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Festival d’Automne de Paris: Pourquoi “Partita 2” peut-être une pièce-clé et comment a-t-elle créé le dissensus?

Du 26 novembre au 2 décembre 2013, les chorégraphes Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz présenteront «Partita 2» au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne. Nous sommes nombreux parmi les Tadornes à l’avoir vu au Palais des Papes lors du dernier Festival d’Avignon. Je me souviens encore de nos colères à la sortie d’un spectacle que nous n’avons pas accepté tant l’art de l’entre-soi considère le public comme une variable d’ajustement. Une véritable fracture était apparue entre les professionnels de «la culture» et les spectateurs : d’un côté, une critique d’érudits; de l’autre un public qui n’aurait pas compris. Cela faisait longtemps que l’on ne m’avait pas classé dans les ignorants. Soit.

Nous publions le regard de Sylvain Pack à qui je reconnais un beau travail de recherche, mais qui ne parvient pas à relier ma sensibilité à ce travail chorégraphique trop en hauteur…de vue?

Pascal Bély- Tadorne.

Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz n’auront pas besoin de mon regard pour défendre la pièce qu’ils ont interprétée en clôture du dernier Festival d’Avignon, mais je souhaite expliquer pourquoi je me dissocie autant de la critique entendue depuis qu’ils l’ont présenté dans la cour d’honneur. Prétentieuse, fainéante, élitiste, mesquine, plusieurs adjectifs qui résumeraient les reproches lus et formulés contre l’expérience proposée.

La structure en 3 actes : le temps de l’écoute, le temps de la danse, le temps de la rencontre entre son et mouvement semble pourtant être le meilleur choix pour offrir aux spectateurs les points de vue cardinaux sur l’objet d’une recherche scénique. Recherche de deux chorégraphes liés par l’écriture de la danse, la musicalité dans la danse et les avant-gardes en danse contemporaine. Ces deux artistes ont rencontré, collaboré et étudié les ruptures décisives (Lucinda Childs, Odile Duboc, Yvonne Rainer Deborah Hay, Simone Forti, ou plus récemment Julyen Hamilton, Mark Tompkins, David Zambrano…) Faisant un écho tardif aux arts plastiques, ces positionnements d’artistes ont permis à la danse de se dégager de la notion de représentation en se concentrant sur le quotidien du mouvement humain, en permettant aux danseurs d’utiliser les découvertes kinesthésiques, les relations somatiques aux gestes, un rapport plus naturel au sol et aux éléments, imposant de fait un nouveau lien au public. Mais celui-ci n’a pas encore eu accès à tout ce travail de fourmis, soit parce qu’il n’a pas été suffisamment présenté et expliqué sur les scènes nationales, soit parce qu’il est resté là, comme un malentendu technique, à l’abri, dans les studios de répétitions… me reviennent en mémoire des pièces de Merce Cunningham présentées il y a quelques années à l’Opéra de Paris, huées pendant la représentation ! Je crois qu’il est bon d’admettre que le public est sérieusement en retard et ce serait signe d’humilité de le reconnaître, ce qui n’est pas trop dans le caractère français. Avec Partita 2, nous avons donc eu la chance d’assister à une étude de premier choix. L’écoute d’un son intimiste et rigoureux, une chorégraphie intérieure et sans effet et enfin comment ces deux partitions peuvent s’influencer. L’art de la danse quitte ses apprêts et Anne Teresa de Keersmaker nous invite à la table avec un associé plus jeune, gourmand de contact, de buto, de danse urbaine. Ensemble, sciemment, ils ne choisissent pas la voie de la facilité : peu de portée, aucune acrobatie, pas de dramaturgie ni de décor, une partition lumière, à minima, accompagnant les 3 actes de la pièce.


Nous assistons à l’écriture de la rencontre en train de se faire. On rejoint de nouveau l’art contemporain et son goût du processus rendu visible. Deux chorégraphes et Amandine Beyer, violoniste à l’écoute, en attention, ramène cet espace « sacralisé » par son lien à l’art vivant, à l’atelier brut de l’artiste au travail, comme celui de Bruce Nauman, se filmant, traçant un carré au sol et marchant patiemment sur la ligne, jouant une note de violon jusqu’à épuisement. Ils montrent leur faille, dévoilant les imperfections spectaculaires du plaisir brut lorsqu’il est exposé, et de gestes plus internes, se risquant sur des questions inconfortables de danse : verticalité, marche, arrêt. Je pense qu’il est bon alors d’insister sur la cohérence de l’écriture : l’hésitation, la pauvreté, la nuance, la douleur, l’amour du mouvement dansé sont des motifs émotionnels qui ont dû, à plusieurs reprises, et en écho à Bach, être pensés. De ce temps nettoyé du savoir et de la technique, affleurent les raisons profondes et la vibration qu’il s’en dégage, l’enfance de l’art, le jeu absurde et répétitif qui permet de nous séparer de tout tuteur, mais qui lui demande cependant d’être le témoin de ses bêtises. Devenu complice, doit-on alors leur imposer les limites de notre raison et les codes esthétiques que nous avons retenus ? Ne peut-on pas accepter de nous mettre au niveau « souterrain » du jeu qu’ils nous proposent, réduisant nos ambitions de fantasmeurs professionnels, se tenant simplement assis dans cet immense espace rendu à sa taille humaine, en laissant passer le temps puis en réalisant enfin que nous avons en face de nous 2 chorégraphes qui ont une pleine maîtrise de leur langage (leur répertoire le prouve amplement), et nous livrent en secret cailloux et joyaux mélangés  ?

Cette proposition peut faire objet de défi à qui veut l’entendre et confirme le chemin que j’imagine dans la nouvelle voie engagée par Anne Teresa de Keersmaker depuis «En attendant» et «Cesena». Sa danse s’est subtilement détachée de l’illustration et de la narration musicale, comme si elle reprenait très lentement pour elle-même le changement de paradigme artistique du siècle dernier, confirmant cette transition en collaborant directement avec Boris Charmatz, qui a déjà assimilé ces modifications, né à la danse dans ce contexte et recevant une reconnaissance immédiate de ses pairs par la saisie convergente d’expressions physiques processuels.

Sylvain Pack.

«Partita 2» d’Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz  au Festival d’Avignon du 23 au 26 juillet 2013 puis au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne du 26 novembre au 2 décembre 2013.

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FESTIVAL D'AVIGNON THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Traces d’été – Oser Vilar.

Comment faire entendre les textes de Jean Vilar (correspondance avec sa femme, notes de mise en scène et de tournée, extrait du Memento…) et les rendre vivants aujourd’hui ? Tel est le pari réussi du metteur en scène Stanislas Roquette et de l’acteur Stanislas Siwiorek dans «La machine de l’Homme» présenté à la Maison Jean Vilar au cours du dernier Festival d’Avignon.

Isoler Vilar dans une chambre, le montrer seul face à lui-même s’avère une porte d’entrée intéressante pour éloigner le spectateur de l’homme public et le faire pénétrer dans ses pensées, dans ses rêves et dans ses souvenirs. Cet isolement paraît d’ailleurs indispensable à Vilar, notamment lorsque les premières paroles du spectacle rappellent les contraintes matérielles imposées au patron du Théâtre National Populaire. Il se remémore certains articles absurdes de son cahier des charges comme s’il voulait s’en détacher. D’ailleurs, dès son entrée en scène, Stanislas Siwiorek éprouve très vite le besoin de quitter son costume, sa carapace, pour pouvoir se livrer. L’intimité de Vilar apparaît aussitôt à travers les extraits de sa correspondance avec sa femme à qui il ne cesse de témoigner fidélité et amour. Mais aussitôt le chef d’orchestre Stanislas Roquette nous donne à entendre Vilar lisant l’éloge de l’infidélité revendiquée par le Don Juan de Molière. Ces propos contrastent. Que faut-il alors comprendre de cette contradiction ? Douter de sa sincérité ou plutôt comprendre qu’incarner Don Juan était un moyen pour Vilar de parvenir à une libération intérieure ? Plus le spectacle avance, plus Vilar semble faire corps avec Don Juan. Alors que l’un résiste à toute croyance, l’autre résiste à toute idéologie. Ainsi la scène de séduction avec Charlotte souligne la réussite des projets de Don Juan ; mais ne marque-t-elle pas aussi une satisfaction et une victoire pour Vilar qui, épuisé après tant d’efforts, semble parvenu par le jeu théâtral à un état de grâce, état musicalement bien rendu par le 22ème quatuor à cordes de Mozart.

