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Au Festival d’Avignon, Roméo Castellucci n’entend rien.

« Je m’appelle Roméo Castellucci ». L’homme s’habille, enfile une combinaison. Une meute de chiens se jette sur lui. Bienvenue dans l’«Inferno» de l’artiste associé du Festival d’Avignon 2008. Sur l’immense scène du Palais des Papes, j’assiste pendant plus d’une heure et cinquante minutes à une divagation nombriliste, tachetée de quelques références au texte de Dante, parsemée de beaux effets, pour ne retenir finalement qu’une performance. Nous sommes loin d’un théâtre qui éclaire sur le monde, mais recentré sur le petit territoire de l’artiste (aussi joli soit-il). «Inferno» sonne terriblement creux, mais c’est une œuvre en phase avec son époque où la forme est une «pensée». Avec Roméo Castellucci, Nicolas Sarkozy, Silvio Berlusconi et Hu Jintao peuvent dormir tranquilles.

«Inferno» est une succession de tableaux sur l’univers artistique de Roméo Castellucci. Après les chiens, un homme escalade la façade du Palais pour atterrir sur le toit (à noter le silence du public sidéré par l’exploit). Il pourrait dominer le monde, nous montrer ce que nous ne pouvons voir. Arrivé là-haut, il balance un ballon de basket à un enfant. Consternant.
Une troupe d’hommes et de femmes arpente la scène où chacun finit par zigouiller un proche. L’enfer, c’est les autres.
La bande-son ? Des bruits d’accidents de voiture. La torture en Chine, la dictature en Birmanie, l’enfer médiatique, ne doivent pas faire assez de tapage pour les oreilles manifestement obstruées de Castellucci.
Quoi d’autre ?
Des gosses enfermées dans un caisson transparent. La crèche, c’est l’enfer surtout pour les parents qui n’y trouvent pas de place pour leur cher chérubin.
Un piano qui brûle (référence à Dante j’imagine…les vrais rockeurs, eux, balancent leurs guitares).

J’oubliais Andy Warhol qui sort d’une voiture broyée (spot pour la prévention routière ?) pour signifier sa descente aux enfers. Quand l’art contemporain occupe la scène pour écraser les comédiens.
Imparable.
Stop.
Les images s’accumulent et je cherche toujours le propos. Roméo Castellucci est un homme libre, il a le panache de celui qui sidère par les formes. Il s’est affranchi de Dante pour explorer ses pistes. De cet espace de liberté exceptionnel, il n’en a rien fait. Le Festival d’Avignon a perdu une belle occasion de faire un peu de raffut alors que la démocratie vit des temps troublés en France, en Europe et dans le monde.
Au cours d’ «Inferno», me revient une image. Celle de Daniel Cohn Bendit apostrophant Sarkozy au Parlement Européen : «Vous êtes minable d’aller à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques ».
À mon tout petit niveau, je me suis senti un peu minable de payer 30 euros pour le spectacle raté d’un enfant gâté du Festival.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 © Christophe Raynaud de Lage.

«Inferno» par Roméo Castellucci a été joué le 12 juillet 2008 au Festival d’Avignon.

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FESTIVAL D'AVIGNON LES JOURNALISTES!

Au Festival d’Avignon, Guy Cassiers et Fabienne Darge, critiques du Monde

Après le superbe « Méfisto for Ever » présenté en 2007 au Festival d’Avignon, le metteur en scène belge Guy Cassiers nous revient avec deux pièces (dont une création), « Wolfskers » et « Atropa, la vengeance de la paix ». Le tout forme une trilogie sur « pouvoir et monstruosité ». L’une m’a provoqué une violente migraine, tandis que l’autre m’a profondément engourdi. Simple hasard ou lassitude à l’égard d’une forme théâtrale qui atteint mes limites ?
Pour « Wolfskers », Guy Cassiers s’est inspiré des trois films du cinéaste Russe Alexandre Sokourov portant chacun sur Lénine, Hitler et Horohito. Réunis sur un même plateau, séparé par des cloisons virtuelles, nous passons d’un personnage à l’autre où, dans l’intimité de leur environnement personnel et social, nos trois hommes complotent, délirent sur la marche du monde, dorment et mangent. L’entourage de l’un finit par devenir celui du voisin. A l’exception des trois protagonistes principaux, les acteurs franchissent avec brio les frontières imaginaires. Telle une maïeutique, l’ensemble tisse la toile de la folie du pouvoir personnel. La scénographie est exceptionnelle : par un jeu de lumières et de vidéos, Guy Cassiers restitue le chaos psychologique des personnages, mais son propos est une impasse. Je ne vois plus rien dans cette intrication, comme si la mise en scène englobait le tout sans que l’on cerne les limites de chacun, leurs différences, et l’importance des contextes. Peut-on mettre au même niveau l’URSS de Lénine, le Japon de Horohito, l’Allemagne d’Hitler ?

