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PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Une certaine tendance du théâtre français, retour sur 2014.

« Si le cinéma Français existe par une centaine de films chaque année, il est bien entendu que dix ou douze seulement méritent de retenir l’attention des critiques et des cinéphiles, l’attention donc de ces Cahiers. »

2014: Année Truffaut. Exposition à la Cinémathèque de Paris, rétrospectives, célébration institutionnelle, reconnaissance générationnelle. Unanimité pour louer l’héritage d’un des pères fondateurs de la Nouvelle Vague. L’exposition de la Cinémathèque, riche de documents et émouvante par instants, s’achève pourtant par une séquence troublante : la projection d’une vidéo où l’on voit de jeunes comédiens interpréter une scène de Truffaut, parler. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Pourquoi nous les montre-t-on se montrer ?

Ils jouent mal, n’ont rien à dire. La séquence est gênante. Leurs noms sont affichés : la moitié ou presque sont des « fils/fille de »…Garrel, Haenel, Bonitzer, etc. Le metteur en scène Vincent Macaigne (adoubé par la critique pour son dernier spectacle au Théâtre de la ville de Paris)est bien entendu de la partie. De quoi sont-ils le nom ? De l’héritage aux héritiers, il n’y a qu’un pas : il est franchi, sans que personne ne sourcille. Cinéma, théâtre, média, même réseau, même processus de lutte des places quelle que soit la vacuité du propos et de la démarche. Mais finalement, est-ce si surprenant de voir le cinéma de Truffaut aboutir au conformisme creux et plat des années 2010 ? Le lyrisme et l’exploration du soi présents dans ses films ont préfiguré le délire égotique de la société du spectacle qui téléramise le cinéma comme les arts du spectacle. Où sont Jean Eustache, Philippe Garrel, scandaleusement absents, eux, de la rétrospective, les seuls à avoir travaillé le versant négatif de la naïveté truffaldienne ? Godard, à peine évoqué, leur brouille, ses raisons personnelles et artistiques, inexistante. Agnès Varda, Jacques Demy, et d’autres enfants cinématographiques de Truffaut, laissés de côté. Tous ces auteurs qui ont travaillé formellement l’héritage de Truffaut sont remplacés par une jeunesse déjà vieillie par les combats mondains. De l’exposition, je ne garde que ceci : un objet fétiche qui n’a d’autre consistance qu’un plaisir vide et éphémère. Alors même que les portes étaient ouvertes, elles se referment sur la jeune arrière-garde française. Définitivement : Godard, Garrel, Eustache.

De 2014 à 1954. Cette année-là, Truffaut publie un article demeuré célèbre : Une Certaine Tendance du Cinéma français. 60 ans plus tard, quelle boucle enchevêtre ce propos novateur à ce qui s’en est suivi? Quelle créativité le théâtre français a-t-il donné à voir dans une année marquée notamment par le Festival d’Avignon présidé par Olivier Py, le conflit des intermittents, le Festival d’Automne, et d’autres manifestations encore ?

Je laisse de côté la question de savoir pourquoi le propos de Trufaut s’est finalement retourné contre lui, et comment, après Les 400 coups, il a pu reproduire le cinéma archaïque qu’il abhorrait. La force du texte, elle, reste intacte ; elle tient à l’absolue actualité du propos, mais presque en négatif. Truffaut oppose cinéma de texte et cinéma de metteur en scène, cinéma « de la tradition et de la qualité » et cinéma d’auteur. Il écrit à un moment : «Eh bien je ne puis croire à la co-existence pacifique de la Tradition de la Qualité et d’un cinéma d’auteur.» La guerre que s’apprêtent à mener Truffaut et ses (futurs)-amis, c’est le refus de la Tradition et de la Qualité, cette position est irréconciliable. Et bien pourtant, 2014 a vu se poursuivre le processus inverse : la fusion des deux et leur dilution réciproque. Je généralise, il y a bien entendu des exceptions à cela (Hypérion de Marie-Josée Malis, Bit de Maguy Marin, et d’autres encore), mais elles sont reléguées à la marge. Je me souviens du “Py-être“ Festival d’Avignon 2014, son inconsistant théâtre du «retour au texte». Comme si le salut pouvait venir d’une divine poétique qui suffirait à faire oeuvre. Des mots-valises entendus à foison, comme pour faire oublier que l’heureux élu posait les siennes absolument partout, et entendait que cela se voie. C’est donc cela : Une certaine tendance du théâtre français. Mettre en avant le verbe pour s’exposer à la pleine lumière, au risque que le verbeux et le verbiage peinent à masquer les ambitions personnelles. Mais ce n’est pas tout car, comme l’écrit Truffaut : « Vive l’audace certes, encore faut-il la déceler où elle est vraiment. » L’adaptation de LIdiot par Vincent Macaigne, par exemple, est-elle drapeau révolutionnaire ou sac plastique, effigie cynique de la société de consommation ? Où se trouvent la prise de risque véritable, la violence symbolique ? Peut-on croire à la subversion par les cris, par le cru, par une débauche d’images (et de moyens…) quand c’est peut-être en réalité la subvention qui est recherchée, qui se trame, qui se joue derrière ces appareils ?

