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2012, ma panne de danse.

Être spectateur de danse a été particulièrement difficile en 2012. Je ne reviens pas sur la disparition de l’art chorégraphique dans les théâtres de mon territoire (Aix – Marseille- Martigues), ni sur les deux festivals qui atomisent la danse, faute de projet de développement. Seule la création de Klap à Marseille sous l’impulsion de son directeur, Michel Kelemenis, a donné l’outil de travail dont les artistes avaient besoin. Peu à peu, Klap s’impose comme un lieu incontournable. Nul doute que les chorégraphes reviendront à Marseille. Mais il faudra du temps et un changement radical à la tête des établissements culturels  pour que la danse retrouve un public.

Chaque année, le Festival d’Avignon réussissait à combler le marasme marseillais. En 2012, il l’a accentué. Le bilan chorégraphique du festival a été mauvais (à l’exception notable de «Tragédie» d’Olivier Dubois): une danse cérébrale, célébrant les bons sentiments, s’enfermant dans une esthétique  influencée par les arts «plastiques» où le corps n’est que matière…Pour la première fois cette année, la danse ne m’a pas permis de penser la complexité.

La Biennale de la Danse de Lyon, originale à plus d’un titre sous la direction de Guy Darmet, ne m’a pas convaincu avec sa nouvelle directrice, Dominique Hervieu. Elle fut globalement sans surprise avec l’étrange sensation que la danse n’est qu’un produit de communication courante…Quant à Montpellier Danse, une santé défaillante ne m’a pas permis de suivre les spectacles que j’avais programmés. Me reste le merveilleux culot artistique de Radhouane El Medeb et de Thomas Lebrun ainsi que le parti pris plastique assumé de Mathilde Monnier.

C’est ainsi que j’ai parcouru les théâtres, parfois découragé, à la recherche de cet art qui nourrit le projet de ce blog depuis 2005.

2012 a été l’année d’Olivier Dubois. Il m’a tenu éveillé. Il a nourri ma relation à la danse. Il l’a fait par une approche de l’humain englobé dans une humanité célébrée et éprouvée par les danseurs et le spectateur. Pour lui, interprètes et publics forment un tout: scène et salle se répondent en continu. «Révolution», «Rouge» et «Tragédie», trois chorégraphies liées par une quête absolue de l’émancipation. Le corps est une conquête; la danse d’Olivier Dubois est sa révolution.

Avec «Mahalli», la chorégraphe libanaise Danya Hammoud m’est apparue comme une «sœur» d’Olivier Dubois. Ces deux-là ont
d’étranges “matières”: une chair politique pour une révolution sociale. Danya et Olivier sont probablement habités par une vision commune: le travail sur soi est politique.

Autre introspection réussie, celle d’Israel Galván qui a affronté le flamenco traditionnel. Avec «La curva», à partir de ses racines et de ses rites, il l’a fait trembler sur ses bases jusqu’à ouvrir ses entrailles et accueillir la modernité. Ce fut exceptionnel d’assister à la décomposition d’une partition qui se consume pour inventer l’Autre musique, celle d’un flamenco théâtral.

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Autres métamorphoses sidérantes. Au Festival d’Avignon, sous le plateau de la Cour d’Honneur, le performeur sud-africain Steven Cohen a fait du corps intime un territoire de la Shoah. Exceptionnel. Quant à Mitia Fedotenko dans le «Sujet à vif», il a réussi son pari artistique avec François Tanguy: celui d’oser chorégraphier un Hamlet déchiré entre le Danemark et la Russie de Poutine.

En 2012, il y a bien sûr eu le rendez-vous incontournable avec Maguy Marin et Denis Mariotte. «Nocturnes» fut dans la continuité des œuvres précédentes. Là où j’attendais une rupture esthétique, Maguy Marin ne m’a probablement pas surpris. Seulement accueilli par un propos assumé sur la fragmentation barbare du sens, sur l’éclatement d’une humanité piétinée.

Après «Un peu de tendresse, bordel de merde !» présenté à Avignon en 2009, nous étions nombreux à scruter sa nouvelle création à la Biennale de Lyon. «Foudres» de Dave St Pierre m’a une fois de plus enchanté sans que je sois surpris. Devenus de grands malades de l’amour consumériste, il nous faut réapprendre à danser, à nous habiller de nos costumes de bal pour nous entrainer à nous lâcher au bon moment, à nous reprendre quand le rythme l’impose. Beau propos, certes convenu, mais si vivifiant !

Avec «Brilliant corners», Emanuel Gat m’a littéralement subjugué par sa visée du groupe. Rarement, je n’ai ressenti, avec une telle
précision, la complexité des mouvements vers le collectif où, à l’image des communautés sur internet, le groupe se déplace pour amplifier la relation horizontale et s’approprier de nouveaux territoires. Le collectif relie les fragments et avance jusqu’à produire la lumière du spectacle. Magnifique !

Combien de chorégraphes considèrent la musique comme fond sonore pour chasser un silence pourtant vecteur de sens ?  Avec Maud le Pladec et l’ensemble musical Ictus, je me souviens avoir vécu cinquante minutes euphorisantes, énergisantes, palpitantes où mon corps a eu quelques difficultés à contrôler mes pulsationsrock’embolesques. «Professor/Live» a  vu trois danseurs virtuoses restituer avec humour et présence, le rock électronique et symphonique du compositeur Fausto Romitelli. Inoubliable.

Il me plaît de terminer ce bilan 2012, par une rencontre. Celle avec  Alexandre de la Caffinière qui lors de «Questions de danse» nous a présenté un extrait de «Sens fiction» (œuvre à voir les 16 et 17 février au Théâtre des Pratiques Amateurs de Paris). Avec deux danseurs (troublants Anaïs Lheureux et Julien Gaillac), il a composé une œuvre délicate au croisement de la musique électronique et d’une scénographie numérique. Tandis que le paysage chorégraphique est saturé de musiques chaotiques et de vidéos conceptuelles, Alexandre de la Caffinière a fait un tout autre pari: celui d’un environnement numérique au service de la danse, pour des corps en mutation, vers la métamorphose d’une relation duelle. Chapeau, à suivre…

Je vous propose de continuer la route en 2013, année où Marseille sera capitale européenne de la culture. La danse y occupera une place scandaleusement faible. Il va falloir chercher, voyager, se déplacer. Putain de danse !

Pascal Bély – Le Tadorne.

1- Olivier Dubois; “Rouge” – Festival Uzès Danse. /  “Révolution”- Le 104, Paris. / “Tragédie” – Festival
d’Avignon.

2- Radhouane El Medeb, Thomas Lebrun; “Sous leurs pieds, le paradis” – Festival Montpellier Danse.

3- Israel Galvan; “La curva”- Théâtre de Nîmes.

4- Emanuel Gat; “«Brilliant Corners» – Pavillon Noir d’Aix en Provence.

5- Mathilde Monnier; “Twin paradox” – Festival Montpellier Danse.

6- Maguy Marin – “Nocturne” – Biennale de la Danse de Lyon.

7- Maud le Pladec – “Proffesor / Live” – Festival « Les musiques », Marseille.

8- Danya Hammoud – « Mahalli » – Festival Montpellier Danse.

9- Mitia Fedotenko – « Sonata Hamlet » – «Sujet à vif », Festival d’Avignon.

10- Dave St Pierre – Création Biennale de la Danse de Lyon.

11- Alexandre de la Cafinière – « Sens fiction » – « Question de Danse » à Klap, Maison pour la Danse, Marseille.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN Vidéos

Stanislas Nordey plaqué.

Clôture de l’amour” de Pascal Rambert part en tournée. Le rôle principal sera occupé par Stanislas Nordey,”acteur institutionnalisé” qui sera l’artiste associé du prochain Festival d’Avignon .
Indication pour la lecture de cet article : prière d’adopter un débit ferme et sans appel comme lors d’une rupture où il n’y aucune place à la négociation. Les mots en MAJUSCULE signent un haussement de ton. Cette critique est définitive.

