood
avec ?Haïti? est au sommet de son art. On reste médusé face à tant de virtuosité où les corps et les décors d'Haïti se confondent pour dessiner une fresque aux mille couleurs dans ce pays si pauvre. Atwood se saisit de l'infiniment petit pour le rendre grandiose à l'image d'un peuple dont la créativité semble être la seule ressource pour survivre.
Avec autant de génie, le photographe palestinien Raed Bawahah parvient à clouer sur place de nombreux visiteurs avec ?Vivre en Palestine. Hors de la guerre
israélo-palestinienne (ou dedans), il nous propose des visages, des postures d'hommes et de femmes internés dans un hôpital psychiatrique ou rencontrés sur les lieux de son enfance. On les croirait tous issus des pièces du metteur en scène Pipo Delbono, ou danseurs chez Pina Bauch. Les fous et les enfants abattent les murs, dégagent les gravas pour nous montrer une Palestine courageuse où la folie des hommes va finir par les rendre tous fous. Émouvantes jusqu'aux larmes, ses photos dessinent un peuple, une terre, une nation loin des discours guerriers.
Le Bulgare Dimitar Dilkoff avec ses ?Chroniques de l'Est? photographie les peuples avec gourmandise, empathie et retenue. On sourit parfois, pour s'inquiéter souvent de la collusion entre le politique et le religieux. Le corps est au centre des photos (métaphore de nos soumissions et dépendances?): des femmes se glissent sous les robes des prêtres pour prier, un homme s'immole par le feu pour protester, puis un groupe se jette dans l'eau glacée pour attraper une croix lancée par un religieux. Dilkoff est un très grand photographe pour susciter avec tant de force des résonances qui dépassent les frontières de l'Est.

 

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Raed Bawahah Agnès Dherbeys


La Française Agnès Dherbeys, avec ?Timor oriental: les rêves brisés de l'indépendance? ne passent pas inaperçue malgré sa très mauvaise exposition dans un des passages du Couvent des Minimes. Elle fait émerger la soif de démocratie d'un pays ravagé par la guerre avant que l'indépendance ne soit proclamée en mai 2002. Les cris traversent la photo, les contrastes de couleurs, de formes épousent les ambiguïtés d'un peuple partagé entre dépendance à l'égard des forces armées internationales et le désir d'autonomie. C'est époustouflant d'authenticité à l’image d’une humaniste lumineuse!

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Sergey Maximishin Véronique de Viguerie

Le Russe Sergey Maximishin avec ?Le dernier empire, 20 ans après?, pose un regard sans concession sur son pays. Les situations (souvent surréalistes) sont à l'image d'une nation tenue par une main de fer par Poutine, attiré par le capitalisme triomphant et soucieux de ses traditions. On est sidéré par ces clichés presque tous au bord de l'implosion, de la cassure ou de l'effondrement. Seuls, deux hommes échangeant dans un sauna nous apaisent tandis que la Russie plonge dans le regard obscur de Poutine capté dans son bureau (glaçant).
La Française Véronique de Viguerie avec ?Afghanistan, Inch'Allah??, émeut à plus d'un titre lorsqu'elle photographie les femmes de ce pays: avec son objectif, elle leur hôte symboliquement la burka et finit par leur redonner un visage qu'elle n'aurait jamais du perdre. On est troublé à l’égard de ses clichés où la femme est souvent une icône (religieuse?) face à des hommes assoiffés de pouvoir.

Cette sélection ne saurait masquer l'immense talent d'autres photographes qui semblent avoir été inspirés par une théorie de Mandela où celui-ci déclarait: ?je reconnais une démocratie au sort qu'elle fait à ses compatriotes les plus exclus, les plus marginaux?. C'est ainsi que les enfants esclaves, les mineurs prisonniers, les femmes exploitées envahissent plusieurs salles: Carolyn Cole du Los Angeles Time, Samuel Bollendorff (?À marche forcée?), Ian Berry, (?les enfants jetables du Ghana?) et Lizzie Sadin, (?Mineurs en peines?) interpellent, dénoncent, expliquent. À quatre, ils proposent le plus effroyable des reportages, celui que l'on ne verra jamais dans nos médias.
file-245867-58748.jpgIl ne faudra pas en tout cas compter sur Eric Hadj, qui avec ?A 20 kilomètres de la tour Eiffel? pose un regard scandaleux sur la banlieue où il a voulu ?photographier le vide? (comment est-ce possible avec des humains?). Il est notamment l'auteur d'une des photos où une enseignante lit dans le RER alors qu'elle est entourée de jeunes des quartiers. Elle fut publiée dans Paris ? Match en mars 2007 avec une légende pour le moins surprenante Sur les portables, la musique ­ du rap ­ joue à fond. La passagère, pas rassurée, se plonge dans sa lecture et n’en sort pas.»). Paris-Match a osé s'exposer à ?Visa pour l'image? comme si de rien n'était. Il est vrai qu'à trop vouloir transformer la réalité, il devient le journal spécialiste des clichés.


Pascal Bély
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?????? ?Visa pour l’image? à Perpignan jusqu’au 16 septembre 2007.

