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OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Au coeur de la campagne, la fuerza d’Angélica Liddell arrive à Paris.

C’était au Festival d’Avignon. En 2010. Elle fut l’un de mes plus grands chocs théâtraux de ces dix dernières années. Elle joue au Théâtre de l’Odéon à Paris du 23 au 28 mars 2012.

Retour sur «La casa de la Fuerza » d’Angélica Liddell.

3h30 du matin. Les spectateurs n’ont plus beaucoup de force après les cinq heures de ce chef d’oeuvre pictural, d’un théâtre chorégraphique, épuisés par tant de sollicitations visuelles, auditives, voire olfactives. « La casa de la fuerza » de l’Espagnole Angélica Liddell est un coup de poing, qui vous précipite dans la crise, celle que vous aviez un peu trop vite oubliée. Sauf que le théâtre est là pour raviver les plaies parce que nous sommes tous faits de cette matière là. Ce soir, au Cloître des Carmes, acteurs et spectateurs sont infiniment, intimement liés par toutes ces « petites histoires » dont nous en avons tous fait de grandes : le chagrin d’amour, le mal de vivre, l’abandon, le renoncement de soi. Appelez ça comme vous voulez. C’est notre enfer commun. La vraie crise, c’est celle-là. L’économique, n’est qu’économique et puis, ça commence à bien faire. Assez de discours ! Place à la vérité. Au corps. 

Elles sont trois femmes, six destins. Cherchez l’erreur dans l’addition. À la différence de certains hommes qui sont toujours prompts à défendre des causes humanitaires, mais ne peuvent s’empêcher de maltraiter leur compagne, ces trois femmes dépressives au premier acte en invitent trois autres au dernier, pour évoquer la situation de la condition féminine au Mexique. Tout est lié. Nos chagrins d’amour s’inscrivent aussi dans un contexte sociétal. Mais aussi parce qu’être femme battue, violée et tuée ailleurs est un chagrin d’amour pour toute l’humanité.

Trois actes pour (re)vivre du dedans ce que nous avons tous voulu crier au dehors. Car le mal d’amour, la séparation atteint son paroxysme dans la souffrance du corps. Comment porter au théâtre ce qui est d’habitude métaphorisé par des opéras, des danses, des histoires à dormir debout ? Ici, tout est convoqué.

Le texte, puissant, parce qu’il est fait de mots d’une tendresse brute ;

la musique, omniprésente, en boucle (du Bach et de la pop), parce que sans elle, nous n’aurions peut-être pas survécu au naufrage de l’âme et qu’allongés, Bach, Brel et Barbara ont été nos analystes au doigt et à l’oeil;

le liquide, parce que ça déborde et que l’amour finit toujours par prendre l’eau ;

le sang, parce que l’on se saigne aux quatre veines pour sortir de ce merdier ;

des canapés, beaucoup de canapés, une armée de canapés, parce qu’ils sont nos lits d’enfants avec ou sans barreaux, c’est selon;

des fleurs, en bouquets pour fracasser ce qu’il reste de beau ; en pot pour fleurir les cimetières ; en bouton, pour renaître;

un immense cube de pâte à modeler pour sculpter, enfanter d’une armée de bonhommes façonnée par la tendresse et la paresse, le tout pour résister à la bêtise machiste ;

le tiramisu…parce qu’avec Angelica Liddell, c’est le seul gâteau qui vous relève en chantant ;

le charbon, oui du charbon, pour creuser la tombe, épuiser le corps, tomber au fond du trou, et provoquer le coup de théâtre le plus magistral qu’il nous ait été donné à voir, tel un coup de grisou dans la tête de ceux qui continue à nous gonfler avec leurs classifications (théâtre, danse, et compagnie).

Toutes ces matières façonnent la mise en scène et  « la casa de la Fuerza » bouleverse une partie du public : les corps se fondent dans les objets et leur donnent une âme, la musique épouse les matières, et vous finissez par être sidéré, immobilisé, par une telle orgie de la tolérance et de la beauté. Car ici, le corps n’est pas manipulé, tel un objet pour créer du propos, mais il est traversé pour que tout nous revienne, comme une exigence de vérité. Le corps de l’acteur est un don au public, un lien d’amour engagé et engageant où l’on convoque une infirmière sur le plateau pour prélever son sang et tacher sa chemise. « Je suis sang ».

« La casa de la fuerza » sera l’un des grands moments de l’histoire du festival d’Avignon. Parce qu’Angelica Liddell ne se contente pas de regarder les hommes tomber. Elle leur offre la force de sa mise en scène pour que «Ne me quitte pas » soit un hymne à la joie.

Pascal Bély – Le Tadorne

“La casa de la fuerza” d’Angélica Liddell au Festival d’Avignon du 10 au 13 juillet 2010.

Credit photo: Christophe Raynaud de Lage

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LA MUSIQUE EST DANSE LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Emanuel Gat à Paris du 2 au 6 avril 2013.

Ce soir, j’ai envie de ressentir le groupe. Certains chorégraphes sont uniques à nous donner leur visée du collectif, au-delà des discours lénifiants des entraineurs sportifs ou des images massives véhiculées par les médias. Mon besoin est d’autant plus fort que les solos de danse se multiplient depuis quelques temps sur les scènes de France.

Alors que les outils de communication nous isolent un peu plus, il nous faut retrouver la vision du groupe, entité psychique où l’individu participe au tout. Nous pouvons nous appuyer sur Emanuel Gat et sa création chorégraphique et musicale, «Brilliant Corners». Ils sont dix. Trois femmes, cinq hommes aux couleurs du monde, comme dans une publicité pour Benetton. Dix pour explorer la musique (plutôt compliquée) composée par Emanuel Gat («constituée de centaine d’extraits musicaux tirés de sources diverses qui sont ensuite soumis à un lent processus de manipulations, d’interactions et d’influence réciproque»). Autant dire que cela fait du bien quand elle s’arrête. Car le propos artistique est honnêtement ailleurs: dans cette phrase extraite de la feuille de salle, nous pourrions aisément substituer le mot «danse» à «musique» tant le travail chorégraphique d’Emanuel Gat est extraordinaire.

