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OEUVRES MAJEURES THEATRE MODERNE

Un travail fou.

Ce spectacle est un accueil. Global. Enveloppant. Sécurisant. J’en sors apaisé après de longues journées de travail sur moi, avec et vers les autres. Julie Rey et Arnaud Cathrine ne font pas le même métier que le mien, mais nous appartenons à la même espèce, de celle qui rend visible l’invisible, de celle qui s’appuie sur l’écoute pour une métamorphose. Tous deux ont accueilli la parole de quatre patients rencontrés dans un hôpital psychiatrique (Nora, Kléber, Virgile et Héloïse), pour mettre en scène un spectacle musical.

Le plateau est juste assez grand pour poser une rangée de chaussures (serions-nous sur scène, déchaussés?), un piano, une guitare, un mur amovible où l’on voit à travers, et qui est aussi une toile de projection pour la vidéo. Dedans. Dehors. Entre décor de cabaret et confessionnal, les personnages vont et viennent pour se mettre au(en) travail. Quatre saisons ponctuent cette rencontre qui finit par faire trotter une petite musique dans la tête.  «Il n’y a pas de coeur étanche» est une mélodie pour adoucir notre regard sur la folie, la leur, la nôtre. Elle transporte la poésie des corps brisés révèlée par la mise en scène soignée et respectueuse de Ninon Brétécher.

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Tandis qu’au-dehors, l’Europe perd la tête…

À tour de rôle, Julie et Arnaud endossent les rôles. Il est Arnaud, elle est Héloïse (une mère à la recherche de son fils disparu dans un accident). Il est Virgile (jeune homme qui se vit en femme), elle est Julie. Pour Nora (habité par un profond sentiment de perte de soi),  ils sont Julie et Arnaud.  Tandis que Kléber (psychotique) poétise à coup de jeux de rôles sur l’envers du décor…Mais qui est qui ? Tout semble étanche…«Pourquoi vous ?pourquoi pas nous?» est un refrain  entêtant, dans lequel Nora s’engouffre pour nous murmurer: «ça pourrait vous arriver, nous sommes tous des bilans provisoires». Ce soir, je ressens l’étrange impression que nous sommes tous sur un fil comme si Ninon Brétécher glissait sous nos pas dansants, un filet d’(in)sécurité qui nous rattraperait au cas où…

Au départ, Julie Rey et Arnaud Cathrine nous préviennent : la relation  n’est pas à sens unique. Écouter ne peut signifier s’oublier soi-même. Sage précaution pour éviter de sombrer dans la toute-puissance de l’artiste! La frontière est étanche entre l’écoutant et l’écouté. Je ressens le travail sur soi qu’ils ont du faire chacun pour arriver à restituer une telle écoute. On apprend que Julie voit un psy, en plus de jouer de la guitare! A deux, ils écrivent, chantent et composent les images de scène (superbe vidéo au service du jeu). Un travail de fou ! Le résultat est un espace de dialogue ouvert entre patients, artistes et spectateurs pour que chacun puisse y entendre sa résonance. Pour qu’à la carte de l’hôpital projetée dès le début du spectacle où s’entrecroisent les rues d’un ghetto (telle une «loupe» de notre société, nous prévient Héloïse), vienne se superposer le territoire de nos représentations nourries par cette rencontre.

Car si l’inconscient, cet insondable, est structuré comme un langage,  je remercie Julie et Arnaud d’avoir créé un espace théâtral qui fait langage, capable de jouer avec portes et fenêtres dans un va-et-vient désordonné fait d’ouvertures et de fermetures (à l’image d’une scène truculente du film vidéo où Julie et Arnaud nous font un numéro à la Jacques Tati sous l’oeil amusé d’un patient !)

Tout vole très haut dans ce spectacle. À commencer par les compositions musicales de Julie Rey qui sont d’une telle justesse que j’y reconnais la sincérité radicale d’un Dominique A. A deux, Julie et Arnaud créent un jeu de chaises musicales au service de la relation avec les patients. Et lorsque le plateau sature, la vidéo prend le relais pour ouvrir nos imaginaires dans l’enceinte même de l’hôpital, jamais disqualifié.

Dans ce va-et-vient entre le dedans hospitalier et le dehors du spectacle,

…Viennent s’immiscer des dialogues d’une justesse sidérante, preuve s’il en est que les artistes et les fous nous sauvent d’un dépérissement programmé de la pensée organisé par la sphère médiatique et marchande.

