Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE HIVERNALES D'AVIGNON

De Montpellier Danse à Avignon, Rita Cioffi pas à pas.

A Montpellier Danse, le 22 mars 2007

J’ai envie de danse. En déplacement professionnel, il est temps de sortir de cette chambre d’hôtel déshumanisé où la télévision fait office de fenêtre vers l’extérieur. L’air est glacial et j’entre me réchauffer au « Chai du Terral », beau théâtre de l’agglomération de Montpellier. Rita Cioffi présente « Pas de deux », duo dansé sur le couple à partir duquel « les processus d’identification et de différenciation créent l’identité et construisent l’individu ». Ambitieux programme. Inutile d’aller chercher dans la confrontation des deux danseurs une quelconque métaphore du couple amoureux. Je n’y trouve rien. Trop loin de moi, peut-être…Est-ce la rencontre entre l’homme et une femme ? Difficile à cerner tant ils me paraissent asexués. Lui est fort, elle plus frêle. A quoi bon de les voir ainsi ? Cela n’a toujours pas de sens…Alors ? Je m’accroche moi aussi à leurs vêtements : ils ont une fonction essentielle quand ils se relient à partir de la poche de leur jean’s, glissent leurs mains dans les plis d’un tissu rebelle, s’engouffrent dans le t-shirt de l’autre. Le textile est alors cette seconde peau que nous cherchons en l’autre, en soi, avec peur, colère, désir et détermination. Leur danse, parfois mécanique, les transforme en statue, comme si le corps était matière dont nous serions le sculpteur par nos regards furtifs ou appuyés. C’est beau et profond. Nous aurions pu en rester là. Mais voilà qu’une vidéo de Roberto Sacova vient ponctuer ce « pas de deux ». Avec nostalgie et tristesse, le film normalise leurs rapports, joue sur les ralentis et annule le lien que je construisais pas à pas avec ce couple. La vidéo prend alors le pouvoir sur le vivant.
Je quitte le théâtre avec un goût d’inachevé. De retour à l’hôtel, j’avais laissé la télévision allumée. Un homme et une femme s’affrontent. J’éteins.
Pascal Bély- www.festivalier.net


Deux années plus tard, aux Hivernales, pendant le Festival Off d’Avignon. La vidéo a disparue.

Dans le petit studio des Hivernales, Rita Cioffi, chorégraphe, et Claude Bardouil, comédien, nous offrent un « Pas de deux » sublimant le corps.

Ils nous tournent le dos : elle et lui, le féminin et le masculin, deux corps.

C’est dans un calme absolu que leur danse débute. Chacun s’échauffe puis c’est l’approche. Le rapport de force commence puis la dualité du féminin et du masculin se complexifie. C’est physique, psychique, tactile, érotisant, tout en respect. Juste ce qu’il faut sans tomber dans l’excès.

S’attachant à leur vêtement, comme s’ils se prenaient à même la peau, Rita Cioffi et Claude Bardouil arrivent à n’être qu’un seul corps. Ils se fondent littéralement l’un dans l’autre. De l’interprète à la chorégraphe, les rôles s’inversent et s’abandonnent. Le public plonge alors dans cette danse charnelle qui lui offre une belle leçon chorégraphique.

La collaboration entre Rita Cioffi et Claude Bardouil se déploie parce que chacun semble avoir fait un travail sur lui-même. Pour Martha Graham, chorégraphe américaine, « l’art du danseur est bâti sur une attitude d’écoute, qui implique tout son être ».

Impliquant pas de deux.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE LA VIE DU BLOG LES JOURNALISTES! PAS CONTENT

Montpellier Danse « l’hétérosexualité », le Festival d’Avignon la diversité.

J’avais prévu d’écrire sur le dernier spectacle vu à Montpellier Danse, « Do you remember no I don’t » de François Verret. Il est préférable de ne plus s’en souvenir. Certains artistes continuent d’infantiliser le public en leur proposant le discours antilibéral dernier cri. Cela se veut moderne, ce n’est que recyclage de “souffleries” déjà vues, de numéros d’acteurs usés jusqu’à la corde, d’influences artistiques si évidentes qu’on frôle le plagiat.