Poursuivons avec Truffaut: «Le trait dominant du réalisme psychologique est sa volonté anti-bourgeoise. Mais qui sont Aurenche et Bost, Sigurd, Jeanson, Autant-Lara, Allegret, sinon des bourgeois, et qui sont les cinquante mille nouveaux lecteurs que ne manque pas d’amener chaque film tiré d’un roman, sinon des bourgeois ? » Il suffit de remplacer ces noms par ceux de la « nouvelle génération ». La bourgeoisie, c’est la reproduction sociale, par le capital, les codes, le réseau, la culture ; la reproduction d’idées, par le conformisme. C’est la lutte des places, peu importe ce qu’on y fait, ce qu’on y dit : il faut en être. Que propose le jeune metteur en scène Sylvain Creuzevault comme pensée politique dans Le Capital ? La déconstruction permanente : rire de tout pour éviter de penser quoi que ce soit. Rire entre soi de références communes, ni approfondies, ni complexifiées. Et que dire de “Répétition” de Pascal Rambert ? Là encore, la déconstruction comme cache-misère, comme jeu de miroirs, et peu importe s’il ne reflète rien d’autre que le vide. La tentative initiée par Philippe Quesne de mettre en scène l’enfance dans Next Day ? Mais où sont donc les enfants de Nanterre, ceux qu’on trouverait par exemple dans les écoles de la ville ?

Nous avons des apothicaires qui font leurs comptes au lieu d’artistes capables de nous aider à penser le monde contemporain. Dans une société en crise, où sont les marginaux, les délaissés, les exclus ? On a beau chercher, on ne les voit pas. Il est plus que temps d’ouvrir la scène et les théâtres aux acteurs sociaux, aux précaires, aux enfants, aux personnes issues de l’immigration, à tous ceux qui n’appartiennent pas au monde de la culture : «Quelle est donc la valeur d’un cinéma anti-bourgeois fait par des bourgeois, pour des bourgeois ?» demande Truffaut. Quelle est donc la valeur d’un théâtre anti-bourgeois fait par des bourgeois, pour des bourgeois ?

Des portes sont ouvertes: en 2014, certaines oeuvres ont marqué les esprits (celles d’Angélica Liddell, Pippo Delbono, Roméo Castellucci, Matthew Barney, William Forsythe), proposé un dispositif radical, à la mesure des enjeux contemporains. En 2015, il faudra creuser ce sillon. Car il vient de loin, et ne date pas d’aujourd’hui : sur mon fil d’actualité Facebook, un ami renvoie au blog de Pierre Assouline qui retranscrit sa discussion avec Mickael Lonsdale. Ce dernier évoque Beckett, qui avait déjà perçu cet enjeu à l’époque :

« Après sa mort, j’ai relu tout ce qu’il a écrit. J’ai compris qu’il ne parlait que des pauvres, des fous, des clodos, des détraqués, des rejetés de la société, alors que depuis des siècles, le théâtre nous faisait vivre certes des situations tragiques mais auprès de rois, de puissants. Sans son humour, ce serait intenable. Sa compassion pour l’humanité est incroyable. Je l’ai bien connu dans sa vie privée : discrètement, il aidait les gens, les secourait lorsqu’ils étaient malades. Sa femme l’ayant fichu dehors à cause de leurs disputes, il vivait dans une maison de retraite tout près de chez lui ; mais quand elle est morte, il a préféré rester « parmi mes semblables » disait-il, au lieu de rentrer chez lui. Jusqu’à la fin, il faisait les courses pour un couple qui ne pouvait plus se déplacer. La générosité de cet homme ! Dès lors que l’on essaie de sauver les gens, c’est de l’ordre de l’amour, donc Dieu est là. Mais de tout cela, on ne parlait pas en marge des répétitions. Pourtant j’ai créé Comédie dont on peut associer la diction à celle des monastères. Recto tono ! Une vitesse de mitrailleuse ! Sans inflexion ni psychologie. Une machine ! Même si son inspiration pouvait être picturale, le Caravage surtout qu’il allait voir en Allemagne. En attendant Godot est né de la vision d’un tableau. Pour le reste, Beckett c’était saoûlographie totale. » (/)

Sylvain Saint-Pierre – Tadorne

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FESTIVAL ACTORAL FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS PAS CONTENT Vidéos

Voyage théâtral en Hollandie (ou en Sarkozye, suivant votre sensibilité).

