Catégories
THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Je suis la Mouette…d’Avignon?

«Des formes nouvelles, voilà ce qu’il faut».

Ces paroles prononcées par l’intransigeant Treplev correspondent à la mise en scène de La Mouette par Renaud Triffault. Le spectacle délaisse avant tout les personnages secondaires de la pièce de Tchékhov usés par la vieillesse et choisit d’effacer toute référence à la Russie. Alors que les puristes pourraient croire à une trahison, j’assiste à un véritable tour de force à travers une mise en scène recentrée autour des quatre personnages redoutables, Arkadina, Trigorine, Treplev, Nina auxquels s’ajoutent Macha et Medvedenko.

Dès que je pénètre dans la salle, je suis happé par une musique pleine de nostalgie et par un dispositif bifrontal au centre duquel s’étend une longue allée de verdure avec aux extrémités, un intérieur bourgeois et une petite scène en forme de croix au milieu d’arbres dépouillés. Le plateau est d’abord investi par Caroline Mounier qui endosse le rôle de Macha, l’endeuillée, qui vient y chanter avec mélancolie, comme une artiste déchue, un morceau musical des Pink Floyd. Celle-ci se voit flanquée de son instituteur matérialiste, Medvedenko (Guillaume Bachelé), qui accumule les blagues et qui manifeste une part d’humanité et même de fragilité en intégrant à son personnage les répliques des absents du spectacle. Treplev, le scrupuleux régisseur,  investit également la petite scène pour vérifier les préparatifs de son spectacle avant de laisser Nina (Noémie Gantier), y déclamer avec transe les paroles de sa nouvelle pièce. Pourtant, alors qu’il a pris soin de commander à distance sa pièce grâce à un système d’oreillettes et de favoriser l’attention de ses spectateurs, bien installés sur des coussins, par des écouteurs, ne leur propose-t-il pas déjà là un dispositif théâtral trop expérimental ? Aveugle à ce qui l’entoure, l’imposante et sévère Arkadina (Lucie Boissonneau) vient heurter aussitôt la sensibilité de son fils (Yann Lesvenan) qui traduit avec un regard scrutateur, perturbé, inquiétant, l’enfermement dans l’échec de Treplev face à une Nina exaltée comme une adolescente, fragile, vacillant sur elle-même et s’emballant au point de tomber symboliquement sur les genoux de Trigorine. Avec sa voix de faux intellectuel et son allure de faux dandy, le forçat de l’écriture représenté par Christophe Carassou  passe son temps à consigner sur son carnet tout détail réaliste. Pourtant, il fait preuve de vérité quand il confesse à Arkadina son amour pour Nina et il atteint des accents pathétiques lorsqu’il avoue à la jeune fille son échec en tant qu’écrivain. Même la mère coupable parvient malgré sa carapace et son égoïsme à des élans de sincérité.

Treplev

Toute la force de cette mise en scène est de faire exister les personnages non seulement par leurs paroles, mais aussi par leurs gestes, par leurs regards et même par leurs silences. Renaud Triffault nous fait alors pénétrer dans leur vie intérieure et dans leurs rêves que ce soit Arkadina qui se laisse guider comme dans une danse, Nina rêvant au succès ou encore plus tragiquement la tentative de suicide de Treplev montrée comme un flash nocturne. De très beaux effets de lumières scandés par la musique de Maxence Vandevelde dévoilent ces moments intimes et viennent fixer la solitude de ces personnages sur le plateau. Le point culminant du spectacle a lieu lorsque Nina annonce en chuchotant au micro ses rêves de comédienne et son amour pour Trigorine. Là encore le hors scène nous est donné à voir : le succès de Nina sous les projecteurs et les confettis, ses retrouvailles avec Trigorine, la solitude de Treplev et d’Arkadina gravitant autour d’eux. Mais les paillettes se transforment en neige grâce à la magie de la lumière créée par Hugues Espalieu et « le paysage auditif » assez paisible jusqu’à présent fait entendre la tragédie à venir ; le passage du temps, l’expérience des échecs marquent leurs effets sur les personnages qui portent désormais le deuil de leur vie et reviennent comme des naufragés, confrontés à l’indifférence de Treplev résigné dans l’écriture. Le titre du spectacle « Je suis une mouette » s’éclaire alors : tous sont passés à côté de leur vie, leurs illusions se sont effondrées et ils vivent d’une certaine manière un parcours tragique proche de celui de Nina. Tous viennent mourir dans cet intérieur obscur, le regard dirigé vers la petite scène de Treplev, qui préfigure son mausolée, alors qu’il perd l’amour de Nina.

