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LE GROUPE EN DANSE

Aux inconsolables d’Alain Buffard.

Ce week-end, le chorégraphe Alain Buffard a disparu. Il a joué un rôle important dans ma vie de spectateur. Aucune de ses créations ne me laissaient indifférent et provoquaient au sein de l’équipe des Tadornes bien des débats (comme ici).

Je publie à nouveau un article sur “Tout va bien”, une de ses dernières créations. Qu’il en soit ainsi, là où il est.

Étrange télescopage. Ce soir, sur la route qui me mène au théâtre de Nîmes pour la création d’Alain Buffard «Tout va bien», l’émission «du grain à moudre» sur France Culture disserte sur l’art contemporain autour du critique d’art François Chevallier. Dans son dernier livre,  «La société du mépris de soi : de l’Urinoir de Duchamp aux suicidés de France Télécom” l’auteur dénonce une époque sans appétit, ni énergie, un monde de soumission où règne partout le mépris de soi. L’art contemporain a sa part de responsabilité à travers la domination de Duchamp sur Picasso qui signe le triomphe du grand ricanement de l’artiste sur lui-même. Nous sommes donc durablement entrés dans une ère où la séduction du mortifère s’opère au détriment d’un art aux formes signifiantes et consolatrices. Le débat est vif et passionnant même quand le discours «jargonne». Mais je ressens l’enjeu. François Chevallier rappelle que le cirque est un «art qui console, régénère, donne de l’énergie». Et la danse ? Pas un mot. Étrange coïncidence, car “Tout va bien” évoque précisément les processus qui conduisent à  l’asservissement. Plusieurs pensées me percutent tout au long de la représentation : en chorégraphiant l’époque du mépris, la danse n’est-elle pas un art qui ricane au lieu de consoler ?

Alain Buffard et ses huit danseurs-acteurs-chanteurs décrivent avec talent le désastre : nous sommes durablement immergés dans un système répressif et totalitaire. Tout commence à l’éducation où le parent confisque le désir avant qu’il ne le soit par la société  du  spectacle où l’habit fera le moine (où le bon petit soldat, c’est selon). Tout affublés d’un chapeau déformé pour cerveau disponible, de costumes de premier communiant d’où se dévoilent leurs dessous chic et leurs  portes-jarretelles, ils mènent une guerre sans merci contre l’intelligence et le sensible. Le sexe, autrefois émancipateur, est ici soumis aux pressions du désir pornographique d’autant plus que le politique à la main au cul. Plaqués contre le mur, ils sont à la fois bourreaux et victimes. À force d’être acculés, nous enculons.
Les scènes sont crues, mais ne provoquent pas inutilement, car Alain Buffard est avant tout un chorégraphe : le langage du corps prend toujours le dessus. Le tableau où des chemises blanches volent comme des corps exécutés par le totalitarisme ambiant est superbe. Comment ne pas penser aux suicidés de France Telecom que l’on finit par enfouir, cacher, manipuler, pour masquer notre impuissance ? Nous les sacrifions pour notre petit confort moderne enseveli par la bêtise de cette société consumériste. Avec  Alain Buffard, le matérialisme hystérique est à son apogée jusqu’à empêcher tout esprit de révolte. Mais comment en sommes-nous arrivés là alors que les jeunes ne font plus leur service militaire (dégagés de l’apprentissage de la soumission et du maniement des armes)?  Le langage paradoxal (la double contrainte pour reprendre les théories de l’École de Palo Alto) est utilisé dans la sphère publique et privé : en proposant des alternatives illusoires («pour faire plaisir à ta maman, tu veux cette chemise rouge ou cette chemise rouge?»), il rend fou et amplifie les processus de domination. L’art n’est ici que «ricanement» qui anéantit le regard critique (le passage sur la chanson qui tue est troublant): Duchamp aurait-il définitivement gagné ? Alain Buffard peut-il alors nous offrir Picasso? Car, la réponse est là : retrouver le beau, la contemplation, le sensible pour remettre le sens, les sens, au centre de tout. Sans oublier de réparer, de consoler, comme l’avait fait l’Espagnole Angelica Liddell cet été au Festival d’Avignon, lors de scènes inoubliables.
Avec «Tout va bien», (slogan de la propagande gouvernementale), Alain Buffard nous propose un langage chorégraphique débarrassé de ses frasques conceptuelles. Il nous console lui aussi en convoquant l’imaginaire sensible et décapant de Pina Bausch,  en nous envoyant des «salves» à la manière de Maguy Marin, en appelant le fou et les travestis d’Alain Platel. Nous avons tout cela pour riposter. Nos huit guerriers peuvent alors avancer vers nous, chanter la fleur au fusil, déposer les armes.
La danse est plus que jamais politique.
Aux danses citoyens !
Pascal Bély – Le Tadorne
« Tout va bien » d’Alain Buffard avec Lorenzo de Angelis, Raphaëlle Delaunay, Armelle Dousset, Jean-Claude Nelson, Olivier Normand, Tamar Shelef, Betty Tchomanga, Lise Vermot au Théâtre de Nîmes les 8 et 9 décembre 2010.
Crédit Photo : Marc Domage
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PAS CONTENT