« Wolfskers » pose un problème éthique : peut-on expliquer la complexité des enjeux à partir d’une lecture psychologique dont la mise en scène de Cassiers laisse à penser qu’elle donnerait les clefs d’une compréhension globale (après tout Hitler pouvait être amoureux et aimer les crabes comme vous et moi) ? Je suis pris d’effroi quand le théâtre dévie notre regard vers des formes soignées au détriment du sens de l’histoire.

« Atropa, la Vengeance de la paix », dernier épisode du tryptique pose bien d’autres questions. En revisitant le mythe de la guerre de Troie en incluant les discours de George W.Bush, Donald Rumsfeld, du weblog de Riverbend (jeune femme Irakienne qui a écrit alors que Bush déclarait les affrontements « officiellement terminés »), Guy Cassiers et l’auteur Tom Lanoye offrent une occasion unique pour nous interroger sur la guerre, dont les raisonnements qui la sous-tendent sont intemporels. Pour Fabienne Darge, critique au journal « Le Monde », « le travail de Guy Cassiers travaille sur l’intensité du regard. Sur son ambiguïté, aussi, tant est poreuse chez lui la frontière entre vision réelle et vision mentale ». Est-ce cette porosité qui me brouille, qui me fait voir les acteurs comme statufiés (Agamemnon semble être de plâtre) ?
Pour Fabienne Darge, « Atropa » « donne un visage aux victimes, ces victimes qui la plupart du temps ne sont qu’une abstraction dans un journal télévisé ». Est-ce cette approche qui m’a engourdi, là où j’aurais voulu entendre le guerrier ? Comment expliquer mon insensibilité à la douleur de ces femmes qui parlent si doucement dans leur micro caché ?
Ne suis-je pas formaté par une forme verticale, donnée par le théâtre français, qui hurle pour appréhender le pouvoir alors que Guy Cassiers s’attache bien plus au groupe? Là où les mots doivent parler tout seul, j’attends le corps qui bouge à peine. Alors je m’accroche au décor (époustouflant notamment lors du dernier acte où l’environnement des tours explosées de 2001 est magnifiquement restitué), pour relier contexte mythologique et notre époque. Peine perdue, je suis déjà loin. Le théâtre de Guy Cassiers ne donne rien facilement. Il travaille la posture du spectateur, comme savent si bien le faire les artistes flamands. Sans vision complexe, on ne voit de leur théâtre qu’une dimension réductrice.
Force est de constater que ce vendredi 11 juillet, ma porosité s’est transformée en muraille.

Pascal Bély
www.festivalier.net
Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage.

Wolfskers”  de Guy Cassiers a été joué le 6 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.
Atropa, la vengeance de la paix”  de Guy Cassiers a été joué le 11 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.

 

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Festival Off d’Avignon/ “Le Bonheur de la tomate”, un concentré d’humanité.