Nul de besoin de revêtir les comédiens de masques de mouettes pour souligner la souffrance propre à chacun de leur personnage. Le spectacle parvient à nous faire pénétrer dans leur vie profonde et à rendre, selon les mots de Stanislavski, leur « action intérieure complexe ». Réussir à s’épancher du fond de son âme pour montrer l’échec de la vie humaine, des moments plutôt rares au théâtre !

Jérôme MARUSINSKI- Tadorne

photo: Simon Gosselin.

[Spectacle créé lors du Festival Prémices 02 et repris au Théâtre de la Verrière de Lille du 29 janvier au 1er février 2014]

Catégories
AUTOUR DE MONTPELLIER THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

De Montpellier vers Avignon…

Ils sont 21. 21…comme autant de siècles.

Des jeunes personnes, vêtues d’une grande simplicité. Ils nous regardent, calmement, sérieusement. Ils sont un troupeau de biches dans une clairière, avec la grâce et la concentration, face à une tempête annoncée.

Oui, la jeunesse peut être sérieuse. Nous allons les suivre pendant 4H15 vers une voie inconnue, celle qui nous fait frôler l’utopie. Nous quittons le sombre du quotidien pour entrevoir un ailleurs, lumineux, à reconstruire.

Le décor plante le monde méditerranéen, sa lumière, clin d’oeil aux révolutions arabes. Mais ces devantures fermées annoncent le désastre économique d’une région où le Front National s’apprête à les ouvrir avec la force de leur pensée fragmentée…

Montpellier-20140318-00380--1-

«Hypérion» du poète allemand Friedrich Hölderlin est ce soir mis en scène par Marie-José Malis avec les étudiants de l’Université de Montpellier au Théâtre de la Vignette. Ils inaugurent ce travail qui trouvera son apogée au prochain festival d’Avignon avec la troupe de Marie-José Malis. Ce roman de 1797 nous renvoie à la grandeur d’Athènes et de toutes ces sociétés brillantes qui se sont effondrées, mais qui ont réussi à renaitre de leurs cendres. Dans le roman, « Hyperion et Bellarmin, qui rêvent de libérer leur patrie du joug étranger, échangent de longs poèmes en prose à la gloire de leur pays, dont le rythme est à peine différent de celui des hymnes…Pourtant, Diotima, la véritable héroïne, symbole de la liberté heureuse, la fiancée de l’idéal, qui encourage celui qu’elle aime à aller combattre pour le salut de la patrie. Hyperion prend part au soulèvement national, qui ne peut être mené à bout, et le jeune homme, parti pour « vaincre ou mourir », revient vaincu par l’ennemi trop fort et aussi, peut-être surtout, par la défaillance des siens, prompts au pillage aussi bien qu’au combat. Il se retire de la lutte et retourne à la poésie».

Marie José Malis réussit à faire vivre à une poignée de spectateurs résistants, une soirée digne du Festival d’Avignon! On y souffre, on y pleure, on est ébloui par ces comédiens-étudiants. La durée dans la diction nous offre l’espace nécessaire pour intégrer le texte et se laisser emporter par notre propre imaginaire. Nous prenons de l’altitude. De ce recul, nous trouvons la bonne distance pour avoir la vision sur cette condition humaine et chercher comment interagir différemment dans le monde d’aujourd’hui. Ce soir, l’Europe apparait dans ses paradoxes de beautés et de violences.

La musique scande les mots. Je me sens transportée dans un film de Pier Paolo Pasolini. Celui où l’on rencontre l’homme dans ses forces et ses fragilités. Ce soir je suis bouleversée. Je sors d’un gouffre pour atteindre la voie lactée. Sous la pleine lune, le théâtre de la Vignette a retrouvé sa brillance avec un verbe haut, un texte puissant, un jeu d’acteurs juste. Dans notre quotidien de l’urgence, le temps du processus pénétre pour mieux toucher, malaxer, questionner. Les mouvements des comédiens sur le  plateau se détachent dans des aller et retour individuels ou collectifs. Ils nous aident à comprendre l’importance de s’engager dans une cause. Tour à tour, chacun fait sa déclamation et maille la force de la réflexion du groupe. En avant, en retrait. Dans des mouvements de ressac, la terrasse du café devient une ile pour accueillir des réfugiés. La stèle est la montagne à gravir. Les rideaux rouges que l’on tire séquencent les différentes étapes, métaphore d’une renaissance perpétuelle.