…Viennent s’immiscer les gestes d’Héloïse qui sculpte le visage d’Arnaud et fait apparaître l’image du fils disparu. Émouvant à en pleurer? (à la 3’51 de la vidéo)

…Viennent s’immiscer des perles poétiques qui m’étanchent…

«Je suis trop peuplé, on n’y voit plus rien».

«Je n’ai pas toute ma tête, mais le coeur est plein».

Pascal Bély, Le Tadorne

« Il n’y a pas de coeur étanche » par Julie Rey, Arnaud Cathrine et Ninon Brétécher à la Criée de Marseille du 22 au 26 novembre 2011.

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LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES

«Révolution» d’Olivier Dubois : Boléro en marche pour onze fois une.

Elles sont onze, elles sont cent, elles sont mille, elles sont une, pour faire gronder la terre depuis le tréfonds des ventres et faire advenir la musique. Il est un et les invite à tonner. Elles se nomment Marie-Laure, Marianne, Karine, Carole, Capucine, Soleil, Isabelle, Clémentine, Aurélie, Stéphanie, Sandra…Elles portent, ensemble et seules, le nom de toutes les femmes qui ont traversé l’H/histoire et  fondent là, une à une, pour toutes, le chant d’une humanité en marche.

Sur une écriture au cordeau, Olivier Dubois magnifie la beauté «simple» du geste ; il emporte le cri frondeur d’une révolution au-delà de nos êtres océans pour l’ancrer au sol d’un être-ensemble, racine de nos singularités. Il joue, pour cela, de nos épidermes et de nos carcans ; si nous ne lâchons pas prise, cette révolution nous laisse sur le bord du chemin. Mais, si nous acceptons le sentier de cette humble «humanitude» en marche, tout est juste, au millimètre près, dans cette invitation à ne jamais lâcher nos utopies; même si ça nous “gratouille”. Mille et une images alors s’éveillent, des flots de sensations s’ouvrent et, l’histoire, les histoires, de nos «héroïsmes» aimés et/ou oubliés, nous rattrape(nt) sur le parcours. Combien d’amour(s) avons-nous laissé, blessé, en «oubliant» de marcher ensemble quand bien même différents ?

Au début du chemin, ces onze femmes nous éblouissent par leur «professionnalisme»; tous les gestes sont parfaits, rien ne dépasse, une technique irréprochable. Mais,une des grandes «beautés» de cette proposition réside dans sa durée…deux heures. Les gestes, par l’épuisement, la tension, vont s’estomper, se troubler, se personnifier pour mieux se singulariser. Elles sont une et elles sont onze fois une, pour faire cet ensemble. Elles fondent chacune la force d’un advenir où toutes seront. Celle qui tombe trouve la fougue de se relever dans/avec/pour l’énergie des autres. Celle qui «s’estompe» réinvente la différence. Celle qui «trouble» un geste invente un concile d’amour.

Avec ce «Révolution», Olivier Dubois poursuit le son du cri d’être; il se fait à nouveau «Faune(s)(1)» de nos «en-droits» et beau trublion gratteur de nos «écorchitudes». Les pas ouverts à ces femmes de chemin grondent d’une humanité à emprunter, quoi que puissent en dire les épidermes bottés.

«Rêve-évolution» : Ils, Elles, Ils/Elles, Ils sous une aile ou Elles sur une île? «Pour tout l’or du monde»(2)?Marchons!

Et, «dé-balisés», nous ouvrirons, peut-être, les serrures de nos hier/aujourd’hui corsetés. 

Bernard Gaurier, Le Tadorne

(1) en référence au spectacle “Faunes” d’Olivier Dubois joué au Festival d’Avignon en 2008.

(2) en référence au spectacle “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois joué au Festival d’Avignon en 2006.

« Révolution » de Olivier Dubois ? Festival Mettre en Scène à Rennes du 11 au 13 novembre

 

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OEUVRES MAJEURES Vidéos

Les enfants de Novembre de Josette Baïz.

Cela fait vingt ans qu’elle entraîne avec elle des minots et des plus âgés (amateurs et professionnels) dans ses aventures chorégraphiques. Installée à Aix en Provence, Josette Baïz parcourt la France et l’Europe et nous accompagne à nous projeter dans la danse, cet art qui  véhicule tant de fantasmes,  de mystère, de peurs, de désirs inavoués. Avec Josette Baïz, les enfants sur scène, sont les nôtres, sous la responsabilité de notre regard bienveillant. Parce qu’eux, c’était peut-être nous?

Ce soir, au Grand Théâtre de Provence à Aix, elle nous convie à fêter les vingt ans de sa compagnie. Philippe Découflé, Jean-Claude Gallotta, Michel Kelemenis, Jean-Christophe Maillot, Angelin Preljocaj et Jérôme Bel sont invités à transmettre un extrait d’une oeuvre. Ce choix est pertinent: ils ont  positionné la transmission au centre de leur projet artistique.