Comment parler d’insertion, de racines, d’humanité, d’amour, de non-communication au travers d’un plan de tomates ? Après avoir vu “Le Bonheur de la tomate” de Bernard Da Costa, mis en scène par Marie Pagès dans son propre lieu (« Le Ring » est une des théâtres avignonnais à l’année), j’ai la clé pour faire les liens.
Clémentine, vivant retirée de la ville et même de sa vie, croise le chemin de Kim, qui trouve refuge dans sa plantation de tomates, histoire de souffler un peu, après avoir fait le mur du centre de rééducation dans lequel il a été placé. De parole en parole, nos deux protagonistes vont se découvrir et apprendre à s’écouter.
De Kim, archétype de la jeune délinquance immigrée, qui évoque toute sa haine de l’ordre établi (« tu n’es rien, tu n’arriveras jamais à rien ») à Clémentine, ancien professeur radiée de l’Education Nationale pour avoir « tabassé » un de ses élèves qualifié de « difficile », se profilent deux parcours identiques. L’amour, fondation de notre être, brille par son absence chez ces deux-là. Et justement, pour pallier ce manque, Clémentine en donne de l’amour à ses tomates. Tout en métaphores et paraboles, Clémentine va mener Kim sur le chemin de la raison, de la réconciliation avec la vie, avec sa vie et surtout avec lui-même.
Kim dénonce ce qui se passe dans ces centres, ces éducateurs qui jugent à sa place de ce qu’il doit être, comme si lui ne pouvait décider de son avenir. Il remet en cause cette obéissance non voulue, se revendique marginal. Je pense alors à la loi de prévention de la délinquance : comment insérer des jeunes délinquants, qui se trouvent être dans un processus de déconstruction, en les plaçant dans des centres de rééducation fermés et pointer du doigt que leur futur n’est rien ? Une façon inhumaine de croire à la supériorité de la loi, face à des problèmes qui puisent leur solution dans la communication et l’explication du sens de la vie. Certes, cela relève de l’utopie pour certains, mais pourquoi penser que ces jeunes ne comprennent rien et n’ont pas de désirs. Est-il plus facile de les laisser à la dérive que de les faire réfléchir sur leur monde ? Dans notre pays, en phase de se transformer en société dite de loi dure (il suffit de voir les propositions qui se succèdent à un rythme soutenu), la première solution semble déjà bien utilisée.
Que vont devenir des petits plans de tomates, piqués lors du premier échange de Clémentine et Kim ? Résistent-ils au désir de Kim d’échapper aux règles de vie ?
Sommes-nous prêts à être leur tuteur ?
Réponse au “Ring“. Allez-y sans gants.

Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

?????? « Le bonheur de la tomate» mise en scène par Marie Pagès au Théâtre “Le Ring” à Avignon jusqu’au 4 août 2008.

 

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Au Festival d’Avignon, « Airport Kids » perd la partie.

Avec “Airport Kids“, Lola Arias et Stefan Kaegi invitent le public à s’immerger au coeur de la mondialisation. Je suis un habitué. Dans «Call Cutta in a box» présenté au KunstenFesitvalDesArts de Bruxelles en mai dernier, j’étais enfermé dans un bureau où, en direct d’un centre d’appel basé en Inde, une opératrice tirait les ficelles d’un théâtre virtuel. Il y a deux ans, « Mmenopark» dénonçait les conséquences de la mondialisation vue par des amateurs suisses de modélisme. Il y a quinze jours, au Festival de Marseille, dans “Cargo Sofia – Marseille“, j’étais transporté «telle une pastèque» dans un camion rempli de 45 voyageurs qui pendant deux heures, de Marseille à Vitrolles, nous a fait voyager entre Sofia et Marseille, au coeur du réseau des routiers mondialisés. Au Festival d’Avignon édition 2008, me voilà maintenant convié dans un sous-sol d’aéroport. Mais cette fois-ci cela se passe dans un théâtre où je suis normalement assis.
Une heure quinze avec neuf gosses de 7 à 14 ans, qui ont la particularité d’être «portables», c’est-à-dire de parents agents économiques mondiaux qui rayonnent de Lausanne vers l’ensemble de la planète. La mondialisation est un théâtre très fragile : ces enfants ne sont pas des comédiens. À chaque instant, tout peut se casser la figure.
Si au départ cette fragilité m’amuse, elle fatigue sur la durée, car elle appauvrit progressivement le propos. Du théâtre pour enfant, nous passons rapidement vers le jeu de rôles d’adultes, plaisant à regarder au demeurant, mais éthiquement contestable. Le plus troublant est la permanence de ce processus quelque soit le concept que développe Stefan Kaegi dans chacune des ?uvres mentionnées plus haut. Il y a une forte distorsion entre le beau témoignage de ces enfants (comme ceux des routiers, de l’opératrice et des personnes âgées suisses) et la capacité du dispositif à transcender le propos. On reste souvent collé à une réalité qui a du mal à nous donner les enjeux complexes de la mondialisation.
Stefan Kaegi et Lola Arias font un beau zoom (scénographie parfaite, alternance de moments poétiques et de rappels sur la mauvaise santé psychologique de ces gosses de riches) mais la focale me paraît toujours étroite. Il est à ce sujet intéressant de faire référence à Edgar Morin, auteur de la théorie sur la complexité qui déclarait sur le site internent Nonfiction.fr: «Non seulement une partie est dans un tout, mais aussi le tout se trouve à l’intérieur de la partie, comme par exemple la totalité du patrimoine génétique se trouve dans chaque cellule, y compris de notre peau, ou encore la société en tant que tout est présente par l’éducation, la culture, le langage dans l’esprit de chacun…tout est dans tout et réciproquement”. Or, les parties décrites par Kaegi et Arias ne me donnent pas les propriétés du tout. Pour résumer, la partie ne parle qu’aux parties! Alors, on salue à chaque fois la créativité des acteurs-amateurs, la manière dont ils sont mis en scène dans leur fragilité, manipulés pour la «bonne cause» : la méchante mondialisation face au gentil public d’Avignon.
À mesure que le jeu se déroule, je ressens le paradoxe: la globalisation réduit, casse, mais elle permet à Kaegi d’être dans une «hyper créativité». À sa façon, à force de comprendre certains processus réducteurs de la mondialisation, Kaegi les fait vivre à son public.
Dans «AirportsKids», tout nous est donné. Manque peut-être notre partie.
Pascal Bély – Le Tadorne.
“Airport Kids” de Lola Arias et Stefan Kaegi a été joué le 6 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon
“Cargo Sofia – Marseille” du collectif Rimini Protokoll et de Stefan Kaegi a été joué le 4 juillet 2008 dans le cadre du Festival de Marseille.
«Call Cutta in a box” par Haug, Kaegi et Wettzel / Rimini Protokoll a été joué du 9 jusqu’au 31 mai 2008 à Bruxelles dans le cadre du KunstenFestivalDesArts.