« Pourquoi n’écris-tu plus sur le Tadorne ? ».

« Parce que le théâtre ne me donne plus la parole »…

Depuis la rentrée (le processus avait déjà commencé au festival d’Avignon, génération Py), je suis un spectateur passif, en attente d’une expérience qui ne vient pas. Je ressens un fossé, un gouffre, entre des gestes artistiques verticaux et ma capacité à les accueillir, avec mes doutes, mes forces et mes questionnements. Je reçois des propos qui ne me sont pas adressés, juste pensés pour un microcosme culturel qui adoube, exclut, promeut. A lui seul, il a souvent été public d’un soir…notamment lors du festival de création contemporaine Actoral à Marseille. Ce que j’y ai vu m’est apparu désincarné, hors de propos parce que sans corps. Le spectacle dit « vivant » s’est révélé mortifère: le rapport au public n’est plus LA question.

Il y a bien eu le metteur en scène japonais Toshiki Okada avec « Super Premium Sof Double ». Son écriture où se mêlent mouvements et mots est une avancée pour relier corps et pensée visant à nous décrire l’extrême solitude des travailleurs japonais qui trouvent dans les supermarchés ouverts la nuit de quoi puiser l’énergie d’un espoir de changement. Je suis resté longtemps attaché à ces personnages à priori automatisés dans leurs gestes, mais où se nichent des interstices où la poésie prend le pouvoir.

Il y a bien eu « La noce » de Bertolt Brecht par le collectif In Vitro emmené par Julie Deliquet au TGP dans le cadre du festival d’Automne à Paris. Une table, un mariage, une famille et des amis. C’est magnifiquement joué, incroyablement incarné pour décrire cette époque (les années 70) où la question du corps était politique. Mais une impression de déjà vu (Gwenaël Morin, Sylvain Creuzevault) me rend trop familier avec le jeu des acteurs pour que j’y voie un théâtre qui renouvellerait sa pensée.

Avec Vincent Macaigne à la 12’45mn – Le Before du 23/10

Il y a eu Vincent Macaigne avec “Idiot! parce que nous aurions dû nous aimer“, chouchou des institutions et de la presse depuis son dernier succès à Avignon. À peine arrivé au Théâtre de la Ville à Paris, le bruit est une violence. Vincent Macaigne et ses acteurs s’agitent dans le hall et dans la rue. Les mégaphones nous invitent à fêter l’anniversaire d’Anastasia, l’une des héroïnes  de « L’idiot » de Fiodor Dostoïevski. En entrant dans la salle, nous sommes conviés à monter sur scène, « pour boire un verre »…Ainsi, le public est chauffeur de salle, réduit à un élément du décor. Il règne une ambiance insurrectionnelle: quelques spectateurs sont sur scène tandis qu’un acteur (le Prince) observe, immobile, illuminé par un faisceau de lumière. C’est fascinant parce que le sens du théâtre s’entend. Mais cette force va rapidement s’épuiser. Parce que Vincent Macaigne s’amuse comme un gosse à qui l’on aurait donné tout l’or du monde (ici, l’argent public coule à flot) pour transposer cet Idiot en évitant de passer par la case politique. Car il n’a aucun sens politique : on se casse la gueule pour faire diversion (genre humour plateau de télé), on gueule pour habiter les personnages, on noie le propos dans une scénographie d’un type parvenu au sommet parce que les professionnels culturels sont aveuglés par le pouvoir de la communication. Macaigne leur rend bien : tout respire la vision d’un communicant. Jusqu’à cette scène surréaliste à l’entracte où, face au bar, il pousse un caisson tandis que se tient debout le Prince. Macaigne pousse…invite le public à applaudir (mais qui ne répond pas). La scène aurait pu faire de l’image, mais Macagine est pris à son propre piège : il fait du très mauvais théâtre de rue. Mais qu’importe, le jeune public et une classe sociale branchée y trouvent leur compte : le théâtre peut aussi faire du bruit et de l’image, célébrer le paraître et la vacuité de l’époque. On se perd très vite dans les personnages parce que l’effet prend le pas sur la relation (souvent réduite à un geste, une interpellation), parce que les dialogues sont à l’image d’un fil de discussion sur Facebook.