Au final, une heure trente où la cohérence est une transe-en-danse : loin d’empiler des morceaux, Josette Baïz créée un fil conducteur pour ne plus différencier les esthétiques, mais pour les articuler. Une transmission sur la transmission, en quelque sorte ! Ce fil, c’est son projet, celui qu’elle tend depuis 20 ans. Seule une pause de quelques minutes me permet d’identifier les deux derniers moments de «The Show Must Go On» de Jérôme Bel, métaphore d’un final ouvert vers le public,  vers un nouveau projet. Ils sont si nombreux à danser «Let’s Dance» de David Bowie, «I Like to move it» de Reel to real ou encore «Every Breath You Take» de Police, que cela en devient étourdissant! Quel âge a le plus petit ? Le plus grand ? Je ne sais plus…Ils sont colorés, ensemble, ouverts pour que nous entrions dans la danse. Ils s’arrêtent puis reprennent le même geste; s’avancent vers nous pour nous fixer du regard, avec détermination, sans bouger. À ce moment, la salle est prête à danser (certains spectateurs, croyant à un final, se lèvent pour applaudir). Mais la force de leur regard est une danse: nous vous confions la puissance que Josette Baïz nous a transmise, afin que cette belle aventure se poursuive, contre vents et marées. Message reçu. La danse est bien une histoire de «fils» et de pelotes dont il faut sans cesse démêler le geste de l’ivresse?

Que retenir de ces transmissions? Malgré le temps qui passe, aucune oeuvre n’a perdu de sa justesse. Ces jeunes enfants, ces adolescents s’en emparent pour s’en amuser jusqu’à moquer le processus dans le duo savoureux de «Mammame» de Jean-Claude Gallotta. «Tu tiens?» dit l’un,  avant de le bousculer pour le faire basculer: apprendre à danser déjoue bien des codes de la pédagogie! Puis vient le collectif où un danseur (incarnerait-il Josette Baïz ?) organise cette cour de ()création, apologie de la diversité des esthétiques où se tresse tant de modalités d’apprentissages que l’on finit par ne plus savoir qui apprend à qui! Dans un duo extrait de «Codex» de Philippe Decouflé, la casquette du rappeur du plus grand se fait coquille pour accueillir le plus petit. À moins que l’un et l’autre ne se transmettent l’énergie de la métamorphose de leurs corps, de celle qui les guidera vers ce faune, chorégraphié par Michel Kelemenis et interprété par Kader Mahammed. Ici, la question du corps dans l’espace lui est transmise, le tout dans une exploration de la musique par le geste. Kader me fait immédiatement penser à la grâce d’Olivier Dubois : ses rondeurs élargissent le cadre pour nous y perdre…
Plus matures, les voici débarquant pour apprivoiser la danse néo-classique de Jean-Christophe Maillot. De nouveau à deux puis en collectif, comme s’il fallait s’écouter dans la relation duelle avant de se fondre dans le groupe. Ici, le duo de Philippe Decouflé se transforme en apprentissage de l’asymétrie dans un interstice entre proximité et distance (“Miniatures“). Émergent alors de belles figures entre tableaux cubistes et mouvements plus attendus.
Ils sont prêts pour oser s’aventurer dans le «Marché noir» d’Angelin Preljocaj. Un adolescent à l’élégance fulgurante transmet une mécanique des fluides à deux jeunes filles, échappées d’une boîte à musique trop longtemps cachée. À trois, l’autonomie de chacun se déploie à partir de rapports interdépendants subtilement dosés. À cet instant précis, le projet global de Josette Baïz prend tout son sens : pour en arriver à une telle justesse et sincérité, ces jeunes gens se sont nourris de différentes esthétiques pour nous transmettre, le gout des autres, le gout de la danse.
Et que croyez-vous qu’un spectateur assis derrière moi eut dit à son voisin euphorique: “Tu vois, la danse c’est pour toi. Maintenant, tu prends un abonnement au Pavillon Noir et tu viens avec moi“.
Pascal Bély, Le Tadorne

« Grenade, les 20 ans » par Josette Baïz au Grand Théâtre de Provence les 18 et 19 novembre 2011. Les dates de la tournée :ici.

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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LES EXPOSITIONS PAS CONTENT

Bloc Notes / Urgent, la Biennale de Lyon perd ses plumes.