 

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La 25ème heure du Festival d’Avignon: “Guardamunt 55′” ou la folie de Nijinski.

La 25ème heure est un moment dans la nuit durant lequel, abîmé par la fatigue de la journée, le spectateur se laisse envahir, pénétrer, par ce qu’il voit ou décide de s’endormir sur son siège. Pour cette première 25ème heure du Festival, j’ai pris le parti d’être Nijinski, danseur étoile qui se consacra à l’écriture dans sa villa de Guardamunt avant d’être interné. Et pas n’importe quel Nijinski, celui du collectif «pEqUOd».
Effectivement, celui qui n’a pas croisé « Les Cahiers » de Nijinski ne saura reconnaître le travail méticuleux et la belle performance de l’ensemble que constituent Bénédicte Le Lamer et Pascal Kirsch.
Pendant près d’une heure (la durée est dans le titre), les paroles de Nijinski prennent place dans les sous-sols de l’école d’art. Des balbutiements d’enfants aux grandes envolées mystiques, Bénédicte Le Lamer nous livre de par sa voie la version des écrits de Nijinski, plus précisément celle du poème « Au Hommes » et d’un extrait de son journal.
Me laissant envahir par le son obsédant et strident du saxophone et bercer par les chuchotements et autres cris, je suis guidé dans la folie nijinskieste si bien retranscrite et prends plaisir à écouter ce que j’avais lu six ans auparavant pour des besoins universitaires.
Aux paroles, se joint la présence de Didier Le Lamer, assis sur sa chaise, le regard dans le vide. Tel un Nijinski, il exécute par la suite quelques étirements si chers au danseur afin de réveiller son corps, puis ira se coucher comme pour signifier sa mort.
« Cahiers » de Nijinski retrace, à mon sens, la perte de l’individu qu’il a été. Devenu autre, il n’a pas d’autre choix que de se nier lui-même jusqu’à parler à la place de Dieu et combattre sa folie qui le pousse à écrire que « Mort est mort, et je suis vie
Je suis vie, et tu es mort
Ayant vaincu la mort par la mort
Je suis mort, et tu n’es pas vie
».
Traduire “Guardamunt 55‘” par l’écrit relève du défi ou bien… de la folie.
Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

Guardamunt 55′” de Bénédicte LeLamer et Florent Manneveau a été joué dans la nuit du 8 au 9 juillet 2008  au Festival d’Avignon.

  © Christophe Raynaud de Lage.

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Festival Off d’Avignon/ Orageux Eno Krojanker et Hervé Piron.