J’avais prévu de réagir aux propos douteux de Jean-Paul Montanari, Directeur de Montpellier Danse depuis 1983, qui déclarait sur France Culture le 3 juillet dernier : « C’est la fin d’une certaine forme de  danse contemporaine…le sida l’a tué. Il n’y  a plus de danse de pédés, mais une danse d’hommes, d’hétérosexuels ». Le journaliste (et artiste) Laurent Goumarre  n’a pas pipé mot (conflit d’intérêts ?), pas plus que la chorégraphe Héla Fattoumi. Ce propos purement réactionnaire et clivant ne correspond nullement à la vitalité de la danse aujourd’hui (renie-t-il l’édition 2009?) même si l’on peut regretter le consensus des créations des Centres Chorégraphiques Nationaux (sur ce point Monsieur Montanari a raison). Mais en proclamant, tel un tribun face au peuple affamé, qu’il fallait créer un autre festival, Mr Frêche (Président de la Région et cofinanceur de Montpellier Danse) donne une bien triste image de la démocratie française.

J’avais prévu d’évoquer la piteuse émission de France Culture, « le grain à moudre », consacrée à l’avenir de la critique dans le spectacle vivant. diffusée le 29 juin.  Ici aussi, la même génération pleure le temps passé, tient des propos réactionnaires, nie la créativité émergente dans le pays. Tels des rois déchus, ces critiques regrettent leur palais doré voué aux vents et marées de la nouvelle vague !

J’avais prévu…

Mais à  la veille de l’ouverture du Festival d’Avignon, la première plate-forme de  blogs en France, Over-Blog (1,5 million de visiteurs par jour), publie un éditorial du Tadorne ! Se positionnant comme un média alternatif, Over-blog promeut  les figures d’amateurs éclairés et apporte sa contribution au renouvellement des formes d’écritures sur le spectacle vivant.  Sur sa une, Over-Blog ouvre un dossier regroupant les articles de la blogosphère présente en Avignon. Enfin de l’air ! Vive la diversité !

Au même moment, le Festival Off énonce les prémices d’une réflexion globale sur l’articulation entre blogueurs et journalistes et choisit d’accréditer certains blogs (dont le Tadorne). Enfin des ouvertures !

De son côté, Martine Silber, ancienne journaliste au Monde pose  sur son blog les bonnes questions et ouvre le débat.

Demain, je serais sur Avignon pour trois semaines. J’ai déjà tout écrit sur le projet : ici et .

Envahissons les théâtres ! Le temps d’un été, nul besoin d’un emprunt national pour créer la relation créative.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Raimund Hoghe et Faustin Linyekula jettent leurs cailloux sur Montpellier Danse.

Dans le hall du Théâtre Universitaire Paul Valéry, une spectatrice attend. Elle semble avoir rendez-vous avec le chorégraphe allemand Raimund Hoghe qui, chaque année ici, renverse, bouleverse le public. Je m’approche d’elle ; nous échangeons quelques informations sur la météo locale, et l’environnement du théâtre. Nous abordons la vie culturelle à Montpellier. À ce moment précis, la danse nous sépare : elle la découvre au cours de ce festival. Les mots trébuchent, et l’intimidation la submerge. « Je n’ai pas les mots pour parler de danse » me dit-elle. À quoi lui répondis-je : « Vos mots sont vos ressentis ». Trente années de festival n’y ont rien fait : le discours autour de la danse reste excluant, presque anti démocratique. Mais qui cela intéresse-t-il ? Raimund Hoghe assurément. Nous entrons côte à côte. Nos langages se croisent déjà.
La scène est immense, totalement dépouillée à l’exception d’un petit tas de cailloux. Notre humanité est là : toute à la fois atrophiée et imposante. La danse a commencé. Ils arrivent ensemble, mais séparés. Lui, c’est Faustin Linyekula, chorégraphe congolais. Lui, c’est Raimund Hoghe, ancien dramaturge de Pina Bausch, chorégraphe et bossu depuis l’enfance. Leurs corps incarnent un territoire mêlé qu’une vision du monde éloigne. Les feuilles de papiers délicatement posés tout autour de la scène par Raimund  évoquent l’espace européen qui préserve son modèle de développement. Surtout ne pas se fier aux apparences : la douceur de Hoghe est une bombe à fragmentation. Ces stèles mortuaires glacent. Seraient-elles celles des sans-papiers ? Pendant ce rituel funéraire, Faustin trace avec son petit tas de cailloux des chemins sinueux. La rencontre entre les deux hommes est-elle possible ? Raimund ne bouge plus : notre modèle industriel, social et culturel ne créée plus la relation ouverte. Faustin erre, sans titre, sans papier. Il est notre héros qui marchait sur la lune il y seulement trente ans. Sa danse compliquée et tortueuse les éloigne. La scène symbolise l’écart : 20% de la population mondiale consomme 80% des ressources de la planète.