Avec Vincent Macaigne, le théâtre est un produit de surconsommation. C’est pathétique parce que les acteurs se débattent en gueulant et que cela ne fait jamais silence; parce que Macaigne se fait une étrange conception du public: à son service. C’est pathétique parce que ce théâtre du chaos ne crée aucun désordre: il profite juste de nos errances.

Il y a bien eu « Impermanence » du Théâtre de l’Entrouvert, spectacle dit « jeune public » co-diffusé par le Théâtre Massalia et la Criée de Marseille. Dans la salle, une fois de plus, beaucoup de professionnels. Il y a très peu d’enfants. Au cœur de la Belle de Mai, il n’y a aucune famille de ce quartier très populaire. Jeune public ou pas, la fracture sociale est la même. Le théâtre dit contemporain ne s’adresse plus au peuple. S’adresse-t-il seulement aux enfants alors que mon filleul de 9 ans ne voit pas toute la scène parce qu’il est trop petit (le théâtre ne dispose d’aucun coussin pour lui)? La feuille de salle est un texte très hermétique à l’image d’une pièce qui reprend tous les poncifs de la création contemporaine. Au cours de ce voyage théâtral sans but, l’artiste évoque « la perte de sens » (on ne saurait mieux écrire). Ici se mélangent musique vrombissante, images, numéro allégé de cirque, marionnette inanimée. Tout est mortifère à l’image d’un pays pétrifié dans la peur de faire. Toutes les esthétiques sont là pour satisfaire les programmateurs. C’est décourageant de constater que les logiques de l’entre soi sont maintenant imposées aux enfants.

Dans ce paysage morose, il y a une lueur d’espoir. Elle vient d’un metteur en scène, Jacques Livchine, qui répond José-Manuel Gonçalvès, directeur du 104 à Paris après son interview dans Telerama. Un paragraphe a retenu mon attention : « Il y a quelque chose qui ne va pas dans le théâtre, il n’y a pas de projet commun, rien ne nous relie les uns les autres, On est dans le chacun pour soi, le ministère de la Culture est incapable de nous donner le moindre élan. Les petites sources de théâtre ne deviennent pas des ruisseaux ou des rivières qui alimenteraient un grand fleuve, non, c’est le marché libéral, la course aux places, aux contrats, les symboles se sont envolés, nous sommes tous devenus des petits boutiquiers comptables. Il faudrait se mettre tous ensemble pour dire qu’on en a marre, qu’il faut que nos forces s’additionnent pour une seule cause, celle de retrouver “la fibre populaire”. On a besoin d’un défi collectif, le théâtre ne doit plus s’adresser à un public, mais à la ville toute entière. »

Ce défi ne se fera pas avec le ministère de la Culture et ses employés obéissants. Il se fera à la marge, par la base, par un long travail de réappropriation de l’art par ceux qui veulent que la relation humaine soit au centre de tout. Les théâtres subventionnés ont depuis longtemps abandonné ce centre-là pour jouer à la périphérie afin de maintenir leurs pouvoirs et leurs corporatismes.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT

Rupture de contrat avec le Festival d’Avignon.

Trois années après la crise des subprimes, trois artistes du Festival d’Avignon s’emparent du sujet pour en restituer leur vision: Nicolas StemannLes contrats du commerçant, une comédie économique»), Thomas OstermeierUn ennemi du peuple») et Bruno Meyssat15%»).

Premier épisode avec Nicolas Stemann pour la représentation la plus chère après celles de la Cour d’honneur (entre 29 et 36 €; à ce prix-là, il reste encore des places). Il s’avance sur la scène pour nous prévenir: la pièce est longue (un compteur de pages trône sur le plateau, bloqué à 99) et il n’est pas nécessaire de lire en continu les surtitres (effectivement, le texte d‘Elfriede Jelinek est une interminable logorrhée verbale à propos des conséquences de la spéculation financière sur l’économie réelle). Nicolas Stemann précise que nous pouvons quitter les gradins de la cour du Lycée Saint-Joseph pour nous désaltérer au bar et visionner “les contrats”. Manière élégante pour définir ce spectacle comme une installation.