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Rarement, je n’ai ressenti, avec une telle précision, la complexité des mouvements vers le collectif. Il y a cette mise en espace, symbolisé par un carré lumineux, où les corps apparaissent et disparaissent sans que pour autant la danse ne s’arrête dès qu’un danseur est plongé dans le noir. Par ce jeu d’ombres et de lumières, elle donne son épaisseur au groupe où l’espace est son contenant. À les voir alignés contre le mur pendant les solos ou les duos, je comprends vite que cette posture fait partie du jeu : ils observent ce qu’il se danse pour mieux revenir et amplifier le propos. Celui-ci est limpide: la diversité est le moteur du groupe, vecteur du sens. Chacun explore jusqu’au bout une fraction de mouvement et provoque le déplacement d’un vol d’hirondelles. A l’image des communautés sur internet, le groupe se déplace pour amplifier la relation horizontale et s’approprier de nouveaux territoires. Le collectif relie les fragments et avance jusqu’à produire la lumière du spectacle ! Magnifique !

À les voir s’engager dans de multiples mouvements et gestes, ils mettent en jeu mes désirs de danse. Je vais et je viens sur leur territoire qui devient peu à peu le mien. D’autant plus, qu’ils n’imposent jamais : le mouvement de l’un vise toujours l’unité. Il se nourrit d’arrêts (pour sculpter l’inconscient groupal), voire de quelques fractures pour respirer.  Dans «Brilliant Corners», je me sens libre. Comme eux. Dans le respect du geste, d’où qu’il vienne. Et l’unisson, n’est pas fusion, encore moins la communion. Quand ils se resserrent les uns contre les autres, je ressens la force des valeurs de solidarité, où la créativité fait cohésion, où la confiance est affaire de fond et de forme. D’autant plus qu’ils doivent muter dans un  espace musical qui fragmente plus qui ne relit. Je perçois parfois qu’ils expérimentent comme si Emanuel Gat leur disait: «Je garde votre tentative, même inaboutie. Mais qu’importe, elle participe au cheminement».

Très honnêtement, j’ai quelquefois lâché, notamment lors des solos (un ou deux suffisait), trop démonstratifs. Emanuel Gat a-t-il encore à nous prouver quelque chose? Sa virtuosité suffit alors que résonne le «Nacht und Träume» de Schubert! Ce moment est sublime (à la 5ème minute de la vidéo): le groupe semble occuper la place d’une ville et provoque mon vertige. Je n’ai jamais vu le lien social chorégraphié de cette façon.

Et quand arrive le dernier mouvement, tel un point-virgule déterminé, je sais qu’il me revient de poursuivre la phrase…

Tel un infatigable témoin de danse, je signifie à tous et à chacun que «Brilliant Corners» m’a littéralement bouleversé.

Ils étaient dix. L’horizon est “onzième.
Pascal Bély, Le Tadorne
«Brilliant Corners » d’Emanuel Gat au Pavillon Noir d’Aix en Provence du 22 au 25 février 2012. Au Théâtre de la Ville de Paris du 2 au 6 avril 2013.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Je suis onzième dessous.

Il est 22h50. «Onzième», théâtre surréaliste de François Tanguy est terminé. À peine rentré chez moi, je poste un message sur la page Facebook du Tadorne. Martine Silber, auteure du blog Marsupilamima, compréhensive et enthousiaste sur «Onzième», répond qu’écrire sur la pièce «n’est pas obligatoire, non plus :-)». Je suis rassuré.
Il est 7h du matin. Il me faut jeter sur le papier mes premières impressions. Mais «Onzième»attendra. Il me faut chroniquer sur «Grimmless» de Ricci et Forte vu à Milan le week-end dernier. Le texte en italien m’oblige à me déplacer. J’écris à partir d’images, de ressentis. Après sa publication, l’article fait un carton en Italie et en France. Je suis donc confiant pour «Onzième».

Il est 6h30 du matin. On m’attend à 9h. J’anime un séminaire. Il me faut écrire. C’est un devoir (sic). Mais rien ne vient.

Il est 7h30. C’est toujours aussi confus. Ce théâtre-là ne me donne pas facilement la parole. Mais où m’a-t-il embarqué ? L’oeuvre a bel et bien duré deux heures et vingt minutes, pendant lesquelles je n’ai rien compris à ce que l’on m’a dit. C’est du théâtre, mais les mots sont des gestes, sont une matière que les corps façonnent. François Tanguy avec «Onzième» a désarçonné le public. Quelques spectateurs sont partis. Si peu. La salle s’est accrochée. Manifestement.

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J’ai littéralement plongé dans cet univers à la frontière de la clairière, d’un grenier, d’une place de village, d’un musée de nuit, où apparaissent et disparaissent des personnages d’un temps ancien qui s’interrogent sur la mort, l’amour, l’existence. Des parois entières de décor circulent et créent la profondeur du champ de vision pour un changement permanent de focale afin que rien ne soit à jamais figé. L’humanité est ici en jeu : ces femmes et ses hommes dépassent leur personnage. Ils sont autres. Ils sont l’Opéra. Oui, l’Opéra comme on serait oiseau, paysage, une idée. Ils personnifient l’Opéra, un art qui ne m’a jamais rencontré. Ce soir, il s’adresse et se dresse. L’Opéra, c’est une musique et des mots qui viennent du fond de l’âme. Oui, c’est bien cela, «Onzième» surgit du fond de l’âme. Mais ce n’est pas tout.

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Ce soir, à déplacer tables, chaises, planches et panneaux, William Forsythe s’est invité pour fracturer les mouvements afin que le désir de vie reprenne ses droits.

Ce soir, Maguy Marin convoque l’humanité amputée des valeurs de son histoire, parce que l’homme produit plus qu’il ne pense.

Ce soir, Pina Bausch surgit avec «Café Müller» et nos blessures sont fantômes à force d’avoir été mal p(e)ansées.

«Onzième» n’est rien d’autre qu’un poème chorégraphique au coeur du théâtre. Il vous déplace dans un vide créatif vertigineux.  Il n’y a quasiment plus de mots pour l’évoquer comme si, en dehors de l’expérience, on ne pouvait rien en dire. Il défie les savants du théâtre, provoque les spectateurs sûrs de leur bon droit, mais ravit le cerveau droit, celui qui perçoit les faisceaux d’harmonie.
Chers lectrices et lecteurs, vous n’en saurez pas plus. Plus rien ne vient. Tout est en moi, en jeu.