Les questionnements de cette jeunesse explosent dans le texte et Diotima s’élève au-dessus de nous dans un cri désespéré, pour éveiller notre désir d’ailleurs vers tous les possibles.

Ce climat de chaos me submerge, la poésie m’envahit. Sans violence, la révolte gronde. Celle qui nous ressource et nous réveille dans ce désir de bâtir un nouveau paradigme. Je respire ce trop-plein à tous les niveaux dans la société grecque antique décrite. Je ne suis pas seulement allergique à notre contexte actuel, je suis juste dans une intolérance de subir les bras ballants. Comme ce groupe de comédiens, je pressens l’urgence, sage et réfléchie, de se mettre en mouvement. Pas de passéisme, pas d’état de fait immobilisant, juste une analyse et le besoin d’agir pour reprendre ses droits vers une humanité pensante oeuvrant pour le bien de tous.

En quittant le théâtre, nous resterons sans voix, écrasés par la fatigue. Mais nous avons vécu ensemble dans la salle et sur scène un moment d’union collective.

L’art est politique et nous donne des ressources. “On devient artiste comme on devient adulte”, on devient spectateur comme on devient citoyen.

Sylvie Lefrere- Tadorne

” Jeunesse d’Hypérion” d’après le roman d’HÖlderlin mis en scène par Marie José Malis, au théatre de La Vignette du 17 au 20 mars 2013. Au Festival d’Avignon du 8 au 16 juillet 2014.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

En avril, Marseille sera Afropéenne.

“Afropéennes” d’Éva Doumbia sera joué à Marseille, du 3 au 7 avril 2014 au Théâtre des Bernardines. Nous avions vu et beaucoup apprécié ce spectacle au dernier festival d’Avignon. Par les mauvais temps qui courent, il ne faut pas le manquer.

Où s’entend la question noire dans ce pays ? Mais quelle question, a-t-on l’habitude de rétorquer, comme si la diversité en France était au mieux folklorique, au pire une entrave au bien vivre ensemble. Et pourtant…De dérapages télévisés en lapsus politiques, le refoulé colonial se rappelle à notre mauvais souvenir, sans qu’il n’y ait finalement grand monde pour s’en offusquer.

Comment s’entendre ? Comment s’en parler ? Une fois de plus, le théâtre s’empare du jeu pour nous y inclure et faire son travail de mots, de gestes émancipatoires et de mouvements dé(re)foulés. Le spectacle “Afropéennes”, fruit de deux nouvelles de Léonora Miano (Blues pour Elise et Femme in a city) permet à la metteuse en scène Éva Doumbia de révéler la liberté de parole de la femme noire en France, et d’éclairer de multiples couleurs nos visions étriquées.

afropeennes-p-fabre_87311

C’était au dernier Festival d’Avignon. Dans la bien nommée, salle des Hauts Plateaux. Le public pénètre au WaliBlues, cabaret à l’enseigne rouge lumineuse. Pour quelques-uns, nous sommes invités à prendre place au plus près des artistes, à table, à gauche et à droite du plateau.Nous aurons doit à des soins tout particuliers à partir de mises en bouche épicées. À la manière d’une cartomancienne, la serveuse du lieu s’approche de nous, figure des Biger than Life, dont nous allons faire connaissance tout au long de la soirée. Elle  prend à partie l’une des convives sur sa couleur de peau, de l’envie d’être plus blanche que noire, de se confondre, et de se fondre dans la blancheur immaculée de son environnement.

Nous basculons dans le néo-réalisme. Sans jamais dénoncer gratuitement, Éva Doumbia nous plonge dans la vie des afropéennes, africaines de cœur, européennes de sol. Un entre-deux dans lequel se glisse toujours le regard du blanc. Alors que le colonialisme a pris fin depuis le milieu du 20e siècle, il continue de se nourrir de nos représentations du noir traversées par Joséphine Baker et sa ceinture de bananes, par le phénomène de foire de la Vénus Noire, et tous les préjugés raciaux mis à jour par les mots de Léonora Miano, double de Toni Morrison pour les afro-européens.