(photo-dr)

La métamorphose de Jean Vilar s’accompagne d’une transformation du décor : le lit se met à devenir tréteau, puis tombeau du Commandeur. Il nous fait voyager dans les pays de l’Est, où Vilar était parti en tournée. On imagine alors une immense salle de réception mondaine où Vilar éprouvait de grandes difficultés à communiquer jusqu’à ressentir une profonde solitude. La fuite semble l’unique solution et la couverture du lit constitue son seul bagage (sa seule protection), qu’il porte sur ses épaules, comme s’il voulait préserver tout ce qu’il a bâti, c’est-à-dire le théâtre.

Lors d’une interview à propos des jeunes auteurs, Jean Vilar affirmait: « J’espère qu’un jour l’un d’eux mettra sa griffe de fou sur mes épaules, d’ailleurs encore solides […] C’est dans cette jeunesse que j’espère trouver le poète populaire et dru et violent que nous cherchons. Un poète et tout sera sauvé. Pour longtemps. » L’espérance de Vilar a été comblée. Stanislas Roquette a eu raison de poser ses griffes sur les textes de Vilar qu’il a croisés aux extraits de Don Juan de Molière pour entrer en résonance avec notre époque : le rôle de l’artiste aujourd’hui, son travail, ses doutes, son investissement, de l’engagement de toute sa personne, mais plus largement du rapport entre vie professionnelle et vie privée.

Longue vie à ce spectacle qui pourrait résonner en chacun de nous !

Jérôme Marusinski – Tadorne.

«La machine de l’Homme» par Stanislas Roquette à la Maison Jean Vilar au cours du Festival d'Avignon 2013.
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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Avignon Off 2013 – Mes rencontres.

Le Festival d’Avignon est le lieu de toutes les circulations. Le spectateur chemine dans les rues de façon dynamique. Il explore le programme du Off, se crée un emploi du temps à son image. Il tient  du randonneur dans le cadre des longues heures de marche, et d’attention dans les salles. Mon plaisir commence dés que je file au vent sur mon vélo. Je suis en libres mouvements vers de nouvelles sensations. Une fois  assise dans le noir, le cumul de fatigue peut me plonger dans un état de veille, mais la qualité artistique agit comme une infusion. Cette semaine certains spectacles m’ont troublé et des rencontres passionnantes s’en sont suivies avec les comédiens.

Tout d’abord avec Ludor Citrik. Après «Qui sommes je ?», je suis sortie dans un intense état de mélancolie et le chapiteau était comme une source pour déposer mes sédiments. Après le spectacle, le clown est réapparu sous son habit de Cédric. J’ai reconnu la profondeur de son regard qui m’a tant  transpercé. Des yeux implorants qui ne vous quittent plus. Nous avons échangé sur le trouble suscité par son travail, les questionnements, les prises de conscience et l’énergie déployée dans sa mise à nu. Une volonté de ne rien lâcher, d’avancer et sans cesse de recommencer.

Ludor réveille notre mémoire de tout petit et délimite les cadres des espaces de mouvement de notre quotidien. Nous sommes enfant, miettes grignotées du gâteau sablé. Le miroir nous renvoie à notre propre image et fait tressaillir. Ce regard, maintenant, je le porte; cette main tendue est devenue le prolongement de la mienne, et le désir d’être sauvée pour sortir de soi m’éblouit…

Dans ma mémoire, face à moi, les yeux d’Ascanio Celestino. Un homme qui a compté tout au long de ce festival, depuis le «Nightshot» à la Manufacture où j’ai découvert son travail. Comment une ritournelle, l’air de rien, peut vous questionner sur le monde et l’Humanité ? Son écriture vive, rythmée, acide a été le vernis de mon cortex pendant ces trois semaines. Je n’ai cessé de m’y référer et garde l’image de son humilité, de sa main sur le cœur quand il vous parle. Je n’ai pas besoin de capter son image avec un écran. Il est tatoué dans mes lobes. Dans un de ses derniers textes, «Discours à la Nation», David Murgia aura été son merveilleux passeur d’histoires.

L’émerveillement  a été déclenché par la gente féminine. Introduit dés le 5 juillet par Angelica Liddell au Festival IN ou comment l’énergie donnée sur le plateau peut être une ressource vitale. La création m’atteint quand l’artiste me donne quelque chose de lui, sans faux semblant. Comme un rapport humain, qui ne nous enferme pas dans une seule représentation. Angelica reste mon ange noir. Angelica éructe tous mes démons et m’ouvre une liberté d’être et de penser sur moi-même et sur mon contexte global. Elle me positionne en matière brute et me malaxe, me pétrie, mais sans jamais me lâcher et me trahir. Je ressors de ses spectacles avec la sensation d’être passée sous les chutes du Niagara, par l’estuaire du Tage, et d’être poupée de chiffon transformée en statuette de bronze.

Anne Lefevre, cheveux roux, grosses lunettes, est une autre personnalité lumineuse rencontrée. Elle a la faculté de créer une relation instantanée avec le public. Elle offre généreusement sa pensée, ses recherches. Dans «J’ai apporté mes gravats à la déchetterie», nous suivons la confection de son repas. A travers les carottes qu’elle râpe, je redeviens le lapin gourmand d’Alice. La cuisson est une métaphore du temps octroyé à la réflexion, puis survient le plaisir de l’échange. On ne peut pas se nourrir seul. Sans l’autre, on n’est rien…Anne nous met en marche. Le chaos joyeux du plateau nous ramène à la construction de la vraie vie, celle de la pensée. Les images sur écran animent, englobent le jeu qu’elle nous livre. «Je cherche, je recommence…je cherche…j’avance». Elle me donne de la force dans les doutes que je traverse.

Je me souviens de belles personnes comme Karine Grenier, jeune artiste de «Reveil»qui dégage une nature fragile et volontaire. Spectatrice, je suis  touchée par la qualité de l’adresse que nous offre l’acteur. Nous tissons un lien de confiance pour nous rejoindre  au point de la rencontre, émerveillés

 

Comme spectatrice, toutes ces rencontres sont des rêves éveillés et me réveillent tandis que le contexte ambiant évoque une somnolence qui ne dit pas son nom.

Sylvie Lefrère –Tadorne.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Avignon Off 2013 – La sélection des Tadornes et des spectateurs lors des Offinités Publiques.

C’est le dernier week-end du Festival Off d’Avignon. Les contributeurs du Tadornes ont animés au cours du festival, “Les Offinités Publiques“, rencontres critiques interactives avec les spectateurs. Nous vous communiquons le document que nous distribuons lors de ce rendez-vous. Il ne traduit pas la dynamique de nos échanges mais peut vous aider à élaborer votre programmation.

Nous vous souhaitons une belle fin de festival.

Pascal Bély – Sylvie Lefrère – Sylvain Saint-Pierre – Bernard Gaurier – Laurent Bourbousson.

Notre projet

Les spectacles recommandés 

 

lors des dernières Offinités

Animer les jours pairs, un espace critique et participatif avec les spectateurs au Village de 11h30 à 13h.Créer la relation interactive entre publics, artistes et animateurs. La parole des spectateurs est au centre des débats.Dessiner des portraits de spectateurs pour révéler l’histoire de chacun avec le festival.Ces Offinités auront  lieu au-dedans et au dehors du chapiteau en bois du village du OFF : lieu ouvert, circulaire, qui permet une parole libre et fluide. Des banquettes sur les côtés, ou une chaise au milieu, à chacun de choisir sa place et d’en bouger quand il le souhaite. 