Cette danse est un rêve.

Pascal Bély, Le Tadorne

«Onzième» de François Tanguy au Théâtre du Bois de L’Aune à Aix-en-Provence du 20 au 23 février 2012.

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LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Olivier Dubois, cet empêcheur de tourner en rond.

Après la décevante exposition «Danser sa vie» proposée au Centre Pompidou, je pars au 104 pour «Révolution» d’Olivier Dubois, pièce de deux heures, pour onze femmes, sur une musique du Boléro de Ravel. Serait-ce une réponse radicale à la désincarnation en vogue chez certains chorégraphes qui confondent mouvement et matière ? Ce soir, vêtues de noir, elles dansent autour d’une barre verticale dont nous serions peut-être propriétaire, tant ce lien descendant traverse bon nombre de rapports intimes et sociaux. Si j’osais la métaphore, la barre parallèle des danseurs s’est métamorphosée au fil du temps, en barre verticale de nos relations, de nos institutions, de nos modèles de pensée. Mais c’est également la barre fantasmée par des hommes qui les imaginent se déshabiller, mais pas trop vite, pour faire durer le plaisir de la domination…Elle est aussi notre axe de travail à partir duquel nous creusons, cherchons, pour que notre  parole se déploie dans l’espace vers l’altérité…

Elles partent donc au combat. Moi avec. Pour horizontaliser. Elles sont l’articulation entre le vertical et le groupe. Mais c’est moi qu’elles déshabillent en premier comme s’il fallait me délester d’un superflu. Elles tournent sur elles-mêmes pendant de longues minutes. L’ennui me gagne, celui-là même que je n’ose plus aborder, traversé de flux d’informations par la société de la communication: mais ce soir, plus rien ne passe. Je suis brouillé. Je sens que cela va surgir. Elles tournent et je suis seul. Elles tournent et je relie pour faire mon groupe. Une à une, je les regarde et j’imagine leurs dialogues. Je lâche peu à peu…

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Ce chorégraphe, cet empêcheur de tourner en rond…
Peu à peu, la mécanique semble tourner à vide parce que l’homme machine est une représentation qui ne se régénère pas. D’autant plus que la reproduction à l’identique est un fantasme, une approche autoritaire de la société. C’est alors qu’une phrase vient bousculer cette grammaire chorégraphique bien huilée : l’une ralentit,  la  perte d’énergie se propage puis renforce leur détermination: l’union fait la force. Elles repartent. Elles tournent et se retournent. À ce moment précis, ces femmes s’écoutent et m’entendent.
Peu à peu, le mouvement de l’une entraîne la vision de l’autre et se régénère par le déséquilibre. Au risque de glisser, la réalité mécanique n’a plus de prise. Je suis en route vers leur mouvement.
Peu à peu, chacune génère l’énergie à partir d’un centre de gravité qui n’est plus un «je» tout puissant, mais un «nous» englobant.  Le rond devient relief, tel un surgissement inattendu du sens…La barre est partenaire, projet, oeuvre…Je suis pris dans cette dynamique incroyable où le corps intime (symbolisé par la rougeur de l’effort et leurs perles de sueur) entraine le corps social, qui ne renonce pas même en l’absence d’un chef ! Telle une spirale ascendante, les phrases chorégraphiques finissent par créer une poésie particulière où le Boléro se métisse de rock et de jazz. La barre tremble sous le poids du corps, mais ne plie pas: elle est roseau; le corps est lierre, tresse et enchevêtre. La puissance au lieu du pouvoir !
C’est ainsi que la barre est un mur qu’elles traversent pour ouvrir l’espace du corps politique. La quête absolue de l’émancipation devient une danse du changement. Elles s’élancent vers la victoire, crient pour libérer la souffrance (créer, c’est résister). Plus rien ne semble vouloir rattraper ces femmes courages, aux corps éoliens. L’énergie inonde le plateau jusqu’à l’infini. Le corps est une conquête ; la danse est sa révolution.
Femmes «étend’art», je suis votre porte-drapeau…
Pour «Danser sa vie», jusqu’au souffle final.
Pascal Bély, Le Tadorne
“Révolution” d’Olivier Dubois au 104 de la ville de Paris les 4 et 5 février 2012.
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EN COURS DE REFORMATAGE OEUVRES MAJEURES

La canne et les oeillets sont dans une boite grise.

Au fond du plateau, il y a des chaises alignées: bien sûr on pense à Pina Bausch.

Des portes se ferment et s’ouvrent: bien sûr on pense à Pina.

Ils sont en habillés en  rouge, combinaison de soie, et l’on pense encore à Pina.

Il y a le Lac des Cygnes et toujours, on pense à elle.

Aujourd’hui, Pina n’est plus seule. Elle a son guide, son fidèle, son fils…. Pippo Delbono, quasiment inconnu en France, nous subjugua en 2002 avec «Il silenzio» à l’école Saint-Jean d’Avignon, transformée en salle de spectacle…C’était lui qui racontait des histoires, qui marmonnait, qui respirait très fort, qui murmurait  ou vociférait.

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Ce soir, c’est lui qui respire paisiblement et se confie. On sait le nommer, on sait que c’est lui, car il y a sa stature,  son timbre de voix, son accent…et on est avec lui. Pippo le Grand, Pippo l’Éclaireur, Pippo le Magicien.

On attend un conte. On est venu l’entendre et c’est une autre qui danse. On connait Pippo et Pina est là.

Comme d’habitude, on veut qu’il arpente en criant et on aperçoit Bobo en silence.

Bobo arque bouté, 77 ans de souffrance dont quarante-cinq ans d’internement en hôpital psychiatrique; Bobo magique, Bobo allant tout droit, jouet imperturbable, figure emblématique.

Ce soir, ce serait comme si…Pina et Pippo…Ce serait comme des icônes dans une énorme boite grise, agrippées aux murs. Ce serait un ciel gris, des portes, des percées de lumières. Ce serait deux absents courant ça et là, ce seraient des fantômes, ce serait un hommage, une messe célébrée. On penserait alors  à de beaux tableaux italiens….