À les entendre entonner l’hymne national, on prend plaisir de les voir porter avec brio un combat politique pour vivre pleinement, pour ce qu’elles sont. Elles  en appellent à la diversité raciale, culturelle et identitaire. Elles nous dansent joyeusement la mixité des êtres humains, celle qui existe bel et bien. Nous ne sommes pas un, mais des: c’est en cela que l’humanité est riche!

Le chaloupé de leur corps libère leurs charmes. La soie de leur robe caresse leurs expressions féminines. Comment résister à ces femmes? La couleur de leur peau se révèle dans le bleu, blanc, rouge de leurs vêtements. Leur port est altier. Amazones charmeuses et combatives, elles se moquent des autres et fondent dans les bras des hommes. Noirs, blancs? Qu’importe si la rencontre résonne sur la peau de leur ventre tendu. Ces femmes s’offrent tout entières. Leur force, leur impertinence, leur dynamique nous réjouissent et nous suivons avec appétit leurs pas chassés, leurs tressauts, leurs yeux espiègles, leurs éclats de rire…Parmi elles, un homme garde leurs faveurs. Il se distingue par son élégance et son charme complémentaire. Il nous éclaire sur la diversité des genres, la place de l’homme dans les sociétés matriarcales, la communication homme/femme…

Éva Doumbia signe un plaidoyer contre l’obscurantisme grandissant. En sortant des Hauts Plateaux, nous questionnons notre couleur de peau avec ce désir irrésistible de cacher l’Afreuropéen qui est en nous pour se métamorphoser en Eurofropéen dansant.

Sylvie Lefrère – Laurent Bourbousson – Pascal Bély – Tadornes

Photo: P.Fabre
Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Festival d’Avignon 2014 : Olivier Py, artiste associé.

J’avais abandonné l’exercice depuis quelques années. Avec la précédente direction, la conférence de presse de présentation du Festival d’Avignon avait fini par devenir ennuyeuse: discours convenus, éléments de langage empruntés au parfait manuel du management culturel, hiérarchisation de la programmation par la présence d’artistes associés, esthétiques privilégiées au détriment de leur diversité. Cette année, le contexte est radicalement différent: c’est un artiste, Olivier Py, qui est aux commandes du plus grand festival de théâtre du monde.

Je passe sur les éléments graphiques du programme : le jaune pour rappeler le soleil (sic) avec une image d’Alexandre Singh où un jeune homme regarde vers le haut. Olivier Py précise qu’il n’est pas sur l’affiche (« mon narcissisme a quand même des limites ») mais la silhouette photographiée prête à confusion d’autant plus qu’il présentera cet été trois de ses créations. N’y a-t-il pas un risque à plus long terme : un festival centré sur son directeur et son réseau d’amis ?

affiche avignon

Ce qui frappe d’emblée, c’est la manière dont Oliver Py recentre les missions du festival. Ce qui était périphérique auparavant, est désormais essentiel: jumelage entre la Fabrica (lieu de création) et le collège Anselme Mathieu; projet de transformer Monclar en quartier numérique ; itinérance d’un spectacle («Othello Variation» de Nathalie Garraud et Olivier Saccomano) sur tout le territoire pendant la durée du festival ; projection sur grand écran du «Prince de Hombourg» de Giorgio Barberio Corsetti en direct de la Cour d’Honneur au Mucem de Marseille . Il a su éviter le sempiternel discours sur «la démocratisation culturelle» dont le processus ne veut plus rien dire aujourd’hui faut d’être pensé en transversalité. Olivier Py a le désir sincère d’opérer la «décentralisation à trois kilomètres (du Palais des Papes à Monclar)». Dans ce contexte, j’attends avec curiosité la création de Didier Ruiz2014 comme possible») portant sur des portraits d’adolescents d’Avignon.