L’L , lieu de recherche et d’accompagnement pour la jeune création («bruxelloise» serais-je tenté d’ajouter) étonne par ses productions. Présent dans le Off avec deux de ses autres « bébés », L’L se révèle être une nouvelle dynamique dans le paysage théâtral.
«Petit-déjeuner orageux un soir de carnaval» fait partie de ces spectacles dont on ne peut raconter le contenu sans ôter le mystère planant autour de ce titre à rallonge, dont j’avoue avoir du mal à me souvenir. Il est évident que les deux compères, Eno Krojanker et Hervé Piron, auteurs de cette farce, ont décidé de se jouer de nous bien avant le début de leur représentation et ce, dès la lecture de leur titre. C’est bel et bien réussi puisqu’il n’a rien avoir avec ce que l’on voit…
Réunis sur le plateau, ils vont, durant 1h20, se mettre en abîme l’un et l’autre pour faire de ce moment partagé une nouvelle structure théâtrale.  Répondant aux ordres d’un «admirateur secret» qui a décidé de les mettre en jeu parce qu’il les connaît mieux qu’eux-mêmes ne se connaissent, Eno et Hervé vont se jouer d’eux-mêmes, tout en se jouant du public. Nous sommes embarqués dans leur histoire, de notre plein gré (oui, oui, c’est cela avoir le choix!) pour suivre ce jeu de massacre entre amis.
L’amitié sincère, entre ces deux comédiens, placée au coeur du spectacle, devient irréelle quand elle est fiction et les pousse à se retrancher derrière des rôles que chacun tiendra jusqu’au bout, quitte à blesser l’autre, à l’avilir. Mais, chut, le mystère doit planer, bien que la fin me laisse justement sur ma faim !
Eno et Hervé, deux amis qui nous veulent du bien… Quoique…
Laurent Bourbousson
www.festivalier.net

Crédit Photo : Tdes Doms « Petit-déjeuner orageux un soir de carnaval » de et par Eno Krojanker et Hervé Piron au Théâtre des Doms à Avignon jusqu’au 27 juillet; relâche le 21. A 20h30.

 

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Au Festival d’Avignon, la parole d’Ingrid dans « Ordet » par Arthur Nauzyciel.

Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, la religion a fait une entrée fracassante dans la sphère publique, politique et géopolitique. Ingrid Bétancourt alimente, sans le vouloir, la fragilité de notre société laïque en faisant l’apologie, à chaque interview, de son catholicisme. Dans ce contexte, « Ordet » (la parole) écrit par le pasteur Kaj Munk, mise en scène par Arthur Nauzyciel et traduite par Marie Darrieussecq, résonne tout particulièrement. Une ?uvre sur les croyants et leur rapport à Dieu qui tombe décidément mal. À moins que le théâtre fasse des miracles alors que je me sens saturé de religiosité. Je peux compter sur Arthur Nauzyciel qui déclare dans le document distribué à l’entrée du Cloître des Carmes : « Il serait réducteur de ne voir là qu’une pièce sur la religion. Elle ne nous interroge pas uniquement dans notre rapport à Dieu. Mais sur le doute, sur le désir ou la nécessité de croire. C’est intéressant aujourd’hui, alors qu’on amalgame « laïcité » et « athéisme », ou « religieux » et « intégriste ». Dire « je suis croyant » suffit pour être soupçonné de fondamentalisme. On confond la spiritualité et le dogme. On a peur d’aborder ces questions. Ce qui m’intéresse, c’est comment vivre ». Avec ces quelques mots, Arthur Nauzyciel aide à ne pas réduire. Homme éclaireur, sa mise en scène est éclairante, éblouissante.
Le décor frappe d’entrée : planches noires brillantes (on dirait le sol d’un duplex chic), structure métallique tranchante (est-ce un morceau de glace, un abri, une église?), immense tenture représentant un paysage de Fjords. Cette modernité contraste avec le contexte de l’époque (la pièce a été écrite en 1925 puis reprise au cinéma en 1954 par Carl Theodor Dreye). L’espace quasiment dépouillé m’évoque que nous ne sommes ni dans « un ici et maintenant », encore moins dans une linéarité historique (1925, 1954, 2008) à l’image des costumes, stylisés, entre science-fiction et peau de bête. Assis au premier rang, le décor surplombe.
Huit comédiens, deux familles, dont un pasteur, un médecin, un fou, un père joué par Pascal Gregory, l’un des meneurs les plus magnifiques du jeu. Deux visions du lien à Dieu que ne cesse d’interroger l’un des fils, devenu fou (c’est d’ailleurs mon «garde fou»). Entre dogme affiché par l’une des familles et approche singulière de la religion défendue avec engagement par l’autre (où celle-ci sert l’homme à s’émanciper), la mise en scène d’«Ordet » me donne ma place de spectateur athée, dans un intervalle, où je me glisse en toute liberté. Darrieussecq et Nauzyciel, à l’écoute de leur époque, font sonner les mots d’aujourd’hui et bouger nos corps emprunts de religiosité (quoique l’on en dise !). Il flotte alors une atmosphère de légèreté dans les gradins des spectateurs, comme si nous assistions à une ?uvre populaire, au sens noble du terme.
Finalement, Nauzyciel a fait une pièce «laïque», où chacun est libre de ressentir la douleur des Borgen et des Skraedder. Il nous aide à porter un regard profondément empathique sur ces deux familles traversées par la douleur, le doute ; le mouvement des acteurs sur scène (toujours circulaire) n’est pas sans rappeler celui d’une parole fluide, d’une écoute contenue. Ce théâtre contraste avec une société moderne saturée par la communication, mais dont on entend de moins en moins la parole singulière.