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LES EXPOSITIONS

Le ?Sculpture Projects de Muenster? trace le nouveau monde.

Le ?Sculpture Projects de Muenster? en Allemagne est une manifestation d'art contemporain, exceptionnelle par les processus de reliance qu'elle suggère au public. Loin d'être une juxtaposition d'?uvres, Münster a fait le choix, tous les dix ans, de proposer un parcours exigeant, passionnant, qui autorise le visiteur à sculpter la ville au hasard de ses découvertes et de ses envies. À mesure que l'on marche dans les rues, que l'on pédale sur ?la promenade?, le plan de la cité se métamorphose en note d'intention des commissaires (Brigitte Franzen, Kasper König, Carina Plath) .

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Je m'étonne encore d'avoir commencé ce maillage par Thomas Schütte (?Model for a museum?). À côté de son ?uvre de 1987 (??Kirschensäule?), la place Harsewinkelplatz accueille cette fontaine englobée d'une structure de verre, surmonté d'un ?gratte-ciel? orange. Comme un jeu de légo, notre regard démonte, remonte. Ce modèle déstructurant et restructurant est le projet de Münster: passé, présent / ordre ? désordre. La buée de condensation du matin (métaphore d'une intention mutante?) m'invite à revenir le soir pour admirer ce musée en miniature qui nous regarde de haut pour que nous imaginions un futur à notre portée. Puissant!
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Cette coconception entre l'artiste et le public est au c?ur de la proposition de Guy Ben ? Ner. Dans une salle du service des impôts (sic), deux vélos d'appartement sont installés avec en leur centre un écran plat. Plus nous pédalons, plus l'image défile. On y voit Guy Ben-Ner et ses deux jeunes enfants profiter de la nonchalance du surveillant du musée pour démonter une oeuvre, puis deux et les transformer en objet vélocipède non identifié afin de parcourir rues et jardins de Münster. Outre le bel hommage à la ?tête de taureau? de Picasso ou au cyclograveur de Jean Tinguely, cette installation sculpte l'histoire de l'art pour en faire une ?uvre virtuelle interactive où le territoire de Münster devient global avec des frontières délimitées par le lien entre le public et les artistes.
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N'est-ce finalement pas l'intention de Dominique Gonzalez ? Foerster avec ??A Münster Novel?? Dans un espace verdoyant, mais coincé entre le boulevard automobile et ?la promenade? cycliste, sont reproduites en modèle réduit les sculptures installées dans la ville depuis 30 ans. L'effet est immédiat: pourquoi un tel agencement? Que nous dit cette sculpture des sculptures? Les amateurs, numérique en main, tente de capturer des perspectives. D'autres, assis, contemplent de loin. Moi, je marche, je tourne autour, je vais, je viens. Le processus d'appropriation du territoire et de l'histoire de Münster est fascinant (d'autant plus que cette ville a été quasiment détruite pendant la guerre). Mais sutout, Dominique Gonzalez ? Foerster offre au public la possibilité de relier ce qui est par nature parsemé. L'espace dégage une ?aura?, une éthique qui veut que chacun d'entre nous soit capable de s'approprier l'art pour produire du lien et créer son territoire.
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Ceci va s'avérer incroyablement juste alors que je découvre l'installation de Pae White dans le magnifique Jardin botanique. L'artiste vit en Californie et a reproduit la forme des carillons installés le long de ?Camino Real?. Le personnel d'accueil du ?Sculpture projects? est là pour faire sonner les cloches dont le bruit doux et sourd étonne par sa beauté. C'est ainsi qu'un fil se tisse entre là-bas et ici, entre le rouge californien et le blanc si cher à Pae White. Münster joue avec nos frontières sensorielles pour les rendre si poreuses que tout se mélange (l'Allemagne et la longue route des missions californiennes) pour former un nouveau territoire imaginaire capable de mettre à mal nos défenses rationalistes.
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Le  ?petting zoo? de Mike kelley installé dans la cour d'un vieux bâtiment, entre un parking couvert et des immeubles de bureau, vise-t-il à nous apprivoiser? Toujours est-il qu'à partir d'une légende biblique (la femme de Loth transformée en statue de sel pour avoir désobéi), Mike Kelley crée un univers étrange où le visiteur flotte au milieu de ces animaux. Comment les approcher? Est-ce permis? Pourquoi nous métamorphosent-ils à ce point (même des ados bruyants à l'entrée du site se révèlent subitement doux comme des agneaux à l'intérieur du zoo!). Cette installation prolonge la réalité en questionnant notre lien à un ordre établi par la religion et notre dépendance à l'égard des animaux. Alors qu'en quittant ce lieu, je clos mon périple à Münster, tout s'éclaire: le ?Sculpture Projects? apaise les hommes parce qu'il ouvre les possibles, les territoires. Les sculptures me donnent l'énergie pour élargir ce que je pensais statufié par le sel de mes certitudes.

Pascal Bély
www.festivalier.net


??????  ?Sculpture Projects de Muens
ter
? a lieu jusqu’au 30 septembre 2007.

A lire sur le même sujet:

Le ?Sculpture Projects de Muenster? : l'avenir est allemand.