Alors, place à l’art ! Il va nous offrir d’autres itinéraires, non moins sinueux. Alors que les cailloux s’incrustent dans les corps et crée l’espace de la confrontation, ils tombent pour Faustin, sont jetés par Raimund. La danse met en mouvement le minéral dans le biologique et provoque la régénérescence. La rencontre artistique par le partage permet à chacun de faire son chemin, à partir de nouvelles formes esthétiques (la bosse de Raimund et les plis du corps musclé de Faustin forment le paysage de l’imaginaire). Symboliquement, la danse est un modèle d’élargissement : elle ne puise pas la ressource pour appauvrir l’autre, mais  créée le bien commun et les esthétiques de la rencontre (ndlr: et si les Centres Chorégraphiques se transformaient pour s’ouvrir?)

Avec un propos accessible,  « Sans titre » de Raimund Hoghe, libère le spectateur par la poésie. Il crée à l’aide d’une bougie, d’un tas de feuilles de papier et vingt cailloux. De la rareté éclot le sens. Point de langage descendant, tout nous revient et leur revient ; de la danse de Raimund Hoghe naît la rencontre à l’image de la dernière scène où le blanc et noir se fondent pour créer un corps commun riche de nouvelles articulations. Sublime !

Elle me regarde puis me dit : « Cette oeuvre est une émotion qui se niche dans toutes les parties de notre corps ».

Martine, traçons nos chemins avec nos cailloux, mêlons nos mots et ouvrons ensemble l’espace de la rencontre autour de la danse!  Il y a urgence. Un certain Président de Région (Monsieur Frêche), cofinanceur du Festival, a une tout autre idée de la danse.

Pascal Bély- Le Tadorne

"Sans titre" de Raimund Hoghe a été joué les 2 et 3 juillet 09 dans le cadre du festival Montpellier Danse.
Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE

À Montpellier Danse, quand on arrive en ville…

Montpellier. Ville inaccessible en cette journée de départ en vacances. Il nous a fallu trois heures pour atteindre la cité Gély où une chapelle trône au coeur de ce quartier populaire. Le contraste entre le centre ancien flamboyant, les nouveaux immeubles surgissant de terre pour accueillir les arrivants et cet îlot est saisissant. Tel un sanctuaire de la danse, nous entrons pour découvrir la dernière création de Mathilde Monnier, « City Maquette », interprétée par 60 amateurs répartis en plusieurs groupes (enfants de sept à huit ans, adolescents en cours de formation au conservatoire de danse,  adultes pratiquant les arts martiaux, seniors). Cette diversité donne l’opportunité à Mathilde Monnier de nous délivrer sa vision du corps social comme moteur de la dynamique de l’espace urbain. La musique d’Heiner Goebbels (extraits de l’opéra « Surrogate cities ») et la scénographie d’Anne Tolleter accompagnent cet opus souvent lent, rigide et sans perspectives notables.

Pourtant, tout commence par un délicieux maillage. Alors que les adultes, tels des professeurs, dessinent sur le sol noir des lignes brisées, les enfants débarquent et font avec leur craie de bien jolis tourbillons. Le territoire, ainsi fluidifié, aurait pu accueillir une danse de courbes et de liens, de traversées chaotiques articulées à des lignes droites. Mais rien de tout cela.

Nos enfants (quasiment tous blancs !) reviennent avec un nouveau matériel, composé de boîtes et de cartons empruntés à notre société de consommation. Ils les posent, les rangent puis les déposent à nouveau. Certes, c’est une maquette, mais encore ? C’est de la scénographie et rien de plus à l’image des architectes de nos villes qui plantent leurs bâtiments déjà vieux, sans place, ni fontaine, mais avec des cases bien gardées. Nous les reverrons à plusieurs reprises, danser par petits groupes devant un écran vidéo. Leur chorégraphie est un langage d’adultes plaqué, projection de metteurs en scène et chorégraphes qui font jouer aux enfants ce qu’ils ne peuvent pas dire. Le  procédé est contestable. Décidément, nos villes ne sont pas pensées pour les enfants. Était-ce dans l’intention de Mathilde Monnier de nous proposer un tel aveu d’échec jusqu’à provoquer l’assoupissement des quelques gosses présent dans le public ?

Pendant plus d’une heure, nous passons de génération en génération comme si l’humain dans toute sa complexité se réduisait à son âge, à une pratique (ici, d’ennuyeux mouvements d’arts martiaux, là une danse de salon avec des séniors). Comme si le corps social pouvait se résumer à ce qu’il produit (ah, le fameux modèle producteur – consommateur si cher à notre époque moderne !) et non à ce qu’il relie (approche du développement durable). Mathilde Monnier reproduit la vision véhiculée par les centres sociaux. Soit. Sauf qu’ici, la ville ainsi représentée, n’est qu’une succession d’approches verticales descendantes.  « City maquette » est déjà usée. Pourtant, un moment majestueux est prometteur : des jeunes danseurs, à terre sur une grande feuille blanche, en duo, dessinent des courbes au crayon noir qu’ils enroulent par la suite pour danser tout autour. La vision est fluide à l’image d’un lien social qui se co-construit. Une très belle respiration.