Nauzyciel interroge nos croyances quand il expose face au public un cercueil en plexiglas transparent d’où l’on voit le corps de la morte. Dans le rôle du fou (impressionnant Xavier Gallais qui à force de jouer le devient), il nous interpelle dans notre rapport à l’autre différent et si proche de nous. Au-delà du religieux, comment vivons-nous avec la complexité?
« Ordet » peut-être vu comme l’antichambre de nos angoisses qui ne trouve plus d’écho dans l’espace du sociétal. C’est probablement pour cette raison que le public semblait profondément heureux en quittant le Cloître (étrange coïncidence !).

À la sortie, une question m’effleure : six années, prisonnier dans la jungle. Comment fait-on?

Pascal Bély, www.festivalier.net

Ordet”  de Kaj Munk, mise en scène d’Arthur Nauzyciel a été joué le 6 juillet 2008 au Festival d’Avignon.

 

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Au Festival d’Avignon : épidermiquement, Olivier Dubois.

Comme des loups, une partie du public manifeste. Noyé sous des applaudissements, «Faune(s)» d’Olivier Dubois provoque un bien joli vacarme. Pour en atténuer la portée, ll nous regarde les points serrés. L’homme est manifestement touché, mais la bête n’est pas à terre. Il sait qu’il a visé juste.
Quatre tableaux majestueux pour se réapproprier « L’après-midi d’un faune » chorégraphié par Vaslav Nijinski. Cela restera comme l’un des moments les plus intenses du Festival. Une heure jubilatoire où Olivier Dubois a réveillé nos sens. Du plaisir à fleur de peau, une métamorphose du danseur, mais aussi du spectateur. Ce n’est pas tant d’aller chercher le mouvement que de ressentir la peau, interface entre le biologique et le sociétal. Cela ne peut laisser indifférent : la peau provoque toujours une réaction épidermique.
Pour nous accompagner, Olivier Dubois s’est associé avec un cinéaste qui sait nous parler d’amour en société. Quinze minutes d’un film majestueux, en noir et blanc, où l’on voit Olivier Dubois pister derrière une grille quatre beaux mecs en train de jouer au tennis. Il transpire de désir et d’amour. Nous aussi. La caméra de Christophe Honoré fait une nouvelle fois des merveilles lorsqu’il retranscrit nos humeurs amoureuses, avec Paris comme grande toile de Bakst. Le faune finit par chanter « Biche, oh ma biche » en humant le t-shirt encore humide de sa proie dans une chambre d’hôtel. « L’après-midi d’un faune » n’est pas seulement réactualisé : il est ancré dans notre époque, celle du triomphe de la solitude, où les sens n’ont peut-être jamais été autant sollicités.
La chorégraphe Dominique Brun entre alors en scène et c’est un Olivier Dubois tacheté de peaux de vache (fruit de mon imagination!) qui interprète la chorégraphie de Vaslav Nijinski. Le public rit comme si le film de Christophe Honoré trouvait son prolongement : nos tennismen semblent encore jouer. La grâce d’Olivier Dubois est troublante : ne serions-nous pas à cet instant précis des rapaces prêts à lui faire la peau ? De chaque côté, le bruit monte des gradins. Alors, pour calmer le jeu…
C’est habillé en chasseur bavarois qu’Olivier Dubois fait trembler les murs du Cloître des Celestins en hurlant sa rage, son cri d’amour. Je me penche vers lui comme le ferait un parent vers son enfant apeuré. Moment d’une profonde sincérité où l’on accueillerait bien cet adulte dans nos bras pour le rassurer. Quand la danse est à ce point charnelle, tripale, viscérale, il n’y a aucun doute : Olivier Dubois est l’un de nos plus grands interprètes.
La toile de Bakst s’effondre. La scène finale voit notre bel homme quasiment disparaître sous une tonne de fourrures. Du poil pour signifier la bête humaine qui sommeille en nous. Quatre porte-manteaux tiennent en équilibre (précaire), enveloppés de longues capes en fourrure. Comme un taxidermiste, Olivier Dubois statufie nos quatre joueurs de tennis, et met en jeu l’animal dans l’humain. Nous voilà enfin libérés d’une société qui a tout fait pour chasser l’aspect naturel de l’humain, afin de tenir droit sur nos pattes et éventuellement dans nos bottes.
Avec «Faune(s)», Olivier Dubois définit l’humanisme d’aujourd’hui : celui qui relie le corps et l’esprit, l’animal et le sociétal.Pascal Bély
www.festivalier.net

Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage.
« Faune(s)» d’Olivier Dubois, de Dominique Brun, Sophie Perez, Xavier Boussiron et Christophe Honoré a été joué le 7 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.

