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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Festival d’Avignon – Humains précaires, théâtre poussière.

Ce matin, une brume inhabituelle m’accueille à Avignon. Une façon de voiler ma vision sur ce festival. En arrivant par la rue de la République, les affiches accrocheuses des premiers théâtres m’agressent. La ville se réveille doucement entre les premiers touristes et les commerçants qui s’activent. Rien ne laisse transparaitre que la lutte continue après le mois de grève au Printemps des Comédiens de Montpellier. Je ne vois pas d’affiches concernant les intermittents, précaires et chômeurs. La ville semble s’animer comme si de rien n’était. Les artistes croisés disent vouloir jouer.

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Devant un théâtre du Off, sur le sol, un jeune homme finit de peindre une affiche : “Ce que nous défendons, nous le défendons pour tous“. Il ne peut pas l’accrocher dans le théâtre où il travaille: c’est un lieu privé et seul un vote de l’ensemble des artistes et techniciens peut l’autoriser. Je lui propose de la laisser sur l’espace public pour ainsi échanger avec les passants. Il est temps d’ouvrir les débats, hors des institutions.

L’attente dans les files d’attente est un spectacle vivant. Plus tard, dans une supérette, une vendeuse demande successivement à trois personnes de sortir, car elles parlent trop fort. Elles sont sans domicile fixe. Un client questionne l’un d’eux en l’invitant à parler de lui au lieu de haranguer les autres sur leurs origines ! Il ressent l’homme précaire derrière ses mots. Mais dans le magasin, cet état de solitude sociale n’émeut plus, et semble faire plutôt peur. Dans les années 80, on réclamait de la solidarité, mais maintenant on baisse les yeux…Je n’oublie pas ce dimanche soir de mars où, dans le centre d’Avignon, les résultats aux dernières élections étaient très serrés en faveur du FN…

Human” d’ Alexandre Singh, première pièce du Festival In ouvre mes pupilles sur l’état de notre monde. C’est un cabaret berlinois teinté de Comédia del Arte. Ce ne sont pas les formes que je préfère, mais j’ai été tenue par le fond. Ces hommes et ces femmes, tels  «les 12 hommes en colère», semblent sortis d’un musée poussiéreux, à l’image de  la vieille Europe. Le maitre est la caricature de nos décideurs, sûr de son savoir et jouant sur le pouvoir. Les rapports de force vont se dérouler insidieusement dans un sens puis dans un autre, comme une bobine de fil…le fil se tend jusqu’à rompre.

J’ai l’impression d’être devant une pièce pour jeune public, où le lapin et le chat trop gentils finissent à la casserole dans un conte de fées. Mais la magie n’opère pas. On prend le spectateur au second degré  pour se mettre au niveau de sa pensée. La scatologie coule dans le satin pour ne pas heurter. Les chants montent dans les aiguës pour nous faire passer des messages subliminaux en nous positionnant comme des disciples. Mais l’incantatoire, je ne veux plus l’entendre.

Spectatrice, j’attends d’être bousculée, bouleversée, énergisée, par de la matière qui me permettrait de penser notre monde complexe.

Ce premier spectacle est une farce qui résonne dans le contexte actuel. On est dans tous les états, mais tout est figé.

Ce théâtre-là n’est pas à la hauteur de ce qui nous arrive…

Sylvie Lefrère – Tadorne.

« The Humans » d’Alexandre Singh au Festival d’Avignon du 5 au 9 juillet 2014.