Le final, censé offrir une abstraction décloisonnée, tourne en rond : le lien a besoin d’un espace circulaire que la scénographie empêche.  À quelques minutes de la fin, alors que la porte de la Chapelle Gély s’ouvre, une odeur de barbecue nous stimule. J’ai rêvé de voir débarquer les habitants du quartier pour nous sortir de notre léthargie. Même pas. À la sortie, profitant de l’opportunité, quelques-uns nous proposent, pour trois euros, des merguez.

Producteur- consommateur.

Eux-nous.

Cette danse, au coeur de cette cité, n’y change rien.

Pascal Bély- Le Tadorne

“City maquette” de Mathilde Monnier a été joué les 27 et 28 juin dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

Photo: Marc Coudrais.

Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

A Montpellier Danse, Israel Galván : nous surmonterons…

C’est un triomphe. Un tonnerre d’applaudissements. Le public de Montpellier Danse, après s’être lâché dans les plis et replis orgiaques de Blanca Li quelques jours auparavant, reprend ses esprits pour admirer la tête haute et le regard fier, l’immense Israel Galván. On en oublie vite le titre : « El final de este estado de cosas, redux ». Incompréhensible. La feuille de salle précise un peu mieux l’intention: c’est une lecture très personnelle sur le texte biblique de l’Apocalypse, « unique manière de comprendre un texte comme celui-là ». Et puis, une promesse : que la patá, en atteignant des « dimensions stratosphériques », « abattra le monde » et nous aidera à faire face à n’importe quelle catastrophe, n’importe quel chagrin. Cela tombe plutôt bien, notre président est si petit.

Alors, il fait face. À lui-même. À son art. Masqué, il nous offre dès les premières minutes une mise en scène époustouflante. Dans un petit carré de sable, il danse l’essence, les sens. Pureté absolue. Le masque tombe. Tout peut commencer. Soudain, sur un écran vidéo, un extrait de NON, pièce musicale et chorégraphique conçue par le compositeur Zad Moultaka, créée le 2 juin 2006 à Beyrouth à l’occasion du premier anniversaire de l’assassinat de Samir Kassir. Yalda Younes, disciple d’Israel Galván, danse cette résistance à la guerre et à la violence sur la bande son faite à partir du bruit des tirs d’une nuit de guerre.  Le combat est là : la danse coûte que coûte. C’est de nouveau époustouflant. Et qu’importe la qualité de l’image : sur scène, le flou nous éclaire. Alors que le rideau se lève, il poursuit. La scène, montée sur ressorts, fait échapper la poussière. Sous ses pieds, il terrasse. Le pacifisme a sa danse de guerre. Exceptionnel.

J’en tremble.

Vous avez dit danse contemporaine ?

Non, c’est au-delà.

Il ose se travestir. En rouge et noir. Avec de gros seins. Le masculin dans le féminin ; le genre au-delà du sexué. La patá terrasse les clichés. Exceptionnel.

Ines Bacan s’assoit. Une voix, au milieu de tous ces hommes. Sur sa gauche, un ensemble traditionnel andalou ; sur sa droite, un groupe rock, Orthodox, dont les musiciens portent une capuche grise, genre Ku Klux Klan. “Il va falloir y aller” pense-t-il peut-être. Le rock, musique du diable, embarque la voix d’Ines Bacan dans des profondeurs inouïes, puis incarnées dans le corps d’Israel. À ce moment précis, le flamenco électrise. C’est un Nouveau Monde, celui où le rock enrôle. Exceptionnel.

Mais où va-t-il ? Ce n’est pas fini ?

Ma voisine de gauche pleure.

Mon voisin de droite serre la main de son amie.

Et le Corum applaudit. C’est plus fort que tout. C’est notre patá.

Il continue d’affronter les démons, les diables, les Satan. Il s’approche de sa destinée. Dans trente minutes, Angelin Preljocaj prend la relève à l’Opéra de Montpellier avec « le funambule » de Jean Genet. Il tremble aussi. Qui est le funambule de l’un, l’aimant de l’autre ?

