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FESTIVAL D'AVIGNON

Au Festival d’Avignon, « Le partage de midi » surplombe.

Samedi 5 juillet 2008. Fin du Festival « Montpellier Danse ». Traversée du Rhône puis arrivée à la Carrière de Boulbon. Le paysage est féerique : tout semble vert et à peine consumé par le soleil d’été. Je me laisse bercer par des effluves de senteurs méditerranéennes. Le festival d’Avignon commence par ce spectacle naturel grandiose. Une perspective qui pourrait s’inclure dans « Stifters Dingue », oeuvre du compositeur et metteur en scène allemand Heiner Goebbels présentée à La Chartreuse.
Mes premiers liens…
Ils sont quatre à nous attendre. Un quatuor « Inferno » comme le suggérerait Roméo Castellucci : Valérie Dréville, Jean-François Sivadier, Gaël Baron et Nicolas Bouchaud réunis pour la circonstance par Paul Claudel et «Le partage de midi». Quatre figures qui ont jalonné mon parcours de spectateur. Avouez que cela intimide. Je n’ose imaginer ce que je vais écrire à l’issue de la représentation…
Ils n’ont pas de metteur en scène : la place est libre et seule leur interdépendance peut créer le mouvement. À peine le festival commencé, je le ressens ouvert, à l’image de ce décor impressionnant : un plateau en bois, posé sur des rails qui mènent vers la falaise. Un paysage tout à la fois désertique et nourri de va-et-vient, de quais de gare, et de voyages lointains. Un décor pour se décentrer de ces quatre monstres, pour ressentir l’exil vers la Chine de Ysé et de son mari Ciz, accompagné de son amant Almaric et de sa passion secrète, Mesa. Pour introduire le premier acte sur le bateau où les quatre personnages jouent au chat et à la souris , Bouchaud et Sivadier se poussent l’un contre l’autre pour avoir la place. Joli clin d’oeil pour ceux qui s’amusaient déjà de les voir s’entretuer sur scène. En évacuant d’emblée leur démon (et le nôtre finalement), le théâtre reprend ses droits.
Je n’aime pas Paul Claudel: cette langue compliquée m’isole plus qu’elle me relie. Mais Nicolas Bouchaud en amant puis futur mari, m’aide à me remettre sur les « rails » : son jeu est si limpide que, quel que soit l’auteur (ici Claudel, hier Brecht), c’est du Nicolas Bouchaud. Valérie Dréville (épatante) veille à ce qu’il n’envahisse pas Claudel et arrive subtilement à jouer de ses faiblesses, notamment quand elle complote avec lui.
Dès le premier acte, le quatuor est là, tissent ses liens et chacun est une poulie de ce bateau de l’exil. Plus tard, alors que la torpeur me gagne (le texte de Claudel, toujours lui), nos protagonistes s’essaient à une danse majestueuse (joli clin d’oeil à l’édition 2005 du Festival d’Avignon où certains s’interrogeaient encore de l’articulation entre le théâtre et le corps !). Dans le deuxième acte, alors que les amants se retrouvent dans un cimetière, le décor devient féerique, où chaque tombe est une lumière : doit-on y voir l’influence (inconsciente ?) de Roméo Castellucci, l’autre artiste associé de l’édition 2008 du Festival? Peu à peu, tous ensemble, ils incarnent leur personnage en se fondant dans le décor, en déployant l’espace de l’imaginaire du spectateur, en symbolisant ce théâtre qui se décentre du texte pour mieux le servir par un jeu du corps (on ne le répétera jamais assez, ce « Partage du midi » est dansant).
Mais la dynamique s’essoufle. Je regrette amèrement la dernière scène alors que Ysé et Mesa s’apprêtent à mourir. Le bateau du premier acte revient, mais en modèle réduit. Le son, plutôt que de restituer l’explosion à venir, fait un vacarme qui noie l’intensité de la situation. À mesure que la fin approche, ce bateau devient naufrage d’une mise en scène qui tue toute possibilité pour le spectateur d’en ressentir l’effroi. Voilà Valérie Dreville et Jean-François Sivadier, tels des voleurs, reprendre ce qu’ils nous ont donné. Alors qu’ils vont mourir, je suis déjà loin.
Au final, le passionné de théâtre est déçu. L’amateur de dérives artistiques est comblé pendant que le blogueur s’angoisse à devoir articuler les deux. Mais n’est-ce pas la fonction du théâtre, celle de nous mettre dans un intervalle pour y développer notre créativité.
À n’en pas douter, Valérie Dréville est  l’autre artiste associée du Festival. A bien y repenser, ce «Partage du midi » est en soi un festival. Imparfait. Comme Avignon.

Pascal Bély
www.festivalier.net

Crédit Photo : Christophe Raynaud de Lage.
 Le partage de Midi ”  de Paul Claudel joué par Valérie Dréville, Nicolas Bouchaud, Jean-François Sivadier, Gaël Baron, assistés par Charlotte Claments a été joué le 5 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon. A voir jusqu’au 26 juillet.