Le peintre serait Pippo Delbono et le musicien Tchaïkovski. Le peintre arriverait, chemise blanche débraillée, on imaginerait Tadeusz Kantor, le maitre de ballet. Il y aurait aussi Tutu blanc la danseuse, puis Bobo et sa canne.

Pour Bobo, il n’y aurait pas de passé. Tous les jours seraient identiques, sans souvenirs, sans célébration. Bobo crierait, hurlerait même. L’écho de sa souffrance, un désespoir écorché…. l’esquisse d’un sourire peut-être?

On est prêt à tout avec Pippo. Il nous raconte sa mère qui, affirme-t-il,  n’a vécu sa vie que comme une perte.

Pina, Bobo, les tragédies, l’Égypte…Pippo nous dit aussi qu’à l’asile d’aliénés, ils ont lié les pieds de Bobo. Bobo qui  n’a jamais connu les caresses, qui ignore les jours et les célébrations. Effroi.

Il nous dit la France ; il nous raconte l’Italie et Berlusconi ;  il nous montre Popeye, Donald…Il redevient Monsieur Loyal et on regarde, subjugués, sur les murs, Chaplin qui danse comme un fou.

Gianluca Ballarè arrive, torse nu. Il est prodigieux dans son monde isolé, il transpire d’inquiétude. On l’aime terriblement dans son silence effaré.

C’est au tour de  Bobo qui  trimbale son drapeau comme il faisait dans son asile… Soudainement, la salle, d’un coup se lève au son de Verdi… nous sommes dans son asile, nous sommes en Italie, nous sommes en France, nous ne cessons d’être embarqués…nous suivons Pippo là où il veut nous emmener. Recueillement et nous sommes ébahis. Une musique d’opéra éclate. Une femme, comme sortie de «May B» de Maguy Marin, de terre et de craie habillée, est prise soudainement  de convulsions. Nous sommes à la lisière de la prison, au bord de l’oppression. On arrête. On respire. Stop.

Toujours présente, Pina respire. Des femmes dansent.

Pina hommage, Pina offerte, Pina adulée et les fleurs en bouquet posées.

Pippo pourrait avoir des veines de métal, il en coulerait du miel. La terre de Pippo serait de béton, les oeillets y pousseraient quand même. Pleurer, sourire avec eux, bande de saltimbanques borderline, bande de fous illuminés…Théo Angelopoulos aurait aimé ces comédiens, ces hommes, ces femmes. Il les aurait suivis au-delà de tous les naufrages, au-delà de toutes les guerres… Leurs yeux étaient ce soir-là, bordés de rouge comme ceux de Gianluca, humides comme ceux de Pippo; absents comme ceux de Bobo.

Nous aurions voulu  revêtir des habits de guenilles pour nous mélanger à eux, mais personne ne pourrait porter un vêtement mieux que Bobo. C’est un miracle de le voir devenir vêtement, incarnation d’habit, il est la mariée, il est le concertiste, il est le curé, il est le moine….Magie du transformisme incarné.

À lui ce spectacle dédié, à lui tous les hommages, salut à toute cette famille de comédiens. Merci Pippo, Bobo, Pina ; merci pour cette bataille optimiste ; merci de cette fuite retrouvée ;  merci Pippo d’être redevenu le Pippo du début, merci de ces images, merci de ces larmes, merci de cet espoir…et si je pouvais, je vous offrirais aujourd’hui, à vous lecteurs, des milliers d’oeillets rouges sur le plateau de votre scène.

Francis Braun – le Tadorne.

 « Dopo la battaglia (Après la bataille) »  de Pippo Delbono au Théâtre du Rond Point à Paris du 17 au 29 janvier 2012.

 

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LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES

En 2011, 20 mises en scène essentielles.

1- «Sur le concept du visage du fils de dieu» – Roméo Castellucci – Festival d’Avignon.

2- «Au moins, j’aurais laissé un beau cadavre» – Vincent Macaigne – Festival d’Avignon.

3-«Jan Karski (mon nom est une fiction)» – Arthur Nauzyciel – Festival d’Avignon.

4-“Brume de Dieu Claude Régy – Festival d’Automne – Paris.

5-«On ne sait comment» – Marie-José Malis – Théâtre des Bernardines (Marseille).

6- «Les rêves» – François Bergoin – Théâtre Alibi, Bastia.

7- «Tartuffe» – Gwenaël Morin-  Théâtre d’Arles.

8- «Habit(u)ation» – Anne Cecile Vandalen – KunstenFestivalDesArts – Bruxelles.

9- «Christine, d’après Mademoiselle Julie»- Katie Mitchell et Leo Warner– Festival d’Avignon.

10-«Life : Reset / chronique d’une ville épuisée» – Fabrice Murgia – KunstenFestivalDesArts – Bruxelles.

11- «Les enfants se sont endormis» – Daniel Veronese – Festival d’Automne- Paris.

12- «La Omisión de la familia Coleman»- Claudio Tolcachir – La Criée, Marseille.

13- «Choeur de femmes» – Marta Gornicka- Festival « Sens Interdits » – Lyon

14- «Il n’y a pas de coeur étanche»- Julie Rey / Arnaud Cathrine– La Criée, Marseille.

15- «Insultes au public»- Compagnie Akté –  Le Volcan, Le Havre.

16-«Yahia Yaïch, Amnesia»- Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi– Festival d’Avignon.

17-«Scratching on things I could disavow: a history of art in the arab world» – Walid Raad – KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

18-«Sometimes I think, I can see you» – Mariano Pensotti – KunstenFestivalDesArts, Bruxelles

19- «Bramborry» – De Spiegel – Festival «Petits et grands», Nantes.

20-«The Indian Queen» – Jan Decorte – KunstenFestivalDesArts, Bruxelles.