De nouveau, un grand décor blanc.
Comme dans « Mademoiselle Julie» par Fréderic Fisbach avec Juliette Binoche.
Le blanc est tendance.
Chez l’un, c’est un loft. Ici, dans «Clôture de l’amour» de Pascal Rambert, c’est une salle des fêtes.
Les similitudes ne s’arrêtent pas là. MAIS JE N’AI PAS LE TEMPS D’Y REVENIR.
Audrey Bonnet et Stanislas Nordey forment un couple. Ils ont trois enfants. Ils travaillent ensemble («notre travail repose sur l’écoute, le regard actif». Probablement des pros de la communication culturelle…).
Ils sont en pleine crise.
Ils vont rompre.


Chacun se tient aux deux extrémités de la salle.
Nous sommes donc invités à la scène, pour deux heures.
C’est LONG.
INTERMINABLE.
Lui-même l’admet à plusieurs reprises. Car «Stan», le sait. Il nous SAOULE. Il devance la critique. Parfait. Car son monologue de quarante minutes est insupportable. Du Stanislas Nordey PUR JUS: avec des «che» dans la bouche, des bras tendus, un corps raide et des génuflexions, chacun reconnaît sa pâte. DU DÉJÀ VU. Mais qu’importe.
Je fais avec.
Au bout de vingt minutes, il joue même avec MES NERFS («je commence à peine»; rires dans le public. Si ce n’est pas DEMAGOGIQUE, cela y ressemble).
Le texte de Pascal Rambert est truffé de métaphores malines sur l’amour. Bien joué. Ça marche, car cela parle à tous.
Elle l’écoute.
Son corps bouge.
Texte et corps. On connaît LA CHANSON. Elle revient à chaque édition du festival d’Avignon par des critiques en mal d’inspiration pour se faire remarquer.
Notre regard va de gauche à droite. C’est nous qui faisons le mouvement. Bien vu. Cela va calmer Armelle Heliot du Figaro.
Pause.
Arrive un imprévu. Je ne raconte pas. Je FULMINE que l’on puisse DETOURNER de son sens un si beau texte.
On change maintenant de côté.

Audrey attaque.
Elle est MAGNIFIQUE.
Elle dit à Stanislas Nordey tout ce que JE PENSE DE LUI depuis des années.
Elle adopte ses postures, à croire que c’est LUI qui a fait la mise en scène.
«Une séparation, c’est un théâtre» lui balance-t-elle. Elle ne croit pas si bien dire.
Je l’encourage de toutes mes forces.
Elle poursuit jusqu’à lui jeter : «MAIS C’EST QUOI CE NOUVEAU LANGAGE?» faisant référence aux métaphores de la première partie.
Elle continue : «C’EST L’INTERIEUR QUE L’ON VOIT BOUGER SUR LA PEAU ».
Bien vu.
Elle attaque encore.
Il se décompose.
BIEN FAIT.
«Tu n’aimes que toi, Stan».
EXACT. Je l’ai toujours pensé notamment dans «Ciels» de Wajdi Mouawad où, en 2009 au Festival d’Avignon, il avait SACAGE cette pièce pourtant joliment écrite.
«BON COURAGE POUR TE RETROUVER», «L’IMAGINATION EST BORNEE A CE QUE L’ON VEUT CROIRE», poursuit-elle. Une vraie leçon d’acteur et d’humilité.

Et puis, l’estocade finale : «DANS UNE RUPTURE, ON NE S’ALIGNE PLUS SUR LA PAROLE DE L’AUTRE». Les différents partenaires au théâtre de Stanislas Nordey ont dû apprécier. Merci pour eux.
Arrivent les gosses. L’aîné leur demande : «mais de quoi avez-vous parlé?». La VERITE vient décidément toujours de la bouche des enfants.
Ouf, pour le final, on nous épargne les oreilles de lapin, mais pas le truc en plumes.
Je clos ici ma relation avec Stanislas Nordey. C’est TERMINÉ. Avec Pascal Rambert, probablement aussi tant qu’il sera AVEC LUI. Je suis assez exclusif dans mes relations.
Maintenant, il y a Audrey Bonnet. Mon héroïne.
Pascal Bély – Le Tadorne.
“Clôture de l’amour” de Pascal Rambert au Fesitval d’Avignon du 17 au 24 juillet 2011.

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« Ten Chi » de Pina Bausch à Nîmes : hahahaha-rararara-kikikiki-riririri.

Les spectateurs sont quasiment tous debout. Je suis assis. Encerclé. Seul. Je veux quitter ce théâtre. Impossible. Il faut attendre que cela finisse. Le public délire. J’aurais pu être avec lui. Mais ce que je viens de voir est au-delà de moi. Ce n’est pas scandaleux sauf que je n’en suis plus là dans mon rapport à la danse.

Pina Bausch a disparu le 30 juin 2009. Ce fut un jour funeste. Depuis, j’ai croisé la compagnie à Monaco avec «Café Müller» et «Le sacre du printemps». Elle n’est plus là, mais sa troupe poursuit la route. Avec des hauts et des bas. Ce soir, à Nîmes, «Ten Chi», inspiré d’un voyage au Japon et écrit en 2004, est une œuvre mineure. Je m’interroge: pourquoi nous proposer une création dont on sait probablement qu’elle n’est pas la meilleure? Sauf qu’auréolé du mythe de la chorégraphe, «Ten Chi» fait un triomphe.

Il y a ce décor, impressionnant, qui vous happe à peine assis. Cette queue de baleine, animal mythique, m’invite au grand plongeon. Les danseuses et danseurs ne cessent de lui tourner autour, mais le célèbrent-ils pour autant ? Pourtant, tout débute par un solo époustouflant. Avec sa longue robe, elle est eau, poisson, vent, mer, soleil. Elle danse le fluide pour nous inviter dans cet environnement aquatique, là d’où nous venons, vers là où nous irons peut-être. Puis, cet univers onirique s’effondre peu à peu. Se succèdent des solos de cabaret où l’on entre et sort à la recherche d’une inspiration pour métaphoriser le contexte du pays. C’est parfois drôle, souvent lourd.
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Pendant 2h40, le procédé fatigue : solo, cabaret, duo, solo, cabaret, duo….C’est interminable. Le propos se répète sans que je ne sois invité au dépassement: tout s’additionne sans se relier. «Ten Chi» emprunte le cheminement classique du spectacle du divertissement: on rit, puis l’on est saisi par une danse virtuose, avant de plonger dans la beauté du décor (notamment quand des pétales de cerisiers tombent sur le plateau à la vitesse de l’intensité dramaturgique). Puis l’on recommence: on rit, …Peu à peu, la troupe réussit à produire l’illusion d’une œuvre majeure accentuée par de beaux écrins relationnels avec le public. Quand Dominique Mercy nous interpelle sur  la meilleure façon de ronfler, il salue notre  corps sifflotant et se veut complice de nos empêchements de dormir en rond. Quand elle s’avance du bord de scène pour compter sur ses doigts à partir des mains de spectateurs du premier rang, la danse est une poésie pour travaux manuels. Quand Dominique Mercy se fait déshabiller par un danseur, ses multiples peaux tombent à terre et la chenille devient papillon du soleil levant.
Pour le reste, je subis une bande-son dépassée, illustrative, sans profondeur. Je tremble lorsque Dominique Mercy danse en solo et semble au bord de l’épuisement. Je soupire de n’avoir pas saisit la beauté et la complexité du Japon, réduit à quelques scènes où la caricature l’emporte sur la compréhension d’une culture (moment pathétique lorsqu’est énuméré toutes les possibles onomatopées :kikikiki-momomo-nononono…,).
Je fulmine de voir s’éclater le groupe lors d’un final où l’on se croise sans jamais s’entrechoquer. J’attends un lien, une rencontre entre danseurs. Peine perdue: les hommes sont ridicules et les femmes sont égocentriques.
Je refuse d’aimer cette pièce parce que mes ressentis ne sont jamais factices, même s’il s’agit de Pina Bausch.
Je ne vais jamais au théâtre pour entrer dans un mausolée. Encore moins pour m’incliner.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Ten Chi » de Pina Bausch au Théâtre de Nîmes du 6 au 9 décembre 2012.
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Festival DANSEM à Marseille: accueil triple zéro.