C’est alors que le corps d’Israel Galván devient une caisse de résonance, une antichambre de la mort. Il danse et joue avec elle.  Son corps tambourine et se fracasse. L’orchestre est alors une symphonie mortuaire qui finit par l’aspirer. Rideau. Du jamais vu. Dans une heure, Angelin Preljocaj nous fera entendre lui aussi le corps brisé. Entre eux, une onde se propage: le corps est le bruit de l’ambivalence du danseur. Sur un fil.

Mais l’onde de choc est à venir. La dernière scène est un séisme. Nous retenons notre souffle. Des gravats de Beyrouth, Israel bâtit sa cathédrale pour y mourir.

« El final de este estado de cosas, redux » est une oeuvre sacrée

Pascal Bély – Le Tadorne

« El final de este estado de cosas, redux » d'Israel Galván a été joué les 23 et 24 juin 2009 dans le cadre de Montpellier Danse.

photos : Luis Castilla

 

Catégories
FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES FESTIVAL MONTPELLIER DANSE Vidéos

A l’origine, Bouchra Ouizguen.

C’est un choc esthétique et émotionnel. Quatre femmes, assises là, face à vous, viennent subtilement vous chercher pour revisiter la danse contemporaine. Vous voilà presque nu, sans aucune référence sauf celle où tout aurait commencé. Une heure a suffi pour retrouver le lien originel avec l’art le plus fragile qui soit. C’est la renaissance du spectateur tout comme celle de la chorégraphe marocaine Bouchra Ouizguen qui ose écrire : « je refais l’apprentissage de la danse : je suis partie à des milliers de kilomètres pour apprendre alors qu’à côté de moi d’autres femmes pouvaient me transmettre quelque chose de si évident : le chemin de la liberté ».  Ces trois femmes qui l’entourent sur scène sont des Aïta, écoutées auprès des hommes de pouvoir, pour leur  poésie, il y a plus d’un siècle. Elles sont aujourd’hui des courtisanes dont les chants et la danse font d’elles des artistes du peuple. Fatima Aït Ben Hmad, Fatima El Hanna et Naïma Sahmoud nous ont littéralement nourries. Le temps d’un festival et bien au delà, elles sont les artistes du peuple de Montpellier Danse.

Avec trois matelas, elles refont le chemin. Du lit où l’on naît, où l’on se cache, au banc où l’on contemple avec sagesse, où l’on se serre les uns contre les autres, car  à plusieurs on est toujours plus fort. Du mur où l’on est cloîtré à celui que l’on abat pour se libérer.

Trois matelas pour accueillir le corps statufié par les codes moraux, religieux et sociaux.

Trois matelas pour éponger la sueur de l’effort que réclame la libéralisation du corps.

Trois matelas pour amortir le choc. Car tout vibre. À commencer par nos barrières de défense qui font un vacarme intérieur parce qu’on a plus l’habitude d’être « touché » ainsi. Tout vibre parce que le don est une danse. Tout vibre parce que leur chant est une caisse de résonance où l’on se lâche avec confiance.

Dans leur jardin des délices, le chant est un corps qui danse.  Dans leur regard, il y a le sein que l’on cherchait, le cri que l’on poussait, le pli dans la peau où l’on se perdait. C’est ainsi que la danse d’aujourd’hui renaît. Une danse où l’on n’a plus peur de l’humain pour lui faire la fête, où l’on puise dans la force de l’art pour se libérer des contraintes morales et esthétiques et non pour en rajouter. Où l’on apprivoise le corps différent pour voir le monde autrement.

« Madame Plaza » de Bouchra Ouizguen est une danse qui accueille l’homme maladroit. Avec empathie.

La fraternité a dorénavant sa danse.

Pascal Bély- Le Tadorne

A écouter sur le site de la  Revue Radiophonique A Bout de Souffle , un entretien avec Bouchra Ouizguen.

 "Madame Plaza" de Bouchra Ouizguen a été présenté les 19 et 20 juin 2009 dans le cadre du Festival Montpellier Danse. A voir au Théâtre d'Arles le 20 novembre 2009.

 

Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE

Alain Buffard renverse Montpellier Danse et bouleverse le Théâtre du Merlan.

Incident grave au Théâtre du Merlan de Marseille, situé dans les quartiers nord de la ville, lors de la représentation le samedi 21 février 2009, de « (Not) a love song » du chorégraphe Alain Buffard. Après seulement trois minutes de représentation, le guitariste Vincent Ségal a ordonné le départ de (jeunes) spectateurs manifestement trop bruyants. Alain Buffard est ensuite monté sur scène pour exiger que tout un groupe quitte la salle. Manifestation du public, départ de spectateurs (dont des représentants de tutelles), impuissance de la direction du Théâtre.  