Prochaine Offinité Publique au Village du Off

28 juillet, «Spectateur, quel programmateur êtes-vous ?» avec la participation de deux spectateurs (Marie-José Mas et Daniel Le-Beuan).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

«Discours à la Nation»   d’Ascanio Celestini – La Manufacture – 10h40 –P 260« Je vous ai compris » par la compagnie Groupov- La Manufacture-  11h – P261

« La jeune fille et la morve » de Brigitte Nielsen- Présence Pasteur- 19h50- Présence Pasteur –p 315

«Ali 74, le combat du siècle » par Nicolas Bonneau – Le Girasole – 20h55 – p 210

«Qui sommes-je?» de Ludor Citrick – Espace Vincent de Paul – 15h30- p 197.

«Illuminations» par la Madani Compagnie- Théâtre des Halles – 19h – p 223.

«L’étranger – Réminiscences » d’Albert Camus par la compagnie Pierre-Jean Peters – Théâtre du Roi René- 14h10 – p 321

«übü kiraly » d’Alain Timar – Théâtre des Halles– 11h–p 222

« Bruits d’eaux » – Théâtre Alibi – Le Girasole – 15h55– P 210

« Quelque chose de commun » par la compagnie Nivatyep – L’Adresse  – 21h25- P30

« Frozen » par la compagnie Théâtre du Centaure-  Présence Pasteur – 10h30 –p 311

« Les beaux orages qui nous étaient promis » par le Collectif Petit Travers – Espace Vincent de Paul – 17h- p 197

«Le Boxeur» -Compagnie Troupuscule théâtre – 18h20- p 30

«Orphelins» par le Théâtre du Prisme-17h45 -Présence Pasteur- P 314.

«Pour un oui ou pour un non» par la Compagnie Pourquoi ?–Vieux Balancier–11h-p 353

«Après la fin» par la compagnie la Doublure – Atelier 44 – 18h40 – p 59

«L’incroyable destin de René Sarvil, artiste de Music-hall» par les Carboni–Théâtre des Carmes – 15h30 – p 104.

«L’homme dans le plafond» – Compagnie Isabelle Starkier – Collège de la Salle – 15h40 – p 147

«Ici s’écrit le titre de la pièce qui nous parle d’Ante» par le théâtre des Chardons – Théâtre des Doms – 13h30 – p 172Savez-vous que je peux sourire et tuer en même temps” par la Compagnie Ches Panses Vertes -Théâtre GiraSole – 17h30 – P 210

« Le mardi à Monoprix » par la compagnie Le Théâtre Dû – Grenier à sel-13h05-  p 219.

«End/Igné» par la compagnie du Bredin – La Manufacture – 14h – p 261« Pinocchio » par la compagnie Caliband Théâtre –  Présence Pasteur – 12h20  p 31

« J’ai apporté mes gravats à la déchetterie » d’Anne Lefèvre. La Manufacture – 15h40 – p 262

« Le chemin des passes dangereuses » par la Compagnie de la Salamandre – Théâtre du Bourg Neuf – 20h45 – p 88

« La mort de Marguerite Duras » par la compagnie du Pas Sage – Théâtre des 3 soleils – 15h05 – p 344.

«Le réveil» par la compagnie Trésors de Sophie – L’Adresse- 10h45 – p 29

« SMATCH[1] Si vous désespérez un singe, vous ferez exister un singe désespéré » par le Corridor -Théâtre des Doms-  17h30  – p 173

« Absente: rendez-vous avec Sophie Calle » de Shakespeare’s Wild Sisters Group – Condition des Soies –17h55 – p 157

«Oreste»- Compagnie des Vivi- 18h30- L’Albatros- p 35

«Après la fin» – Compagnie La Doublure – 18h40 – Atelier 44 – p 59

«Cour nord» – Théâtre du midi – 17h55 – L’Alizé – p 40

«Vision»- Pierre Megos – Théâtre des Doms – 11h – p 171

«Danser Baudelaire »- Bruno Niver – 17h45 – Théâtre du Bourg Neuf – p 87

«Brum» – Compagnie Drammatico Vegetale – Théâtre des Vents – 10h15 – p 347

«Tranchées» par la compagnie Zapoï – Présence Pasteur – 12h40 – P 311

Le secret de la petite chambre” – Compagnie Collectif Zone Libre – 22h20 – Théâtre de l’Oulle – p 275 

  
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Avignon Off 2013 – Au Théâtre, la violence.

S’appuyant sur le réel, des auteurs contemporains s’inscrivent dans une démarche citoyenne: celle de nous interroger sur notre rapport au monde, nos systèmes d’interaction et notre posture à l’égard d’une violence banalisée par la sphère médiatique.

Avec “Frozen”, de Bryony Lavery, le Théâtre du Centaure s’empare d’un sujet délicat, celui de la pédophilie. Avec pour seul cadre, l’espace d’une chambre d’enfant, celle de la fillette enlevée, nous partageons avec la mère (brillante Marja-Leena Junker) ses espoirs, ses doutes, ses remords, sa survie et sa vie. Dans ce même lieu, nous suivons les confessions du tueur en série (inquiétant Francesco Mormino) face à la psychiatre (bouleversante Sophie Langevin). Par l’utilisation des objets de la chambre de la fillette, la scénographie de Lol Margue permet de supporter la cruauté du propos.Tour à tour, chacun s’empare des jouets et des livres de l’enfant absent. Pour la faire revivre. Ils nous rendent compte de la difficulté de croire en l’innommable (le meurtre d’enfants): la mère fume des cigarettes en chocolat; la psychiatre utilise le magnétophone à gros boutons; le tueur en série utilise des ciseaux et les poupées Barbie pour évoquer son acte.

Cette proposition prend des allures d’un huis clos autant moral que physique. Il nous amène sur la voie de la rédemption: jusqu’où serions-nous prêts pour pardonner ?

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Avec “Le boxeur”, l’auteur Patric Saucier, nous conte comment la victimisation par les railleries gratuites et la violence des petits camarades dans les cours d’écoles peuvent conduire à l’irréparable. Ce boxeur, c’est le petit gros de la classe, celui qui se rêve autre mais auquel on renvoie toujours cette image de looser. Lui se rêve artiste, on lui prédit une carrière dans la boxe. Boxeur, il le sera mais derrière les barreaux d’une prison pour survivre à cette vie qu’il ne voulait pas. Il se retrouve là, enfermé, pour avoir battu à mort une fille à laquelle il demandait son chemin. Le regard méprisant de cette fille lui renvoya les railleries dont il était l’objet. Le texte nous plonge dans l’horreur d’un acte gratuit et d’un être naufragé. La musique de Benjamin Civil colle parfaitement aux mots et la mise en scène dépeint sans démonstration excessive l’univers carcéral funeste.

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Avec « « Savez-vous que je peux sourire et tuer en même temps ? »,  la Compagnie Ches Panses vertes délaisse les marionnettes au profit du corps dont les ficelles sont les magnifiques mots de l’auteur François Chaffin. Sylvie Baillon s’empare des deux textes regroupés sous ce titre énigmatique pour laisser éclater la folie et la monstruosité des êtres. Telle la meute qui court, nous nous sauvons des uns des autres. Deux textes pour deux univers distincts.

Le premier «A six heures, avec six sexes dans six sacs» dans lequel on croise cette douce folle (la très juste Sophie Matel), jeune mendiante affublée d’un jupon de papier crépon et d’un k-way en papier bulle qui se promène avec six sacs renfermant six sexes. Pour chaque sexe, une histoire. Celle d’un coït heureux mais qui se termine toujours par l’émasculation de la personne. On ne saura pas pourquoi elle en arrive là. On ne saura pas mais on tente de deviner, de lui donner des circonstances atténuantes car elle est délicate tout de même dans son habit d’une blancheur impeccable. Le pardon se frappe à la porte.