On devrait pouvoir évaluer festivals et lieux culturels sur leur politique d’accueil. On s’apercevrait que certains sont tout juste du niveau d’une Sécurité Sociale des années quatre-vingt.

Je travaille depuis six heures du matin. J’ai eu une longue journée où j’ai animé un séminaire important. Il est 20h15 et je décide de me rendre au festival DANSEM à Marseille, soit 30 minutes de route pour assister la dernière création de Manon Avram et Thierry Escarmant, «Qu’avez-vous vu ?». Cette compagnie est soutenue par la DRAC PACA pour qui je suis un expert danse lors de l’attribution des subventions. Il me faut donc voir ce spectacle: malgré la fatigue, j’en ai envie.

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J’arrive à la Friche Belle de Mai à Marseille vers 20h45. Aucun affichage visible et lisible. Seuls les habitués connaissent le lieu. La salle est en contrebas. Devant la porte, tout au plus 10 personnes. Je reconnais des professionnels. J’attends. Puis une cohorte de spectateurs d’une autre représentation rejoint la file. J’attends. A l’entrée : «la billetterie n’est pas ici. C’est plus haut, au restaurant». Je cours. J’arrive à l’accueil, essoufflé :

– «Trop tard, le spectacle a commencé» me dit-elle, visiblement inquiète.

– «Ben non puisque l’on me dit de venir ici»

– «Trop tard, le spectacle a commencé» répète-t-elle, avec probablement la peur de se faire sanctionner si elle cause du retard.

– «Mais puisque l’on me dit de venir ici».

Colère. Colère.

Finalement, je sors. Elle me rattrape pour me donner un ticket, sans un mot, presqu’à la sauvette…

Je descends. La porte est fermée. Je frappe. Un agent de sécurité me laisse aimablement entrer. Le spectacle n’a pas commencé.

– «Pourquoi tu le laisses entrer » dit un homme avec un ton méprisant à l’égard de l’agent.

– «Le spectacle a commencé» me dit-il.

– «Ben non, puisque j’entends les spectateurs ».

– «Le spectacle a commencé» répète-t-il face à l’agent de sécurité médusé.

Je quitte la Friche. Dépité.

Cette scène est symbolique à plus d’un titre. Si vous n’êtes pas un habitué, vous vous perdez. Métaphore d’un festival replié sur son réseau de spectateurs. Le cloisonnement entre le lieu de la représentation et la billetterie en dit long sur l’approche de l’accueil: c’est une procédure où l’on distribue des tickets, où l’on stabilote à plusieurs derrière la banque. Mais où est la relation ?

Il n’y a aucune souplesse, seule la règle prime et la peur qui l’accompagne. N’ont-ils jamais imaginé qu’un spectateur pouvait ne pas avoir de billets à l’entrée? N’ont-ils jamais pensé une procédure pour éviter un stress commun, pour faire plaisir? Sont-ils à ce point sur le pouvoir pour ne pas faire confiance à un spectateur qui vient pour la danse, un jeudi soir, à Marseille? Sont-ils à ce point insensibles pour ne pas savoir que le désir de rencontrer des artistes vaut bien d’attendre de déchirer un ticket?

Ce soir, un lieu culturel m’a fermé la porte. Combien sommes-nous symboliquement dans ce cas-là ?

Pascal Bély, Le Tadorne.

 

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Putain de danse à la télévision.

Le marketing culturel a gagné. Insidieusement, il subordonne le qualitatif à l’audimat, à une rengaine qui résume à elle seule la pensée politique: «qu’importe la manière, l’important est de toucher le plus grand nombre» ; «si la venue d’une star doit faire venir du public, alors qu’importe qu’elle ne soit pas la meilleure», avons-nous lu sur Facebook à propos d’Emmanuelle Beart qui sera au Palais des Papes en juillet 2013.  Ce marketing s’est inspiré des codes de la communication télévisuelle pour soumettre les professionnels du spectacle vivant à une forme de raisonnement binaire: pour toucher le grand public, il faut l’assujettir. Difficile, pour le spectateur, de percevoir les véritables enjeux qui se cachent derrière le slogan de «l’ouverture à la diversité du public» à travers l’accession aux médias dits populaires. Difficile, car de l’ordre du non-dit, du refoulé, masqué par l’étiquette du «théâtre pour tous». Cache-sexe, en réalité? d’enjeux bien plus prosaïques: ceux renvoyant sans doute aux conditions matérielles de travail des artistes et de productions de leurs spectacles.

Le meilleur exemple nous a été donné par le chorégraphe Olivier Dubois. Cet été, au Festival d’Avignon, il a accompli un miracle: «Tragédie» fut ovationné. Pensez donc: une ?uvre de plus d’une heure quarante, avec 18 danseurs, nus, pour célébrer l’Humanité en résistance! Pièce dans laquelle Olivier Dubois lève le voile, exhibe toute son intelligence des corps et du mouvement! Et qui repose sur un parti pris esthétique radical: composer un poème chorégraphique savamment agencé, ordonnant les gestes des danseurs tels des rimes textuelles, sans pour autant perdre la force brute de corps comme jetés en pâture aux désirs du public. Une pièce, enfin, qui joue de la faille entre la condition physique d’être humain et l’appel à un au-delà: la recherche d’une Humanité. Une transe, une jouissance des sens et de l’esprit. Las, post coïtum?

…quelques mois après, Olivier Dubois part en promotion. En France, cette pièce est programmée à Pontoise, Martigues, Mâcon, Villeneuve-d’Ascq. Puis deux dates à Paris, au 104. C’est peu et c’est tout. Alors donc, Olivier Dubois entame une tournée promotionnelle à la télévision. D’abord sur France 2, dans «Des mots de minuit». Inutile de revenir sur les questions sans grand intérêt du journaliste Philippe Lefait qui semble préoccupé par la «sueur» et le cout de la production du spectacle (s’inquiète-t-il de la même manière pour le cinéma et le théâtre?). Décidément, la danse est  toujours illégitime. A la rigueur, on la sollicite comme caution intellectuelle ou comme aphrodisiaque lorsqu’il s’agit d’encanailler les esprits noyés dans l’ennui le plus profond. Sur le plateau, Michel Blazy, artiste plasticien, n’a «rien» à dire à Olivier Dubois après avoir visionné les images du spectacle. L’équation selon laquelle la danse, la révolution, le sexe et un présentateur barbu qui mâchouille ses lunettes semble être amplement suffisante pour mener à bien l’opération marketing. Peu importe la vacuité et l’ennui, pourvu qu’on additionne. D’ailleurs, Olivier Dubois ne se prive pas de renvoyer à Philippe Lefait qu’être danseur, c’est être «une pute de l’art avec savoir, élégance et conscience». Bien vu.