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Au Festival d’Avignon, la nouvelle cuisine d’Alvis Hermanis.

A l’arrivée, le décor évoque une maison de poupée, et l’on pense à la pièce de Thomas Ostermeier « Concert à la carte » présentée en 2004 au Festival d’Avignon. L’intimité entre acteurs et spectateurs est immédiate, vu le crépitement des flashs d’appareils numériques. Avant le début de la représentation, « Sonia » du metteur en scène Letton, Alvis Hermanis, est déjà une attraction. Ce décor est mutique. Mythique.
Deux cambrioleurs (exceptionnels Gundars Abolins et Jevgenijs Isajevs) pénètrent dans l’appartement. Ils fouillent maladroitement et tombent sur un pot de confiture. La gourmandise prend le pas et le doigt dans la gelée, nos hommes perdent de leur superbe machiste pour jouer aux enfants. En violant son identité, l’un fait essayer à l’autre une robe puis s’assoit à table pour feuilleter l’album photo de l’absente. Tel un processus de transformation de la pierre en liquide, de l’horloge à la cellule, Sonia se réincarne. Nous sommes dans un décor des années trente, mais la pauvreté de cette femme semble intemporelle. Nous la suivons de la cuisine vers la table puis de nouveau aux fourneaux. Elle fait de beaux gâteaux qu’elle décore comme le plateau d’un théâtre de cabaret. Elle chorégraphie ses talents culinaires alors qu’elle fait danser un poulet, prêt à cuire, une bouteille dans le derrière.
Lorsqu’elle est fatiguée, elle sort sa dizaine de poupées russes qu’elle allonge sur son lit. «L’autre », finit par se goinfrer de ce gâteau et se maculer le visage de crème au chocolat. Muni de ce masque, il s’assoit pour écrire des lettres d’amour fictives à Sonia. Incarné en metteur en scène machiavélique, il lui offre le plus beau rôle de sa vie. Elle se prend au jeu et la voilà amoureuse. Toute une mécanique théâtrale entre poésie et humour se met en place jusqu’à la scène finale, où nos deux compères, retrouvant leur statut de cambrioleur, continuent leur besogne. Le libéralisme sauvage reprend ses droits.


« Sonia » est une oeuvre d’aujourd’hui. Parce qu’elle évoque l’Europe, ces peuples de l’Est qui ont été écartés de ce projet politique pendant les années de plomb du communisme. Dans cette Europe à vingt-sept, le théâtre peut tous nous rapprocher, car « Sonia » parle à chacun de nous. De pureté du sentiment amoureux, de sacrifice, d’obstination. Le théâtre d’Hermanis nous plonge dans nos premiers pas d’enfant alors qu’il n’est question que de vieillesse sur scène. C’est le corps transformé, maculé qui charrie, véhicule notre désir de vie. Le texte accompagne, mais la voix (on parle doucement dans ce théâtre là), est celle du corps.
Avec Hermanis, le moindre mouvement est à la croisée du social et de l’intime. Ce n’est plus le théâtre classique français, encore moins l’approche transdisciplinaire belge.
Le théâtre d’Hermanis, c’est cette broche représentant une colombe blanche que les cambrioleurs posent sur la table avant de partir.
Une utopie venue de l’Est.

Pascal Bély
www.festivalier.net

 Sonia”  de Tatiana Tolstaia, mise en scène d’Alvis Hermanis a été joué le 6 juillet 2008 au Fesitval d’Avignon.

  © Christophe Raynaud de Lage.

 

 

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Au Festival d’Avignon, « Le partage de midi » surplombe.