Nous reviendrons plus tard sur cet incident afin de porter un regard distancié sur ce qu’il est aujourd’hui : le symptôme d’une désarticulation.

-DSC0168.JPG

L’époque est aux chansons d’amour. Après le magnifique dernier film de Christophe Honoré, la danse s’empare du sujet avec jubilation, gravité et dérision. Le chorégraphe Alain Buffard fait l’évènement (et salle comble) à Montpellier Danse avec « (Not) a Love Song ». À l’issue de la représentation, le public fait un triomphe à celui qui vient de le faire rire jusqu’aux larmes, de l’émouvoir jusqu’aux frissons. Cette création est une performance d’acteurs où le moindre mouvement du corps et la plus petite note de musique participent à une fresque cinématographique chantée, dansée où s’incarne tout à la fois Marlene Dietrich, Bette Davis, Lou Reed, David Bowie et James Brown ! Pour réaliser cette prouesse, Alain Buffard a réuni sur le plateau quatre artistes d’exception : le performer – danseur-chanteur- musicien américain Miguel Gutierrez, la chorégraphe et chanteuse Portugaise Vera Mantero, l’Italienne Claudia Triozzi et le musicien français Vincent Segal. À eux quatre, ils redessinent les contours d’une oeuvre transdisciplinaire où le spectateur lâche prise à l’infini et finit pas se sentir agréablement vulnérable !
Elles sont deux femmes, stars déchues du cinéma. Les fans les abandonnent à leur quotidien, réduit à cet espace scénique où le miroir les renvoie à leur passé glorieux, leur garde-robe à leurs anciennes coulisses et les quelques marches du salon à leur palais des Festivals. Elles ont tout perdu et la scène leur offre l’opportunité pour tout balancer. À partir de répliques extraites des grands classiques du cinéma, elles chantent ce qu’elles ne peuvent plus dire. Elles vont au cinéma pour permettre aux fans « les plus intelligents »  de les observer se regarder à l’écran ! Ainsi qualifié, le public de Montpellier Danse peut s’en donner à c?ur joie pour scruter le moindre fait et geste de ce duo hors pair. Nous serions presque au cinéma si la présence du musicien et du chanteur ? performer n’étaient là pour nous rappeler qu’entre danse, théâtre, 7ème art, défilé de mode, les frontières ne tiennent plus à grand-chose, face à cette tragédie des temps modernes, où la starisation conduit à la perte de soi.

Alain Buffard aime ces deux actrices, car, au-delà des apparences, c’est d’amour et toujours d’amour dont il s’agit. Cette tragi-comédie s’inscrit dans un espace tout à la fois vertical et horizontal, où votre regard ne se perd jamais tant le tout est cohérent. Les corps sont là pour nous rappeler que la danse n’est pas l’art du divertissement, mais de la transformation pour comprendre l’indicible. À quatre, ils métamorphosent tout sur leur passage comme s’il fallait réapprendre le lien, le sentiment amoureux (quitte à clamer « je ne t’aime pas») loin des codes hystériques des fans. Et aussi étrange que cela puisse paraître, Alain Buffard nous replace dans leur histoire (de fous et de folles) où le rire est le plus beau des chants d’amour.

Pascal Bély – Le Tadorne

“(Not) a love song” d’Alain Buffard a été joué les 23 et 24 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

  Crédit photo: Marc Domage

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON FESTIVAL MONTPELLIER DANSE Vidéos

Mathilde Monnier et Philippe Katerine remettent le son.

Qui n’a jamais rêvé d’un concert pop – rock, scénarisé comme une pièce de théâtre, avec des danseurs pour décupler la puissance émotionnelle de la musique? La transdisciplinarité en vogue chez certains chorégraphes et metteurs en scène semble laisser de marbre pour l’instant les chanteurs (à l’exception notable de Florent Marchet et Camille). Et pourtant, ce rêve, Mathilde Monnier et le chanteur Philippe Katerine le réalisent d’abord pour Montpellier Danse en 2006 puis pour le Festival d’Avignon en 2008. Ils clôturent ainsi leur tournée et mon périple de festivalier.
« 2008 Vallée » est donc la rencontre de l’univers burlesque, provocateur et politiquement incorrect de Katerine avec la danse exigeante de Mathilde Monnier. En se liant, leur art respectif gagne en hauteur, en créativité. La Cour d’Honneur amplifie la dimension poétique et politique. Le groupe semble pousser les murs, entraînant avec eux des spectateurs peu habitués à être ainsi guidés dans cet espace où le chant danse, où la danse chante. Si l’on rit beaucoup, tous deux portent un regard féroce sur notre société vide de sens jusqu’à l’absurde, mais qui donne à Marine Le Pen une place de choix et au coiffeur Jean-Marie le soin de nous mettre la raie du bon côté.
C’est dans cette terrible alternative que les six danseurs compagnons de fortune de Katerine trouvent des stratégies pour réinventer de nouveaux modes de communication à partir de processus si créatifs que l’on en perd le langage de la rationalité. Mathilde Monnier réussit à contenir les paroles et musiques de Katerine en permettant à ses danseurs les gestes les plus absurdes, tout en étant toujours en phase avec le groupe. Tout le corps est dansant (les cheveux qui traînent à terre, la voix qui déraille, les jambes qui s’emmêlent,…) et métaphorise qu’avec l’univers de Katerine tout est possible, pourvu que le sens ne soit jamais bien loin.