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En 2011, j’ai beaucoup voyagé. Au total, plus d’une centaine de pièces de théâtre dont la grande majorité n’a pas soulevé mon enthousiasme. Beaucoup d’ennui et pour tout dire, pas mal de découragement (notamment dans ma région, mais j’y reviendrai dans un prochain article). Reste vingt mises en scène, essentielles, parce qu’elles m’ont perturbé, immergé dans un ailleurs pas toujours reluisant, mais où je me suis senti profondément «sujet». C’est-à-dire en devenir…

Pour commencer, il y a ce théâtre des limites. Avec «Sur le concept du visage du fils de Dieu», Roméo Castellucci m’a totalement sidéré à vouloir interroger ma manière de regarder le monde. Je me souviens d’avoir tremblé d’effroi et de froid. Son oeuvre a mis nos corps à corps en jeu. Il y aurait presque une filiation avec le jeune Vincent Macaigne qui a fait vibrer le cloître des Carmes d’Avignon. Avec «Au moins j’aurais laissé un beau cadavre», j’ai eu l’impression de co-inventer un théâtre de corps et de sang, à la limite de la performance et des arts visuels. Macaigne est le metteur en scène d’un art total.  De son côté, Arthur Nauzyciel n’a pas hésité à nous pousser dans nos retranchements pour entendre la parole de Jan Karsky, résistant polonais qui fut le témoin de la plus grande tragédie de l’humanité. Il nous a lentement guidés vers son corps, interprété par le magistral Laurent Poitrenaux. Ce fut un moment théâtral parfois éprouvant pour réveiller le sempiternel «devoir de mémoire» qui finit par nous infantiliser.Sur un tout autre registre, la compagnie Akté a revisité «Insultes au public» de Peter Handke. Cette oeuvre qui date de 1967 n’a rien perdu de son actualité dans un contexte où la place du public s’est peu à peu marchandisé grâce à un marketing truffé de slogans imaginatifs, mais creux. Or, être spectateur est un positionnement complexe où la quest
ion du «sujet» est centrale, génialement traitée par cette compagnie qui devrait faire parler d’elle dans les années qui viennent.

À côté de ce théâtre engagé et engageant reviennent quatre noms, souvent évoqués sur ce blog : Claude Régy, Marie-José Malis, Gwenaël Morin, François Bergoin. À quatre, ils sont mes balises pour naviguer en eaux troubles, amarré à leur navire d’artisan bâtisseur.

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Plus prés de nous, je me souviens d’un théâtre sur la crise. Il m’a aidé à ressentir les effets dévastateurs d’une société consumériste en perte de valeurs. Les metteurs en scène français sont plutôt absents sur ce registre tandis que les belges Anne-Cécile Vandalen, Fabrice Murgia m’ont sidéré par leur façon de théâtraliser la solitude et le chaos qui traversent la famille. Ce dernier thème faisant les beaux jours des Argentins Daniel Veronese et Claudio Tolcachir. Je n’ai pas oublié les prémices de la révolution tunisienne, magnifiquement théâtralisé par les chorégraphies de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi.

Mais au-delà de la crise, il y a des thèmes universels abordés de front, avec force et courage, où la forme épouse le fond. Les voix des femmes orchestrées par la Polonaise Marta Gornicka résonnent encore pour dénoncer la domination masculine qui ne connaît décidément aucun répit. Tout comme le sort que nous réservons aux fous, délicatement traité par Julie Rey et Arnaud Cathrine.

Et puis, il y a ces formes théâtrales hybrides, objet de bien des rencontres mémorables. Walid Raad et sa déambulation dans les chemins de traverse de l’art. L’opéra d’Henry Purcell par Jan Decorte a enthousiasmé parce qu’il a ouvert le théâtre vers une discipline peu réceptive à la pluridisciplinarité tandis que Mariano Pensotti convoquait le public dans le métro de Bruxelles pour le socialiser en créant des dialogues poétiques. «Christine, d’après Mademoiselle Julie» librement adapté d’August Strindberg par Katie Mitchell et Leo Warner de la Schaubüne de Berlin fut d’une telle virtuosité qu’elle m’a entraîné aux frontières du cinéma, du théâtre et de la danse. Et puis il y eut «Bramborry» de la compagnie «De Spiegel», moment théâtral sublime où tout-petits et grands plongèrent dans un univers onirique fait de sons, de sable et d’eau…

Vingt mises en scène essentielles, pour traverser la crise sans perdre pied vers nos corps mouvementés.

Pascal Bély – Le Tadorne.

A lire aussi:

En 2011, 20 oeuvres chorégraphiques essentielles.

Mes trois chefs d’oeuvre de l’année 2011.

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OEUVRES MAJEURES

Fracassante Maguy Marin.

« Salves» de Maguy Marin fut l’événement de la Biennale de la Danse de Lyon en 2010. Dès janvier 2012, sa compagnie part en tournée dans toute la France. Je publie à nouveau l’article que j’avais écrit en 2010 et les dates de ce long voyage qu’entreprennent Maguy Marin et ses danseurs. Ils vont passer près de chez vous.

Sonné. Immobilisé. Traumatisé. Elle ne nous a pas lâchés un instant. Même pas une seconde. Car ce n’est plus le moment de se divertir à partir des ficelles du marketing spectaculaire et faire semblant. Il est temps de recoller les morceaux d’une époque fracassante qui, à force de tordre le sens de l’Histoire, fait de nous des êtres «décivilisés», capables parfois de se laisser séduire par des visions réductrices au mépris de tous ceux qui ont oeuvré pour notre émancipation. La chorégraphe Maguy Marin n’a donc plus rien à perdre. Avec “Salves” sa dernière création présentée à la Biennale de la danse de Lyon, elle trace, car il faut l’énergie du chaos pour continuer sa quête de sens au coeur d’une société où poser LA question vous catalogue rapidement dans le clan des intransigeants. Maguy Marin ne transige pas. Elle occupe le terrain en préférant une scène en travaux aux plateaux dorés qui ensommeillent.

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Dès les premiers instants, les interprètes viennent délicatement nous chercher, comme si nous étions terrés, apeurés, ayant perdu le fil de l’Histoire. Cinq minutes d’une poésie à vous couper le souffle. Avec un fil transparent, ils nous relient et permettent à Maguy Marin de poser son paradigme (une bonne fois pour toute ?): tout est lié, l’art est total et il est grand temps de résister contre celles et ceux qui séparent au nom d’une rationalité abrutissante qui fait mal à l’humanité. Sur le fil, elle provoque le chaos le plus sublime qu’il m’ait été donné de voir afin de (tout) remettre à plat, en hauteur, en diagonale. En nous? Pour cela, elle transforme la scène en territoire pour chorégraphier le théâtre, nous inclure dans la danse, réveiller notre sens de l’Histoire qu’elle projette, comme une cinéaste d’une Nouvelle Vague, sur la toile de nos parois  cérébrales devenues soudainement amovibles! Aux traumatismes provoqués par la folie du monde, Maguy Marin répond en créant un langage «traumatique artistique» qui se passe des mots pour susciter un choc « psychologique ». Pour cela, le son s’approche du vacarme entêtant d’un « cauchemar de folie » ; pour cela, la lumière n’éclaire plus, elle projette.