Samedi 5 juillet 2008. Fin du Festival « Montpellier Danse ». Traversée du Rhône puis arrivée à la Carrière de Boulbon. Le paysage est féerique : tout semble vert et à peine consumé par le soleil d’été. Je me laisse bercer par des effluves de senteurs méditerranéennes. Le festival d’Avignon commence par ce spectacle naturel grandiose. Une perspective qui pourrait s’inclure dans « Stifters Dingue », oeuvre du compositeur et metteur en scène allemand Heiner Goebbels présentée à La Chartreuse.
Mes premiers liens…
Ils sont quatre à nous attendre. Un quatuor « Inferno » comme le suggérerait Roméo Castellucci : Valérie Dréville, Jean-François Sivadier, Gaël Baron et Nicolas Bouchaud réunis pour la circonstance par Paul Claudel et «Le partage de midi». Quatre figures qui ont jalonné mon parcours de spectateur. Avouez que cela intimide. Je n’ose imaginer ce que je vais écrire à l’issue de la représentation…
Ils n’ont pas de metteur en scène : la place est libre et seule leur interdépendance peut créer le mouvement. À peine le festival commencé, je le ressens ouvert, à l’image de ce décor impressionnant : un plateau en bois, posé sur des rails qui mènent vers la falaise. Un paysage tout à la fois désertique et nourri de va-et-vient, de quais de gare, et de voyages lointains. Un décor pour se décentrer de ces quatre monstres, pour ressentir l’exil vers la Chine de Ysé et de son mari Ciz, accompagné de son amant Almaric et de sa passion secrète, Mesa. Pour introduire le premier acte sur le bateau où les quatre personnages jouent au chat et à la souris , Bouchaud et Sivadier se poussent l’un contre l’autre pour avoir la place. Joli clin d’oeil pour ceux qui s’amusaient déjà de les voir s’entretuer sur scène. En évacuant d’emblée leur démon (et le nôtre finalement), le théâtre reprend ses droits.
Je n’aime pas Paul Claudel: cette langue compliquée m’isole plus qu’elle me relie. Mais Nicolas Bouchaud en amant puis futur mari, m’aide à me remettre sur les « rails » : son jeu est si limpide que, quel que soit l’auteur (ici Claudel, hier Brecht), c’est du Nicolas Bouchaud. Valérie Dréville (épatante) veille à ce qu’il n’envahisse pas Claudel et arrive subtilement à jouer de ses faiblesses, notamment quand elle complote avec lui.
Dès le premier acte, le quatuor est là, tissent ses liens et chacun est une poulie de ce bateau de l’exil. Plus tard, alors que la torpeur me gagne (le texte de Claudel, toujours lui), nos protagonistes s’essaient à une danse majestueuse (joli clin d’oeil à l’édition 2005 du Festival d’Avignon où certains s’interrogeaient encore de l’articulation entre le théâtre et le corps !). Dans le deuxième acte, alors que les amants se retrouvent dans un cimetière, le décor devient féerique, où chaque tombe est une lumière : doit-on y voir l’influence (inconsciente ?) de Roméo Castellucci, l’autre artiste associé de l’édition 2008 du Festival? Peu à peu, tous ensemble, ils incarnent leur personnage en se fondant dans le décor, en déployant l’espace de l’imaginaire du spectateur, en symbolisant ce théâtre qui se décentre du texte pour mieux le servir par un jeu du corps (on ne le répétera jamais assez, ce « Partage du midi » est dansant).
Mais la dynamique s’essoufle. Je regrette amèrement la dernière scène alors que Ysé et Mesa s’apprêtent à mourir. Le bateau du premier acte revient, mais en modèle réduit. Le son, plutôt que de restituer l’explosion à venir, fait un vacarme qui noie l’intensité de la situation. À mesure que la fin approche, ce bateau devient naufrage d’une mise en scène qui tue toute possibilité pour le spectateur d’en ressentir l’effroi. Voilà Valérie Dreville et Jean-François Sivadier, tels des voleurs, reprendre ce qu’ils nous ont donné. Alors qu’ils vont mourir, je suis déjà loin.
Au final, le passionné de théâtre est déçu. L’amateur de dérives artistiques est comblé pendant que le blogueur s’angoisse à devoir articuler les deux. Mais n’est-ce pas la fonction du théâtre, celle de nous mettre dans un intervalle pour y développer notre créativité.
À n’en pas douter, Valérie Dréville est  l’autre artiste associée du Festival. A bien y repenser, ce «Partage du midi » est en soi un festival. Imparfait. Comme Avignon.

Pascal Bély
www.festivalier.net

Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage.
 Le partage de Midi ”  de Paul Claudel joué par Valérie Dréville, Nicolas Bouchaud, Jean-François Sivadier, Gaël Baron, assistés par Charlotte Claments a été joué le 5 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon. A voir jusqu’au 26 juillet.