Le second texte «Richard Le Trois» interpelle par la force du propos. Décidé à monter Richard III seul, Eric Goulouzelle fait virevolter les mots de François Chaffin. Il convoque dans ses paroles toutes les formes de pouvoir et les violences qui en découlent. Des premiers vers du comédien clamés en anglais, jusqu’à la fin, jusqu’à sa fin , le texte donne des coups et nous positionne comme un spectateur acteur.

Si le personnage, un double du public, se questionne sur son rôle, sur sa/notre place au sein de la cité, les mots nous renvoient le miroir d’une société décadente: « Avec mes mots dans vos oreilles vos oreilles mortes […] votre présence morte tous sans exception inutile de gesticuler les portes n’existent pas vous partirez dans le décor on vous démontera comme si vous n’aviez jamais existé tous et moi aussi je vais sortir […] je vais partir […] j’irai où bon me semble remettre du sang sur mes mains remettre des gens dans le décor c’est comme ça… »

Chaque geste, chaque rôle et chaque place construisent petit à petit le monstre que nous cachons. Serions-nous tous le monstre de quelqu’un?

Et si le théâtre réel se jouait là, une fois les portes poussées d’une salle de spectacle, dans la rue, dans notre immeuble, qui serions-nous vraiment ?

Laurent Bourbousson – Tadorne

Frozen, Théâtre du Centaure, à la Présence Pasteur jusqu’au 31 juillet. 11h30
Le Boxeur, Compagnie Troupuscule théâtre, au Théâtre l’Adresse, jusqu’au 31 juillet. 18h20
Savez-vous que je peux sourire et tuer en même temps ?, Compagnie Ches Pansesvertes, Théâtre le GiraSole, jours pairs « A six heures, avec six sexes dans six sacs », jours impairs « Richard Le Trois », jusqu’au 31 juillet, à 17h30
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FESTIVAL D'AVIGNON LES EXPOSITIONS OEUVRES MAJEURES

Festival d’Avignon – Sophie Calle, chambre avec vue.

Pendant le Festival d’Avignon, il y a des lieux où tout le monde se presse. Le potager derrière la Cour d’Honneur, le bar du In…Du technicien, à l’artiste, toute la profession au sens large se retrouve, entre soi. Avoir le carton d’invitation, sésame pour y entrer, est tout un art, celui du reseautage des plus malins. Heureusement, dans la ville, les rencontres sont partout, de la terrasse de café à la file d’attente.

La plasticienne Sophie Calle, à l’Hôtel de La Mirande, nous propose un rendez vous particulier. Nous pénétrons dans le corridor de son intimité…qui miroite avec le notre. Nous montons un grand escalier. A l’étage, une jeune femme de chambre nous accueille. Elle a un tablier blanc. Je me retrouve projetée dans un livre de la comtesse de Ségur. L’agitation de la ville est loin. Tout est feutré. Sophie apparaît en déshabillé de soie couleur chair, éventail à la main. Désinvolte, elle nous dit de rentrer car il y a peu de monde. Sommes nous visiteurs, spectateurs? Je me sens invitée…communiante dans un parcours qui me ressemble.

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L’attention est extrême. Mon regard caresse les fleurs de la tapisserie, le lisse des boiseries. Je rentre dans un jeu de l’oie où dans chaque case, j’interagis dans ma mémoire. Les petits mots numérotés sont les années qui passent. Un mot maladroit d’une mère envahissante, une décision imposée du père, un jeu d’enfants pervers dans la cour de l’école, les pensées qui ne nous quittent pas de nos chers disparus, et toutes les relations amoureuses toujours présentes dans nos corps et nos esprits…

Dans ce cheminement de vie féminin, je suis une âme qui plane sous les lustres.

Chaque mot, chaque objet sont comme un fragment de ma vie intérieure, mes petites pensées intimes. Dans le couloir, j’étais un bloc et petit à petit je me déconstruis. Lavée de souvenirs dans la salle de bain, vidée par le manuel  dans les WC, éclairée dans le couloir, cachée dans les robes des  placards, pour enfin pénétrer dans son antre. La pièce fourmille d’informations et d’objets. C’est une scénographie de nos lobes cérébraux, des contours de nos chairs. Un soutien gorge noir accroché sur le bras du luminaire fait frissonner vers les nuits passées, les dragées ont un goût de fruit défendu, le chat empaillé est le compagnon de nos secrets d’enfant, le matelas brulé noircis des deuils des amours passés… Mais la présence lascive de Sophie illumine le parcours. Elle est la madone que nous venons célébrer, la forme généreuse qui absorbe nos confidences. Elle anime l’atmosphère musicale en choisissant avec nos propositions. Elle choisit de changer la bande-son pour écouter Manu Chao «Me llaman calle», car c’est son nom. Elle nous contient jusque dans les ondes.

Les hommes l’observent avec soif,  pendant que les femmes, elles, sont intimidées. Un tabouret est disposé près de son lit pour ceux qui veulent lui confier une part d’histoire, de mémoire, de secret.

La rencontre devient religieuse, comme devant un confessionnal ouvert. Les petits fragments de vie se rassemblent, plongés dans son décolleté. Je lui délivre une part de mon vécu de ses expositions. Derrière ses lunettes de soleil, elle se protège des éclats émotionnels envoyés. Elle appuie sur le bouton de son petit magnétophone. Je suis dans sa boite. Je l’ai autorisé.

La pièce est remplie de personnes que je n’ai pas vu arriver. Je ne vois plus mon amie. Je quitte la pièce sur la pointe des pieds comme si je voulais partir en douce.

En début de Festival, je pensais au ciel d’Avignon qui m’attendait pour alimenter de nouvelles visions. Je découvre que c’est aussi un lieu ressource, de rencontres et d’émotions improbables, dont nous sommes les chefs d’orchestre intuitifs.

Je suis statue d’argile, patinée, posée dans un coin de la mémoire de Sophie. Nous nous sommes rassemblées, au cœur de la ville, dans nos émois.

Sylvie Lefrère – Tadorne.

"Chambre 20" par Sophie Calle à l'Hôtel de la Mirande - Festival d'Avignon - du 15 au 19 juillet 2013.
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Avignon In-Off 2013 – De liens en lien, les fluides de la relation.

« Une douce imprudence » : variations sur un double je t’aime.

A notre entrée dans la salle, Thierry Thieu Niang et Eric Lamoureux sont assis à jardin. Tranquille et douce, leur présence l’un à l’autre est palpable; déjà ils «s’offrent» à nous.

De jardin à cour, ils vont déplier de simples pièces de tissus au sol et avec elles inventer des mondes. On y croisera des plages, des montagnes châteaux, des Derviches/ divas, l’attachement qui se tend comme une corde pour tenter de sortir des sables mouvants; des errances dans le désert pour atteindre des oasis où sculpter la matière et hydrater les peaux…

Se déplient là des pages de tendresse teintées de violence qui fondent l’être ensemble. Ici s’expose une invitation à faire de la relation autre chose qu’un combat ou alors, s’il en est, que ce soit celui de la relation partagée.

Cette proposition n’a rien de mièvre ou de candide, elle est portée par deux hommes qui «savent», ensemble, ce que s’aimer veut dire.

Ces deux danseurs, à  l’aube de leurs corps vieillissant, nous offrent toute la force et la beauté d’un dialogue nourrit par leur longue relation. Un de ceux ou «l’imprudence» de tomber en amour, de l’aller vers un autre, construit une conversation où le Nous porte tout son sens.

 

« Dans les bois » : Le loup sort de la bergerie et joue à y es-tu.

Sébastien Le Guen et Jérôme Hoffmann nous ouvrent le Jardin de la vierge du Lycée Saint-Joseph et font évoluer notre regard sur le propre de la relation. Les comptines chantées aux enfants, sont un moyen détourné pour vaincre leurs peurs. Mais hélas, à l’âge adulte, malgré les «promesses», ces craintes sont encore prégnantes et se glissent dans nos modes de communication aux autres.

Après la passion des «premiers instants», la complicité tente de se  structurer et une recherche d’équilibre se joue. On s’observe, on apprend à se connaître. On tente de construire,  de déconstruire….Un vaste bois se dessine en perspective.