Rien de plus normal à ce qu’il continue à faire la pute (qu’il nous excuse cette familiarité) dans l’antre du proxénétisme le plus légal. Quelques jours après, ce sera au tour de Canal Plus dans l’émission du Grand Journal. Non qu’il soit invité en plateau? «Tragédie» est massacré dans un format minimaliste («la Short list») où plus c’est court, plus c’est con. À 1’15, vous pouvez entendre Olivier Dubois faire la réclame (ses phrases n’excédent pas 3 secondes !) avec une expression culte que ne manqueront pas de s’emparer les communicants des théâtres en recherche de slogan pour attirer le chaland : «Tragédie n’est pas tragique» (sic) tandis que le commentateur en rajoute dans l’excès : «Olivier Dubois provoque le spectateur» (qu’en sait-il, lui qui n’a probablement pas vu «Tragédie»). À 1’53, c’est terminé. À peine 38 secondes pour massacrer un propos et insulter les spectateurs d’Avignon et d’ailleurs. Un doute surgit alors: et si «Tragédie» n’était qu’un savant calcul pour relier le spectaculaire au marketing et servir son promoteur, lui qui sait si bien provoquer le peuple tout en l’attirant à son beau panache.

«Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse?». Ce romantisme noir confine au cynisme, surtout quand on dépasse le champ de la scène. Si être un artiste c’est être une catin, la transe suscitée par la beauté des corps en convulsion, sur scène, ne peut être mise sur le même plan qu’une démarche strictement commerciale. D’ailleurs, une geisha ne se départit jamais de son raffinement et ne s’adonne pas systématiquement à la prostitution. Si l’ivresse ou la jouissance sont recherchées par un créateur, si la question de la diffusion d’une ?uvre mérite d’être posée, surtout dans un contexte défavorable, comme c’est apparemment le cas pour “Tragédie” ; n’oublions pas pour autant ces bons mots de Musset, encore lui :

 «Puisque c’est ton métier, misérable poète,

Même en ces temps d’orage, où la bouche est muette,
Tandis que le bras parle, et que la fiction
Disparaît comme un songe au bruit de l’action ;
Puisque c’est ton métier de faire de ton âme
Une prostituée,  et que, joie ou douleur,
Tout demande sans cesse à sortir de ton c?ur ;
Que du moins l’histrion, couvert d’un masque infâme,
N’aille pas, dégradant ta pensée avec lui,
Sur d’ignobles tréteaux, la mettre au pilori.»

C’est ainsi que la télévision rassemble autour d’elle ceux qui sont prêts à réduire leur art à des slogans et les paresseux de tout poil pour qui faire entrer les spectateurs dans un théâtre nécessite d’utiliser les codes du marketing le plus abject. Dit autrement, la forme ne serait plus connectée au fond. Cette union sacrée nous inquiète, car ce processus s’amplifie (il suffit d’entendre chaque année les directeurs du Festival d’Avignon -et bien d’autres- ne faire qu’un bilan quantitatif de leur programmation). 

L’art risque donc de n’être qu’une marchandise. Précisément l’inverse de la démarche artistique proposée dans “Tragédie“.

Désolé, mais nous n’accepterons jamais d’être client pour une passe, fut-elle un chef d’oeuvre d’une heure et quarante minutes.

Pascal Bély et Sylvain Saint-Pierre, Tadornes

La critique de “Tragédie” sur le Tadorne: Au Festival d’Avignon. Secoué.

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Pourquoi je n’irai pas à Avignon.

Entre présentations de saison et bilans de festival, le cérémonial est immuable. Directrices et directeurs d’institutions culturelles se mettent en scène pour créer le «dialogue» avec les spectateurs. En général, le décor est spartiate (chaises-table pour les plus réservés, canapés et table-basse pour les plus audacieux) tandis que la scénographie est le plus souvent inspirée d’un séminaire pour managers fatigués. Les cas sont rares où ce dialogue est mis en scène au profit d’une célébration de l’art vivant, d’une valorisation de la parole du spectateur. Depuis quelques années, je fuis ces faux espaces où «la rencontre» n’opère jamais, où le lien vertical empêche la relation circulaire, où les affects plaintifs s’ajoutent aux éloges funèbres ou partisans! À l’heure où les artistes multiplient les ?uvres percutantes qui interrogent le positionnement du spectateur, force est de constater que les formes pour en évaluer la dynamique sont usées, car datées.

Le manager culturel peine manifestement à imaginer autre chose qu’une cérémonie du pouvoir institué: je m’étonne d’ailleurs qu’il soit le plus souvent seul sur la scène comme s’il n’avait pas d’équipe et de partenaires qui participent à l’élaboration de sa programmation.

Comme chaque année, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, directeurs du plus important festival de création (Avignon) invitent les spectateurs à faire le bilan de l’édition passée. Positionnés à l’extrême droite de la scène, ils nous font face. Généralement, la tonalité des interventions diffère assez peu de celles entendues lors de la dernière conférence de presse qui clôture le festival à la fin juillet. Les questions autour de la billetterie, de l’accueil, du confort sont les grands classiques de l’exercice (sans que la situation s’améliore au fil des ans), tout juste ponctuées de références à Jean Vilar pour se donner de la contenance. Le même système interactionnel se met en place: une question appelle une réponse; une plainte pour une diversion; un militant du théâtre populaire s’oppose au fervent de la création contemporaine; «c’est de plus en plus difficile pour avoir des places» contre «oui, mais on fait ce que l’on peut».

Au cours des années précédentes, j’ai participé à l’exercice pour y faire part de ma vision, mais je n’ai jamais ressenti le moindre écho dans la salle et sur scène. Ces retours de «traversée» ne servent finalement qu’à valoriser le fait qu’il soit permis de les exprimer! Les spectateurs se prêtent à un jeu qui, tant qu’il existe sous cette forme, freinera toute évolution de leur statut.

Je n’irai donc pas à la réunion publique du Festival d’Avignon organisée le 15 octobre 2012. Outre le fait que mon bilan est déjà écrit (voir ci-dessous), je ne souhaite pas être infantilisé par un cadre qui m’empêche de l’interroger. Or, à part provoquer (je n’en ai ni le talent, ni l’envie), je ne vois pas d’issue à un système fermé, descendant, qui conforte plus qu’il n’énonce pour le futur.

Il ne me reste plus que ce modeste blog pour m’exprimer en espérant qu’il trouve un écho chez Olivier Py, futur directeur du festival en 2014, qui saura probablement organiser d’autres cérémonies pour fêter nos Apocalypses joyeuses.

Pascal Bély, Le Tadorne

 Bilan du Festival d’Avignon 2012 : nos présences, nos absences et leur indignité.

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Qu’un festival ne soit plus populaire, qu’il ne me permette plus de m’inscrire dans un mouvement, est inquiétant. Sur toute la durée de cette 66ème édition, j’ai vu 38 spectacles pour un coût total de 1850? (830? de places et 1020? de location d’appartement). Seulement neuf d’entre elles m’ont éclairé, enthousiasmé, tourmenté. Respecté, j’ai eu envie d’écrire. Passionnément. Neuf, soit moitié moins que les années précédentes. Neuf soit vingt-neuf propositions où j’ai, au mieux erré, au pire sombré dans le néant.

Cette proportion est inquiétante et signe une crise de sens, de valeurs, de propos. Trop rares ont été les moments où j’ai pu penser, faire mon chemin. Me revient alors le jugement éclairé d’un spectateur, posté sur sa page Facebook: «Cette année le public est absent d’Avignon. Vous ne comprenez pas la différence entre tenir compte du gout du public et simplement tenir compte de sa présence…».

Notre présence.

Le public était présent. J’étais là pour «La Mouette» mise en scène par Arthur Nauzyciel. Rarement, je n’ai vu une telle humanité en jeu dans cette cour qui écrase tout. Ici, l’art a repris ses droits et les artistes ont dansé pour caresser les murs et calmer cet espace autoritaire. Ils ont accueilli mes fragilités pour me restituer une vision sur la place de l’art dans une société en crise. J’en suis sorti plus fort, plus habité. Mouette (Au Festival d’Avignon, la beauté sidérante de “La mouette” d’Arthur Nauzyciel).