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Ces principes de précaution étant posés, la pièce peut débuter. Feuillets à la main, les acteurs égrènent le texte tout en le ponctuant de différentes performances. Le mistral s’invite pour faire voler ce texte soporifique en éclats de papier. Les corps des acteurs en disent bien plus que les mots qui défilent tels des cours de la bourse sur les chaines d’information. La succession de performances met en scène les ravages d’un système financier hors de contrôle sur la vie d’un couple de retraités. Je m’ennuie très vite comme si ces images, même métaphoriques, m’étaient familières. En effet, la danse contemporaine et les arts plastiques véhiculent les symboles du corps «marchand» depuis longtemps sans faire explicitement référence à la crise financière. À cet instant, ce théâtre-là n’invente rien. Tout au plus recycle-t-il des procédés scéniques au profit d’un texte bien heureux d’être ainsi valorisé! L’absence de dramaturgie provoque la farce, malgré de «belles images» de corps ensanglantés, de corps crucifiés à la dérive et de scènes de boulimie de billets de banque qui tournent au vomi…

Lassé, je prends la tangente vers le bar où le prix des consommations n’a rien à envier à ceux pratiqués sur la Place de l’Horloge. On y discute, mais de quoi? Des spectateurs naufragés (couverture sur les épaules) errent dans le jardin, mais vers où? Étrange image que ces attroupements comme si le besoin de lien social prenait le pas sur les performances! Est-ce une métaphore de notre (in)conscience face à la crise? Je décide de ne pas regagner ma place. Je me positionne à l’entrée du couloir entre scène et jardin, tel un observateur attentif pour ne rien perdre de mon regard critique. Situation totalement inédite en vingt ans de fréquentation du Festival! Je savoure cette liberté…

C’est alors que Vincent Macaigne (metteur en scène d’un Hamlet décapant lors de l’édition de 2011 du Festival) s’insurge dans les gradins. Il veut stopper la pièce. De ma place, je comprends très vite que c’est un jeu de rôles calculé. Il finit par monter sur le plateau. La scène est assez pathétique: désinvolte, il semble découvrir le  texte. Mon attention est détournée par un enfant «comédien» (précédemment déguisé en superman) qui quitte le plateau par les coulisses. C’est la fille de Vincent Baudriller, directeur du Festival d’Avignon. Ainsi, la farce tourne vite à la mise en scène d’un milieu qui jouit du désordre généré par la crise (ici symbolisé par l’éclatement de la représentation où la performance et les arts plastiques prennent le pouvoir sur la dramaturgie). Aucun système de pensée n’émerge de ce théâtre, tout au plus une amusante dynamique d’un «jeu de rôles» où le spectateur non averti ignore des enjeux (par quel processus cet enfant est-il arrivé sur scène? Que se joue-t-il entre Vincent Macaigne, Nicolas Stemann et la Direction sachant que le lendemain, on me dit que Stanislas Nordey, artiste associé en 2013 du Festival, endossera le rôle?). Il y a dans ces «contrats» bien d’autres «transactions» et d’autres «comédies économiques» où le public n’est finalement qu’une variable d’ajustement: ses déplacements sont même orchestrés à des fins de mise en scène (fuite au-dehors ou vers le bar; qu’importe !).

Au Théâtre des Idées, événement programmé au sein du Festival, Clémence Hérout rapporte dans son blog l’intervention d’Alain Badiou: «Le théâtre représenterait ainsi la tension entre transcendance et immanence de l’idée». Ce soir, nous en sommes très loin. Infiniment loin. Comme si la crise de 2008 avait réussi à faire plonger certains artistes joliment subventionnés dans la mise en scène du cynisme avec une esthétique irréprochable pour amuser le bourgeois à défaut d’inviter le peuple à réfléchir sur son avenir.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Les contrats du commerçant, une comédie économique» de Nicolas Stemann au Festival d’Avignon du 21 au 26 juillet 2012.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Le Prince Vincent Macaigne vous attend.

Ce fut le succès du dernier Festival d’Avignon. Une oeuvre rare. Le Théâtre National de Chaillot à Paris l’accueille du 2 au 11 novembre 2011 avant une tournée jusqu’en février 2012 (Grenoble, Mulhouse, Douai, Orléans, Nantes, Luxembourg, Valenciennes).

Retour d’Avignon…

Cela devait arriver. Non que cela fut prévisible, mais attendu. Depuis quelques jours, il se trame un drame derrière les murs du Cloître des Carmes au Festival d’Avignon. Après «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» de Vincent Macaigne d’après «Hamlet» de William Shakespeare, de nombreux spectateurs semblent sonnés par cette proposition qui dépasse l’entendement.

