Au c?ur du massif du Trieves, à quelques kilomètres de la petite ville de Mens, une foule compacte se presse à l'entrée de la grange du Percy. Les bénévoles du festival Mens Alors ! indiquent au public que la jauge est déjà atteinte et que les prochains à entrer seront mal assis. Qu'importe ! Les festivaliers s'entassent pour voir “Bataille intime“, le duo de Sylvain Groud et Bruno Bayeux.
Utilisant en guise de rideau d'immenses portes qui accueillent et masquent la lumière au fond de l'espace scénique, les danseurs ont pour unique décor deux chaises et quelques vêtements posés au sol. Gestes du quotidien exécutés de manière hachée. Interruptions, paroles de Roland Topor déclamées de façon tantôt posée, tantôt interrogative, tantôt hargneuse. Il est question d'un meurtre. Le duo s'agite, se repousse, joue en miroir puis privilégie l'asymétrie. Il est question de maladie mentale. Il est question de schizophrénie. J'apprécie la clarté du propos, l'intelligence de la « mise en danse » de Sylvain Groud, je suis ravie. Le reste du public aussi.
Nous retournons donc le lendemain voir une autre de ses créations, dansée cette fois dans le gymnase du collège de Mens. Accueillis dès l'entrée par six danseurs valides, nous emplissons peu à peu le gymnase où nous découvrons tout au long d'un spectacle déambulatoire le travail réalisé avec des danseurs handicapés moteurs. Seuls, en duo avec des danseurs valides ou encore à deux, les danseurs à mobilité différente nous donnent à voir une danse où le regard, la douceur et la joie de donner sont l'essentiel.
Et ces danseurs donnent tellement que la majorité des spectateurs est bientôt en larmes.
Il est difficile de traduire en mots ce que nous avons vécu. Les danseurs à mobilité différente nous ont montré qu'avec une économie de gestes il était possible de transmettre beauté et émotion. Un peu comme dans le “36, avenue Georges Mandel” de Raimund Hoghe jouée dernièrement au Festival d’Avignon. Sans pathos et sans compassion, Sylvain Groud fait la démonstration que la danse peut être autre chose que performance physique et technique.
Lors du débat public organisé le lendemain les spectateurs ont l'occasion de dialoguer avec les artistes, de rapporter ce qu'ils ont ressenti et de remercier.
Mens Alors ! se veut un festival d'« Échange et Création ». Cette allégation n'a rien de mensonger
Elsa Gomis
www.festivalier.net
?????? “Bataille intime” et “De l’art et du handicap” ont été jouées les 9 et 10 août 2007 dans le cadre du Festival “Men’s alors!” .
L’édition 2009 de “Mens Alors!”:
Festival de Mens Alors ! Episode 1 : il n'y a pas qu'Avignon?
Festival de “Mens Alors” ! Episode 2 : attention fragile.
Festival de « Mens Alors ! ». Episode 3 : Oh, mon château !
Festival de « Mens Alors ! ». Episode 4: peut-on héberger Google?


En arrivant, un homme me confie en anglais une lorgnette ; je ne comprends strictement rien. Mais à quoi sert-elle ? Pour voir quoi ? Scruter qui ? Je m'avance ; un bruit du tonnerre. Des pièces partout, danseurs à terre. Je suis immédiatement happé par un jeune homme, enfermé, assis, qui parle à travers la vitre. Son corps se plie, se déplie. Je l'observe, ému : il est beau même enfermé. Voyeur, j'aimerais changer la donne, casser la vitre, le libérer de cet espace. Tout est posé : Sacha Waltz, à partir des différents tableaux auxquels je vais assister, travaille mon positionnement, mon lien à la culture, à la danse, à l'autre, à l'Autre. De l'observateur passif, je deviens le spectateur actif. C'est ainsi que l'on s'étonne d'observer aussi le public se déplaçant de pièce en pièce comme il le fait au musée ou dans un grand magasin. Waltz a donc quatre-vingt-dix minutes pour transformer la donne, métamorphoser le lien, pour que spectateurs et artistes créent, par la rencontre, l'?uvre collective. Elle nous donne les ouvertures, les fentes ( !), les passerelles et le stress pour pouvoir nous ouvrir, circuler, bouger, changer, renaître, abandonner, imaginer, revenir, perdre la tête, pleurer, rire, passer son chemin ! Elle nous propose d'entrer en résonance avec l'histoire des artistes par une proximité quasi corporelle, par l'émotion que procurent ordinairement de vieilles photos d'album de famille. Certains portent leur histoire (familiale) comme un fardeau, d'autres s'enferment dans leurs névroses. Il faut parler, relier pour ne pas se laisser emmurer. Osons nous revoir dans l'intergénérationnel, réinterrogeons notre passé commun !