Sophie Calle n’est pas une artiste de théâtre. Elle expose. Et pourtant, elle a créé la scène autour de sa mère, décédée en 2006, jusqu’à lire quotidiennement son journal intime. «Rachel, Monique» était à l’Église des Célestins (Au Festival d’Avignon, Sophie Calle: la traversée d’un continent intérieur).Tel un rendez-vous avec une chanson de Barbara, nous y sommes revenus plusieurs fois comme un besoin vital de ressentir une nostalgie créative. Le 28 juillet à 17h, nous étions présents alors qu’elle lisait les dernières pages. Sophie Calle a créé le rituel pour nous rassembler, celui qui nous a tant manqué pendant le festival (Festival d’Avignon : la der des ders?)

Le chorégraphe Olivier Dubois est
arrivé le 25 juillet et a provoqué le séisme que nous attendions. Avec «Tragédie», nous étions spectateurs et acteurs de notre humanité en mouvement. Nous avons ovationné ces dix-huit danseurs. Pas un seul n’a échappé à mon empathie (Au Festival d’Avignon. Secoué). Processus identique avec Jérôme Bel où dans «Disabled Theater» des acteurs handicapés mentaux ont réduit la distance pour que la danse fasse lien au-delà des codes usés de la représentation (Au Festival d’Avignon, l’art brut de Jérôme Bel) . Avec «33 tours et quelques secondes», Lina Saneh et Rabih Mroué ont tenté de renouveler ces codes à partir d’un dispositif sans comédien. Sans ma présence, cette pièce ne pouvait exister. J’étais là parce que l’absence a donné une âme au théâtre (Au Festival d’Avignon, tragique Liban, vital Facebook) .

En nous convoquant sous la scène du Palais des Papes, le performeur sud-africain Steven Cohen nous a plongés au sens propre dans les bas fonds de l’humanité pour y vivre l’horreur de l’extermination des juifs. On ne s’en sortira jamais (Au Festival d’Avignon, Steven Cohen, vertigineux petit rat des camps?). Un regret: peu de spectateurs ont vu cette performance (jauge d’à peine 50 places) et n’auront fait connaissance avec cet artiste hors du commun qu’avec «Le Berceau de l’humanité», ?uvre bien moins aboutie.

Avec «Conte d’amour», le suédois Markus Öhrn nous a lui aussi donné rendez-vous au sous-sol pour y vivre, par caméra interposée, l’effroi de l’amour incestueux. Rarement je n’ai senti un public aussi présent face à une bâche de plastique qui nous séparait des acteurs (Choc au Festival d’Avignon). Même présence pour «Disgrâce», mise en scène par Kornel Mundruczo qui m’a donné envie de lire cet été, le roman de J.M Coetzee. Du théâtre vers l’écrit pour lire autrement.

Au cours de ce festival, j’ai parfois ressenti l’effondrement de notre civilisation. Seul Roméo Castellucci pouvait s’emparer de ce trou noir qui pourrait nous sauver. «The Four Seasons Restaurant» n’était qu’une initiation. Un autre monde est à venir (Au Festival d’Avignon, incritiquable Romeo Castellucci).

Le goût du public.

Festival d’Avignon, festival de création ? Pas si sûr?Comme tant de théâtres en saison, il s’est moulé dans le consensus mou qui ne fait émerger aucune idée, à peine incarnée par des acteurs?Les logiques de coproduction priment sur des prises de risque assumées comme si la responsabilité des deux programmateurs d’Avignon se diluait dans des contrats à multiples feuillets.

Il y avait d’ailleurs une certaine indécence à nous proposer «Les contrats du commerçant. Une comédie économique» de Nicolas Stemann à 36 euros la place, prix à payer pour subir un délire de clichés rabâchés sur la crise financière et la possibilité de quitter le spectacle pour la buvette installée pour l’occasion. Le public aisé (présent ou absent, là n’était plus la question !) a beaucoup aimé. Moi pas (Rupture de contrat avec le Festival d’Avignon) .

Autre propos démagogue. Celui de Thomas Ostermeier (artiste associé du festival en 2004) qui m’avait habitué à plus de rigueur. Son théâtre participatif autour d’ «Un ennemi du peuple» d’Henrik Ibsen n’était qu’une énième reproduction d’un système de pensée que l’on répète à l’infini. Ce théâtre bourgeois sans vision va à coup sûr plaire aux programmateurs qui trouveront là, à moindres frais, de quoi faire de leur établissement un lieu de citoyenneté! Est-ce du niveau du Festival d’Avignon ?(Festival d’Avignon: les articles auxquels vous avez échappé?)

Le public aime Christoph Marthaler (artiste associé du festival en 2008). Était-ce bien judicieux de nous proposer «My Fair Lady, un laboratoire de langues», spectacle certes très drôle, mais si vain? Le public aime Joseph Nadj (artiste associé du festival en 2006). Certes. Mais «Atem le souffle» était une oeuvre venue d’en haut vers le bas. Si Avignon est une chapelle, je n’ai pas choisi d’être pénitent ou pèlerin.

Additionnées, ces propositions ont provoqué  une censure sourde qui n’autorise presque plus aucune élévation de la pensée. La danse a nourri ce processus jusqu’à servir d’appât, elle qui stimulait il y a seulement quelques années, des débats sans fin (Terne bilan chorégraphique au Festival d’Avignon). Romeu Runa produit par les Ballets C de La B (fournisseur officiel annuel du Festival. Je fais le pari qu’ils seront programmés en 2013), Sidi Larbi Cherkaoui (Au Festival d’Avignon, les trop jolies «Zimages» de Sidi Larbi Cherkaoui), et Régine Chopinot (Au Festival d’Avignon, la triste colonie de vacances de Régine Chopinot). n’ont été que des «produits» d’appel: une danse du vide pour un trop-plein de clichés et de déjà vu. J’ai regretté l’échec de la proposition de Nacera Belaza: «Le trait» n’était finalement qu’une courbe s’épuisant sur elle-même. Tout comme ais-je été déçu par le peu d’énergie dans «C’est l’?il que tu protèges qui sera perforé» de Christian Rizzo: le mouvement était au service d’une «installation» où l’on est passé trop vite d’un «ici» à un «là».

À mes remarques, une affirmation est revenue, comme seule réponse: «oui, mais il y avait de belles i
mages
». En tant qu’artiste associé, Simon McBurney nous a imposé sa critique du théâtre: peut-il aujourd’hui transcender sans l’image? Dans «Le maitre et Marguerite» à la Cour d’Honneur, il nous  infligé un surtitrage aberrant, permettant au théâtre d’abdiquer face au poids de l’image (Au Festival d’Avignon, l’effondrement). . Le public a aimé. Et alors ?

Notre dignité, notre potentiel, notre rôle.

Dans un article publié dans Libération en mars dernier, le philosophe Bernard Stiegler et l’acteur Robin Renucci écrivaient: «Jean Vilar a inventé une place pour le spectateur en affirmant sa dignité, son potentiel et son rôle. Réinventons dans notre contexte la relation entre l’art et la société dans un souci d’élévation permanente». Tout au long du festival, cette relation a souffert.  L’artiste associé, Simon McBurney, y a largement participé: il nous a imposé son réseau qui nous a négligés. La palme revient à Katie Mitchell qui a démissionné avec une oeuvre radiophonique («Les anneaux de saturne»; Au Festival d’Avignon, l’ennui comme seule violence.) et une conférence sur le réchauffement climatique («Ten billion»)! Mais de quel théâtre de création s’agit-il? Avec «La négation du temps», William Kentridge a recyclé sur scène son installation actuellement exposée à la Documenta de Kassel (Sale temps au Festival d’Avignon). Mais quel ennui ! Avec «L’orage à venir», le collectif Forced Entertainment m’a bien fait marré la première heure, mais à la seconde, j’ai décroché: s’interroger sur la narration au théâtre aurait pu les amener quelque part sauf qu’ils n’ont cessé de recommencer. Mais pour qui nous prend-on? La palme de l’?uvre indigne revient probablement à Katya et John Berger pour «Est-ce que tu dors?». Cette proposition de médiation culturelle au musée était obscène. Le père et la fille ne se rendant pas compte que leur dissertation d’un niveau terminale sur l’?uvre d’Andréa Mantegna («la chambre d’amour») ne visait finalement qu’à se coucher dans le même lit. Personne n’a quitté la Chapelle des Pénitents Blancs pour autant à la différence de “Conte d’amour“!