Les 13 et 14 septembre 2011, j’ai visité les expositions de la Biennale de Lyon dans le cadre des rencontres professionnelles. L’accueil y était chaleureux et la déambulation plutôt agréable. Deux mois plus tard, j’y accompagne un ami, mais le contexte a changé : de nombreux visiteurs sont venus. Quelques oeuvres majeures sont détériorées quand ce n’est pas leur sens qui est détourné. Quelques exemples..

– Les céramiques de Katinka Bock sont dorénavant protégées par une ligne blanche et un cordon. Cette oeuvre, libérée des contraintes d’exposition, puisait sa puissance dans son environnement fragile et sombre. Le visiteur pouvait passer à côté ou s’agenouiller. Deux mois plus tard, plus personne ne semble s’arrêter. Sous prétexte qu’on y marchait dessus, la sécurité impose sa vision, détourne le sens. Tout est verrouillé, sous l’oeil d’un agent très amont-bock-24biennale-copie-1.JPG

pointilleux. Qu’importe la finalité pourvu que l’on préserve.  La Biennale ne devrait-elle pas plutôt recruter un garant du sens?

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– Il n’y a plus personne pour accueillir les spectateurs vers l’installation «Breath» de Samuel Beckett par Daniel Thomas. Cette oeuvre théâtrale de quelques secondes nous plonge dans un environnement sonore et visuel saisissant. Mais aujourd’hui, on y entre comme dans un supermarché pour y prendre des photos avec flash. Dans ces conditions, le théâtre n’est plus qu’une attraction.

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-L’oeuvre d’Eduardo Basualdo est monumentale. Mystérieuse. L’artiste a désiré que les spectateurs puissent marcher dans l’eau, seule manière d’en ressentir la profondeur. Cela ne semble plus possible. Sécurité oblige?

– L’oeuvre de Robert Kusmirowski interpelle. En septembre, de cette forteresse, des livres se consumaient laissant s’échapper une fumée saisissante qui enveloppait les oeuvres avoisinantes comme pour les protéger. Mais le personnel et certains artistes se sont plaints. Plus de brouillard. Maintenant, tout est sain. Principe de précaution ?

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– Les oeuvres de Michel Huisman sont fragiles. Nous le savions en septembre. Toutes reposent sur une mécanique. Rien d’étonnant à ce qu’elles tombent en panne. Sauf qu’elles ne sont pas réparées. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Les organisateurs ont-ils la volonté de recruter un horloger, un artiste-artisan pour réparer et veiller sur ces magnifiques oeuvres ?

– L’installation de Diego Bianchi est une métaphore d’un chaos créatif. Un agent d’accueil interpelle un parent : «merci de faire attention à votre enfant, il va abimer l’oeuvre». Le père réplique : «À l’entrée, vous m’avez interdit de venir avec une poussette. Il faudrait être clair sur votre position à l’égard des enfants». Dialogue de sourds. La tension monte. La Biennale a-t-elle  intégrée que des adultes étaient aussi parents ?

– L’installation de Sarah Pierce et la vidéo de ZBynek Baladran sont en anglais. Je n’y comprenais rien en septembre. Deux mois après, aucune traduction n’est proposée. Je questionne une nouvelle fois un agent de surveillance sur cette étrangeté. Mais il me réplique avec aplomb : «mais tout le monde parle anglais maintenant“. Désolant.

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– Les poules de Laura Lima étaient flamboyantes en septembre. Deux mois après, elles ont perdu quasiment toutes leurs plumes colorées. Je m’en inquiète auprès d’un agent de sécurité : «ben non, en septembre elles étaient comme cela». Je sors mon iPhone pour démontrer le contraire. Peine perdue. Les gens disent n’importent quoi, c’est bien connu. Je réitère mon observation à l’accueil du site de l’Usine Taste. Deux agents trop occupés à communiquer vers l’extérieur font semblant de s’en inquiéter avant de répliquer : «de toute manière, ce n’est pas mon taf de m’occuper des poules».

La commissaire argentine Victoria Noorthoorn se questionnait dans les colonnes des journaux : «comment l’art parle-t-il de la condition humaine et de celle de l’artiste ? Quel pouvoir de transformation a-t-il ? L’utopie y est-elle encore possible?» Nul doute que la marchandisation accrue de l’espace relationnel entre le spectateur et l’artiste lui donne quelques éléments de réponses?

Pascal Bély, Le Tadorne.

La Biennale de Lyon sur le Tadorne:

Extra-terrestre Biennale de Lyon.

Arnaud Laporte de France Culture se moque de La Biennale de Lyon.

La Biennale de Lyon donne le vertige.

Tu n’as rien vu à la Biennale de Lyon?