Je n’ai pas pleuré. Je me suis même amusé avec le chauffeur de salle. Fini l’attente. Le théâtre est ouvert dès notre installation. Sur le gazon bien amoché et boueux de la scène, un homme harangue la foule avec une chanson débile. Il invite le public à monter sur le plateau. Les jeunes ne se font pas prier. Et ça dure…La caste journaliste vieillissante se demande avec inquiétude comment cela va finir. Cet espace intermédiaire entre théâtre et réalité en dit long sur les intentions de Macaigne : il faut nous mettre en condition, en assemblée. Quitte à se foutre de notre gueule.

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Je n’ai pas pleuré. J’ai juste tremblé pour Hamlet. Depuis le temps, je m’habitue à sa folie. Mais ce soir, c’est tout un système qui devient fou. Le corps du père gît encore dans une fosse ouverte d’eau boueuse tandis que le mariage de Claudius avec la mère d’Hamlet tourne à la farce populaire d’une émission pour temps de cerveau indisponible. Nous rions à notre décadence. La boue est notre merdier. Les personnages se dépatouillent pour exister dans ce décor de terre piétinée, d’arrière-cour de salle d’attente d’entreprise de communication, de logement précaire en tôle et verre probablement dessiné par le metteur en scène institutionnalisé et friqué Fréderic Fisbach, présent au Festival avec Juliette Binoche, actrice squelettique.

Comment comprendre la tragédie d’Hamlet si l’on ne pose pas le contexte dans lequel elle interagit? Vincent Macaigne ne s’attarde pas beaucoup sur le spectre, réduit à un furet empaillé. Inutile de s’accrocher à l’au-delà. Ici bas, suffit. Les mythes commencent sérieusement à nous emmerder. Hamlet n’est pas fou, il souffre.  Mais comment un tel système politique peut-il entendre la souffrance? Il est décalé. Inaudible. Totalement inaudible. À devenir dingue. D’ailleurs, ils gueulent tous pour se faire comprendre. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Car je n’ai pas tardé à faire un lien : cette scène est notre Europe, notre boueux pays de France où un saltimbanque au pouvoir transforme l’art en bouillon de culture…

Cette scène est dégueulasse. Ils puent tous la mort. Cela gicle de partout. Comme un corps institutionnel agonisant, épuisé par la traîtrise aux idéaux, mais encore vivant, car le cynisme leur donne l’énergie vitale d’organiser le chaos pour le maîtriser à leur profit. Hamlet n’est pas fou : il lutte pour sa chair….Mais le système va l’emporter. Ne reste que le théâtre.

Entracte.

Hamlet reprend la main. Installe un théâtre où il met en scène son enfance. Aux origines. Qu’a vu Hamlet qu’il n’aurait pas dû voir? Mais cette mise en abyme ne résiste pas. Le théâtre se fond dans le système politique jusqu’en épouser les jeux (comment ne pas penser à la nomination controversée d’Olivier Py à la tête du Festival d’Avignon en 2014 ?).

Je n’ai toujours pas pleuré. Je me suis immobilisé. Face à tant de beauté apocalyptique. La folie du Royaume et sa déchéance emportent le décor du Cloître des Carmes balayé par un château fort gonflable prêt à nous sauter à la gueule. Notre Europe forteresse est une bâche rustinée maculée du sang des corps des migrants. Car le théâtre de Macaigne, c’est de la chair à canon contre le pouvoir, offerte par des acteurs jusqu’au-boutistes qui donnent l’impression qu’ils pourraient mourir sur scène. Macaigne ne disserte plus. Il convoque un théâtre d’images, quasiment chorégraphique : pour repenser l’Europe, il faut organiser nous-mêmes le chaos, et arrêter de s’accrocher à des mythes empaillés.  À partir de ses décombres, nous reconstruirons, torche à la main.

Vincent Macaigne pose un acte : celui de MONTRER, alors que nous sommes saturés d’analyses et de paroles. Il n’a probablement rien de plus à dire que ce qui a déjà été dit. Or, à l’heure où le chaos s’installe, qui sait aujourd’hui montrer en dehors des visions molles…

Et si  resentir l’image théâtrale était une forme de pensée?

Je me lève pour applaudir. Où est Vincent Macaigne ?

Peut-être dégueule-t-il.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Le regard de Francis Braun.