«Baron Samedi» d’Alain Buffard divise.

Au sein des Tadornes, la dernière création d’Alain Buffard divise. Profondément.

 Par Pascal Bély.

À l’entrée du Théâtre de Nîmes, on me tend une jolie feuille de salle. Comme à mon habitude, je ne lis rien. Je fais confiance à la scène. Elle se suffit. Mais le lendemain de la représentation, je me surprends à faire des recherches sur Google à partir des intentions artistiques d’Alain Buffard. Pourquoi aller explorer ailleurs ce que «Baron Samedi» aurait dû me donner? Que de malentendus! C’est le cas de l’écrire. Ce chorégraphe iconoclaste m’a habitué à des propos forts et souvent lisibles. Mais ici, rien ne vient. Ou si peu?Je ne me sens pas dans le coup. J’ai ce ressenti quand, pour faire «décalé», des artistes proposent une forme «brouillée» qui perd le spectateur, mais permet d’affirmer un «propos tendance» destiné à nourrir la bonne moralité de la «communauté culturelle»…

À mon arrivée dans la salle, un plateau blanc en pente fait office de décor. Comment vont-ils réussir à créer une danse sur cette page blanche? Mon interrogation est-elle illégitime ? Je ressens la scénographie d’un plasticien. Autant dire que la question du mouvement ne se pose même pas. À peine le spectacle commencé, je sais que cela ne sera pas de la danse. Dans la lignée des «concepteurs» en vogue (c’est ainsi que se nomment François Chaignaud et Cécilia Bengoléa), les mots de «chorégraphe», de «danseur» disparaissent de la feuille de salle. À la place, on y lit «conception et mise en scène», «fabrication et interprétation»…Je perds beaucoup de temps à entrer. Non que je veuille catégoriser. Mais j’ai besoin de savoir d’où l’on me parle. Par clarté. Par honnêteté envers le spectateur. Une fois baissées mes barrières de défense, je décide de faire confiance au propos. Mais de quoi me parle-t-on puisque l’on me parle ?! À certains moments, le texte est surtitré; à d’autres, il est brut. Sous-titrer serait donc signifiant. Soit. Que dois-je comprendre ? Peu à peu, je déteste la relation de pouvoir qu’Alain Buffard instaure avec le spectateur.

Je peine à saisir le contexte de cette oeuvre alors je cherche le mouvement. Mais les grosses fesses ne me suffisent pas ; comme les corps trimbalés sur cette scène en pente. Progressivement, je vois émerger un tableau. Oui, c’est ça, un tableau vivant sur notre humanité. Il y a des noirs, des blancs. Des acteurs et deux musiciens pour faire «hybride». Des symboles historiques avec sa dose de dénonciation du racisme. C’est donc un tableau, le même que l’on me montrait enfant afin que je comprenne. On m’emmenait au Musée pour que je saisisse le sens à défaut d’être ému. Ce soir, à Nîmes, Alain Buffard veut que je comprenne sa vision de l’humanité. Sauf que j’ai besoin de la ressentir et non de subir la linéarité du propos (on s’aime, on se sépare, on revient), l’interpellation culpabilisante du public, une scène «trash» de cul suggéré en fond de scène (au cas où?). C’est une vision de l’humanité tant rabachée sur les plateaux de théâtre, qui repose sur les mêmes clivages, où l’on empile des références à défaut d’assumer un propos complexe. Comment puis-je accepter de me ressentir aussi incompétent alors que dernièrement, je me suis effondré avec Pippo Delbono, émerveillé avec Thomas Ostermeier, passionné avec Joël Pommerat, projeté avec  Vincent Macaigne ? Désolé de faire la comparaison, mais elle s’impose. Comme une évidence.