Les Français Sandrine Buring et Stéphane Olry n’ont pas été en reste. Avec «Ch(ose) / Hic Sunt Leones», ils ont osé nous faire dormir sur des transats pour mieux nous enfumer sur leur incapacité à finir une ?uvre dans les temps. Pourquoi les avoir programmés ?

Les enfants? Ils n’existent toujours pas dans ce festival. C’est un non-public, jusqu’à leur infliger «Les animaux et les enfants envahissent la rue» de Suzanne Andrade et Paul Barritt. Trois comédiens se baladent dans une bande dessinée projetée en vidéo avec pour seul horizon, l’histoire d’un quartier où les gamins sont voués à ne jamais sortir de leur misère. C’était un spectacle à la pauvreté scénique déconcertante, bête et dépressif.

Notre absence.

Le théâtre français a incarné un «système» sans vision qui s’enferme dans un entre soi parisien terrifiant. Ce que j’ai vu à Avignon fut profondément mortifère, ancré dans un théâtre où la forme, les effets visuels prenaient le pas sur tout le reste. À chaque représentation, je me suis ressenti déconnecté, pas là. Consommateur, mais jamais sujet (Au Festival d’Avignon, l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français).

Éric Vigner pour«La faculté», Stéphane Braunschweig pour«Six personnages en quête d’auteur», Guillaume Vincent pour «La nuit tombe» et Séverine Chavrier pour «Plage ultime» ont pollués ce festival avec leur théâtre insignifiant.

À côté Bruno Meyssat avec «15%» et Jean-François Matignon avec «W/GB84» avaient un propos pour le Festival : sauf qu’ils nous ont perdus en route. L’un par excès poétique, l’autre par excès d’ambition.

Le 28 juillet, je décidais de me rendre aux dernières heures de la performance de Sophie Calle pour revoir ensuite «Tragédie» d‘Olivier Dubois et assister de nouveau au deuxième acte avec les acteurs de «La mouette» d’Arthur Nauzyciel (Festival d’Avignon : la der des ders?)

Le 28 juillet fut mon festival. Comme une réponse aux programmateurs qui sont devenus, comme tant d’autres,  des techniciens du spectacle.

Sans projet.

Pascal Bély – Le Tadorne.

 

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FESTIVAL ACTORAL PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival Actoral à Marseille, hivernal « Das Plateau ».

«Notre printemps» du collectif «Das Plateau» s’achève et un vent glacial balaye le Théâtre des Bernardines à Marseille. Qu’ai-je donc vu pour être si loin alors que les sujets proposés (la maladie, la jeunesse, la mort) auraient pu me toucher?

Ce théâtre français là, qui se défini pluridisciplinaire, est une fois de plus incapable de positionner le corps au centre comme si la mise à distance des émotions pouvait tenir de propos (lire à ce sujet: Au Festival d’Avignon, l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français ). Certes, mais pour quoi dire ?

Il y a dans ce théâtre contemporain là, une fascination pour l’image, une obsession de l’esthétique, qui frôle l’entre soi: d’un collectif qui se veut innovant, je n’ai vu qu’un groupe fermé qui se regarde jouer.

Tout commence par un vrombissement (encore lui?) et un noir imposé qui peu à peu laisse place à un lever de soleil. On reconnait très vite l’influence (revendiquée) de Roméo Castellucci. Sauf que chez l’artiste italien, le travail du son et de la lumière est en soi un propos. Ici, il n’est qu’une proposition?à peine travaillée. Un film suit, aux couleurs vintage des années 80. Pierre et son amie coulent des jours heureux dans leur maison de campagne. Pierre junior nait. Pierre papa est atteint d’une maladie rare quelques mois après. Il y aurait-il un lien entre les deux événements? Inutile de chercher dans cette voie?L’image est belle, très léchée. Puis, vient une fête entre amis. À poil (sauf une?). On se projette au coeur d’un banquet entre bobos parisiens: Bacchus et Dionysos de passage dans la rue seraient entrés parce qu’il y avait de la lumière. La caméra frôle les corps. On s’y croirait. L’orgie se prépare. Comment cette «mauvaise pensée» a-t-elle pu m’effleurer? Le collectif a du s’amuser en imaginant le public se rincer inutilement l’oeil. Puis Pierre disparait dans les eaux troubles de «Nature et découverte»?La pièce aurait pu s’arrêter là. Nous aurions vu un beau court métrage de sortie d’école de cinéma.
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Sauf que place est faite à un duo dansé aux gestes millimétrés. Je vois de la danse aquatique synchronisée (lien avec la dernière scène du film?) à moins que le chorégraphe Angelin Preljocaj ait prodigué ses conseils de jeunesse?J’observe la danse et rien ne vient. On m’avait pourtant promis «une confrontation sur scène du théâtre, du cinéma, de la danse et de la musique» qui provoquerait «un trouble, une confusion entre réel et fantasme, présent et passé, événements concrets en train de se produire et souvenirs, rêves, projections, invocations morbides». Cette danse ne produit qu’une forme. Elle est posée là.
S’invite le théâtre. Un salon descend du plafond. Cela doit venir de l’au-delà?Pierre, Jean-Philippe (le frère) et l’amie (j’ai oublié son prénom) discutent de tout  et surtout du rien (le jean’s acheté à Méribel, la question de savoir si Jean-Phi baise,?). C’est surréaliste. C’est long, sans intensité dramatique. Les mots n’ont plus de sens. Le silence aurait donc pu s’inviter. J’essaye de fantasmer?Rien ne vient…Je suis à court. Une seconde chance m’est offerte: nos protagonistes se déshabillent (il doit y avoir un lien avec la scène de l’orgie). Ils nous font face. Je repense au spectacle du chorégraphe Jérôme BelThe show must go on») où les danseurs nous fixaient pour interroger notre positionnement de spectateur. Ici, rien ne vient. Le sourire complice entre deux acteurs ne m’évoque rien.
«Das Plateau» nomme cela «un théâtre de l’âme». Mais peut-on le dissocier d’un théâtre du corps ? Ce collectif empile les esthétiques: or, tant que le spectateur repère qu’elles s’additionnent, cela signifie qu’aucun sens global ne vient les soustraire pour les relier! «Notre printemps» aurait pu être une oeuvre, celle de la mort de mon vivant, de l’âme de ma jeunesse, de la folie de mes groupes d’antan. Rien de tout cela. Juste une musique finale qui déverse son pathos à coup de décibels sur un duo dansé qui disparaît, noyant nos âmes de spectateurs vers les bas fonds d’un théâtre désincarné et prétentieux.
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Notre printemps » du collectif Das Plateau dans le cadre du Festival Actoral du 25 septembre au 13 octobre 2012.
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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PAS CONTENT Vidéos

Robyn Orlin a decouflé la Biennale de la Danse de Lyon !

Dans un festival, il y a un petit plaisir que je ne me refuse jamais: faire dialoguer les oeuvres. En ce dimanche après-midi, la Biennale de la Danse de Lyon a l’excellente idée de programmer deux spectacles qui, en apparence, non aucun lien entre eux. En apparence?