Et c'est toujours une question de regard : là où je ris, d'autres ont peur. Là où je pleure (j'ai vu le train partant vers Autchvicht où des yeux, des bras, par des tous carrés dans le mur font danser une jeune fille dont les jambes sont prolongées par des bas remplis de sable. Voudrait-elle disparaître avec eux ?), d'autres ne s'arrêtent même plus. Car Waltz joue aussi avec notre corps : il peut s'immiscer partout (ne mettre que la tête pour apercevoir, insérer la main dans des fentes, s'appuyer contre un mur coulissant, s'asseoir comme nous le faisions petit pour voir le théâtre de guignol). Et je marche, je marche. J'ai mal à force de rencontrer ces artistes qui me renvoient toujours une émotion, une image. Je rêve eveillé, je cauchemardise à force de violence, de sirène : Waltz nous montre aussi la société que nous produisons à force de contrôle, de consommation (que de vitrines où manequins vivants et objets insignifiants captent notre regard !). Elle arrive avec le groupe « Musikfabrik » à rendre l'ambiance sonore de nos sociétés ivres de pouvoir, de possession et de concurrence. Par ce parcours chaotique, Waltz nous invite à nous libérer de nos aliénations pour reconstruire une histoire, nous remettre dans une posture de coconstruction. Elle nous prépare, à sa façon, à repenser notre lien à l'art (qui ne peut plus être une marchandise au risque de produire de nouveaux totalitarismes), à nous interroger sur nos comportements de consommateur de tout (que laissons-nous au désir, à la frustration de ne pas avoir ?). Waltz nous met en posture de créer le mouvement là où nous avons figé névrotiquement.
En 2007, Avignon nous propose « Hey Girl ! » à l'Église des Celestins vers une heure du matin. Le choix du site et du moment n'a rien du hasard : Roméo Castellucci a une haute idée de son travail pour que la fatigue des spectateurs et l'aura du lieu produisent leurs effets. A deux heures trente du matin, les rues désertes d'Avignon sont à l'image de ma vision : je ne vois rien et ne ressens plus grand-chose. « Hey Girl ! » est une injonction paradoxale : pour en parler, ne rien dire ; pour voir, écouter ; pour écrire, projeter le film de cette soirée.
Ils sont perdus : cela se voit, se ressens. Ils cherchent leur identité (sexuelle, mais aussi politique) en phase avec une époque où l'incertitude construit le chemin (c'est peut-être pour cette raison qu'ils se révèlent profondément attachants). Ils sont drôles dans leurs recherches, touchants dans leur fragilité, beaux quand ils s'effleurent avec l'air de ne pas y toucher. Au delà des mots et des gestes, Éléonore Weber évoque cette génération sacrifiée sur l'autel de l'idéologie prônée par le Medef (l'amour selon Laurence Parisot est répété comme un slogan publicitaire) pour assurer la pérennité du capital des « baby-boomers ».