Parce que l’humanité traverse ces quatre artistes de théâtre.

Pascal Bély.

 

Par Sylvie Lefrere.

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Du plateau sombre, une voix profonde monte, accompagnée du son d’une guitare qui lui fait écho. Est-ce un enregistrement? Qui chante donc ? Un homme ? Une femme ? Qu’importe. Seule, on distingue une forme, d’où découle une émotion vocale. Nous sommes au début de «Baron Samedi» d’Alain Buffard, projeté au coeur de notre civilisation. En soixante-quinze minutes, nous allons suivre l’intensité d’un voyage dans le monde des vivants et des morts, où nous invite un sculptural Baron Samedi, père spirituel. Dans cette période de repli sur soi national, on nous invite à suivre l’au-delà du pays Vaudou pour quitter notre pays matérialiste, prendre du recul, et chercher à mieux décoder nos systèmes. Depuis le premier tour électoral de la présidentielle, je ne sais plus dormir sereinement, je fais des cauchemars. Dans la journée, je suis épuisée, “au bout du rouleau”. Mais cette pièce va me donner une nouvelle énergie.

Chaque danseur se campe dans une personnalité forte, où la différence des genres se mélange dans un bouillonnement de richesses multiculturelles. Nous traversons le globe entre le Brésil, Haïti, les États-Unis, l’Espagne…Les langues d’origines claquent comme des fouets, les corps en chair, musclés ou fins, chaloupent en harmonie. Les volutes de la séduction, les secousses de la révolte ou de la transe s’expriment librement. La mémoire de l’esclavagisme et du colonialisme transpire. Les hommes, les femmes, mammifères, deviennent caméléons, tels des gallinacés ou des reptiles pour des parades de séduction, de pouvoir, de prise de territoire… Mes larmes coulent quand les danseurs se masquent d’un sac de tissu blanc, troué au niveau des yeux et de la bouche…Je pense au Ku Klux Klan, aux masques blancs, à nos propres visages, dans lesquels nous pouvons être figés dans nos valeurs identitaires sectaires. Je vois des hommes qui grimacent, “des monstrueux”. Certains partagent dans un même sac/masque. Mêmes pensées, même visage double, fossilisé. J’y vois des condamnés à mort, des humains perdus, aux abois. Les chants des danseurs, les cordes des instruments, pulsent d’une belle énergie ce voyage dans notre monde violent, étriqué alors que la liberté peut encore se saisir dans ce parcours Vaudou. Mais où sommes-nous? Dans quel monde? Là où les coeurs battent? Là où les corps sont glacés? Les chants de West Side Story émergent, les claquements de doigts rythment les étapes. Le travail, le désir des corps, mais aussi les violences et les abus qui lui sont infligés. Le voyage dans le temps continue dans un compte à rebours.

De retour de Berlin depuis peu, cette musique de Kurt Weil résonne d’autant plus dans ma mémoire. Lili Marlène et des chansons des années 40, pleines d’émotions, comme “Surabaya Johnny“, découvert il y a longtemps à travers l’expression sensible d’Anna Prucnal, “Alabama song“…L’amour, la disparition, accompagnent notre vie comme une quête de recherche de sentiments humains. Après toutes ces souffrances, les rencontres, les réflexions qui en découlent nous entrainent vers les chemins de la résilience. La pente douce et blanche qui barre le décor devient piste pour glisser, virevolter, grimper, jouer, se cacher. Les mouvements explorés nous renvoient un écran métaphorique. Tous nous appartiennent et nous donnent un socle commun, où nous nous rejoignons. Le personnage de la prostituée nous réunit dans des surenchères de désir de pouvoir. Toujours plus détenir. L’institution est représentée, étiquetée dans ses fonctions de juges, d’avocat, de témoins….Le musicien, lui ne compte pas. L’artiste est jugé : il a un rôle négligeable, pourtant sa musique nous reste gravée dans nos mémoires et chemine tout au long de notre parcours. Deux pas en avant et trois pas en arrière …Salut tremblé, pour le général De Gaule, d’une des danseuses. Et ce lundi, on entend des mots dans les médias, proches du maréchal Pétain, sur les valeurs du «Vrai travail»… Nos modes de fonctionnement restent encore et toujours très rigides. Où est la dynamique de la pensée?

«Baron Samedi» implore un changement de paradigme pour qu’ensemble nous bravions l’histoire vers le retour d’une véritable démocratie. À l’image de cette salle où, toutes générations confondues, nous étions citoyens côte à côte, tournés vers la vision de la richesse cosmopolite.