Philippe Decouflé revient avec «Panorama», un best off de son parcours de plus de trente années de création. L’amphithéâtre de la Cité Internationale est une salle imposante avec ses 3000 places. Le rapport scène-salle est totalement détestable, mais amusant: le plateau parait si petit face à l’immensité de ce mur de spectateurs. Nous sommes accueillis par des majorettes siglées aux insignes de la compagnie: l’ambiance est bon enfant et le restera tout au long du spectacle. En trente ans, le style Decouflé s’est fondu dans le langage publicitaire et les différentes esthétiques de la société du spectacle. La transmission vers ces jeunes danseurs semble très opérationnelle: s’il y a vingt ans, Decouflé transgressait, sa danse parait aujourd’hui un brin décalé avec l’époque, sans énergie subversive. C’est d’autant plus vrai avec certaines scènes où le «noir» fait le show, où la femme potiche et hystérique fait marrer. En sommes-nous encore là? Ces ressorts humoristiques, tant répandus dans la sphère médiatique, me lassent très vite. Les quelques moments de virtuosité sont si empruntés que l’ennui ne tarde pas à s’inviter. Ce «best off» ne tisse aucun lien entre les différentes époques. Troublant. C’est un voyage dans le temps sans résonance particulière, à l’image d’un parc d’attractions posé là. 

Deux heures plus tard, la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin débarque avec la compagnie Moving Into Danse Mophatong pour «Beauty remained for just a moment then returned gently to her starting position ?». Le début du spectacle est dans la continuité de «Panorama»!  On danse pour créer de l’image, de l’effet. Mais «où est la beauté ?» s’exclame une des danseuses. Le microbe aguicheur de chez Decouflé revient sous la forme d’un serpent très laid. Nous sommes invités à le chasser de la scène pour que la beauté puisse occuper le plateau! Robyn Orlin pense à juste titre que nous avons une vision misérabiliste de l’Afrique qu’il convient de changer. Mais n’avons-nous pas aussi une approche esthétique de la beauté qu’il faut «humaniser» pour la replacer dans l’interaction? Elle s’y emploie avec l’humour qu’on lui connait, avec cette troupe de sept danseurs qui prennent plaisir à être là, à venir nous chatouiller sous les orteils, à nous déplumer pour remplumer leur danse, à convoquer Dieu pour le rendre témoin de notre triste destin à chercher ce qu’il nous avait pourtant donné contre quelques concessions! Il y a dans cette pièce une énergie incontestable, dans la lignée du travail de  Philippe Decouflé, le désir d’en découdre en plus (ah, la scène de l’orgasme collectif! Inoubliable!). Le plastique joue ici un rôle majeur: matière à rêves, il recycle notre société du déchet pour créer de nouveaux territoires, celui de nos imaginaires enfin reliés, protégés par une déesse de la beauté bienveillante. Je suis troublé de reconnaître à plusieurs reprises des éléments du spectacle de Philippe LafeuilleCendrillon, ballet recyclable»), présenté l’an dernier à la Maison de la Danse de Lyon et qui avait si joliment célébré la puissance d’imagination du spectateur. La beauté plastique se transmet donc entre chorégraphes pour faire voler nos dernières certitudes sur un lien présupposé entre le beau et le neuf (voir aussi le spectacle de Phia Menard, programmé cette année à la Biennale).

Mais Robyn Orlin peine à totalement m’embarquer. Elle met en scène la recherche de la beauté sans pour autant inclure les danseurs dans un processus qui ferait une ?uvre. Le spectacle se fait avec nous, devant nous, sans que je n’aie eu la sensation d’assister à une proposition chorégraphique. Il faut attendre le générique de fin pour visionner une vidéo où l’une des interprètes danse la, sa beauté. À peine l’image se fige-t-elle qu’elle nous interpelle pour évoquer sa fierté de se voir aussi belle. Interloqué, je m’interroge: et si nous étions passés à côté de l’essentiel, à savoir que la beauté est dans l’art? A moins qu’elle ne soit dans le regard qu’on lui porte…

Pascal Bély , Le Tadorne

« Panorama » de Philippe Decouflé et «Beauty remained for just a moment then returned gently to her starting position ?» de Robyn Orlin à la Biennale de la Danse de Lyon du 13 au 30 septembre 2012.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LE GROUPE EN DANSE PAS CONTENT Vidéos

Claude Régy, spectateur associé à la Biennale de la Danse de Lyon.

Au fur et à mesure des oeuvres qu’il programme, le spectateur est pétri d’influences qui peu à peu, construisent son «propos». Il lui arrive également de s’inclure dans une démarche de création partagée avec des artistes. Ainsi, progressivement,l’image du spectateur actif émerge dans notre société où la représentation de son positionnement est le plus souvent noyée dans la masse uniforme de la jauge ou de l’appellation générique de «public».

À quelques heures de partir pour la Biennale de la Danse de Lyon, une vidéo postée sur mon mur Facebook attire mon attention. On y entend deux metteurs en scène (Claude Régy et Luc Bondy) échanger avec Fréderic Taddeï sur le plateau de «Ce soir ou jamais». La pensée de Claude Régy est lumineuse quand il évoque le positionnement du spectateur. «Il faut supprimer la représentation; la vraie représentation est complètement imaginaire; l’écriture trouve son prolongement dans l’imaginaire du spectateur, qui imagine le spectacle à partir de ce qui lui est suggéré. La liberté est totale. Aux  spectateurs d’inventer leur spectacle, d’être libre d’imagination, d’être créateur, pas spectateur passif». Il poursuit en pointant les théâtres où la «scène est une coupure». Il évoque «le besoin d’une salle unique pour relier l’univers  mental du spectateur et celui de l’artiste, où le spectateur est dans le même lieu que le spectacle». Il soutient que «le réalisme est une fausse posture. Il n’y pas de réel. Au nom de quoi peut-on faire du réalisme ? Il faut faire des choses qui déconstruisent l’idée de la certitude, qu’il y aurait un réel simple». Ses propos m’impressionnent: sa pensée complexe rencontre mon «travail».

Mais en ce samedi d’automne, le spectateur vu par Claude Régy est absent de la Biennale de la Danse de Lyon. Rendez-vous m’est donc donné à Vaulx-en-Velin pour «Murmures» de la Compagnie Malka. Cette oeuuvre du chorégraphe et danseur Bouba Landrille Tchouda évoque le milieu carcéral. Vaulx-en-Velin, prison, étrange association. Probablement le «réel» s’est-il invité dans la représentation que se font les programmateurs de cette ville. Je suis d’emblée surpris par le rapport scène-salle qui reproduit la distance entre la prison et la société. Le réalisme est décidément partout quitte à brutaliser la rencontre entre des artistes et des spectateurs.
Le décor est une cellule où le chorégraphe et le danseur Nicolas Majou évoluent au gré de leur relation. Tout est suggéré: la chambre colle aux mouvements et réduit la danse à un message explicite (qu’aurait-il chorégraphié sans la présence du lit, du lavabo?). Elle me «parle» beaucoup trop pour que je puisse imaginer, me projeter dans un processus d’enfermement (sur ce registre, on préférera de loin «Press» de Pierre Rigal). Bouba Landrille Tchouda m’isole dans son «réalisme» jusqu’à effleurer la relation homosexuelle entre les deux prisonniers, à jouer au «j’allume et j’éteins la scène» pour signifier une hypothétique mobilisation de mon imaginaire. Ce travail tout à fait respectable ne rencontre pas mon parcours de spectateur: bien au contraire, il le fait bifurquer vers une voie où le «réel » serait lisible. Vers une «danse réaliste» ?
Deux heures plus tard, Yuval Pick, tout jeune directeur du Centre Chorégraphique de Rillieux la Pape, nous propose au Théâtre de la Croix Rousse, «Folks», sa dernière création. Le dispositif scénique est superbe. Comme avec Claude Régy, j’ai rapidement la sensation qu’il n’y a qu’un seul espace «mental» entre artistes et spectateurs. Six danseurs surgissent et font la ronde: l’enfance s’invite là où les mains créent le fil tendu, détendu qui électrise les corps. Leur inconscient groupal «se prolonge dans mon imaginaire». Cela m’émeut. Peu à peu, la ronde bascule vers le folklore, la joie d’y être et les premiers conflits. Du linéaire, Yuval Pick propose, à partir de différents tableaux, une vision complexe du groupe, souvent abordé en danse contemporaine (dernièrement chez Mathilde Monnier, Emanuel Gat, Radhouane El Meddeb, Hofesh Shechter,): le collectif uniforme, l’exclusion, le couple homme-femme, homme-homme, l’inclusion. Il y a chez Yuval Pick une énergie rarement rencontrée ailleurs: en mêlant le mouvement folklorique, les langages (le rire, l’applaudissement,…), l’imaginaire de West Side Story, il parvient à créer le groupe garant d’une culture, celui qui dépasse le stade infantilisant de l’unisson.
Mais au bout de quarante minutes, tout s’émiette. Sans que l’on comprenne pourquoi, chacun installe des plantes sur scène qui finissent par signifier une forêt tropicale. Les danseurs semblent  livrés à eux-mêmes, perdant tout sens de l’espace et de la relation groupale. Rarement je n’ai approché un tel désastre artistique où pour sauver ce qui peut l’être, un chorégraphe décide de noyer son propos dans un décor. Je suis désemparé, presque abandonné en rase campagne!
«Folks» s’effondre. Cette création n’est pas du niveau d’un Centre Chorégraphique National. Faut-il voir dans le geste de ce créateur une incapacité (provisoire?) à articuler  le groupe et le projet institutionnel. Ce décor serait-il métaphorique d’un paysage chorégraphique réduit à une jungle institutionnelle où se perdent un chorégraphe et des danseurs?