Les loups scrutent l’homme, tapis ; prudence…, les forêts sont des repères instables.

 

« La bataille » : C’est quoi les règles du jeu ?

Dans “Bataille” du chorégraphe Pierre Rigal, la relation évolue incidemment dans un processus de changement. Nous y entendons les percussions corporelles de « Je t’aime moi non plus» et de  «Fais-moi mal Johnny»…C’est une bataille de chaque jour. Nous sommes matelots, passagers de toutes les tempêtes. Pierre Rigal y décortique un jeu de communication : «… Le plaisir de la douleur survole la carcasse… Mais la victoire n’est pas l’objectif avouable. L’échec sera meilleur… La richesse c’est l’héroïsme du ratage… Et je cours derrière elle avec les anges qui se moquent de moi. Ils me font rires. Je suis essoufflé et ridicule»

D’un choc frontal, une amitié peut naitre. Du différent, se met en lumière le fondement du travail de lien. La confrontation primaire et guerrière trouvera peut-être une articulation où inventer un point de dialogue. Dans la rencontre «tout» commence par un face à face, puis de ce superficiel se tisse la complicité.

On se croise, on se rencontre, on joue à des jeux paradoxaux…Les corps se cognent, se touchent, se nomment et possiblement inventent un langage commun en résonance. Alors, un «je t’aime moi aussi» pourrait lutter contre l’incarnation de la manipulation perverse qui laisse sur les bancs de l’amertume…

 

Au fil rouge de ces trois propositions, se déroule celui de l’étendue de la relation humaine et de ses variations. Nous courons des déserts, des forêts, volontaires inépuisables, amoureux de la richesse des interactions avec les autres. Debout, ou à terre, nous continuons, quoi qu’il en coûte, nos avancés.

Promenons nous dans les choix ; l’important c’est d’aimer, en minimum partagé.

Sylvie Lefrère et Bernard Gaurier – Tadornes

«Une douce imprudence» de Thierry Thieu Niang et Eric Lamoureux aux Hivernales. Du 11 au 21 juillet 2013 aux Hivernales d’Avignon.

« Dans les bois» de Sebastien Le Guen et « Bataille» de Pierre Rigal et Hassan Rizak : «  Sujet à vif programme C »  du 19 au 25 juillet 2013 au festival d’Avignon In.

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Festival d’Avignon – Le sublime voyage au bout de la nuit de Katie Mitchell.

C’est le joyau du Festival d’Avignon 2013, perdu dans une programmation sans relief, sans dynamique. Avec «Voyage à travers la nuit», l’allemande Katie Mitchell nous a bouleversé. Il faut imaginer un plateau de théâtre incluant un studio de cinéma, où un train s’apprête à partir pour raccrocher les wagons d’une vie. Je suis sur le Quai des brumes…pour embarquer avec Julia Wieninger, actrice prodigieuse. Elle incarne cette femme qui, ayant perdu son père, fait le voyage avec son mari de Paris à Vienne et y prononcer le discours funèbre.

Francis Braun, contributeur pour le Tadorne, nous retrace ce voyage dans ce train pour une nuit particulière. Celui vers un passé qui surgit, bouscule, prêt à faire changer de direction…Ici, le théâtre de Katie Mitchell offre au spectateur cette représentation où tout peut chavirer. C’est un voyage artistique au croisement de l’art théâtral, chorégraphique et cinématographique qui propulse le spectateur dans une réalité psychique où l’enfance, scènes de poupées et de regards en coulisses, trace des chemins qui nous ramènent, tôt ou tard, au théâtre.

Pascal Bély. Le Tadorne.

 

Il lui dit  que ceux qui m’aiment prennent le train…elle lui a répondu , je suis une femme blessée…

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Il y a un train. Un train omniprésent. C’est le lieu unique. Physiquement, il est là, ouvert, disponible pour un voyage vers le passé, un trajet unique Paris-Vienne…il n’est pas initiatique, il est passéiste. Des compartiments se suivent de l’extrémité gauche vers la droite du plateau. Dans ce lieu unique, une vie s’y déroule, plutôt des fragments d’un passé enfoui, et des fragments de la vie qu’ils vivent. Une femme surtout, belle et malade dans son désarroi. Deux hommes, son mari et le Stewart de la compagnie de chemins de fer.

Devant le train des  vidéastes s’acharnent et s’affairent. S’arrêtent puis se reposent, après surveillent, prêts à bondir, suivent, happent aussi, saisissent les yeux, les visages, les corps et ce que font ces corps vivants.

C’est aujourd’hui, c’est aussi hier.

Le père d’hier, la poupée d’hier, le citron avec lequel elle jouait, la poupée démantelée, les oiseaux du papier peint.  Le bougeoir qui tourne…Tout cela, on le voit en vidéo, sépia nostalgie. C’est une succession d’images, filtrée par les caméras, par les accessoires de trucage, surtout transformés par l’œil de Katie Mitchell.

Ce wagon s’offre, ouvert à nos yeux. Il y a le lit, le lavabo, ses toilettes. La lumière est glauque, des éclats de soleil parfois éclairent. Les comédiens circulent dedans, vus pas en entiers,  parfois on ne voit qu’une partie d’eux-mêmes, comme tronqués, comme entre-aperçus. Au dessus, sur un étroit mais long écran intégré, on distingue nettement leur regard, le défaut de leur peau, les cils qu’ils essuient après une nuit mouvementée. Il y a l’approche de dehors et celle du dedans. Peut-être y verrez-vous la vision cubiste de Picasso et de ses confrères.

La technique est incroyable. On a trop souvent vu la vidéo galvaudée, trop utilisée, négligée, abusée. On l’aborde avec méfiance. Là c’est un miracle. Tout se passe devant nous, en direct mais aussi en film.  Osmose totale, un tout qui fait corps avec le train, avec eux, avec leur histoire, avec l’homme contrôleur, avec le mari, l’autre homme, le père d’avant, le citron pressé, la poupée démantelée…on recommence, on suit les voyageurs dans le train aujourd’hui et hier peut-être, le train, son bruit, ses lumières hachées, ces filtres qui font bouger l’image, les rideaux des fenêtres obscurcis, la caméra, les caméras intruses, violentes, et les images violées, elles rentrent dans l’intimité, dans le corps, les yeux, les bouches, les cils, intruses jusqu’au plus profond, perçantes d’acidité, Elle deviennent l’outil de sa vie entière. C’est tant d’années déversées dans un vase clos, ce train, qui roule.

C’est une héroïne de Bergman, c’est une héroïne de Duras, elle peut sortir aussi d’un film de Chantal Ackermann, elle peut être la soeur d’Alain Resnais et de Muriel. Elle est aussi et surtout l’héroïne de l’écrivaine Friedericke Mayröcker, adaptée par Katie Mitchell.

C’est une vision tellement émouvante, c’est une vie de retour pathétique, c’est la mort d’un père, c’est une histoire d’amour…Cela n’a que l’importance qu’on lui porte. Ce qui est inouï, c’est cette mise en image, ce film théâtre, ce théâtre filmé, ses premiers plans, ses retours, ces flashs en avant et back “to le passé”, ces trucages, ces coulisses…c’est LE spectacle de derrière mis devant, c’est ce qui est d’habitude caché, c’est ouvert à toutes indiscrétions. C’est une mise à nu de tout l’imperceptible.

C’est le plus bel évènement  de cette fin de festival. C’est une pure merveille.

J’ai spontanément embrassé Katie Mitchell pour lui dire MERCI. Ce fut tellement émouvant.

Francis Braun – Tadorne.

«Voyage à travers la nuit» de Katie Mitchell au Festival d’Avignon du 20 au 23 juillet 2013.
Photo: Francis Braun.
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ETRE SPECTATEUR FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Avignon Off 2013- Une réelle sélection.

