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Festival d’Avignon – Metteurs en  scène en péril.

Il est 17h50. La file d’attente  se forme à l’intérieur du théâtre de Montfavet près d’Avignon pour “Intérieur” de Claude Régy. Les intermittents s’adressent à la foule des spectateurs agglutinés dans le couloir. À Manuel Valls, ils envoient leur leitmotiv “Non merci!“. Le discours est en boucle depuis dix jours et sature visiblement le public. Puis, la consigne donnée par Claude Régy, metteur en scène âgé de 91 ans nous est communiqué: « à partir de maintenant, vous êtes priés de faire silence et d’entrer sans parler dans la salle ». Quelques minutes plus tard, une autre information nous est assignée : “Nous vous invitons dès que vous serez assis à vous serrer pour faire entrer le plus de spectateurs possible“. Dit autrement, le festival a besoin d’argent et nous demande son aide. Nous sommes quelques-uns à répondre, « Non merci ! ».

Cette anecdote me paraît symptomatique de ce festival qui, à bien des égards, aura joué une vision autoritaire, mercantile de l’art illustrant la crise qui traverse le métier de metteur en scène. En écoutant le débat entre Marie-José Malis et Thomas Ostermeier (tous deux programmés à Avignon), nous apprenons sa disparition inéluctable, faute d’auteurs qui n’acceptent plus que leur texte soit malmené, voire anéanti.

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En assistant pétrifié à « Intérieur » de Claude Régy, je me suis remémoré cette prédiction. En effet, le texte de Maurice Maeterlinck sort essoré d’une mise en scène alourdit par un jeu d’acteurs inspiré du théâtre No et où Claude Régy métamorphose le jeu de cette troupe japonaise en sanctuaire à la gloire de son esthétique théâtrale. Je refuse rapidement d’entrer en religion et attends patiemment de pouvoir sortir d’un théâtre qui m’oppresse.

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Lui n’impose rien à priori. Point de rituel à l’entrée du gymnase Aubanel. Juste, un filet qui sépare la scène et la salle et où sont projetées différentes séquences vidéos. Fabrice Murgia, metteur en scène Belge, est enfin adoubé par le In après avoir fait ses classes dans le OFF. « Notre peur de n’être » est librement inspiré d’un texte de Michel Serres, « Petite Poucette »,  manifeste joyeux et lucide sur la nouvelle génération née avec internet et baignée dans l’univers interactif des smarphones. Ici, la visée dynamique de Michel Serres est plongée dans la vision apeurée et dépressive de Fabrice Murgia qui dessine à gros traits le portrait d’un homme endeuillé, d’un fils cloitré dans l’univers du Net, d’une jeune femme en recherche de reconnaissance de ses compétences créatives dans les nouvelles technologies. Je suis rapidement saturé par un flot d’images au service d’un spectacle sans vision, autocentré sur des personnages qui, sous la caméra de Murgia, peinent à savoir où ils vont sur une scène de théâtre. Ici, la scénographie prend le pouvoir au service d’une esthétique téléguidée pour la télévision. Ainsi va le théâtre dirigé par un metteur en scène trouillard (la lettre lue à l’issue de la représentation est à ce titre éloquente.)…

La peur, encore elle, est au centre de la création de Marco Layera avec « La Imaginacion del futuro ». Ici, les derniers instants d’Allende sont retracés à gros traits d’humour et de cavalcades d’acteurs afin de projeter l’Histoire dans le contexte d’aujourd’hui. Ainsi, les ministres n’ont pour discours que ceux formatés pour la télévision ; ils prennent de la cocaïne volée dans la poche du Président ; font du théâtre participatif en forçant le public afin d’aider un jeune chilien en besoin d’éducation avant qu’il ne soit transpercé par une balle. Je ris à la pression exercée par une actrice envers un spectateur en le menaçant d’une fellation. Je ris quand Layera décrit Marine Le Pen sous des aspects scatologiques. Mais après quelques jours, le malaise s’installe. Qu’ai-je vu si ce n’est une approche binaire de l’Histoire où sans la déliquescence du système politique d’Allende, il n’y aurait pas eu la dictature de Pinochet. Ici, un metteur en scène découpe à grands traits les pages du livre d’Histoire pour produire un théâtre du chaos réactionnaire et finalement autoritaire : à ce jeu-là, Marco Layera prépare la venue d’un art révisionniste au service d’un pouvoir fasciste. Pas sûr qu’il apprécie ce raccourci futuriste et pourtant…

Une création ne mentionne plus la fonction de « metteur en scène » mais celle de « concepteur ». « An Old Monk » est la rencontre d’un auteur (Josse de Pauw) et d’un compositeur de jazz, Kris Deffort. À deux, ils ont conçu un spectacle déroutant et généreux sur le processus de vieillissement ou comment le jazz et la danse déjouent l’inéluctable (à savoir , s’assagir quand on la mécanique du corps ne suit plus). Ici, le jazz accueille le texte pour que la danse d’un « moine » (“monk”) plus tout à fait jeune dégage une énergie communicative vers les spectateurs. Tel un fluide qui se propage, je me surprends à bouger de mon siège comme si ma cinquantaine approchant se défilait par la grâce de ce quatuor. La « conception de ce spectacle »  célèbre une pensée florissante sur la régénération d’où jaillit un jazz résistant et fragile. Rien n’est sanctuarisé, ni revisité. La scénographie se limite à la projection de photographies de Josse de Pauw où sa silhouette d’homme nu se transforme en œuvre d’art pour déjouer les codes usés qui nourrissent notre regard sur la vieillesse.

Peu à peu, j’apprivoise son corps un peu tordu et me prends à rêver de poser ma tête sur son gros ventre pour y écouter le gargouillis jazz-band, métaphore d’une nouvelle civilisation où tout se réinvente par la magie des nouages créatifs.

Pascal Bély – Le Tadorne

Au Festival d’Avignon :
« Intérieur » de Maurice Maeterlinck par Claude Régy.
« Notre peur de n’être » de Fabrice Murgia.
« La imaginacion del futuro » de Marco Layera.
« And Old Monk » de Josse de Pauw et Kris Defoort.
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Festival d’Avignon – Humains précaires, théâtre poussière.

Ce matin, une brume inhabituelle m’accueille à Avignon. Une façon de voiler ma vision sur ce festival. En arrivant par la rue de la République, les affiches accrocheuses des premiers théâtres m’agressent. La ville se réveille doucement entre les premiers touristes et les commerçants qui s’activent. Rien ne laisse transparaitre que la lutte continue après le mois de grève au Printemps des Comédiens de Montpellier. Je ne vois pas d’affiches concernant les intermittents, précaires et chômeurs. La ville semble s’animer comme si de rien n’était. Les artistes croisés disent vouloir jouer.