Certes, ce n'est pas un cri de révolte, mais juste un regard posé avec délicatesse et fermeté sur des femmes et des hommes fermés dehors mais ouverts dedans (à moins que cela ne soit l'inverse). La vidéo apporte (enfin) une belle touche artistique : elle accentue leur fragilité, leurs corps presque lisses, leurs regards fuyant le groupe tout en s'appuyant sur un détail du corps de l'autre. Sur scène, ils cherchent la communication, tombent ou mettent le masque, jouent leurs désillusions et leur soif d'amour qui les maintient debout. On pourrait s'étonner de la vacuité de leur propos, mais je suis touché par cette mise en espace des sentiments individuels et collectifs. Éléonore Weber révèle ses comédiens (tous exceptionnels avec une mention toute particulière pour Joano Preiss, magnifique) par un jeu de déplacements subtils où le pas de l'un entraîne celui de l'autre, où s'habiller pour se déshabiller est un geste chorégraphique. La dernière scène où chacun tente de s'en sortir quand tout est en concurrence, est le point d'orgue de cette pièce étonnante telle une performance, fragile comme une danse.
Faustin est triste, tel son visage blanc de clown sans nez rouge. Kabako, son ami, disparu pendant la dictature (l'ex-Zaïre), fut enterré avec des inconnus (« Mozart le fut aussi », lui rétorqua le metteur en scène Peter Sellars). Quelques années plus tard, il retourne à Kizangani pour lui donner une digne sépulture . C'est à ce rituel auquel nous sommes conviés avec quatre danseurs, un comédien et un contre-ténor. Telle une procession, les corps traduisent cette marche où, sortis de terre, alignés les uns à côté des autres, ils vont se métamorphoser pour se déployer le temps de réhabiliter les morts, de permettre le devoir de mémoire. Il s'agit de penser le présent pour imaginer le futur. Les rituels du deuil saccadent la chorégraphie (des lettres cachées que l'on sort d'une malle, la musique de Mozart pour transcender le réel), tandis que le comédien joue brusquement la comédie pour se plaindre du spectacle auprès du public (salutaire mise à distance). Un reportage sur le rêve des Congolais, l'enregistrement audio d'un ami toujours emprisonné, la danse hip-hop de Dinozord s'ajoutent comme autant de pièces d'un puzzle que l'on peine à rassembler.
Tel un patchwork vivant du souvenir, « Dinozord : the dialogue series III » crée un lien trop distant avec le public. Il ne hiérarchise pas assez: Mozart est au même niveau qu’un reportage vidéo (où les paroles des habitants ont été entendues maintes fois ailleurs). Les séquences se suivent comme des petits cailloux qui seraient semés sur le chemin du deuil et nous sommes derrière, en queue de cette procession. Je veux bien me laisser guider, car ces acteurs sont beaux, que Faustin est profondément engagé (il est à la fois aux commandes de son ordinateur dans l'ombre et sur scène pour ne pas qu'il s'oublie) mais je me sens observateur d'une ?uvre politique alors que les occidentaux sont directement concernés par l’avenir de ce pays. Tout se bouscule comme si l'art ne pouvait nous aider : il est lui aussi pris en otage d'un dispositif scénique trop sophistiqué pour exprimer une histoire à fleur de peau.










C'est le récit d'une journée ordinaire où notre cerveau est soumis à la rationalité d'un raisonnement scientifique qui s'applique partout, quels que soient les contextes. Envahi par toutes ces pensées réductrices qui nous isolent et nous conduisent dans l'impasse, je regarde « Max Black » avec enchantement. L'an dernier, lors du même festival,
« Gravité » de Fabrice Lambert présenté au Petit Théâtre de la Criée de Marseille est un solo de vingt minutes où l'on nage dans la confusion. Le danseur se déplace dans un espace liquide où les variations à la surface sont projetées sur un écran vidéo. Le corps prend alors des formes inédites qui nous éloignent progressivement de la scène et centre notre regard sur la toile. Troublant. L'écriture chorégraphique est à lire à plusieurs niveaux et l'on est saisi par la surréalité émergente d'un tel dispositif. On l'est tout autant face à sa vacuité : à quelle place est le spectateur ? N'est-il pas un gentil cobaye sur qui l'on expérimente des effets visuels et sensitifs ? À quoi sert la créativité si elle n'est pas au service d'un propos, d'une vision, d'un sens ?