J’hallucine? Peut-être, mais c’est ma seule façon d’exister comme spectateur créateur.

Pascal Bély, Le Tadorne.
«Murmures» par la Compagnie Malka et « Folks » de Yuval Pick à la Biennale de la Danse de Lyon du 13 au 30 septembre 2012.
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À la Biennale de Lyon, la danse fait la manche, le théâtre de David Bobée accélère.

Quelles peuvent être les intentions d’une Biennale de la Danse d’inclure une oeuvre théâtrale dans sa programmation? Dans son éditorial, Dominique Hervieu, directrice, n’est pas avare de concepts lorsqu’elle promeut une «esthétique de la diversité» car «la danse est un art majeur qui influence aujourd’hui les autres arts» pour de «nouveaux horizons de la transdisciplinarité où le rapport au corps nourrit la dramaturgie“. Comprenne qui pourra. Ainsi, le metteur en scène David Bobée est-il invité à incarner ces intentions avec un «Roméo et Juliette» qui, dans ce contexte, fait événement. Mais ne vous emballez pas trop vite. Il est mentionné plus loin dans la fiche du spectacle que cette «création réalisée dans le cadre d’une résidence aux Subsistances constitue la première étape d’une collaboration au long cours entre la Biennale de la danse et ce laboratoire international de création». Pourquoi communiquer une telle information qui, après tout, n’est qu’une cuisine interne? À moins que cela ne soit une précaution d’usage pour signifier qu’il va falloir partager les budgets. «Roméo et Juliette» par David Bobée n’a rien d’un théâtre nourri par la danse. Tout au plus, donne-t-il une version moderne des luttes entre les clans Capulet et Montaigu où des acteurs d’origine arabe croisent le fer pour que finalement, l’amour triomphe. Pourtant, tout avait si bien commencé…

Dans un décor de cuivre chaleureux (délicieux contraste avec la verrière des Subsistances où la température chute à vue d’oeil), ce Shakespeare se veut d’emblée généreux, fougueux. Dans l’une des premières scènes, la danse s’invite, par la petite porte, au cours d’un bal. Cette humilité me touche d’autant plus que le plateau est à l’image de l’idée que je me fais d’une société ouverte: jeunes, plus âgés, blancs, noirs, métisses forment la bande des bandes. Mais rapidement, je comprends que la danse ne reviendra plus pour influencer. Tout juste a-t-on droit à  un jeu d’acrobates un peu vain qui pose le spectaculaire comme unique rapport dramaturgique au corps (en témoigne, les applaudissements du public). Il faudra attendre de longues minutes pour assister, médusé, à la belle danse de Pierre Bolo qui, dans le rôle de Mercutio, offre son hip-hop pour une joute verbale époustouflante! Pour le reste, «la transdisciplinarité» est un espace laissé vide, où la danse ne peut se glisser d’autant plus que la traduction dynamite de Pascal et Antoine Collin impose un rythme qui rend impossible toute écriture chorégraphique. Reste le «rapport au corps». «Nourrit-il la dramaturgie?». Il est très performé (du en grande partie à la présence de danseurs hip-hop et d’acrobates). Dans le rôle de Roméo, Mehdi Dehbi en impose par sa beauté fulgurante! Il saute, se jette, se relève, enjambe, ne se contente plus de la scène et finit par jouer en fond de gradin. Ces déplacements performatifs sèment le trouble: la mise en scène se résume peu à peu à une dynamique spatiale, laissant de côté le jeu d’acteur comme si David Bobée était totalement aveuglé par cette allégorie d’une société mondialisée métissée où tous les arts se valent, quitte à les réduire chacun au plus petit dénominateur commun (métaphore de la transdisciplinarité vue par les pouvoirs publics?). La majorité des acteurs ne viennent pas du théâtre et performent, habitent leur jeu à partir de leurs disciplines sans que cela ne fasse une oeuvre «transdisciplinaire». Tout au plus, «Roméo et Juliette» incarnent-ils une idéologie de la diversité. Or, le théâtre est plus qu’une somme de disciplines. Il me revient «La mouette», par Arthur Nauzyciel pour le Festival d’Avignon, où la danse chorégraphiait le théâtre pour créer de nouvelles interactions entre le sens donné par Tchekhov et la vision du metteur en scène. C’était sublime, car riche de messages qui traversaient mon inconscient (Au Festival d’Avignon, la beauté sidérante de “La mouette” d’Arthur Nauzyciel)

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Mais ici, point de «traversée» d’autant plus que l’actrice Véronique Stas (la nourrice), l’une des rares à se positionner «clairement» sur le champ théâtral, m’empêche de «travailler». Difficile de faire abstraction: habit décalé, intonations issues du café-théâtre, ponctuation de chaque phrase par un tapement sur les cuisses. Elle fait son show et parvient à tout écraser: sa performance n’est plus un jeu, mais une posture empruntée à la société du divertissement. Juliette fait ce qu’elle peut (Sara Llorca) mais manifestement, le rôle-titre lui échappe

Peu à peu, le théâtre n’est qu’une scénographie extrêmement sophistiquée nourrie par des performances physiques et une accélération du temps qui me laisse totalement sur le côté. La présence d’acteurs plus âgés (Jean Boissery et Alain d’Haeyer) n’y change rien : ils font preuve d’une passivité déconcertante face à ce jeu «consumériste» dévastateur.

À mesure que l’intrigue s’écoule, des acteurs-amateurs tentent de se professionnaliser (j’aurais préféré l’inverse?). Est-ce cela que l’on nous promet sur les scènes où, sous couvert de transdisciplinarité, la forme l’emporte sur le fond, où la complexité se réduit à une somme de performances physiques séduisantes en phase avec une époque où le toujours plus écrase le temps nécessaire pour qu’émerge le sens du fragile?

Je reste convaincu qu’une biennale de la danse peut explorer de nouveaux territoires. Mais avec les chorégraphes. Pas contre eux.

Pascal Bély, Le Tadorne

«Roméo et Juliette» de William Shakespeare, mise en scène par David Bobée à la Biennale de la Danse de Lyon du 13 au 22 septembre 2012.