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Devant un théâtre du Off, sur le sol, un jeune homme finit de peindre une affiche : “Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous“. Il ne peut pas l’accrocher dans le théâtre où il travaille: c’est un lieu privé et seul un vote de l’ensemble des artistes et techniciens peut l’autoriser. Je lui propose de la laisser sur l’espace public pour ainsi échanger avec les passants. Il est temps d’ouvrir les débats, hors des institutions.

L’attente dans les files d’attente est un spectacle vivant. Plus tard, dans une supérette, une vendeuse demande successivement à trois personnes de sortir, car elles parlent trop fort. Elles sont sans domicile fixe. Un client questionne l’un d’eux en l’invitant à parler de lui au lieu de haranguer les autres sur leurs origines ! Il ressent l’homme précaire derrière ses mots. Mais dans le magasin, cet état de solitude sociale n’émeut plus, et semble faire plutôt peur. Dans les années 80, on réclamait de la solidarité, mais maintenant on baisse les yeux…Je n’oublie pas ce dimanche soir de mars où, dans le centre d’Avignon, les résultats aux dernières élections étaient très serrés en faveur du FN…

Human” d’ Alexandre Singh, première pièce du Festival In ouvre mes pupilles sur l’état de notre monde. C’est un cabaret berlinois teinté de Comédia del Arte. Ce ne sont pas les formes que je préfère, mais j’ai été tenue par le fond. Ces hommes et ces femmes, tels  «les 12 hommes en colère», semblent sortis d’un musée poussiéreux, à l’image de  la vieille Europe. Le maitre est la caricature de nos décideurs, sûr de son savoir et jouant sur le pouvoir. Les rapports de force vont se dérouler insidieusement dans un sens puis dans un autre, comme une bobine de fil…le fil se tend jusqu’à rompre.

J’ai l’impression d’être devant une pièce pour jeune public, où le lapin et le chat trop gentils finissent à la casserole dans un conte de fées. Mais la magie n’opère pas. On prend le spectateur au second degré  pour se mettre au niveau de sa pensée. La scatologie coule dans le satin pour ne pas heurter. Les chants montent dans les aiguës pour nous faire passer des messages subliminaux en nous positionnant comme des disciples. Mais l’incantatoire, je ne veux plus l’entendre.

Spectatrice, j’attends d’être bousculée, bouleversée, énergisée, par de la matière qui me permettrait de penser notre monde complexe.

Ce premier spectacle est une farce qui résonne dans le contexte actuel. On est dans tous les états, mais tout est figé.

Ce théâtre-là n’est pas à la hauteur de ce qui nous arrive…

Sylvie Lefrère – Tadorne.

« The Humans » d’Alexandre Singh au Festival d’Avignon du 5 au 9 juillet 2014.

 

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Sortie en vidéo de “Mort à Venise” par Thomas Ostermeier.

Voir une pièce de théâtre après une journée de travail met à vif mes attentes envers un spectacle. Encore plus lorsqu’il émane d’une «figure» importante du monde théâtral de ces dernières années, représentante attitrée d’un «théâtre politique» qui se veut renouvelé. Ce mardi en fin d’après-midi, je quitte mon établissement scolaire. Comme bien d’autres de ce type, il est confronté à de nombreuses difficultés aussi bien individuelles que collectives : un corps social en décomposition, des attitudes pulsionnelles de repli qui fissurent toute idée d’unité et de vie en commun, même si coexistent aussi des affects démultipliés, des appels à la solidarité et des manifestations d’humanité. Ces paradoxes sont particulièrement difficiles à penser, car y être confronté au quotidien présente le risque de manquer de discernement et de perspective ; tandis qu’adopter une posture distanciée peut faire manquer l’objet. Comment, cependant, faire l’impasse sur ce qui synthétise à bien des égards les enjeux politiques majeurs de notre temps ?

De mon établissement d’éducation prioritaire au Théâtre de la Ville de Paris, j’espère un changement de décor, mais pas seulement : ce qui importe, surtout, est d’essayer de penser notre monde et ce qui peut faire corps de nos jours. «Mort à Venise», le roman de Thomas Mann interroge l’intime, la transgression et l’attrait du mal. Mais ce récit présente surtout l’impossibilité d’un ailleurs. D’un espace à part, d’une utopie. La contamination progressive de Venise montre qu’il ne suffit pas d’être sur une île pour se préserver du choléra…ni place du Châtelet pour que «la banlieue» et ses problématiques s’évaporent. Cela pourrait faire justement l’objet d’un travail artistique, mais encore faut-il en avoir conscience.

L’adaptation du roman par Thomas Ostermeier repose sur un dispositif cynique davantage que scénique : fausse construction contre vraie déconstruction à moins que ce ne soit l’inverse, la mise en scène fait outrageusement penser au travail que Katie Mitchell a mené dans sa trilogie – Christine, d’après Mademoiselle Julie ; le Papier peint jaune ; Reise durch die nacht (Les Anneaux de Saturne entrent également dans cette catégorie). Il reprend presque tel quel le dispositif : des comédiens comme pure présence physique, une accession à leur intériorité par une voix-Off avec traduction immédiate, des images filmées/projetées en direct qui grossissent le plan du visage pour en accentuer les nuances d’expression, un jeu sur le champ-contrechamp invisible, mais prévisible : «La Mort».…Des images vidéos, donc, qui explicitent ce qui l’est déjà et n’a nul besoin de l’être davantage : les personnages d’Aschenbach, de Tardzio et de sa famille bourgeoise ; l’hôtel de villégiature ; le rythme des repas et des sorties à la plage. Il faut reconnaître à la mise en scène de chercher à s’affranchir du film de Visconti. Mais cette présence de la vidéo désincarne une relation que le metteur en scène peine à élaborer, des personnages entre eux ou avec le public. Le jeune Tadzio joue sur I-Pad un jeu de guerre..image sur image…pour quoi ? Cette pseudo-modernité s’avère en réalité bien stérile : elle traduit une relation en miroirs qui ne réfléchit jamais le dehors. Une façon de déconstruire le mythe qui se veut amusante, mais qui est surtout snob et condescendante. On croirait voir une mise en scène théâtrale du directeur de la rédaction de Libé : de la «déconstruction mondaine», comme lorsque le spectacle est perturbé de façon artificielle par un comédien qui interrompt le jeu de tous, demandant de rallumer les lumières. Imprévu tellement prévisible, qui ne fait d’ailleurs par rire grand monde. Ou lorsqu’un musicien et des danseurs flamenco font irruption sur scène…on se demande alors si Ostermeier ne confond pas l’Espagne avec l’Italie… ce sont certes deux pays du sud de l’Europe…Le «cirque médiatique» de ce spectacle se donne même à voir explicitement, lorsqu’un extrait d’article de journal est filmé puis projeté : il s’agit de propos critiques de Thomas Mann sur son roman, le qualifiant de «mi-érudit et mi-raté». Le théâtre politique se résumerait donc à cette plate ambition : être le média des médias…

1h20 de spectacle, ce peut être très long. L’accueil des spectateurs est mitigé. Visuellement belle, dotée d’un accompagnement musical superbe (piano comme caisse de résonance des désirs fous d’Aschenbach), la mise en scène ne suffit pas à penser l’objet. Le final, qui voit les soeurs de Tadzio se transformer en Erinyes dans une chorégraphie grotesque, ne laisse pas seulement vide la scène : où est le propos ? Où est le politique ? Où est ce théâtre prétendument engagé qui inviterait à re-panser le corps social ?