Sylvie Lefrere.

“Baron Samedi” d’Alain Buffard au Théâtre de Nîmes le 24 et 25 avril 2012.

Crédit photo: Marc Domage

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LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

La danse des partisans.

Étrange télescopage. Ce soir, sur la route qui me mène au théâtre de Nîmes pour la création d’Alain Buffard «Tout va bien», l’émission «du grain à moudre» sur France Culture disserte sur l’art contemporain autour du critique d’art François Chevallier. Dans son dernier livre,  «La société du mépris de soi : de l’Urinoir de Duchamp aux suicidés de France Télécom” l’auteur dénonce une époque sans appétit, ni énergie, un monde de soumission où règne partout le mépris de soi. L’art contemporain a sa part de responsabilité à travers la domination de Duchamp sur Picasso qui signe le triomphe du grand ricanement de l’artiste sur lui-même. Nous sommes donc durablement entrés dans une ère où la séduction du mortifère s’opère au détriment d’un art aux formes signifiantes et consolatrices. Le débat est vif et passionnant même quand le discours «jargonne». Mais je ressens l’enjeu. François Chevallier rappelle que le cirque est un «art qui console, régénère, donne de l’énergie». Et la danse ? Pas un mot. Étrange coïncidence, car “Tout va bien” évoque précisément les processus qui conduisent à  l’asservissement. Plusieurs pensées me percutent tout au long de la représentation : en chorégraphiant l’époque du mépris, la danse n’est-elle pas un art qui ricane au lieu de consoler ?

Alain Buffard et ses huit danseurs-acteurs-chanteurs décrivent avec talent le désastre : nous sommes durablement immergés dans un système répressif et totalitaire. Tout commence à l’éducation où le parent confisque le désir avant qu’il ne le soit par la société  du  spectacle où l’habit fera le moine (où le bon petit soldat, c’est selon). Tout affublés d’un chapeau déformé pour cerveau disponible, de costumes de premier communiant d’où se dévoilent leurs dessous chic et leurs  portes-jarretelles, ils mènent une guerre sans merci contre l’intelligence et le sensible. Le sexe, autrefois émancipateur, est ici soumis aux pressions du désir pornographique d’autant plus que le politique à la main au cul. Plaqués contre le mur, ils sont à la fois bourreaux et victimes. À force d’être acculés, nous enculons.
Les scènes sont crues, mais ne provoquent pas inutilement, car Alain Buffard est avant tout un chorégraphe : le langage du corps prend toujours le dessus. Le tableau où des chemises blanches volent comme des corps exécutés par le totalitarisme ambiant est superbe. Comment ne pas penser aux suicidés de France Telecom que l’on finit par enfouir, cacher, manipuler, pour masquer notre impuissance ? Nous les sacrifions pour notre petit confort moderne enseveli par la bêtise de cette société consumériste. Avec  Alain Buffard, le matérialisme hystérique est à son apogée jusqu’à empêcher tout esprit de révolte. Mais comment en sommes-nous arrivés là alors que les jeunes ne font plus leur service militaire (dégagés de l’apprentissage de la soumission et du maniement des armes)?  Le langage paradoxal (la double contrainte pour reprendre les théories de l’École de Palo Alto) est utilisé dans la sphère publique et privé : en proposant des alternatives illusoires («pour faire plaisir à ta maman, tu veux cette chemise rouge ou cette chemise rouge?»), il rend fou et amplifie les processus de domination. L’art n’est ici que «ricanement» qui anéantit le regard critique (le passage sur la chanson qui tue est troublant): Duchamp aurait-il définitivement gagné ? Alain Buffard peut-il alors nous offrir Picasso? Car, la réponse est là : retrouver le beau, la contemplation, le sensible pour remettre le sens, les sens, au centre de tout. Sans oublier de réparer, de consoler, comme l’avait fait l’Espagnole Angelica Liddell cet été au Festival d’Avignon, lors de scènes inoubliables.
Avec «Tout va bien», (slogan de la propagande gouvernementale), Alain Buffard nous propose un langage chorégraphique débarrassé de ses frasques conceptuelles. Il nous console lui aussi en convoquant l’imaginaire sensible et décapant de Pina Bausch,  en nous envoyant des «salves» à la manière de Maguy Marin, en appelant le fou et les travestis d’Alain Platel. Nous avons tout cela pour riposter. Nos huit guerriers peuvent alors avancer vers nous, chanter la fleur au fusil, déposer les armes.
La danse est plus que jamais politique.
Aux danses citoyens !
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Tout va bien » d’Alain Buffard avec Lorenzo de Angelis, Raphaëlle Delaunay, Armelle Dousset, Jean-Claude Nelson, Olivier Normand, Tamar Shelef, Betty Tchomanga, Lise Vermot au Théâtre de Nîmes les 8 et 9 décembre 2010.
Crédit Photo : Marc Domage
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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE

Alain Buffard renverse Montpellier Danse et bouleverse le Théâtre du Merlan.