Autre point essentiel du projet: la tarification. Je me suis ému du système de billetterie de l’ancienne direction (machine bureaucratique inhumaine). Olivier Py recentre une fois de plus: tarif jeune à 10 euros et abonnement grand spectateur. Enfin un festival qui reconnaît les jeunes grands spectateurs d’autant plus qu’une programmation leur sera spécialement dédiée (à la Chapelle des Pénitents blancs)! Avignon s’ouvre au jeune public. Pouvait-on continuer plus longtemps à ignorer les enfants, ce non-public du Festival ? Comment expliquer que cela ne figure pas dans son cahier des charges? Olivier Py a raison de préciser que ce sont «souvent les enfants qui emmènent leurs parents au théâtre». Encore un effort pour que nous puissions assister en 2015 à des spectacles pour la toute petite enfance! Il est à noter la forte présence d’école d’acteurs (l’ERAC de Cannes – Marseille, École de la Comédie de Saint-Étienne): il y a donc une cohérence entre accueil du jeune public et révélation des acteurs de demain.

Que retenir pour cet été? Une évidence: la danse se positionne à partir de valeurs sûres (l’abonné Alain Platel, le directeur du Centre Chorégraphique de Tours Thomas Lebrun, les chouchous des programmateurs Robyn Orlin et Julie Nioche). Reste une curiosité à la Cour d’Honneur: la création de l’australien Lemi Ponifasio (“I am”).  Si l’on ajoute la programmation convenue du Festival Montpellier Danse, je m’inquiète sur la visibilité d’un art essentiel à la vitalité de la création contemporaine.

La poésie omniprésente (avec Lydie Dattas entre autres auteurs), 5 continents représentés, 17 pays dont une place privilégiée donnée à la Grèce, un «Mahabharata» japonais (Satoshi Miyagi), le retour d’Ivo Van Hove, un Shakespeare de 18h avec Thomas JollyHenri VI»), l’accueil du jeune talentueux metteur en scène belge Fabrice Murgia, du non moins jeune Claude Régy, la reconnaissance du travail engagé de Marie-José Malis, signent-là un programme politique (dans un département où le FN est le premier parti en voix) teinté d’un regard généreux envers le public (j’en avais perdu l’habitude…). Olvier Py se plait à nous embarquer dans une nouvelle aventure, celle des «ateliers de la pensée» qui seront organisés à la Faculté des Sciences (le lieu sera ouvert dès 10 h du matin) pour qu’Avignon devienne «la capitale européenne d’une pensée ludique, incarnée  pour qu’elle ne s’enferme pas dans les lieux qui lui sont habituellement dédiés».

En souhaitant positionner «Avignon, ville de la créativité», Olivier Py ouvre la question culturelle (perçue comme trop verticale) à la créativité, processus plus transversal et moins clivant. J’entrevois déjà des liens possibles avec les Offinités que nous animerons au OFF…

La créativité, n’est-ce pas d’abord de relier le “In” et le “Off“au-delà de la concordance des dates?

Pascal Bély – Le Tadorne.

Le Festival d’Avignon du 4 au 27 juillet 2014. Réservation dès le 16 juin 2014.
Catégories
ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON LA VIE DU BLOG

Avignon 2014 : notre réponse à la lettre de Marie-José Malis.

Il est rarissime qu’une nouvelle direction d’un théâtre prenne le temps d’écrire au public. Dans la majorité des cas, les promus se pressent devant les caméras et les micros pour expliquer, éléments de langage à l’appui, qu’ils veilleront à «s’adresser à tous les publics» à partir d’une «programmation qui inclura des actions culturelles à destination des quartiers défavorisés».

Marie-José Malis, metteuse en scène, a été nommée à la direction du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers le 1er janvier 2014. Quelques semaines plus tard, elle publia une lettre à l’attention du public qui nous a particulièrement touchés. Il nous est impossible d’en faire une synthèse ici, au risque de réduire le sens profond d’une lettre où la politique se mêle de poésie, où l’écriture théâtrale se fait manifeste.

Comme vous le savez peut-être, nous préparons avec le Festival Off d’Avignon une série de rencontres, «Les Offinités du Tadorne». Il nous est apparu évident que notre projet était une réponse à la lettre de Marie-José Malis. C’est à ce dialogue imaginaire que nous vous invitons.

Mesdames, Messieurs,
Public du Théâtre de La Commune,

Depuis le 1er janvier 2014, je suis la nouvelle directrice de ce théâtre très aimé et très considéré qu’est le Théâtre de la Commune.
Je prends cette charge avec un sentiment de gratitude et avec la certitude que c’est un honneur.
Ainsi, dans ma vie, m’aura-t-il été donné de rejoindre la troupe de ceux qui ont servi l’attente qui a été déposée ici ; qui ont servi Aubervilliers et son théâtre.

Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de théâtres comme celui-là, non, je ne le crois pas.
Le Théâtre de la Commune, c’est un théâtre-Idée parce qu’en lui fleurit la vision d’un théâtre au plus haut, à savoir un théâtre qui a toujours cherché, avec une rigueur et – comment appeler cela autrement – une bonté, oui, à incarner le « pour tous » du théâtre.

Ce « pour tous », chacun sait que ce n’est pas l’abaissement à une petite chose, l’abaissement à une perte de confiance ou à un statu quo. Le « pour tous » c’est une déclaration, et un appel à l’invention.
Aujourd’hui, c’est avec une intensité poignante, parce que la vie des gens est devenue étrangement dure, étrangement désorientée, que l’Idée réapparaît, qu’elle nous appelle et nous oblige.
Le « pour tous » du théâtre, nous ne pouvons le trouver dans rien de disponible à petits frais dans le monde : nous n’avons plus de « nous » constitués et souverains, nous n’avons plus de sites stables et avérés. Mais nous avons peut-être autre chose : nous avons le « nous » dans le besoin d’autre chose, dans le deuil et l’attente des heures vraies, dans la vérité des aspirations, dans ce que dit le cœur à l’heure de penser ce qu’est vivre en homme, et nous avons une idée de la beauté.

Je crois à l’égalité de tous devant la beauté. Je crois, comme le dit Hölderlin, qu’elle est en nous comme un trou, un désir, un appel qui nous fait vivre dans la vie. Je crois aussi à l’égalité de tous devant le vide de notre époque : il nous faut repartir vers un travail nouveau, dont personne n’a la clé, mais tous la capacité.
Ainsi, aujourd’hui, (mais les hommes de théâtre que j’admire l’ont toujours pensé, à chaque séquence historique véritable), je ne crois pas que le théâtre existe, qu’il est installé une fois pour toutes.
Je crois que le théâtre doit apparaître à chaque nouvelle création, à chaque nouvelle représentation, comme forme et comme lieu. C’est dans l’intensité de cette pensée que je veux essayer de conduire mon mandat. Maintenant, le monde a besoin de nouvelles formules, de nouveaux lieux véridiques. Et nous, c’est à ça que nous devons travailler.

Je ferai du Théâtre de la Commune ce que je crois qu’il est en pensée : un théâtre comme
seul lieu public constituant qu’il nous reste.
Nous essaierons d’y constituer notre pensée pour un monde nouveau. Il est possible de penser, de recommencer à construire des lignes dans le monde, de nouvelles courbures, qui seront consistantes et vivables ; il faut pour cela les lieux de confiance, de paix, de fraternité joyeuse et, pourquoi pas, « musclée », il faut pour cela déclarer pour ces lieux une nouvelle devise qui est que nous pouvons tout nous dire, que nous pouvons recommencer à parler, qu’il est juste et légitime de ne pas savoir, de ne pas être heureux dans ce monde, et qu’au fond, ce qu’il y a à savoir, avec quoi va le bonheur, n’est jamais en arrière mais n’est, toujours, qu’une création de notre désir.

Nous constituerons donc la démonstration qu’il y a des lieux publics vrais, où l’hospitalité est garantie et les moyens d’un vrai travail, un travail aux termes et aux conditions dignes, pour apprendre à désirer. Car il faut aussi dire cela, il nous faut des lieux où se réinvente la discipline du désir, des lieux où se reformule et se réorganise le travail de la pensée.
Et ainsi, nous y constituerons, comme le disait Meyerhold, l’intuition d’une nouvelle joie de vivre.

Nous y constituerons aussi l’idée qu’un lieu de théâtre est la chance qu’une parole puisse être adressée et inspirée. Je crois aux murs des théâtres parce qu’ils rêvent la ville qui les environne, je crois que ce sont des cœurs du cœur d’une ville, qu’ils la prennent sous la lumière de leur lustre pour l’arracher aux choses mortes et lui rendre la jeunesse, celle du désir, celle des formules éclaircies, celle des intuitions que la pensée livrée aux soucis quotidiens laisse mourir hors de soi, mais qu’il nous faut rendre, comme on rend justice.
Nous y constituerons l’idée que ce temps est le nôtre, notre temps, dans lequel nous aurons vécu, et que ce temps, dans une ville qui s’appelle Aubervilliers, un lieu, qui s’appelle La Commune, et qui est donc à nous, ce temps pouvait redevenir l’objet de notre désir et de notre amour.
Nous y constituerons donc l’idée que l’art nouveau que nous souhaitons ne va pas sans une population à qui il s’adresse, sans une population dont la vie même sera matière à une nouvelle beauté.