Les danseurs arpentent donc, torche à la main, ce que nous avons fait là…C’est pire que ce que nous pensions. Mais ne croyez pas à une dénonciation, une de plus, auxquelles nous sommes habitués sur bien des plateaux. Ici, Maguy Marin inclut le spectateur dans la folie du monde. Par touches successives, elle réveille nos peurs enfouies qui font qu’aujourd’hui nous laissons faire, parce qu’enfant, nous avons découvert ce qu’il ne fallait pas voir. Elle va chercher ce qui fait Histoire dans notre histoire. Inutile de préciser que c’est saisissant. Elle interpelle notre lien à la culture qui, censé nous «civiliser», nous assujetti aux modes et fait de nous des consommateurs clonés qui empilent les oeuvres d’art comme nous rangeons la vaisselle dans le placard.

La force de « Salves» est bien là : elle métamorphose notre lien à la scène, seul ressort qu’elle peut actionner pour changer notre rapport au monde et nous montrer ce que notre société du spectacle, plongée dans le consumérisme le plus abject, nous empêche de voir. L’époque est folle parce que nous ne sommes reliés à rien. Même pas à l’art dont nous baladons les symboles, détournons les oeuvres à des fins marchandes où la vitesse de consommation des biens culturels prime au-delà du sens qu’ils incarnent. Pendant ce temps, les corps souffrent, les victimes disparaissent de notre champ de vision. Pendant ce temps, l’événementiel chasse l’Histoire et nous voilà immergés dans le groupe anonyme prêt à nous foutre sur la gueule en attendant qu’un dieu suprême vienne nous sortir de ce merdier.

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Alors Maguy Marin repart au combat et nous enrôle en repassant la bande-son et les images d’un vieux film, connues de tous, celui de la Résistance ; celui de ces petits gestes intimes du quotidien dont la portée politique est immense. N’attendez pas un bouquet final heureux. On n’est pas au spectacle ici ! Bombez le torse, accueillez ces salves. Elles vont vous transpercer et vous donner la force de tendre le fil qui vous relie à l’Histoire et «civiliser»votre regard posé sur le corps.

Car le corps est politique. Il est notre statue de la liberté.

La torche vivante de la fraternité.

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Salves” de Maguy Marin à Biennale de la Danse de Lyon du 13 au 19 septembre 2010.

Crédit photo: Christian Ganet.

 

Les dates de la tournée:  

6 janvier 2012 au Théâtre la Passerelle – Gap
10 janvier 2012 au Théâtre de l’Archipel – Perpignan
12, 13 et 14 janvier 2012 au CCN de Aix-en-Provence / Ballet Preljocaj – Aix-en-Provence
17 janvier 2012 au Cratère, scène nationale – Alès
20 et 21 jan
vier 2012 au Merlan scène nationale – Marseille

24 janvier 2012 à La scène nationale de Cavaillon – Cavaillon
31 janvier 2012 au Théâtres en Dracénie – Draguignan

3 et 4 février 2012 au CNCDC de Châteauvallon – Ollioules 

7 février 2012 au Centre Culturel Agora – Boulazac
9, 10 et 11 février 2012 au Théâtre de l’Union – Limoges
14 février 2012 au Théâtre Le Liburnia – Libourne
17 et 18 février 2012 au Manège de Reims, scène nationale – Reims
21 et 22 février 2012 au Théâtre d’Orléans, scène nationale – Orléans
24 février 2012 à La Faïencerie, scène conventionnée – Creil

2 mars 2012 à La Passerelle, scène nationale – Saint Brieuc
6, 7 et 8 mars 2012 au Lieu unique, scène nationale – Nantes
14 mars 2012 à L’Arsenal – Metz
16 et 17 mars 2012 au Maillon / Théâtre de Strasbourg,scène européenne – Strasbourg

21, 22 et 23 mars 2012 au Théâtre National de Bretagne – Rennes
27 mars 2012 à l’Hippodrome, scène nationale – Douai
30-31 mars et 1er avril 2012 à l’Opéra de Lille – Lille

3, 4 et 5 avril 2012 Le Toboggan en partenariat avec la Maison de la danse de Lyon – Décines
10 avril 2012 à L’apostrophe scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise – Cergy
13 et 14 avril 2012 au Théâtre Auditorium de Poitiers, dans le cadre du Festival [à corps] – Poitiers
17 et 18 avril 2012 à la Scène nationale Petit-Quevilly/Mont-Saint-Aignan – Le Petit-Quevilly
20 avril 2012 à Dieppe, scène nationale – Dieppe
24, 25 et 26 avril 2012 à La Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche – Valence
30 avril 2012 à L’estive, scène nationale de Foix et de l’Ariège – Foix

6, 7, 8 et 9 juin 2012 au Théâtre Garonne – Toulouse

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LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES

En 2011, 20 oeuvres chorégraphiques essentielles.

1- “This situation” –  Tino Sehgal – Festival d’Avignon.

2- «Low pieces» – Xavier Le Roy – Festival d’Avignon.

3- «Cesena» – Anne Teresa de Keersmaeker – Festival d’Avignon.

4-«Cendrillon, ballet recyclable» – Philippe Lafeuille– Maison de la Danse de Lyon.

5-«Asphalte» – Pierre Rigal – Théâtre de la Passerelle, Gap.

6-“Enfant”- Boris Charmatz – Festival d’Avignon.

7-«Du Printemps» – Thierry Thieû Niang – Festival d’Avignon.

8-«L’après-midi d’un Foëhn» – Phia Menard – Festival Montpellier Danse.

9-«Parades and changes» – Anne Collot– Montpellier Danse.