C’est ainsi que ce spectacle véhicule de l’espoir, une énergie contagieuse malgré le chaos et le vide qui engloutissent petit à petit les protagonistes de “2008 Vallée“. C’est une ode à la diversité, à la différence. C’est l’espoir de voir notre époque laisser la place à tant d’autres créations dont nous ne soupçonnons pas encore la portée. « 2008 vallée » finit sur le nouveau monde, celui qu’il nous reste à construire, une fois abandonnés nos «patati et patata » et nos plaintes égocentrées.

À voir le sourire des spectateurs, en observant le visage radieux de Mathilde Monnier, la surprise de Katerine face au triomphe que lui réserve le public d’Avignon, il n’y a pas de doute sur la fonction rassurante et caressante de « 2008 Vallée ».
Beau cadeau pour finir ce festival qui….
Et patati, et patata…


Pascal Bély – www.festivalier.net

 ” 2008 Vallée” de Mathilde Monnier et Philippe Katerine a été joué le 25 juillet 2008 dans le cadre du Festival d’Avignon.

 

Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES

A Montpellier Danse, les variations de Raimund Hoghe.

Raimund Hoghe est l’artiste « associé » du Festival Montpellier Danse. Invité quasiment chaque année, le public lui réserve un accueil tout à la fois chaleureux et distant. 2008 ne déroge pas à la règle avec deux propositions, aux antipodes l’une de l’autre.
« Boléro Variations » restera l’un des grands moments du Festival. Pendant plus de deux heures, nous sommes guidés pour changer notre système de représentation sur l’une des musiques les plus mythiques du répertoire, le « Boléro » de Ravel avec pour certains, la danse de Béjart en embuscade. Car, que n’ais-je entendu à l’entracte de la part d’un public âgé, souvent nostalgique! « Ce n’est pas de la danse », « enfermons-le ». J’ai donc pris le temps pour expliquer, convaincre, calmer les impatiences de mes voisines remontées à bloc. Car, le langage de Raimund Hoghe paraît si loin des clichés que véhicule encore la danse : celle du mouvement à tout prix, à toute vitesse.

Ici, « Le Boléro » est un album de famille intergénérationnel, une mappemonde qu’Hoghe fait tourner pour l’arrêter avec ses cinq danseurs (tous exceptionnels) avant de repartir. Cette musique lancinante est ici un espace bien plus large qu’il tricote avec d’autres morceaux de sa discothèque personnelle. Le « Boléro » de Raimund Hoghe impressionne par son travail sur l’intervalle, toujours habité, jamais saturé, mais en mouvement continu. À aucun moment, les danseurs ne sont isolés : quand bien même je n’observerais que l’un d’entre eux, je ressens tous les autres. Du groupe à l’individu, ce “Boléro”est l’hymne de l’unisson ! Chaque pas, chaque geste n’est plus une mécanique imperturbable, mais une dynamique où s’étire le sens. Ce n’est plus le temps de l’énergie, mais l’énergie du temps. Comment ne pas être époustouflé par la posture d’écoute dans laquelle nous sommes!
L’apogée de ce « Boléro » survient alors que Lorenzo De Brabandere pose sur l’épaule de Raimund Hoghe un plâtre, comme la caresse de la mère avec son bébé, un retour aux sources du geste dansé. Un autre cérémonial suit, où chacun déposera un tas de cendres coloré, métaphore des fours crématoires, où les corps prostrés reprennent vie. Hymne à la renaissance, à la croyance d’un renouveau même dans l’horreur. Alors qu’une femme se lève de sa chaise pour donner à chacun des vêtements propres (autre geste maternel…sublime), le « Boléro » touche à sa fin. Séparement, chacun gravite autour de lui-même pour délimiter l’espace du corps dansé.
Ils me font tourner la tête. Mon manège à moi, c’est eux.
On aurait tant aimé être ainsi caressé avec «L’après-midi», un solo pour Emmanuel Eggermont, présenté quelques jours plus tard en clôture du festival. Peine perdue, le public n’est pas convié. Le face à face final en dit long sur cette relation quasi fusionnelle entre un chorégraphe et son danseur «fétiche». En écho au corps bossu de Hoghe, répond le corps parfait, statufié, verticalisé d’Eggermont. Il est cet « autre ». Et même si la statue vacille, la distance entre lui et nous est troublante, poussant jusqu’à son paroxysme le culte de la beauté plastique. À deux, ils nous convient à explorer leur territoire tout en veillant bien de le verouiller. J’observe de loin l’intimité de leur relation dont on suppose l’intensité.
Un fait semble certain : la soirée sera sans eux. Le Festival d’Avignon m’attend. Raimund Hoghe n’est pas du voyage cette année.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Boléro Variations» de Raimund Hoghe a été joué le 2 juillet 2008 dans le cadre de Montpellier Danse.
 "L'après-midi" de Raimund Hoghe a été joué le 5 juillet 2008  dans le cadre du Festival Montpellier Danse
Catégories
FESTIVAL MONTPELLIER DANSE