Thomas Ostermeier fait de la scène et de l’intime des îlots privilégiés, manifestement sans se douter que reléguer le réel dans un hors-champ conduit à une impasse : le retour du refoulé, toujours prompt à resurgir, comme nous le rappelle le roman. Mort à Venise, au Châtelet ou en « banlieue », les questions fondamentales restent en suspens…

Sylvain Saint-Pierre, Tadorne.

"Mort à Venise", mise en scène de Thomas Ostermeier au Théâtre de la Ville de Paris du 18 au 23 janvier 2013.
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La rupture entre l’art et la culture: jubilation du sujet, consentement de l’objet.

Par Sylvain Pack.

Antonin Artaud expliquait dans un discours véhément et justifié la rupture entre l’art et la culture. Il m’est donné de vérifier au fur et à mesure le bien-fondé de ce constat. La majorité des organismes culturels et de ses agents occultent constamment les questions de la création, qui représentent, pour leur système de programmation, de sérieuses menaces intellectuelles. On pourrait arguer, à mon encontre, que leur réseau et leur moyen grandissant indiquent une curiosité accrue pour les contenus, envie plus manifeste de participer à cette aventure totale et inconsciente qu’est l’art, mais cet effort de compréhension semble du moins contrarié par la rançon du résultat, du chiffre et des sondages. Le culturel est un métier du tertiaire florissant. Sans lui, moins de bruit, de buzz, de parade, de prix, de cocktails, du coup comprenez bien : moins de raisons honorables pour investir, déplacer des capitaux et finalement masquer les jeux du pouvoir en place. Ce que je me propose de critiquer est le tissage du voile à travers lequel nous pouvons observer pourquoi la relation de l’art à l’autorité a été forcée. Ceci dans une régression suspecte qu’on présente sous maints boniments et travestissements du langage raisonné : jubilation du sujet et consentement de l’objet.
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Cette formule nous ramènera à ce qui nourrit, consciemment ou non, l’activité et les motifs  de la programmation culturelle, ceci dans les espaces consacrés, dans la cité, dans la rue, dans l’école, et jusqu’au domicile par le “triumédia” : tv/radio/net. Le sujet star, la figure thématique concentre et permet aux responsables d’exprimer leurs références, leurs goûts, au pire d’inviter quelques faire-valoirs. De fait, certains tenants de la culture ont spécifiquement un goût prononcé pour l’idée de carrière et de reconnaissance au sein de leur milieu social, ce qui a pour conséquence protection et placement d’intérêts personnels là, où, au contraire, l’expérience artistique met en avant curiosité, don, vacuité. Dans une époque où l’appât du gain atomise la société et y conçoit ségrégations et minorités, l’artiste ne peut rester indifférent aux flux financiers souterrains qui gouvernent notre monde, qu’il les méprise souverainement ou qu’il s’en mêle en plein. L’investissement dans l’art même n’a aucun sens. Duchamp, Klein, Manzoni ou plus récemment des artistes comme Hirschorn l’ont intégré ou mesuré à leur production. Or la question de la valeur monétaire de l’art est en fait toujours subsidiaire, ou corrélative à un sujet bien plus vaste qu’est la sélection esthétique faite par le temps qui passe. L’artiste peut, lui aussi, être un spéculateur, inquiet pour sa réputation, stratégique pour sa diffusion, mais il y a peu de chance que ces comportements influent directement sur le nerf de son activité. Et si cet amalgame se révèle dans son oeuvre, « la faucheuse de l’histoire de l’art » ternit bien vite la valeur usurpée de l’imposteur. Cependant je prendrai parti, malgré la présence massive de ces faiseurs, pour l’artiste contre son soit-disant bienfaiteur, comme l’ont fait Giacommetti ou Rothko à leur époque, recommandant la plus ferme attitude vis à vis de leurs commanditaires et de leurs commissaires.
Pour éviter tout éducation du citoyen, de son conditionnement, l’artiste devrait s’affranchir complètement du professeur ou du parent qui lui soumet un sujet, afin qu’il devienne le filtre de son propre suc, raréfiant ses potions ou multipliant ses accidents, à l’envers de la réussite, de l’obéissance, de l’intégration, du socialisme. Il faut pouvoir accepter cela, il faut être prêt à l’entendre pour comprendre le pacte indéfectible qu’entretient l’art avec la liberté.
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Ce qui s’est mis en place, et ce qu’avait sans doute déjà observé Artaud, est la dangereuse proximité entre l’institutionnalisation, la muséographie de l’art et les fondements créatifs. Les agents de production, de programmation et de communication interfèrent régulièrement dans les processus de création, désireux de regards attentifs, puis d’aimables conseils, enfin de préventions, de craintes et finalement de compromis. Cet accompagnement malhabile aboutit souvent à du consensus ou à de la méprise. Depuis cette infiltration, l’aspect quantitatif, hétéroclite et structurel des expositions ou des festivals a amplement gagné du terrain. De gentils organisateurs défendent la culture pour tous, la sensibilisation en des termes empruntés, conciliants ou provocants (selon l’occasion et la clientèle) qui cachent difficilement la manipulation et la hiérarchie du savoir. Si la connaissance est une chance pour qui sait s’en servir, si tout un chacun a le droit d’y accéder, l’art n’a plus pour mission de servir ou de soigner la société et c’est un pas en arrière que de le penser ainsi. C’est oublier son progrès intellectuel et spirituel, ainsi que tout le travail de sape des avant-gardes. Beaucoup d’artistes savent qu’ils collaborent dangereusement à cette trahison, qu’ils jouent à entretenir les systèmes de commande et d’artisanat contre lesquels se sont battus leurs aînés qui les précèdent et qu’ils admirent. Jouer avec l’institution publique, privée ou y résister est une des grandes affaires de l’artiste, aujourd’hui plus qu’avant, car, à son niveau ministériel ou entrepreneurial, la culture, qui fait appel à l’art, au patrimoine, à l’architecture, est devenu le levier économique de l’urbanisme, de l’afflux des capitaux et du tourisme d’affaires. Autrement dit, l’intérêt caché de ses mouvements n’est nullement expérimental. Il n’y a pas de gratuité, de recherche, de beauté du geste. Ce qui occupe le temps de ces transactions est le calcul le plus strict d’un résultat et de son bénéfice. Ceci va à l’inverse de l’indépendance de l’art et de ses pratiques. Il y a donc un hiatus, un jeu de dupe grossier, dans lequel s’illustre de manière évidente un nouveau venue sous le nom plus direct de mécénat d’entreprise. Si vous suivez mon raisonnement, la soumission de l’objet artistique y est comme prévu, « programmé »… Or le rapport entre la jubilation du sujet et la soumission de l’objet pourrait évoquer une forme plus subtile et indéfinie du viol consenti. Processus individuel et communautaire, en œuvre par exemple dans les réseaux sociaux, résultat des lobbys et de la publicité sur notre humanité confronté à un demi-siècle de violences ultra-libérales.
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Festival d’Avignon – Bel Honneur de la Cour à France 2.