10-«Pudique Acide  – Extasis» – Mathilde Monnier / Jean-François Duroure – Théâtre de l’Olivier, Istres.

11-«Fase, four mouvements» – Anne Teresa de Keersmaeker – Festival d’Avignon.

12-«Uprising» et «The Art of not looking back» – Hofesh Shechter– Théâtre des Salins de Martigues.

13-«Le baiser de la fée» – Michel Kelemenis- Opéra National du Rhin, Strasbourg.

14-«Fauves» – Michel Scchweizer – Les Subsistances, Lyon.

15-«Life and times» –Nature Theater of Oklahoma,  Festival d’Avignon.

16-«Ce que nous sommes» – Radhouane El Medeb, Festival les Hivernales, Avignon.

17-«Pléiades» – Alban Richard– Festival Montpellier Danse.

18-«Les 20 ans de la compagnie Grenade» – Josette Baïz – Grand Théâtre de Provence, Aix en Provence.

19-«Je cherchai dans mes poches» – Thierry Baë -Théâtre Durance, Château-Arnoux.

20-«Violet» – Meg Stuart– Festival d’Avignon.

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En 2011, la danse s’est largement ouverte à d’autres langages: s’est-elle pour autant régénérée? Incontestablement, elle s’interroge. Elle a puisé dans sa riche histoire pour y chercher la force de nous interpeller sur la place du corps dans la société. Mathilde Monnier et Jean-François Duroure, Anne Teresa de Keersmaeker, Josette Baïz, Anne Collot ont fait salle comble avec des oeuvres mythiques qui ont joué leur fonction: celle de nous transmettre l’énergie d’avancer et de ne pas renoncer.

Trente ans après, c’est une performance interprétée dans un festival de théâtre (Avignon), qui a créé l’événement. Avec un langage chorégraphique inattendu, Tino Sehgal a osé pendant trois semaines, mettre en mouvement la pensée de huit jeunes chercheurs et doctorants. Dans «This situation», rarement le «corps» et la «tête» ne me sont apparus aussi connectés pour interroger la place du spectateur, metteur en scène «involontaire» d’une oeuvre dynamique et bienfaitrice. Ce processus s’est prolongé avec «Low Pieces» de Xavier Leroy qui a intégré et questionné le lien entre public, danseurs et chorégraphe pour déstabiliser notre regard et ouvrir nos perceptions. Expérience inoubliable. D’autant plus que le mouvement est aussi et surtout dans nos têtes comme dans «Cendrillon, ballet recyclable» de Philippe Lafeuille. Il a recyclé un ballet pour chorégraphier le plastique, matière de la métamorphose. Ce soir-là, mon imaginaire a pris le pouvoir. Le plastique fut décidément présent en 2011: Phia Menard créa un ballet époustouflant à partir de six petits sacs pour que le fragile soit vecteur de sens. Un grand moment de danse.

Les musiciens ont occupé une place importante pour régénérer le langage chorégraphique jusqu’à parfois les confondre avec les danseurs. Au Palais des Papes d’Avignon, au petit matin, le groupe «Graindelavoix» a accompagné les mouvements majestueux d’Anne Teresa de Keersmaeker pour des corps musicaux franchissant les frontières imposées par les disciplines. «Cesena» restera pour longtemps un moment inoubliable. Sur un autre registre, Alban Richard et les percussions de Strasbourg ont avec «Pléiades», crées la tresse entre la musique contemporaine de Iannis Xénakis et la danse pour des corps instruments. Jouissif. Dans «Asphalte» de Pierre Rigal, la musique de Julien Lepreux orchestra des corps dansant dans la ville pour imaginaires engagés dans la métamorphose. Explosif ! Dans «Violet» de Meg Stuart, la musique jouée en direct par Brendan Dougherty impulsa l’énergie de la transe. Percutant. Dans «Uprising» et «The Art of not looking back», Hofesh Shechter propulsa le groupe dans les entrailles de la musique pour y puiser la force de combattre et d’imposer le sens.

Dans «Le baiser de la fée», Michel Kelemenis osa le ballet contemporain sur une musique de Stravinsky, lui-même inspiré par Tchaïkovski. Quand la narration soutient cet exploit, la danse est une partition! Majestueux. Dans «Ce que nous sommes», Radhouane El Medeb chorégraphia le lien sur la musique engageante de Sir Alice pour ne plus se perdre dans le regard de l’autre. Fascinant. Dans «Je cherchai dans mes poches», Thierry Baë orchestra des trajectoires de vie, pensées comme une musique en quête de sens et de vérité.

Décidément, la musique fut omniprésente sur les plateaux de danse, même pour évoquer les âges de la vie! «Enfant de Boris Charmatz au Palais des Papes répondait à “Du Printemps» de Thierry Thieû Niang qui vit des séniors rajeunir notre regard porté sur la vieillesse. L’adolescence vue par le Nature Theater of Oklahoma dans «Life and times» fut plus sage que les «Fauves» de Michel Scchweizer. Mais pour ces quatre oeuvres, un même fil conducteur : la danse par la musique, théâtralise les métamorphoses d’un corps biologique, vues comme politiques.

En 2011, la danse fut l’une de mes plus belles partitions. C’est un art total, en résonance avec mes désirs de frontières étanches. Pour que s’ouvre mon imaginaire trop longtemps formaté par des savoirs casaniers.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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En 2011, 20 mises en scène essentielles.

Mes trois chefs d’oeuvre de l’année 2011.

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LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES

Mes trois chefs d’oeuvre de l’année 2011.

2011 s’achève et comme chaque année, vient l’heure du repérage des traces indélébiles, des oeuvres qui ont fait leur chemin en traversée pour se nouer à des points de contact insoupçonnés.

En 2011, sur 139 spectacles vus, trois oeuvres m’ont durablement marqué. A priori, elles n’ont aucun lien entre elles, mais elles sont à l’image d’une année 2011 débutée sous le signe des révolutions durables (politique et écologique). Entre l’invocation et la convocation, elles ont interrogé mes systèmes de représentation, interpellés ma posture de spectateur, positionné le corps intime comme langage de la souffrance universelle.