Dans les prochaines semaines, je lancerai un appel public à venir réfléchir avec nous à ce que doit être un théâtre. Ainsi, mon rêve est-il que nous vivions ensemble le sentiment de joie qui va avec l’aventure d’une refondation. Je souhaite que nous ayons les rires et la fièvre des « bâtisseurs ». On ne peut vouloir refonder que ce qui a été donné une fois pour toutes comme lieu véridique : je rends ici hommage à mes prédécesseurs, à Gabriel Garran le fondateur, que je ne peux penser que comme un homme jeune, fou de théâtre, d’où nous viendra toujours l’idée d’audace et de bonté qui va avec ce théâtre ; à Alfredo Arias, à Brigitte Jaques et François Regnault, à Didier Bezace, ses successeurs.

En attendant nos prochains rendez-vous, je souhaite présenter mon directeur adjoint, mon ami et ma ressource, sans qui je n’aurais pas pensé que diriger ce théâtre était possible : Frédéric Sacard, qui a élaboré avec moi le projet de direction artistique. Nul doute que dans les prochains temps, notre direction vous apparaîtra pour ce qu’elle est : partagée. Je souhaite aussi présenter la nouvelle administratrice du Théâtre de la Commune : Anne Pollock, qui quitte la direction déléguée du Vieux Colombier pour Aubervilliers ; c’est un signe très beau qui dit qu’il y a des lieux que l’on désire.

Je souhaite rendre hommage aux acteurs et aux techniciens de ma compagnie. C’est avec eux que je viens. Autrement, ce serait impossible. Un jour, je dirai ce que je crois être l’héroïsme des acteurs et la loyauté absolue, qui est comme une boussole, l’amour du réel, sans mensonge ni rhétorique, des techniciens de théâtre. Mais pour l’heure, je voudrais qu’ils entendent ma piété pour ce que nous avons construit. Enfin, je dois saluer l’équipe du Théâtre de la Commune. Peu de gens ont eu comme moi la chance d’arriver dans un lieu où les attendaient la cordialité, l’humour et le sens profond du travail. C’est encore un don, et non des moindres, que j’ai reçu avec eux.

Je finirai en présentant les futurs artistes et auteur associés du Théâtre de la Commune : Alain Badiou, Laurent Chétouane, Catherine Umbdenstock et Françoise Lepoix. Qu’avec eux, soit de nouveau neuve cette idée qu’un centre dramatique national est un foyer de productions, un lieu qui rassemble dans l’inquiétude commune du théâtre des artistes différents, un lieu qui montrant ces différences et s’en expliquant publiquement, permet de comprendre comment le temps présent se cherche, un lieu qui permet une orientation, dans l’art, dans les questions du temps ; un lieu qui enfin se donne les moyens d’une action directe, où chaque point de l’adresse aux habitants est désiré et vécu avec la joie d’une cohérence vraie.

Marie-José Malis
janvier 2014

Venez vivre une journée particulière au OFF.

Du 7 au 27 juillet 2014, nous, publics d’Avignon, reconduirons dans le Village du Off nos rencontres de spectateurs, “les Offinités”. Elles prolongeront le travail d’écriture du Blog « Le Tadorne », actif tout au long de l’année. En 2014, les Offinités présenteront un nouveau visage, signe de la confiance du Président Greg Germain et de Christophe Galent, chargé des actions culturelles.

On dit souvent que la ville d’Avignon constitue une utopie, le temps du mois de juillet. Laboratoire à ciel ouvert, lieu de rencontres et d’imprévus, cette ville et ce Festival nous imprègnent comme nul autre. Il nous donne à vivre et à respirer. En cette période de crise, de radicalisation et de repli, nous avons besoin du festival pour rêver, pour penser, et pour créer.

Depuis 2005, date de la création du blog, notre projet vise à mettre en mouvement la place du  spectateur, en reliant son esprit, ses sensibilités et son corps pour prendre à rebours le rapport statique et consumériste, généralement proposé au public des arts vivants.