From: Sylvie Lefrere < lefrerepuer@aol.com

Envoyé : mercredi 17 juillet 2013 17:10

To: Pascal Bely<pascal.bely@free.fr>; s.saint-pierre@hotmail.fr>

Chers amis,

Ce soir, nous nous retrouvons tous les trois au Palais des Papes pour la dernière création de Jérôme Bel, «Cour d’Honneur», traitant de la mémoire des spectateurs autour de ce lieu mythique. J’en attends beaucoup, car cette posture du spectateur est un sujet qui m’alimente et me questionne au sein de notre groupe de Tadornes ! Voyons comment Jérôme Bel pose sa patte créative, en écho avec la singularité de ces personnes. Seront-ils en lien avec les artistes qui incarnent ces souvenirs? Quelle vision vont-ils dégager pour l’avenir?

A très vite pour partager avec vous cette expérience artistique unique!

Amitiés,

Sylvie

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From: Sylvain Saint-Pierre <  s.saint-pierre@hotmail.fr

Envoyé : jeudi 18 juillet 2013 09:10

To: Pascal Bély<pascal.bely@free.fr>; Sylvie Lefrere < lefrerepuer@aol.com

Chers amis,

Nous avons vu «Cour d’honneur» hier soir et je me sens encore comme prisonnier de cette représentation. Alors je réfléchis…  Me promenant hier après-midi avant le spectacle dans la superbe bibliothèque de la Maison Jean Vilar, je suis tombé, comme par hasard, sur un ouvrage qui n’a pas manqué d’attiser ma curiosité: un livre regroupant les mails échangés entre Boris Charmatz et Jérôme Bel de 2009 à 2010. Chers amis du Tadorne, peut-être pourrions faire de même pour notre article sur «Cour d’Honneur» de Jérôme Bel! Et, à notre tour, utiliser cette forme moderne, auréolée de nombreux atouts: expérimentale, elle révèle l’intime tout en accordant une valeur de manifeste aux moindres sourcils de la pensée! Comme ces deux chorégraphes, adonnons-nous, une fois n’est pas coutume, à l’entre soi comme moyen de communication!

Certes, nous aurions pu imiter une fois encore Jérôme Bel, et utiliser Skype, comme il le fait dans son spectacle. On y voit Isabelle Huppert (tant attendue comme tête d’affiche de la pièce) en direct d’Australie, «malheureusement très déçue de ne pas pouvoir être là, avec nous», trop occupée par un tournage… Mais dites-moi, un tournage, comme ça, à l’improviste? Qu’on se console! Le «théâtre expérimental» s’est alors «ouvert» à Internet pour permettre au public d’assister, à distance, à quelques minutes de jeu de la «star» interprétant Médée. Extraordinaire «générosité» puisque, nous est-il dit, il est alors 7h du matin en Australie et jouer Médée entre deux croissants et un café, c’est bien le signe que ces artistes savent s’engager et faire don d’eux-mêmes. La «générosité», maître mot de la pièce, repris en boucle dans la presse…On le voit: à travers cette présence-absence d’Isabelle Huppert, ce rapport à l’image ainsi qu’au texte écrit, cette fausse dénonciation des faux-semblants théâtraux au service d’une manipulation des affects, beaucoup de choses sont en jeu dans ce spectacle.

Je crois qu’il faudrait d’emblée évacuer la «question Jérôme Bel». Ses succès passés, en tant que danseur, chorégraphe, ses liens avec des figures essentielles de la danse contemporaine comme Anne-Theresa de Keersmaeker, sa filiation revendiquée avec des auteurs comme Barthes et Godard. Sa façon de théoriser la «non-danse», de privilégier le concept aux affects, le quantitatif au qualitatif, d’être au croisement de l’art scénique et de l’art contemporain. De dénoncer les artifices de la cérémonie théâtrale. D’ailleurs, personne ne parle mieux de Jérôme Bel que Jérôme Bel, donc inutile de le faire à sa place…En 1995, déjà, il conçoit un spectacle à son nom et je l’imagine bien tenir un jour sur scène le rôle de Jérôme Bel…expliquant au public ce que c’est, d’être Jérôme Bel… Avec, bien entendu : une chaise, un micro, un spot de lumière.

L’important, en ce qui nous concerne, c’est la pièce : «Cour d’honneur». Car souvenez-vous: ce spectacle qui convoque les souvenirs de spectateurs sur «leur» Cour d’Honneur, nous l’avions rêvé!

J’attends avec impatience vos premiers retours.

Je vous embrasse,

Sylvain

From: Pascal Bély <pascal.bely@free.fr  

Envoyé : jeudi 18 juillet 2013 23 :30

To: Sylvain Saint-Pierre<s.saint-pierre@hotmail.fr>; Sylvie Lefrere < lefrerepuer@aol.com

 

Chers amis,

Ton mail est une bouffée d’oxygène au moment même où je lis la revue de presse de ce spectacle. L’unanimité autour de “Cour d’Honneur” en dit long sur l’incapacité des critiques à penser le positionnement du spectateur, qu’ils voient toujours dans une posture asymétrique avec les artistes.

Effectivement, je ne désire pas théoriser sur Jérôme Bel. Par contre, je m’interroge plus globalement sur un système qui le dépasse probablement bien qu’il en soit une pièce maîtresse. Le Festival d’Avignon n’a pas assumé la production de cette œuvre. En effet, après avoir créé un mécénat plus que douteux avec Total Congo pour l’accueil des spectacles africains, le Festival a positionné France Télévisions comme coproducteur de «Cour d’Honneur» (le spectacle sera diffusé le 19 juillet sur France 2). Déjà en 2010, je m’étais ému de la présence du groupe télévisuel dans la production de «Angelo, tyran de Padoue» de Christophe Honoré où je dénonçais un théâtre qui «sidère par l’image et inquiète par sa tyrannie rampante. En phase totale avec le projet politique du pouvoir en place qui fait de la télévision le vecteur des esthétiques à la mode et des discours autoritaires.»