Avec «Sur le concept du visage du fils de Dieu» de Roméo Castellucci, la scène fut un miroir inversé pour interroger ma façon de regarder le monde. J’en suis sorti vidé d’avoir tant écouté, relié, éprouvé, sous l’oeil impassible du visage de Jésus. Athée, ma religiosité fut une révélation.

En interprétant à sa «façon» «Hamlet», Vincent Macaigne m’a bouleversé. «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» n’a rien dit sur cette tragédie que je ne savais déjà. Sauf qu’il a changé la focale, décalé ce qui était figé dans mes représentations sur le pouvoir et métamorphosé la scène en espace quasi liquide capable d’accueillir les corps institués en mal d’amour. Un travail exceptionnel pour des spectateurs désireux de ne plus se laisser manipuler par des esthétiques sans fond.

Israel Galvan est le plus grand danseur de flamenco. Avec «La edad de Oro», je n’en suis toujours pas revenu.  Il célèbre le Flamenco comme Anne Teresa de Keersmaeker épure la danse contemporaine. Son corps est une terre humide qui capte l’énergie pour nous la restituer. Il est entré en moi pour abattre toutes mes barrières de défense. En juin 2011, j’écrivais : «Sa féminité est une rose qu’il vous tend tout en se piquant les doigts. Il saigne, mais sa rage d’en découdre est son pansement. On le croirait trembler de la tête aux pieds, mais ce n’est que le bruit de ses ailes d’anges, comme un claquement de dents. La musique est une onde qu’il attrape au vol pour se laisser traverser et terrasser. Il se relève : l’art n’abdique jamais. Sa danse est un rapport de force pour imposer la paix des braves ; la musique et le chant, un hymne à la terrible beauté.

2011, l’année du corps.

Corps et âmes.

Pascal Bély, Le Tadorne

A lire aussi:

En 2011, 20 oeuvres chorégraphiques essentielles.

En 2011, 20 mises en scène essentielles.

« Sur le concept du visage du fils de Dieu » de Roméo Castellucci, Festival d’Avignon. Sur le Tadorne:  Pour Roméo Castellucci, contre la censure des malades de Dieu.

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 « La edad de Oro » – Israel Galvan -Festival Montpellier Danse. Sur le Tadorne: Galvánisé.

 «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» de Vincent Macaigne – Festival d’Avignon. Sur le Tadorne:  Le Prince Vincent Macaigne vous attend.

 

 

 

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LE THEATRE BELGE! OEUVRES MAJEURES

Au Théâtre du Merlan, Vanessa Paradis…

Pour commencer la lecture de cet article, une vidéo et une chanson. Juste pour poser l’ambiance de ce spectacle magnifique actuellement à l’affiche du Théâtre du Merlan à Marseille jusqu’au 17 décembre 2011. Etes-vous prêt ?

Ce fut l’un des grands moments du  Festival d’Avignon et de la Biennale de la Danse de Lyon. Bouleversant à plus d’un titre. Du théâtre populaire comme on n’en fait presque plus. « Gardenia » du chorégraphe Alain Platel et du metteur en scène Frank Van Laecke prouve, une fois de plus, que le Théâtre flamand sait décaler notre regard vers les “angles morts” de notre société. L’actrice et scénariste Vanessa Van Durme que nous avions tant aimée ici lors de son dernier spectacle, leur a soufflé une idée de départ: réunir sur scène de « vieux travestis qui dansent gaiement sur une musique triste ! ». Quelque temps plus tard, ils sont sept sur scène autour de Vanessa et d’un jeune danseur pour faire revivre ce cabaret éphémère, pour que le rideau se lève enfin et dévoile un pan entier de l’histoire du spectacle vivant.

Autant enlever le masque. L’émotion ne m’a pas quitté tout au long de la représentation. De la première minute (si politique, tant attendu) à la dernière (si respectueuse de la part du public), j’ai baissé la garde . Car ces hommes et ces femmes ont été sur la route de jeunes adultes perdus, apeurés par le sid’amour, pour leur donner la force de s’affranchir des habits sur pièce confectionnés par des familles oppressantes et une société autoritaire. Alors qu’ils s’avancent vers nous, dans leurs vêtements de ville, sur ce sol en pente, je sens que les lumières et la scène vont les libérer de cette atmosphère de maison de retraite dans laquelle nous les avions oubliés. Mais Alain Platel et Franck Van Laecke n’éludent en rien notre responsabilité d’avoir fait basculer cette pente afin que  disparaissent peu à peu ces corps qui nous ont pourtant tant donnés. Pas plus qu’ils n’épargnent le milieu de la nuit sur la violence de ses rapports sociaux et amoureux.

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Mais ce soir, il est temps de nous rapprocher, de créer l’équilibre entre notre gradin en pente et leur scène verticale. C’est ainsi que « Gardenia » multiplie les points de rencontre pour que le «genre» ne soit plus une question, mais un corps en mouvement. Le résultat est magnifique, généreux, car la mise en scène épouse le processus du travestissement en évitant de tomber dans la gaudriole et la moquerie. La musique joue sa fonction mémorielle et pacificatrice : «Gigi», «comme ils disent», nous est revenu « d’Alexandrie, Alexandra » tandis que la longue dame brune veille sur le destin de chacun. La présence de ce jeune danseur majestueux au milieu de ces vieux travestis amplifie la tragédie, rend poreuse la frontière entre masculin et féminin, symbolise le commencement là où approche la fin et incarne pour toujours «l’objet de tous nos tourments». Les tableaux se succèdent et la scène bascule vers le conte, l’enfer pour n’être vers la fin qu’un pacte respectueux entre nous et ces artistes de l’âme. On prend conscience du rôle déterminant des acteurs travestis pour que le mouvement du corps incarne le désir refoulé (il est d’ailleurs troublant de constater le poids du travestissement dans certaines créations actuelles).

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« Gardenia » est situé sur la frontière entre la danse, le théâtre, le cabaret, la musique. Dans une explosion de joie, le public signifie une fois de plus qu’il est grand temps d’ouvrir les codes de la représentation. Il en va de notre désir d’être encore uni, divers et fraternel. 

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Gardenia” par les Ballets C de la B jusqu’au 17 décembre 2011 au Théâtre du Merlan. Dates de tournée, ici.

Crédit photo: Michel Cavalca.