Incident grave au Théâtre du Merlan de Marseille, situé dans les quartiers nord de la ville, lors de la représentation le samedi 21 février 2009, de « (Not) a love song » du chorégraphe Alain Buffard. Après seulement trois minutes de représentation, le guitariste Vincent Ségal a ordonné le départ de (jeunes) spectateurs manifestement trop bruyants. Alain Buffard est ensuite monté sur scène pour exiger que tout un groupe quitte la salle. Manifestation du public, départ de spectateurs (dont des représentants de tutelles), impuissance de la direction du Théâtre.  

Nous reviendrons plus tard sur cet incident afin de porter un regard distancié sur ce qu’il est aujourd’hui : le symptôme d’une désarticulation.

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L’époque est aux chansons d’amour. Après le magnifique dernier film de Christophe Honoré, la danse s’empare du sujet avec jubilation, gravité et dérision. Le chorégraphe Alain Buffard fait l’évènement (et salle comble) à Montpellier Danse avec « (Not) a Love Song ». À l’issue de la représentation, le public fait un triomphe à celui qui vient de le faire rire jusqu’aux larmes, de l’émouvoir jusqu’aux frissons. Cette création est une performance d’acteurs où le moindre mouvement du corps et la plus petite note de musique participent à une fresque cinématographique chantée, dansée où s’incarne tout à la fois Marlene Dietrich, Bette Davis, Lou Reed, David Bowie et James Brown ! Pour réaliser cette prouesse, Alain Buffard a réuni sur le plateau quatre artistes d’exception : le performer – danseur-chanteur- musicien américain Miguel Gutierrez, la chorégraphe et chanteuse Portugaise Vera Mantero, l’Italienne Claudia Triozzi et le musicien français Vincent Segal. À eux quatre, ils redessinent les contours d’une oeuvre transdisciplinaire où le spectateur lâche prise à l’infini et finit pas se sentir agréablement vulnérable !
Elles sont deux femmes, stars déchues du cinéma. Les fans les abandonnent à leur quotidien, réduit à cet espace scénique où le miroir les renvoie à leur passé glorieux, leur garde-robe à leurs anciennes coulisses et les quelques marches du salon à leur palais des Festivals. Elles ont tout perdu et la scène leur offre l’opportunité pour tout balancer. À partir de répliques extraites des grands classiques du cinéma, elles chantent ce qu’elles ne peuvent plus dire. Elles vont au cinéma pour permettre aux fans « les plus intelligents »  de les observer se regarder à l’écran ! Ainsi qualifié, le public de Montpellier Danse peut s’en donner à c?ur joie pour scruter le moindre fait et geste de ce duo hors pair. Nous serions presque au cinéma si la présence du musicien et du chanteur ? performer n’étaient là pour nous rappeler qu’entre danse, théâtre, 7ème art, défilé de mode, les frontières ne tiennent plus à grand-chose, face à cette tragédie des temps modernes, où la starisation conduit à la perte de soi.

Alain Buffard aime ces deux actrices, car, au-delà des apparences, c’est d’amour et toujours d’amour dont il s’agit. Cette tragi-comédie s’inscrit dans un espace tout à la fois vertical et horizontal, où votre regard ne se perd jamais tant le tout est cohérent. Les corps sont là pour nous rappeler que la danse n’est pas l’art du divertissement, mais de la transformation pour comprendre l’indicible. À quatre, ils métamorphosent tout sur leur passage comme s’il fallait réapprendre le lien, le sentiment amoureux (quitte à clamer « je ne t’aime pas») loin des codes hystériques des fans. Et aussi étrange que cela puisse paraître, Alain Buffard nous replace dans leur histoire (de fous et de folles) où le rire est le plus beau des chants d’amour.

Pascal Bély – Le Tadorne

“(Not) a love song” d’Alain Buffard a été joué les 23 et 24 juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.

  Crédit photo: Marc Domage