Situés à Paris, Montpellier, Marseille, Rennes, Nantes, nous, Pascal Bély, Sylvie Lefrère, Philippe Lafeuille, Bernard Gaurrier et Sylvain Saint-Pierre, sommes regroupés autour d’une  aspiration : un grand, un beau spectacle, place le spectateur dans une posture créative qu’il s’agit de recueillir, de faire vivre, de préserver. Loin d’une logique institutionnelle ou académique, cette parole recueillie vise à interroger le sujet et sa place dans le monde. C’est le sens de nos rendez-vous de l’été prochain: écouter ce qui fait écho en nous, ce qui nous interroge et conduit notre pensée à cheminer, à opérer des liens, à donner envie aux autres de vivre pareille expérience.

Spectateurs actifs, nous sommes Tadorne lorsque nous œuvrons dans nos activités professionnelles respectives (la petite enfance, l’éducation, le handicap, la chorégraphie du corps social) pour essayer de les faire déborder et de les mettre en relation avec les enjeux artistiques qui nous touchent. Sensibles aux idées, nous cherchons à interroger le propos d’un artiste pour le relier avec un moment vécu. Ainsi, nous espérons décloisonner les espaces et les esprits, ouvrir de nouveaux champs à la perception, instituer de nouveaux rapports entre les acteurs sociaux et artistiques. Car si la société actuelle nous apparaît comme figée, compartimentée, il nous appartient de réfléchir à un nouveau modèle de relation au spectacle vivant.

Nous sommes Tadorne lorsque nous vivons un spectacle et lorsque nous l’écrivons. Mais aussi et surtout, lorsque nous rencontrons d’autres spectateurs, désireux de s’affranchir des postures et des rôles préétablis. Nous sommes donc Tadorne dans notre façon de travailler le collectif, de le mettre en jeu et en mouvement, afin de rendre vivants les arts qui ne le sont parfois plus. Nous croyons, avec la chorégraphe Pina Bausch, que la scène donne à vivre quelque chose d’indéfinissablement doux et profond, qu’on pourrait appeler «tendresse». C’est cette tendresse artistique, non dénuée de virulence parfois, que nous voulons vivre, et que nous voulons partager. Pour ce faire, nous serons des accompagnateurs désireux de faire émerger une nouvelle relation au Off.

Aussi, dès le 10 juillet, nous proposerons au public d’Avignon d’intégrer un ou plusieurs de nos groupes de spectateurs. Nous irons voir ensemble trois spectacles (entrecoupés de séquences d’écoute créative de nos ressentis) pour rejoindre à 17h, au Magic Miror, espace central du OFF, le chorégraphe Philippe Lafeuille. Il nous aidera à mettre en scène nos ressentis, notre parole critique et créer un dilaogue public avec les autres spectateurs présents.

L’agenda est le suivant :

10 juillet – «Le Grand Off du tout-petit» – Les professionnels de la toute petite enfance vont au spectacle et nous immergent dans l’univers foisonnant de la création pour tout-petits.

12 juillet – «Le Grand Off des petits et grands»- Parents et enfants (de 8 à 15 ans) vont au spectacle et restituent: «Qu’avons-nous vu ensemble? »

14 juillet– «La critique en Off des spectateurs Tadornes» – Les animateurs du blog «le Tadorne» et d’autres spectateurs vont au spectacle et s’interrogent: «C’est quoi être un spectateur Tadorne?»

16 juillet – «Le vrai Off des managers-chercheurs» – chercheurs, manageurs, décideurs vont au spectacle et s’interrogent: «et si la question du sens se travaillait dans les relations humaines incarnées au théâtre? »

18 juillet – «Le bel Off du lien social » – Les professionnels du lien social vont au spectacle et s’interrogent: «Comment le théâtre évoque-t-il la question du lien? »

20 juillet – «L’étrange Off vu d’ailleurs» – Un groupe de spectateurs étrangers vont au spectacle et s’interrogent: «Le langage du théâtre est-il universel? »

22 juillet – «Le grand écart du Off» – Des spectateurs passionnés de théâtre découvrent la danse et inversement : «Danse – Théâtre: un même mouvement? »

24 juillet – « Le Off est-il in?» – Un groupe de spectateurs  in-off fait le bilan du festival.

Sylvain Saint-Pierre. Tadorne.