Est-ce une tendance lourde? Le Festival d’Avignon (In et Off), accueille cette année des œuvres autour des écritures du réel. Lors de notre 4ème Offinité Publique (rendez-vous critique avec les spectateurs au Village du Off), nous avions invité Florence Lloret et Michel André, directeurs artistiques de la Cité Maison de Théâtre à Marseille et concepteurs de la Biennale des écritures du réel, dont la deuxième édition aura lieu à Marseille au printemps 2014.

Comment définir ce champ artistique dont nous ressentons cette année, une place grandissante? Florence Lloret et Michel André précisent : «Nous nous démarquons d’une certaine forme de théâtre documentaire qui consisterait à rendre compte d’une réalité via la collecte de matières, aussi rigoureuse, documentée et généreuse soit-elle. Nous opposons à l’omnipotence de l’auteur sur le sujet à explorer, l’existence propre du sujet et son caractère irréductible. Nous pressentons une double dynamique à mettre en œuvre. Une mise en jeu de l’auteur à inventer, la nécessité de mettre en lumière l’endroit d’où il parle, ce qu’il traverse. Et, dans le même temps, la mise à l’épreuve de sa propre capacité à laisser – celui, celle ou ceux qu’il veut rencontrer et raconter – surgir, tordre, altérer, et amener ailleurs son récit et qu’il en soit rendu compte dans la forme elle-même. Il s’agit d’abandonner sa posture de maitrise au profit de la construction de dialogues dans la tentative d’un récit commun, correspondances avec son sujet. Il n’y a pas de forme préalable qui préexisterait à l’expérience qui se vit. Il est question ici d’ « écritures-mouvement » qui cherchent une terre possible des égalités. Nous affirmons l’écriture comme exigence et comme expérience, y compris pour ceux que l’on convie à partager l’aventure…Dans «Suis-je le gardien de mon frère ?» John Edgar Wideman cherche à connaitre l’histoire de son frère incarcéré pour meurtre et à comprendre l’extrême différence de leurs parcours de vie : «L’habitude la plus difficile à perdre, puisque c’était celle de toute une vie, serait celle que j’avais de m’écouter moi-même l’écouter. Cette manie risquait de réduire à néant les chances que j’avais de voir mon frère tel qu’il était. (…) Je devais, au moins pour un temps, cesser de me vivre en romancier. Je devais apprendre à écouter. Repartir de zéro, nettoyer les conduits, résister à l’identification trop facile, dominer l’envie de me tirer avec l’histoire de Robby et d’en faire la mienne »

Stimulé par cette définition et les échanges qui ont suivi, nous nous replongeons dans notre programmation de festivalier, pour activer des liens et nous interroger: où sont les écritures du réel, à savoir celles où se vivent l’expérience de la relation?

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«Je vous ai compris» par Valérie Gimenez, Sinda Guessab et Samir Guessab à la Manufacture est de celles-là. Ce spectacle parvient à relier l’intime des auteurs au politique à partir d’une interaction avec le public, encouragée par les illustrations du dessinateur Samir Guessab réalisées en direct. C’est une écriture en mouvement qui cherche une terre possible des égalités: parce qu’il ne s’agit pas de chercher les coupables de la guerre d’Algérie et ses liens avec la montée actuelle du Front National, mais de saisir, ensemble, ce qui nous relie à la complexité des processus historiques.

Dans «Italie 3 à 2» de Davide Enia, mise en scène par Alexandra Tobelaim, la question d’une écriture du réel est clairement posée. Avec l’acteur Solal Bouloudnine, nous revivons la vie d’une famille italienne lors du mémorable match de football de la coupe du monde 1982 entre l’Italie et le Brésil. Tel un one man show, certains spectateurs se reconnaissent dans ce huit clos familial, ayant vécu eux-mêmes ces soirées mémorables où la famille créée sa dramaturgie. Pour ma part, j’ai trop attendu le dépassement des enjeux sportifs du match. Lorsqu’est évoqué le sort d’une équipe de football d’Ukraine en proie aux exigences du jeu des nazis, le théâtre documentaire se déplace vers une écriture qui résiste à une identification trop facile pour tendre vers un récit commun où nous serions tous sujets d’une Histoire pourtant lointaine.

Dans «Ali 74, le combat du siècle», l’auteur et interprète Nicolas Bonneau, réussit à faire «je – ils-  nous» à partir du match de boxe au Zaïre entre Mohamed Ali et Georges Foreman. Il développe une esthétique théâtrale innovante où le récit s’inclut dans un concert, relié à un travail vidéo de toute beauté. Cette écriture scénique s’adresse au spectateur sujet car Nicolas Bonneau contextualise son propos (le sort des noirs aux USA, le système Mobutu) tout en le reliant à l’intime de chacun: «la boxe est une danse», «la boxe, c’est de l’amour». Politique, corps, sport forment un art total pour le récit commun d’un match universel.

Dans «Illumination(s)» mise en scène d’Ahmed Madani, l’écriture du réel est portée par un collectif de huit habitants d’un quartier populaire qui, à partir d’un récit choral, enchevêtrent l’histoire de la guerre d’Algérie, les émeutes de 2005 dans les banlieues et la place des enfants de l’immigration dans la société française. Ici, la présence d’acteurs amateurs autorise la confusion qui brouille les repères chronologiques: en effet, l’Histoire est un processus et non une succession de faits. Or, la figure de l’amateur permet ce processus parce qu’il l’incarne et le transcende pour faire récit commun avec le public à partir d’esthétiques en mouvement…comme l’Histoire.

Dans «Discours à la nation» d’Ascanio Celestini, David Murgia incarne un tribun aux multiples casquettes. Nous voici propulsés dans 30 ans, époque où «la démocratie est une dictature», au cœur d’une pensée par ceux qui détiennent le pouvoir économique, politique et social. Peu à peu, le public est subjugué par cette rhétorique où les «éléments de langage» de la communication politique d’aujourd’hui structurent la pensée politique d’un futur proche. Elle fait récit commun parce qu’elle est déjà en nous. Effrayant, captivant et…mobilisant d’autant plus qu’ici, le théâtre parvient à développer une matière à penser incluse dans une esthétique tout à la fois fragile et solide.

Nous retrouvons ces processus dans les spectacles d’Angelica Liddell  présentés au Festival In. Avec «Ping Pang Qiu», elle crée la relation avec le public et modifie notre place de  spectateur en reliant l’intime au politique. Elle réussit magnifiquement à nous inclure dans l’histoire contemporaine chinoise à partir d’une esthétique théâtrale où le corps est au centre, porteur de nos paradoxes, de nos utopies, de nos désirs de liens, au service de la pensée.

Par contre, d’autres propositions au «In» n’ont pas réussi à faire récit commun. Avec «Hate Radio» de Milo Rau, j’espérais une belle écriture qui puisse me relier à la terrible histoire du génocide Rwandais. Ici, l’œuvre commence par des paroles de témoins projetées sur écran vidéo avant que des acteurs professionnels jouent en temps réel, une émission de la radio des Milles Collines (celle-là même qui organisait la propagande par des appels répétés à l’extermination des Tutsis). J’assiste passivement sans que je ne sois touché comme si cette «radio réalité» pouvait être un propos artistique. Raté. La figure de l’acteur disparaît dans ce jeu de rôles et le théâtre n’apparaît qu’au dernier instant quand les trois animateurs de radio nous fixent derrière la vitre pour laisser de nouveau les amateurs témoigner. Trop clivé. Trop court. Trop tard.