Quatre années plus tard, Jérôme Bel réussit à penser son théâtre exclusivement pour la télévision à l’image d’un «loft story» où la Cour n’est qu’un confessionnal grandeur nature pour quatorze spectateurs venant à tour de rôle se confesser sur leur souvenir (la plupart du temps anecdotique), nous positionnant, non en penseur sur le lien spectateur-œuvre, mais en voyeur. Chacun est dans sa catégorie, isolé l’un de l’autre (la télé aime la classification), où rien ne les relie (la télé aime ce qui s’empile…les téléspectateurs peuvent zapper comme bon leur semble…). Symboliquement, chacun se lève de sa chaise pour venir vers…et non la télévision qui irait vers eux. En phase totale avec le projet du chorégraphe qui, en 2011,  faisait un appel à participation pour “Cour d’Honneur” et recevait à l’École d’Art les postulants. Ainsi, Jérôme Bel a choisi ses spectateurs, pour les catégoriser et assurer l’audimat. C’est à l’image d’un Festival qui, n’ayant plus aucune visée, programme en fonction des profils sociologiques du public. La boucle est bouclée. Tout un système de production –diffusion se met en place dans un lien purement consumériste de l’art où à chaque spectateur correspond un souvenir, un spectacle, avec la télévision comme miroir narcissique.

Qu’en dîtes-vous? Une fois de plus, je me ressens totalement décalé avec un système culturel soumis aux lois de la marchandisation de la relation spectateur – art…

Amitiés,

Pascal.

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From: Sylvie Lefrere < lefrerepuer@aol.com

Envoyé : vendredi 19 juillet 08:26

To: Pascal Bély<pascal.bely@free.fr>; s.saint-pierre@hotmail.fr>

Bonjour,

Oui Pascal, tu peux avoir confiance dans tes ressentis. Je suis sortie également écrasée par ce spectacle écrit pour la télévision. Deux heures de tirades réductrices sur le propos du spectateur. Chacun part de sa chaise, surjoue le jeu qui lui est indiqué. Leurs places sont vides de sens et de vivant. Effectivement, leur représentation dessine une palette parfaite du système: quatorze individus, hommes, femmes, d’âges divers, mais tous blancs de peau, quasiment tous de la classe moyenne (avec surreprésentation de l’Éducation Nationale). Jérôme Bel vise à n’oublier  personne notamment le CEMEA (pièce maîtresse de l’éducation du spectateur) jusqu’à creuser le fossé entre le  OFF et le IN à partir d’un témoignage totalement démagogique. Je me suis ressentie figée comme eux dans cette mémoire mortifère, dans ce congélateur culturel.

Je repense à ma jubilation lors des deux dernières créations de Jérôme Bel («Disabled theater», «The Show must go on», «Cédric Andrieux»…). Ici, il ne reste plus rien de la liberté d’expression qu’il savait mettre en scène. Nous sommes écrasés dans cette Cour comme dans une cour de récréation, le jour de la rentrée.

Je n’ai observé aucune interaction entre eux. Ils ne se retrouvent ensemble que lorsqu’ils regardent les artistes (Isabelle Hupert, Samuel Lefeuvre, Antoine le Menestrel, Agnès Sourdillo, Maciej Stuhr, Oscar Van Rompay) qui ne se produisent que quelques minutes. Ils sont tous pétrifiés comme les pierres de ce palais, le regard tourné dans le même sens, pour former une masse linéaire. Se positionner comme spectateur n’est-il pas justement de regarder à différents niveaux et d’être en mouvement?

Les bribes de spectacles sont réduites à une offre minimaliste: une musique, une escalade, un duo de textes…c’est du pointillé, alors que nous avons besoin de lien. Le geste, la parole ne circulent pas. La scène est réduite aux poussières des représentations, des textes, à l’image de cette spectatrice qui souhaite que ses cendres soient répandues dans la Cour!

À la sortie, on nous propose un texte pour nous expliquer ce qu’est le spectateur à partir d’une recherche de Daniel Le Beuan (présent sur scène) comme pour mieux signifier le pouvoir savant d’une relation descendante.

Je ne décolère pas…

Amitiés,

Sylvie

 

From: Sylvain Saint-Pierre <  s.saint-pierre@hotmail.fr

Envoyé : vendredi 19 juillet 2013 12:02

To: Pascal Bely<pascal.bely@free.fr>; Sylvie Lefrere < lefrerepuer@aol.com

Chers amis,

Je me réjouis de votre participation à cet échange de mails. Effectivement, nous espérions la libération d’une parole neuve portée par des individus, faisant résonner les échos de ce lieu exceptionnel. Un coup d’éclat où l’esthétique aurait rejoint le politique. Un spectacle à la hauteur de la Cour.

La «non-danse» de Jérôme Bel aurait pu constituer une réponse originale, impertinente, poétique ; mais dans ce spectacle, il a choisi le «non-propos», ce qui est radicalement différent. Tout en étant, de mon point de vue, profondément méprisant pour les spectateurs réduits à l’état de télé-spectateurs, eux-mêmes envisagés uniquement sous forme de clichés.

La «non-danse» ouvre des brèches dans la représentation théâtrale, permettant au spectateur d’être créatif en imaginant/sentant.

Le «non-propos» à l’œuvre dans Cour d’honneur donne à entendre un discours biaisé, uniformisé, instrumentalisant tout (spectateurs sur scène, public, lieu, extraits d’autres pièces), à des fins qui laissent un gout amer. À titre d’exemple, la plupart des interventions ont mis en avant les dix dernières années du Festival, soit celles du couple Archambault-Baudriller (actuels directeurs du Festival dont le mandat se termine le 1er septembre 2013). Seuls vestiges du passé: Pina Bausch, Vitez et L’École des femmes…Le «non-propos», c’est exactement ça : l’absence d’idée (intellectuelle, scénique) en elle-même théorisée. Cherchant à faire croire au spectateur qu’ainsi, il est libéré d’une manipulation de l’Auteur…alors même que le parcours est parfaitement balisé au profit d’intérêts qui échappent le plus souvent au public. Comme vous le dîtes, ce dispositif façonne le profil d’un spectateur-consommateur tout en lui faisant croire qu’il est actif. En l’occurrence, nous avons assisté hier à l’éloge à peine dissimulé des deux directeurs du Festival d’Avignon par Jérôme Bel.

L’horizon aurait pu être l’Histoire, le collectif, l’art, dirais-je naïvement…ce sera celui d’une seconde partie de soirée sur France 2. Souhaitons au moins à Jérôme Bel que l’audience soit bonne…

Je vous embrasse,

Sylvain.