Il faut, c’est un ordre, être témoin de ce Miracle. Il faut participer à ces heures de liberté jouissive, vivre cette aventure shakespearienne indéfinissable  avec la troupe de Vincent Macaigne dans «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» d’après «Hamlet» de William Shakespeare.

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Il faut voir Le Cloître des Carmes, lieu du Sang versé, devenir le lieu de tous les possibles, de tous les délires. Il faut le voir vivre d’une façon différente (il a été investi totalement pour cette occasion par un cabinet de curiosités baroque et intrigant sur un sol un gazon vert fané avec eau croupissante).

Nous sommes conviés par un chauffeur de salle pour une cérémonie joyeuse et terrible. On hésite entre un happening hippy baba et un spectacle de fin d’année ; on se demande à quelle sauce on sera trempés…les gens descendent, des gradins sur la scène, commencent à danser…on attend et ce sera tout à la fois.  Ce soir, Hamlet revisité  va devenir L’?uvre Théâtrale  universelle  d’un mec imprévisible et sans contrainte. Ce sera le fait d’un artiste  qui explose à la fois de sa folie et de son délire. On le sait intelligent, désarmant, on ne sait pas si cela va durer dix minutes, une heure, ou toute la nuit…ou s’il va s’en aller.

Au bout de quelques minutes, c’est certain : nous allons oublier le temps pendant quatre heures, nous allons être assis, rivés à nos fauteuils, bloqués hilares, sidérés et ébahis.

L’esprit de Vincent Macaigne, (qui s’agite avec les machinistes en haut des gradins, comme un chef d’orchestre), est totalement débridé et contrairement au slogan néon posé en enseigne sur le mur d’en face …il y aura pas de miracles ce soir »…Mais,  de CE MIRACLE,  on pourra se souvenir…

C’est Hamlet, lui, sa famille, son trône, son palais qui nous sont racontés, mais c’est aussi la Tragédie de ce Prince du Danemark revisitée sur un gazon piétiné, semé d’embûches irréparables. C’est une vie de crime intemporelle relatée  sur un champ dévasté. C’est hier et aujourd’hui sang mêlé, c’est une Ophélie en pleine inquiétude, c’est une mère qui n’en peut plus de posséder ;  c’est bien sur Hamlet, jeune enfant qui se souvient.

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C’est son histoire fondue enchaînée à notre actualité qui s’exprime sous nos yeux et devenons alors  les otages-bienveillants-volontaires dans un cloître ouvert à toutes les Folies. Folies de la mise en scène tour à tour explosive, sereine, calme ou désespérée. Folies des lumières, soudainement crépusculaires, parfois hivernales, soudainement glaciales…Le cauchemar ou le rêve partent en fumée…des réelles fumées nous enveloppent ponctuellement.

Les comédiens  nous surprennent tout le temps, ils nous font rire et  nous coupent la respiration. Nous sommes à chaque seconde secouée de sentiments différents. Nous sommes déstabilisés, dérangés, enthousiastes, parfois inquiets. Plus les minutes passent, plus les corps-spectateurs se figent silencieusement dans le respect et l’effroi.

Des litres  de sang se déversent sur un corps qui meurt. C’est l’Instant terrifiant incarné par des comédiens incroyables. Nous sommes happés, nous ne savons plus distinguer l’histoire et le présent.

C’est à la fois le spectre de Pippo Delbono qui hurle sans qu’on le comprenne, c’est Angelica Liddell qui joue de son corps, de ses seins, de son sexe, c’est aussi le Sang de Jan Fabre, mais c’est surtout le monde du corps  de Vincent Macaigne.

 Il y avait avant Pina et après Pina…il y avait avec Angelica Liddell, maintenant l’histoire shakespearienne ne pourra vivre sans le  cadavre laissé  par Vincent Macaigne. dans les murs du Cloître des Carmes….

C’est lui L’ENFANT du festival, car il naît ce soir à nos yeux. Offrons-lui le TRONE qu’il mérite, qu’on le couvre d’HONNEURS, qu’on le salue, et que l’on reconnaisse en lui CELUI par qui un autre THEATRE arrive…. Proclamons-le …Notre Nouveau Prince de Hambourg, crions haut et fort…Vive LE PRINCE et vive sa folie.

Ce fut, je dois dire,  exceptionnel.

Monsieur Vincent Macaigne, Nouveau Prince en Avignon…

Francis Braun, Le Tadorne.

«Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» de Vincent Macaigne. Tournée ici.

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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

“Un Prince en Avignon” ou celui par qui un autre Théâtre arrive.