«Wagons libres» de Sandra Iché aurait pu être une œuvre passionnante tant le concept «d’archives du futur» (à l’image du discours futuriste d’Ascanio Celestini) se prête à une écriture du réel dynamique: «évoquer aujourd’hui depuis demain et tenter de sonder le constat trop figé du « malheur arabe » et d’éclairer de biais ce qui le nourrit, l’entretient». Pour cela, elle s’entretient avec l’équipe du journal beyrouthin L’Orient Express, là où elle avait collaboré en 2010 avec Samir Kassir, son rédacteur en chef, assassiné en 2005. Sur le plateau, Sandra Iché se projette à l’aide de différents matériaux posés sur une table. Son théâtre est laboratoire pour permettre à ce passé qui n’a pas encore eu lieu de se raconter. C’est plaisant, dynamique, créatif, intelligent. Mais cela ne me touche pas. Précisément, parce que je ne ressens pas la fragilité de l’approche, le moment où je pourrai m’y inscrire. Ce monde arabe n’est pas le mien. Pourtant Sandra Iché vit en France mais cela ne fait pas lien. Sa danse aurait pu être un pont mais trop furtive, elle nous rappelle seulement qu’elle est danseuse…

Autre tentative dans «Cour d’Honneur» de Jérôme Bel qui aurait pu être une belle écriture du réel. L’article que nous avons écrit collectivement démontre les processus par lesquels une intention généreuse (porter sur scène des souvenirs de la Cour d’Honneur par les spectateurs) se traduit par une écriture descendante, clivante, académique, où l’égo ne peut faire récit commun parce que la question du spectateur n’est jamais portée sur le terrain du politique. «Cour d’Honneur» métaphorise la représentation que se font la majorité des décideurs de la culture sur le spectateur : un être submergé par ses affects et qui ne retient finalement des spectacles proposés que des images furtives. Pour l’anecdote.

Pascal Bély – Le Tadorne

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Offinité Publique des Tadornes au Festival Off d’Avignon du 18 juillet – Nos théâtres mondes…notre troisième sélection.

Ce rendez-vous des Offinités publiques est notre projet de spectateurs. Il est animé par moi-même Pascal Bély, Sylvie Lefrère, Sylvain Saint-Pierre, Laurent Bourbousson, Bernard Gaurier. Loin d’ici mais présents : Pierre-Jérôme Adjej à Berlin et Pascale Logié à Lille. Chaque année, nous croisons nos sensibilités et nos approches du théâtre en encourageant un regard critique capable de nous faire penser collectivement sur ce qui fait société, ce qui fait politique. Nous cherchons en nous ce qui fait conscience du monde, ce qui relie notre intime complexe aux enjeux mondialisés de l’humanité. C’est ainsi que nous pensons notre place de spectateur pour la mettre en mouvement, la questionner en continu pour ne rien figer et ne rien sacraliser.

Nous avons placé notre rendez-vous d’aujourd’hui sous le thème engloblant du théâtre monde. Comment s’évoque le monde au Festival Off d’Avignon ? Pour animer ce rendez-vous, nous avons convié Mahoro Nsengimana et Ivan Guibert de la section “personnes déracinées” d’Amnesty International France et des metteurs en scène Catherine Graziani et Julien Bouffier. Nous les invitons à écouter ce qui va s’éclairer sur le programme du OFF à partir de nos critiques et de faire liens entre leurs visions d’artistes et de militants.

Avant de commencer ce tour critique, j’aimerais évoquer quelques artistes qui nous ont profondément marqués depuis le début du Festival. Nous y sommes depuis le 5 juillet. Tout a commencé au In avec l’espagnole Angelica Liddell. Cela ne pouvait pas mieux tomber. Car «Ping Pang Qiu» est un vibrant plaidoyer pour un théâtre engagé et engageant. Il évoque la bataille à mener: celle d’affirmer nos modes d’expression contre les approches rationalistes et autoritaires qui visent à les museler. Elle est entrée dans l’arène avec une robe rouge sang, comme l’énergie qui coule dans ses veines; rouge vif comme la colère qui gronde en elle; rouge vif comme la couleur du petit livre de Mao qu’elle brandira à plusieurs reprises pour le défier. Mais combien sont-ils en Europe à brandir leur petit manifeste pour nous imposer leur politique libérale sans vision?

La vision d’Angélica s’est amplifiée avec David Murgia, dans «Discours à la Nation», comédien belge et tribun aux multiples casquettes. Il incarne un petit bonhomme, homme de pouvoir, porteur d’un revolver (comme tant de ses concitoyens), protégé par son parapluie qu’il daigne offrir pour mieux écraser son hôte. Il  manie l’injonction paradoxale avec délice et l’inclu dans une ritournelle qui ouvre nos rires, non vers un cynisme facile, mais vers une pensée en mouvement. À mesure que le discours avance, il nous impose une évidence : «la démocratie est une dictature ». Sa démonstration est implacable: nous ne choisissons plus nos dirigeants, c’est eux qui nous choisissent. Nous ne luttons plus contre l’exclusion sociale: c’est l’exclusion qui nourrit les puissants. «Le discours à la nation» est passionnant parce qu’il est écrit du côté de ceux qui détiennent le pouvoir (ici, économie, politique et social ne font qu’un, sans plus aucun mécanisme de régulation). Cela pourrait se passer en France, pays où il pleut tout le temps (probablement lié au réchauffement climatique). Bienvenue en 2063.

Retour vers le passé pour vivre un «ici et maintenant» bouleversant.  “Exhibit B” est une exposition proposée à l’Église des Célestins dans le cadre du festival «In». Brett Bailey est un artiste blanc d’Afrique du Sud. Il a connu l’apartheid. Son exposition performance est incarnée par quinze acteurs amateurs, tous immobiles, mais dont le regard crée l’Histoire en mouvement. De la Vénus Hottentote, aux camps de la mort, aux sans-papiers d’aujourd’hui, tout le poids de l’histoire des noirs s’écrase sur nous. La violence dont ils ont été victimes tout au long des siècles rôde sous les alcôves de l’Église.  Elle nous revient à partir d’un geste artistique d’une très grande beauté. Assis, couchés, debout, ces hommes et ces femmes nous font face, habillés par leur dignité. Nous nous ressentons aumônier dans le couloir de la mort. Impuissants, sans pouvoir formuler un mot. C’est une transe silencieuse qui nous envahit, où nos corps chavirent sous la puissance de l’échange.

Trois visions de ce théâtre monde que nous allons nourrir et amplifier au cours de ce rendez-vous où seront abordés par les Tadornes, les spectacles suivants :

« Bruits d’eaux » – Théâtre Alibi – Le Girasole – 15h55– P 210

Trois corps circulent sur le plateau, métaphore de notre embarcadère d’un soir. Un homme, petit (sidérant François Bergoin), porte un costume de capitaine bien trop grand où le bruit de ses médailles rappelle la cloche de nos vaches. Sorti du troupeau des petits fonctionnaires obéissants, il s’avance vers nous, sûr de notre bon droit : protéger l’Europe de l’immigration sauvage. À ses côtés, un étrange objet inanimé m’intrigue. Sa présence fait corps comme s’il avait été sculpté sous la torture. À la fois totem et tabou. À la fois bureau de ce chef comptable préposé à la politique du chiffre (compter les noyés) et symbole de l’échafaud pour accostage illégal de nos côtes. Construit par l’Atelier MOA, il est à la fois fragile et oppressant quand s’y assoit le comptable et puissant dans sa verticalité lorsqu’une  de ses « poutres » se fait scène pour accueillir la chanteuse et musicienne Sika Gblondoume. Ses mouvements fantomatiques, appuyés par les écrins de lumières et vidéos de Fabien Delisle, font entendre des berceuses du Bénin ou d’Algérie et donnent une présence incroyable à ces noyés ensevelis sous les planches de ce radeau de la méduse. Cette femme ouvre les portes, pose des ponts…elle est fille d’Istanbul, entre Afrique et Europe.

« Je vous ai compris » par la compagnie Groupov- La Manufacture-  11h – P261

Cinquante ans après, deux comédiennes, Valerie Gimenez et Sinda Guessab, nous font vivre de l’intérieur l’allocution mythique du Général de Gaulle à Alger. Elles incarnent un couple improbable, celui de leurs parents: un gendarme pied-noir (militant du Front National) et une Algérienne naturalisée française. Leur histoire originelle est différente et distanciée, mais le contexte politique actuel les relie: face à nous, elles font ce travail d’introspection que la France ne veut pas entamer.

«Je vous ai compris» est une œuvre forte, car elle célèbre la liberté d’expression: ouvrir la parole intime de chacun pour penser une politique pour tous. Il faut un sacré courage pour oser un tel rendez-vous avec l’Histoire et accompagner le spectateur à faire ce travail d’introspection. Car ne nous y trompons pas: cinquante ans après, l’expression de De Gaulle agit comme un secret de famille.