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ETRE SPECTATEUR HIVERNALES D'AVIGNON PAS CONTENT

Hivernales pensées pour un printemps de la danse.

Chaque année, je m’accroche à ce festival…sait-on jamais…Mais depuis quatre ans, toujours la même déception: propositions artistiques convenues (quand elles ne sont pas expérimentales au plus mauvais sens du terme);  absence d’ambition, de visée alors que la danse a longtemps éclairé les arts de la scène; public vieillissant qui ne se renouvelle pas d’où des salles clairsemées. Ce festival n’a aucun projet à part de maintenir son image, justifier son existence même s’il faut pour cela balader le public dans des lieux réputés hors du département. Faute de se remettre en question, sa direction fait appel au critique sulfureux du Nouvel Observateur pour se plaindre du prix des billets de train, du coût de l’électricité, …

Pourtant, l’affiche était belle. Très belle. Une invitation à la danse dans ce qu’elle a de plus fragile : son apparition, sa disparition. Mais une affiche ne fait pas le printemps…

Que pouvais-je attendre ? Plutôt qu’une thématique (la méditerranée cette année), j’aurais aimé un horizon. Il m’est arrivé de me ressentir habité à la fin d’un festival : «Cette année, la danse à…». Ici, rien. A la sortie de chaque spectacle, j’ai approché mon vide émotionnel: à la danse bavarde a répondu mon mutisme comme si mon engagement de spectateur ne trouvait aucun écho dans un processus de création.

J’ai cherché un propos, là où je n’ai eu que de la démonstration: ici des jeunes égyptiens  baladés sur scène par deux chorégraphes françaises en quête de légitimité ; là une danse qui produit de la matière à observer plutôt qu’un mouvement pour entrer en communication ; ailleurs des clichés sur la condition féminine à partir d’une chorégraphie elle-même habitée par des clichés sur la danse; ici encore, une soirée «israélienne» sous le  patronage du consul où la danse fait salon et se justifie d’exister…J’ai même eu à supporter la crise d’adolescence d’un chorégraphe comme si «chorégraphier» la bancalitude du monde était en soi une danse…

Dans ce festival, rien ne m’a été proposé avec générosité comme si ce n’était finalement pas une finalité. Le plaisir de voir de la danse n’est même pas un objectif : tout juste, un hasard…Je n’ai croisé aucun enfant dans la salle, encore moins sur scène. La danse les exclut d’autant plus qu’elle n’intègre pas les familles (inutile de cherchez le festif…). Pour cela, il vaut mieux voir du cirque : au moins cette discipline nous accueille-t-elle dans notre diversité…

Dans ce festival, le projet pour la danse n’est qu’un programme qui ne développe pas les publics. Parce que la danse incarne sa propre domination là où elle devrait englober, nous relier, faire de nous des spectateurs sensibles où nos fragilités seraient gage d’ouvertures.

Dans ce festival, on fait référence au bon vieux temps, à la direction précédente comme pour s’excuser de la médiocrité du présent avec cette désagréable impression d’être pris en otage entre un passé glorieux et un futur qui ne peut exister faute de ressource publique abondante.

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Je rêve d’un festival de danse où celle-ci serait célébrée, dans toute sa diversité ! Où artistes, spectateurs, chercheurs dialogueraient pour régénérer une PENSÉE, pour qu’elle irrigue la société. Toute la société.

Je rêve d’un festival où l’on débattrait sans fin des spectacles ! Où l’on ovationnerait le talent ; où l’on sifflerait l’imposture !

Je rêve d’un festival qui interrogerait en permanence mon désir de danse ; où l’intimité des corps m’évoquerait la douleur du monde.

Je rêve d’un festival sans thème, mais où la rumeur ferait entendre l’émotion collective d’un public passionné.

Je rêve d’un festival animé par un collectif de défricheurs, en profonde empathie avec les artistes, soucieux de préserver ce qui doit l’être pour ouvrir là où le pouvoir verrouille.

Je rêve d’un festival au printemps pour qu’à la sortie des spectacles, nous nous retrouvions dans la rue à oser danser et rire du temps paléolithique où nos corps frigorifiés fuyaient les rues balayées par un mistral glacial.

Je vous en conjure…il nous faut maintenant un printemps pour la danse.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS AUTOUR DE MONTPELLIER ETRE SPECTATEUR PAS CONTENT

Vous avez dit “spectateur”?

Qu’est-ce qu’être spectateur critique et engagé aujourd’hui ? Ces derniers mois, j’ai été  frappée par des comportements qui m’interrogent…Je suis face à des salles vieillissantes, composées d’abonnés de longue date. Assise à côté d’eux, je me suis senti gênée, tout comme d’autres spectateurs, par leurs commentaires à haute voix. Lors du dernier spectacle de  Decouflé à Nîmes, ils se sont comportés comme s’ils étaient dans leur salon devant leur télévision. J’ai été agacée par leurs remarques («ce n’est pas de la danse») à la fin d’un spectacle de Raimund Hoghe à Montpellier. J’ai surtout été outrée par leur violence à Sète à l’égard de Maguy Marin.

Qui sont ces spectateurs ? En veulent-ils pour leur argent de consommateurs ? La communication des lieux est-elle honnête lors de la présentation de saison? Ne fait-elle pas miroiter à  son public adhérant un divertissement garanti?

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De ma place de spectatrice, il me semble essentiel d’être dans une démarche de curiosité active. La lecture attentive des programmes, la connaissance des artistes ou le souhait de vivre une expérience sont mes critères de choix. Etre spectateur critique avant d’être consommateur. Je suis malheureuse quand je suis dans une salle à moitié vide, comme pour « Chatroom » par Sylvie de Braekeleer, l’année dernière au théâtre Jean Vilar de Montpellier. C’était pourtant une pièce de société, intelligente et intelligible. Mon plaisir explose quand je suis enfin entourée de vivants, d’enfants, d’étudiants qui composent un vrai public mixé. Ce sont des salles qui respirent, où le public expire fortement ou retient son souffle quand l’émotion est là.

Pourquoi ce glissement ? Quelle est la part de responsabilité des communicants? Quel projet ont-ils pour leur public, mis à part de remplir leur salle pour séduire les politiques et obtenir les subventions à la clef ? Que signifient ces écoles de spectateurs qui pleuvent de tous côtés de Paris à Montpellier, où il faut nous éduquer, nous montrer, nous apprendre ? Je me souviens des soirées de débats télévisés où enfant, j’étais marquée par les engagements et la force des points de vue. Pourquoi sommes-nous aujourd’hui plongés dans la sphère du consensus mou? La parole des spectateurs fait elle si peur dans cette société du spectacle empoisonnée par les jeux de pouvoir? La passion est en droit de libérer tous les déchaînements, quand ils sont justes et argumentés.