Il faut, c’est un ordre, être témoin de ce Miracle. Il faut participer à ces heures de liberté jouissive, vivre cette aventure shakespearienne indéfinissable  avec la troupe de Vincent Macaigne dans «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» d’après «Hamlet» de William Shakespeare.

Il faut voir Le Cloître des Carmes, lieu du Sang versé, devenir le lieu de tous les possibles, de tous les délires. Il faut le voir vivre d’une façon différente (il a été investi totalement pour cette occasion par un cabinet de curiosités baroque et intrigant sur un sol un gazon vert fané avec eau croupissante).

Nous sommes conviés par un chauffeur de salle pour une cérémonie joyeuse et terrible. On hésite entre un happening hippy baba et un spectacle de fin d’année ; on se demande à quelle sauce on sera trempés…les gens descendent, des gradins sur la scène, commencent à danser…on attend et ce sera tout à la fois.  Ce soir, Hamlet revisité  va devenir L’oeuvre Théâtrale  universelle  d’un mec imprévisible et sans contrainte. Ce sera le fait d’un artiste  qui explose à la fois de sa folie et de son délire. On le sait intelligent, désarmant, on ne sait pas si cela va durer dix minutes, une heure, ou toute la nuit…ou s’il va s’en aller.

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Au bout de quelques minutes, c’est certain : nous allons oublier le temps pendant quatre heures, nous allons être assis, rivés à nos fauteuils, bloqués hilares, sidérés et ébahis.

L’esprit de Vincent Macaigne, (qui s’agite avec les machinistes en haut des gradins, comme un chef d’orchestre), est totalement débridé et contrairement au slogan néon posé en enseigne sur le mur d’en face “il y aura pas de miracles ce soir»…Mais,  de CE MIRACLE,  on pourra se souvenir…

C’est Hamlet, lui, sa famille, son trône, son palais qui nous sont racontés, mais c’est aussi la Tragédie de ce Prince du Danemark revisitée sur un gazon piétiné, semé d’embûches irréparables. C’est une vie de crime intemporelle relatée  sur un champ dévasté. C’est hier et aujourd’hui sang mêlé, c’est une Ophélie en pleine inquiétude, c’est une mère qui n’en peut plus de posséder ;  c’est bien sur Hamlet, jeune enfant qui se souvient.

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C’est son histoire fondue enchaînée à notre actualité qui s’exprime sous nos yeux et devenons alors  les otages-bienveillants-volontaires dans un cloître ouvert à toutes les Folies. Folies de la mise en scène tour à tour explosive, sereine, calme ou désespérée. Folies des lumières, soudainement crépusculaires, parfois hivernales, soudainement glaciales…Le cauchemar ou le rêve partent en fumée…des réelles fumées nous enveloppent ponctuellement.

Les comédiens  nous surprennent tout le temps, ils nous font rire et  nous coupent la respiration. Nous sommes à chaque seconde secouée de sentiments différents. Nous sommes déstabilisés, dérangés, enthousiastes, parfois inquiets. Plus les minutes passent, plus les corps-spectateurs se figent silencieusement dans le respect et l’effroi.

Des litres  de sang se déversent sur un corps qui meurt. C’est l’Instant terrifiant incarné par des comédiens incroyables. Nous sommes happés, nous ne savons plus distinguer l’histoire et le présent.

C’est à la fois le spectre de Pippo Delbono qui hurle sans qu’on le comprenne, c’est Angelica Liddell qui joue de son corps, de ses seins, de son sexe, c’est aussi le Sang de Jan Fabre, mais c’est surtout le monde du corps  de Vincent Macaigne.

 Il y avait avant Pina et après Pina…il y avait avec Angelica Liddell, maintenant l’histoire shakespearienne ne pourra vivre sans le  cadavre laissé  par Vincent Macaigne. dans les murs du Cloître des Carmes….

C’est lui L’ENFANT du festival, car il naît ce soir à nos yeux. Offrons-lui le TRONE qu’il mérite, qu’on le couvre d’HONNEURS, qu’on le salue, et que l’on reconnaisse en lui CELUI par qui un autre THEATRE arrive…. Proclamons-le “Notre Nouveau Prince de Hambourg”, crions haut et fort “Vive LE PRINCE et vive sa folie”.

Ce fut, je dois dire,  exceptionnel.

Monsieur Vincent Macaigne, Nouveau Prince en Avignon…

Francis Braun, Le Tadorne.

A lire le regard de Pascal Bély.

«Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» de Vincent Macaigne au Festival d’Avignon du 9 au 19 juillet 2011.