Avec Mathilde Monnier et La Ribot, «Gustavia» déguste.

La scène du Théâtre de Gramond est une caisse sombre. Clostrophobe s’abstenir. Elles arrivent, toute de noir dévêtues, en maillot de bain et talons aiguilles pour l’une, bottes pour l’autre. D’emblée, je ressens que tout cela va mal finir. Elles gémissent en retenant leurs larmes avec un gros mouchoir noir. Leur relation est à pleurer : méchantes et sans égard, elles jouent à celle qui pousse l’autre le plus fort. Mathilde Monnier et La Ribot en font des tonnes, l’orage finit par gronder et un bruit assourdissant envahit la salle. On croirait le début de la fin du monde quand elles se jettent sur le sol, maculé de rideaux noirs (de théâtre ?). Je les attendais pour me marrer un peu. Au final, je quitte leur univers quelque peu dépité. Elles ont un sacré problème qui n’est pas le mien. Ou du moins pas encore…

Car si « Gustavia » manque de fluidité dans la mise en scène et paraît non abouti, quelques scènes marquent les esprits peu préparés à voir Mathilde Monnier sur ce registre angoissé, d’autant plus qu’elle nous avait laissé en 2006 avec l’univers déjanté de Philippe Katerine et en 2007 à l’unisson avec « Tempo 76 ». Et même s’il était question à l’époque de notre monde vacillant, Monnier a semble-t-il pris un gros coup sur la tête. Comme en témoigne les dix minutes où La Ribot, une planche à la main (vestige de la croix du Christ ?) tourne autour d’elle-même comme une hélice d’hélicoptère, pour lui en mettre plein la gueule. Violence d’une époque qui la voit se relever et évacuer à deux cette planche maudite. Alors que la Ribot s’emmêle les pinceaux à vouloir nous parler de la mort (l’acteur aurait-il ainsi perdu de sa superbe ?), elles s’essaient à une articulation avec l’art contemporain qui fonctionne à vide, seau sur la tête. La forme disqualifie le sens dans une société toujours plus friande de communication publique (il suffit pour s’en convaincre d’observer les stratégies marketing de nos institutions culturelles !).
Mathilde ne va pas fort. Et nous n’avons encore rien vu. La dernière scène, où sur deux tabourets, elles nous offrent une logorrhée sur la femme, avec gestes appuyés pour signifier le degré zéro de la pensée : nous en serions donc là de nos archétypes usées et rabâchées. L’angoisse est palpable. Je ne ris qu’à moitié. « Gustavia », nom de femme, pour faux nom de scène, interpelle sur les nouvelles formes de l’art et leurs représentations. À l’heure de la Sarkozy décadente, elle pointe là où cela fait mal. C’est un acte courageux de la part du Centre Chorégraphique National de Montpellier, dirigé par Mathilde Monnier, que de positionner la danse sur de tels questionnements.
« Gustavia » sonne peut-être un virage dans la carrière de ces chorégraphes aux propositions atypiques. Il n’en reste pas moins que l’on ne peut pas laisser Gustavia seule, avec sa planche et ses tabourets.
La prochaine fois, nous pourrions nous les recevoir sur la tête.
Pascal Bély – www.festivalier.netPs: quelques mois aprés, au Festival d’Automne à Paris, Guy Degeorges d’Un soir ou un autre a cherché la cohérence…

 ” Gustavia” de Mathilde Monnier et La Ribot été joué le 2 juillet 2008 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.