Nous considèrent-ils comme des spectateurs de chair et de pensées capables de développer un regard critique ? Savent-ils que ce que je voyais il y a dix ans, je ne le perçois plus de la même façon aujourd’hui parce qu’entre temps, je me suis nourrie de rencontres avec des artistes engagés dans des démarches créatives de recherche.

Depuis quelques années, nous sommes quelques-uns à nous ressentir « chercheurs marcheurs » en quête de sensations. Nous sommes dans toutes les régions et nous nous réunissons au Festival d’Avignon, non pour flatter nos égos, non pour être sous la coupe d’une institution, mais parce que nous sommes passionnés dans un contexte de crise, mot trop facilement, trop souvent martelé.

Notre parole se dépose dans des débats interactifs avec d’autres spectateurs critiques. Elle noircit les blogs pour garder une trace, une mémoire pour les générations à venir et pour le public d’autres territoires. Notre objectif est de nous mettre en lien, d’être dans le plaisir. Nous sommes différents des journalistes qui ne donnent majoritairement que des informations pour privilégier la communication institutionnelle au détriment de la réflexion sensible et de l’analyse. Leur parole est souvent neutre ou fielleuse, mais rarement dans un travail de fond.

Avec d’autres spectateurs Tadorne, je suis heureuse d’être dans cette démarche de réflexion et suis insatiable des découvertes des arts sous toutes leurs formes. Ils me transportent, m’offrent une part de rêve, me font travailler sur moi-même et le monde qui m’entoure.

Ma soif est de pouvoir continuer de soutenir des artistes qui sont dans une démarche créative recherchée, et accueillis dans des lieux ouverts et respectueux de ces engagements.

Les arts sont vivants, tout comme les spectateurs et les structures qui les promeuvent.

Sylvie Lefrere, Tadorne.

 

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG PAS CONTENT

En réponse à la lettre recommandée du Théâtre du Merlan de Marseille envoyée au blog le Tadorne.

Il y a quelques semaines, Nathalie Marteau, Directrice du Théâtre du Merlan, Scène Nationale à Marseille, m’a envoyé une lettre recommandée (lire ici). C’est probablement une première : un établissement public culturel mobilise du temps, de l’argent public et un service de communication pour intimider un spectateur.

Depuis 2007, j’écris mon inquiétude autour du projet artistique de la Scène Nationale du Merlan où une politique de communication «branchée» masque un travail de proximité comme en témoigne les nombreux échecs de ses actions dans les quartiers:

– L’échec du «Quartier créatif» à la Busserine dans le cadre de Marseille Provence 2013 dont le Merlan est l’un des coproducteurs (lire ici, la lettre à Aurélie Filippetti).

– La menace de licenciement à l’encontre d’une des salariées du Merlan (lire ici).

– Les articles du Tadorne depuis 2007: http://www.festivalier.net/?s=merlan

Encore dernièrement, dans le cadre de «Cirque en capitales», la majorité des spectacles proposés «vagabondent» de la Criée, au Gymnase, d’un temple protestant à une banque, loin de son port d’attache, le quartier du Merlan.

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En juin 2012, j’avais écrit un article questionnant ouvertement la dérive de ce théâtre (le mot faillite étant entendu au sens financier et moral du terme).

Ma parole libre de spectateur dérange Nathalie Marteau…Il semblerait que ce dernier article ne lui ait pas plu jusqu’à faire l’objet de ce courrier recommandé où elle me menace à demi-mot de poursuites dans le cas où je n’accepterais pas l’entretien qu’elle propose.

Je suis prêt à me prêter à cet exercice, à condition qu’il soit médiatisé, en présence d’un journaliste afin de:

1) Porter à la connaissance du plus grand nombre les questions légitimes d’un spectateur sur l’abandon d’un quartier et les réponses que Nathalie Marteau apportera pour éviter les «contre-vérités».

2) Faire entendre une parole singulière de spectateur qui s’inquiète de la dérive d’un théâtre dont la programmation est monopolisée par la «magie» et quelques artistes régulièrement invités au détriment d’autres esthétiques (danse, théâtre, …) pourtant incluses  dans son cahier des charges.

3) Permettre à Nathalie Marteau d’expliciter sa politique de communication, son coût, son sens, dans un contexte de restriction budgétaire où artistes et équipements culturels participent à l’effort de redressement des comptes publics.

Je compte sur le professionnalisme du service de communication du Théâtre du Merlan pour organiser ce rendez-vous public.

Ainsi, les intimidations d’un théâtre envers un spectateur quitteront la sphère privée pour nourrir le débat autour d’une politique qui, jusqu’à preuve du contraire, relève du domaine d’un Service Public.

Pascal Bély – Le Tadorne

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LES EXPOSITIONS Marseille Provence 2013 PAS CONTENT

Marseille Provence 2013 et sa mairie annexe.

Comment accueillir l’art contemporain dans une ville ? Peut-elle faire «œuvre» ? Est-ce suffisant d’installer à quelques coins de rue, dans la cour d’une mairie, des œuvres et d’y poster quelques «médiateurs» chargés de diffuser la «bonne parole», le «bon regard»? Aix en Provence est l’une des collectivités de l’ensemble hétéroclite «Marseille Provence 2013», capitale européenne de la culture.  Depuis le 12 février, un «parcours d’art contemporain» est proposé, imaginé par le commissaire d’exposition Xavier Douroux. Mais dans cette ville dirigée par le maire UMP Maryse Joissains, rien n’est offert sans arrière-pensée politique au moment même où elle mène une offensive médiatique pour refuser le projet de métropole marseillaise voulu par le gouvernement.

Celle qui déclarait «illégitime» François Hollande le soir de son élection…

Celle qui a mené une guerre sans merci contre les Roms…

Celle qui fustigeait en 2003 les intermittents jusqu’à porter plainte contre eux…

Celle qui écrivait dernièrement, «les valeurs qu’à Marine Le Pen, je les ai toujours défendues»…

Celle qui a menacé à plusieurs reprises de retirer ses billes de l’Association Marseille 2013…

Celle qui est largement responsable de l’éviction de Benjamin Stora du commissariat de l’exposition sur Albert Camus…

Celle qui, sur des panneaux 4 par 3 ose écrire à l’occasion de ses vœux, «notre territoire est unique, préservons-le» (c’est-à-dire de ces gueux Marseillais)…

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Celle qui déploie une banderole contre la métropole à l’endroit même où est exposée l’œuvre de Xavier Veilhan…

Celle qui…

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Je déambule dans la ville en tentant de faire abstraction d’un climat politique qui  a abimé son image et détérioré le lien social. Mais je peine à séparer une manifestation d’art contemporain de son contexte comme si l’un ne répondait plus à l’autre. Certes, il y a les platanes colorés de petits pois par Yahoi Kusama qui métamorphose radicalement la perspective du Cour Mirabeau : cette artère commerçante et mythique tombe le masque et dévoile par magie des arbres-girafes qui élèvent mon regard au-delà du clinquant et du paraitre.