 

«Qui sommes-je?» de Ludor Citrick – Espace Vincent de Paul – 15h30- p 197.

Ce clown accumule des souffrances (seraient-elles celles du corps social?) provoquées par les brimades de la société du spectacle qui transforme nos espaces de liberté en camp retranché.  Notre clown les déjoue en détournant les mots pour interroger notre vivre ensemble, nos dualités entre le masculin et le féminin, nos cloisons entre pensée et plaisir…Il ne cède jamais à la plainte, mais redéfinit en permanence le cadre pour interagir. Il souffre pour réveiller notre clown d’aujourd’hui, humanoïde hybride entre raison et déraison qui dépasse nos systèmes de pensée usés et normés.

Notre  clown est si fort qu’il rend l’animateur totalement dépendant. Il a toujours une longueur d’avance jusqu’à guider sa pulsion de faire mal vers l’endroit où cela pourrait lui faire du bien ! Il cherche toutes les ouvertures là où rien n’est à priori fermé ! Tenu en laisse par son gardien de tôle, il n’hésite pas à franchir la ligne blanche, vient vers nous, nous provoque dans notre confort et nous prendre à témoin pour rendre justice.

 

«Illuminations» par la Madani Compagnie- Théâtre des Halles – 19h – p 223.

Comment porter sur scène le lien entre les événements de la Guerre d’Algérie et les émeutes dans les banlieues de 2005 ? Avec «Illumination(s)», Ahmed Madani a réussi ce pari politique et artistique en invitant  huit jeunes d’un quartier populaire dans un récit choral où s’entremêlent les récits de trois générations d’immigrés.

Ici, la confusion est une force car elle brouille les repères chronologiques. L’histoire est vue comme un processus et non comme un état de fait. Les événements d’Algérie sont intimement et collectivement intégrés dans les émeutes de 2005.  La culpabilisation des ainés et leur soumission à la France sont portées par les jeunes d’aujourd’hui qui questionnent avec créativité et colère les valeurs de la république. Aux tortures d’hier répondent la violence des rapports sociaux d’aujourd’hui.  Le récit non linéaire est une aide pour penser la France comme un pays d’immigration, en dynamique, en changement. Tout est proposé dans des causalités circulaires  comme par exemple l’origine des vigiles qui protègent les lieux publics et centres commerciaux : “Nous devenons vigiles pour vous protéger de nous mêmes”.

«Illumination(s)» est une pièce où le changement de regard est possible si nous faisons ensemble un travail de mémoire. L’art et ces nouvelles esthétiques pourraient nous y aider : en faisant dialoguer les époques, en privilégiant une approche transversale de l’immigration, en repensant la place des femmes, beaucoup trop invisible.

 

«übü kiraly » d’Alain Timar – Théâtre des Halles– 11h–p 222.


1h50 d’un théâtre qui passe à toute vitesse. Alain Timar est allé “s’accoquiner” avec des acteurs roumains exceptionnels. “Ubu papa”, “Ubu maman” et toute leur clique inventent un théâtre où le papier omniprésent symbolise ce pouvoir qui se froisse pour un oui ou pour un non; ce pouvoir qui déchire les âmes pour régner sans toi, ni loi.
Superbe.

«Ali 74, le combat du siècle » par Nicolas Bonneau – Le Girasole – 20h55 – p 210


A priori, ce n’est pas un spectacle que j’aurais sélectionné. Des amies s’en sont chargées. Je suis entré dans cette salle, métaphore du ring d’un artiste. Le «ciné-récit- concert» de Nicolas Bonneau est une lutte de tous les instants où il combat certains réflexes du théâtre dit documentaire.  En tout premier lieu, il évite une narration linéaire pour évoquer le combat du siècle entre les boxeurs Mohamed Ali et Georges Foreman. C’était tentant. Mais il inclut dans son spectacle tout un contexte politique (le sort des noirs aux USA, le système Mobutu) ainsi que des images liées à la boxe empruntées au cinéma ou à la bande dessinée. Nicolas Bonneau joue avec sa voix et son corps pour incarner une danse, celle de la boxe, car c’est ainsi que la qualifiait Mohamed Ali. La présence d’un musicien (Mikael Plunian) et d’une chanteuse (Fannytastic) renforce la forme hybride d’un spectacle à la frontière d’un one man show et d’un concert. La présence de l’accordéon fait entendre les corps qui souffrent tandis que la voix murmure rêves, complots et douleurs. C’est un théâtre vif, combattant, haletant car «la boxe, c’est de l’amour», clame Nicolas Bonneau au cours d’un sublime moment théâtral. J’ai la boxe, danse de l’amour et du corps politique.

«End/Igné» par la compagnie du Bredin – La Manufacture – 14h – p 261

“End/Igné”, un texte poétique et cru pour dire un monde violent et tenter de comprendre. Là où le théâtre et l’acteur gomment l’éloignement de bruits d’un ailleurs pour les guider jusqu’à nous et nous faire entendre l’intime où s’inscrit un acte public. Aucune “lourdeur” dans cette proposition, juste une pièce à voir et écouter.

 

 Les autres spectacles fortement conseilllés par les spectateurs présents aux Offinités:

 «Le réveil» par la compagnie Trésors de Sophie – L’Adresse- 10h45 – p 29

«Absente : rendez vous avec Sophie Calle» de Shakespeare’s Wild Sisters group – 17H55- La Condition des Soies- P157

«La jeune fille et la morve» de Mathieu Jedrazak-19H50-Présence Pasteur-P 315 (critique de Sylvain Saint-Pierre)

«Savez vous que je peux sourire et tuer en même temps» par la compagnie Ches panses vertes -17H30- Girasole- P 210

«Orphelins» par le Théâtre du Prisme-17h45 -Présence Pasteur- P 314.

«Pinocchio» par la compagnie Caliband Théâtre -Présence Pasteur – 12h20. p 311 (critique de Laurent Bourbousson et Sylvain Saint-Pierre)

«Pour un oui ou pour un non» par la Compagnie Pourquoi ?–Vieux Balancier–11h-p 353

«Une douce imprudence» d’Eric Lamoureux et Thierry Thieû Niang- Hivernales- 10h – P 226

«L’incroyable destin de René Sarvil, artiste de Music-hall» par les Carboni–Théâtre des Carmes – 15h30 – p 104.

 

Les spectacles déjà recommandés lors des Offinités précédentes :

«Le mardi à Monoprix» par la compagnie Le Théâtre Dû – Grenier à sel-13h05-  p 219 (critique de Sylvie Lefrère)

«Quelque chose de commun» par la compagnie Nivatyep – L’Adresse  – 21h25- P30 (critique de Laurent Bourbousson et Sylvain Saint-Pierre)

«Silence encombrant» par la compagnie Kumulus – La Manufacture-  18h30 -p 263

«Frozen» par la compagnie Théâtre du Centaure-  Présence Pasteur – 10h30 -p 311

« SMATCH[1] Si vous désespérez un singe, vous ferez exister un singe désespéré » par le Corridor -Théâtre des Doms-  17h30  – p 173 (critique de Pascal Bély)

Les beaux orages qui nous étaient promis” par le Collectif Petit Travers – Espace Vincent de Paul – 17h- p 197

JEUNE PUBLIC

«Concert-tôt» par l’Ensemble FA7 – Maison de théâtre pour enfants – 9h45 et 15h45 – p 256

«C’est dans la poche» – Compagnie Jardins Insolites – Maison de théâtre pour enfants  – 9h50– p 256

«Papa est en bas» – Compagnie La Clinquaille – Maison de théâtre pour enfants – 10h30 – p 256

«Le papa-maman» – Compagnie La Parlotte – Maison de théâtre pour enfants – 10h40 –  p 256

«Camion à histoires» par la compagnie Lardenois – Maison de théâtre pour enfants – 11h et 16h40– p 256