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Il y a bien la statue de Thomas Houseago sur la place de l’Université pour nous rappeler que nous sommes fragilité, un corps à multiples faces partie prenante d’une humanité qui s’effondre. Mais le reste du parcours est en résonance avec la vision d’une politique qui positionne l’art comme une variable d’ajustement économique. À la Cour d’Appel fermée comme une huitre, répondent les œuvres carcérales en acier de Sofia Taboas dans lesquelles il est interdit de pénétrer…Où est la perspective ? Au Palais de Justice juché sur ses grandes marches, répondent derrière des grilles, la vision sans profondeur du bon droit de Franz West. Où est le projet ?

Mais c’est dans la Cour de l’Hôtel de Ville que la vision politique de l’art contemporain de Maryse Joissains prend tout son sens. Dépassé la banderole (imaginerait-on le même accueil sur le fronton d’un musée?), l’installation de Xavier Veilhan souffre. D’abord de notre regard. Les visiteurs s’y prennent en photo: ce geste compte finalement plus que le sens de l’oeuvre. Puis du rôle joué par une «médiatrice» de Marseille Provence 2013 qui rappelle l’interdiction d’y monter dessus même si l’artiste nous invite «à l’habiter». Alors que j’entame le dialogue, je m’effondre peu à peu en écoutant ses arguments :

– «on n’y monte plus parce que les gens l’ont abîmé»…

-«Je pense que les conditions météo détériorent plus l’œuvre que les visiteurs”

-«Non, ce n’est pas vrai»

-“Mais alors, pourquoi l’artiste nous invite à l’habiter?”

-“L’artiste n’a pas prévu que les visiteurs abîmeraient l’œuvre”.

-“Ah,…Mais quelle représentation se fait-il de « l’habitation » ? Vous et moi, habitons les lieux et leur détérioration fait partie d’un processus vital. Savez-vous qu’une maison qui n’est pas habitée se détériore?”

-“Euh…Dans tous les cas, c’est interdit.”

-“Finalement, l’œuvre posée au cœur d’une institution culturelle refuse l’interaction alors qu’elle la sollicite. Quel paradoxe ! L’art ne veut plus du lien social pour se préserver. Mais se protéger de quoi ? Ne croyez-vous pas que ce qui détériore l’œuvre est plus la banderole militante qui nous accueille que le désir des spectateurs ? Comment Marseille Provence 2013 a-t-il pu laisser valider un tel message politique?”.

Le dialogue tourne court.

Entre l’interdiction et la banderole…l’art est un objet…contre.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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Marseille Provence 2013 PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

Marseille Provence 2013 : peine capitale pour le théâtre.

Depuis combien de temps ne me suis-je pas rendu au Théâtre Gyptis à Marseille ? Géré par la Compagnie Chatât-Vouyoucas, ce lieu n’a jamais nourri mon cheminement de spectateur. Cette année, l’association Marseille Provence 2013 coproduit «Macbeth», mise en scène par Françoise Chatôt. Confiant, je suis prêt à me laisser surprendre en rêvant d’un théâtre ouvert, généreux, renouvelé…N’est-ce pas là une des missions de la capitale culturelle ?

La salle est plutôt clivée : des rangées de spectateurs âgés côtoient celles occupées par une classe de terminale. J’entame la conversation avec une jeune fille : ils viennent tous d’un lycée d’Aix en Provence où ils apprennent plusieurs langues et s’exercent à traduire des textes classiques, dont Shakespeare. Ses désirs d’ouvertures nourrissent ma vision de spectateur curieux. Notre échange est interrompu par une longue annonce où sont énumérés des rendez-vous auxquels nous sommes conviés au cours des prochains jours : des universitaires vont se bousculer pour distiller la parole savante autour de «Macbeth». Spectateurs obéissants, cultivez-vous ! Cette approche du lien spectateur – lieu est effrayante.

Finalement, le cadre est posé: une jeunesse prête à s’ouvrir sur le monde et un spectateur-blogueur désireux de promouvoir la capitale culturelle par le théâtre. La première sera prise de rires convulsifs tandis que le deuxième fulminera d’assister à un art vivant aussi dépassé, sans âme, mais avec probablement un joli budget.

Le visionnage de la vidéo mérite peu de commentaires. Ce que l’on voudrait nous faire admettre comme du mouvement n’est qu’une suite de gesticulations. Il n’y a aucune corporalité du texte dans la mise en scène : juste des corps droits, prisonniers de costumes, comme si les comédiens enfilaient une camisole de force, celle imposée notamment, par la traduction ampoulée de Jean-Michel Déprats.  

La modernité se résume ici à une vidéo sans profondeur : elle n’est que décor, à l’image d’un plateau sans relief (tout juste, descendons à la cave comme si on allait y chercher le bon vin…). Tout est de haut en bas et vous tombe dessus.  La pièce est si séquencée que l’on en perd le sens de l’œuvre : avec Françoise Chatôt, le pouvoir est un statut comme si elle ignorait qu’il est surtout un jeu ! Rien ne transpire des interactions : une certaine idée du théâtre impose les mots contre le corps, le savant contre l’émotion, le paraître contre le biologique. Je ne m’étonne plus de voir la poussière se soulever du plateau et des costumes : elle est partie prenante du jeu.

Je fais donc un rêve pour les jeunes étudiants d’Aix en Provence et pour les habitants du quartier de la Belle de Mai…Qu’un nouveau théâtre puisse les accueillir…

Pour qu’avec les artistes belges, ils puissent s’émouvoir de tout leur corps pour en rire…

Pour qu’ils se perdent dans le travail vidéo de Fabrice Murgia et approcher son théâtre circulaire….

Pour qu’ils ressentent un lien social régénéré avec le théâtre argentin…

Pour qu’ils s’humanisent en gueulant avec l’italien Pippo Delbono

Pour qu’ils osent embarquer avec Claude Régy vers des contrées inconnues…

Pour qu’ils goutent au théâtre dansé de Maguy Marin

Pour qu’ils s’épatent de culot des Allemands quand il s’agit de mettre en scène Shakespeare…

Pour qu’ils découvrent l’engagement de jeunes metteurs en scène régionaux qui croisent danse, théâtre et arts plastiques…

Pour qu’ils s’évadent définitivement de ce théâtre pénitencier.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Macbeth » de Shakespeare, mise en scène de Françoise Chatôt au Théâtre Gyptis du 22 janvier au 9 février 2013.