La Biennale de Lyon, jusqu’au 31 décembre 2011.

 

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LA MUSIQUE EST DANSE LE GROUPE EN DANSE

« Poetry » de Maud Le Pladec : en corps sonores, nos traces enfances font «Rock».

Assis, dos à nous, ils semblent contenir, sagement, le bouillonnement qui les lancerait volontiers vers l’homme qui fait musique, assis, lui, face à nous. 

Ils m’apparaissent comme deux enfants, face à une boite à image, comme “robotiques”, bien sages, qui tenteraient de jouer avec les limites d’un «autorisé» pour pouvoir, malgré tout, lancer leur corps dans la «pagaille» qu’ouvre en eux le son. Ils sont comme des «petits» qui doseraient leur bouillonnement pour ne pas risquer de se faire «arrêter» par des adultes trop normés qui auraient «oubliés» les «pulsions, pulsations» des accents rock que porte le corps. 
Ils jouent comme à «Un, deux, trois, soleil» au rythme saccadé des notes qui habitent et habillent leurs gestes, ils entrent dans la musique comme à leurs corps défendus…«Let the sun shine?» 
Jouer, pour explorer les bornes d’être en vie…
Bouge, bouge. Encore, encore. Arrête, arrête. Non…Non ! Stop. 
Ils se lèvent, rangent les chaises et le son prend l’espace pour s’immiscer partout. L’homme musique se fond avec eux en une offrande tribale aux sonorités incorporées. 
Donne le son, donne le son….Donne le corps, donne le corps…
Ils sont complices et ils ne le sont pas ; ils sont proches et ils ne le sont pas, ils sont ensemble, simplement ensemble à jouer en partage la traversée d’un son. 
Leur être des jeux d’enfance retrouve vie par la musique et le son prend racine dans les traces enfantines, les notes relient. Ils s’offrent complices à la partition et s’autorisent, en mouvements libérés, le droit à un endroit de corps en espace vibratoire, singulièrement singulier et pourtant si proche et partagé…
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Un…
Y’a une guitare. Je m’y colle.
Deux…
C’est mon corps. Et ce n’est pas mon corps.
Trois…
Do, ré, mi, fa, sol, la, si? do? Tournent nos rondes enfantines, et viendront s’y poser les oiseaux? 
Soleil !
Au final, une «poéterie» pour un et un qui ferait trois. May be? En corps sonores?
Pour le geste, pour le son, pour les mots, pour le tout, pour le reste…
Moove it again, Professor, and good trip.
«We will, we will, rock you”, Comme une «toune qui groove».
Bernard Gaurier, Le Tadorne
« Poetry » de Maud Le Pladec, Festival Mettre en Scène à Rennes du 3 au 5 novembre
Tournée : TU Nantes le 23/01/12
Ne pas manquer sa première pièce « Professor » 15/05/12 Friche Belle de Mai Marseille
Le diptyque « Professor » + « Poetry » Nouveau Théatre Montreuil Décembre 2012.
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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR

Decouflé et ses volatiles se mouillent dans tous les genres.

C’est un «bon» Decouflé à la piscine Saint George (monument aquatique art déco du centre-ville de Rennes). Ce soir, la coiffe (bretonne) est de mise au bord du bassin..

Du clin d’oeil des années Esther Williams, aux fantasmes éveillés par les piscines municipales, des cabines au bassin, d’un bord à l’autre, les genres se troublent et les délires explosent.

De l’accueil au final, un spectacle tiré au cordeau est offert aux heureux spectateurs du festival «Mettre en scène». L’impromptu est annoncé comme un «event», à l’américaine, qui pourra être différent d’un soir à l’autre…En fait, c’est cinquante minutes de “plaisir(s)” qui nous sont proposées. Les poules surnagent autant qu’elles nagent et les coqs volent à vue (ajustez vos lunettes de plongée). Mais, qui est qui? L’impromptu secoue les questions de genre, même s’il ne se glisse pas au-delà d’un «conventionnel». 

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Une jolie longue scène de naïades saphiques mais qui ne trouve guère son pendant,

…bien que Christophe Salengro entame un demi «duel au soleil avec lui»,

…bien qu’un très beau black man trouble le genre, «empérruqué» de rouge ou revêtu/dévêtu des habits de noce rêvés par Barbie girl.

Aucune scène de vestiaire ne se joue au masculin, qu’il soit singulier ou pluriel; quelques mélanges peuvent paraître un peu troubles, mais restent dans tout ce qu’il y a de plus «acceptable» et «convenu», divertissement familial oblige.

Ce spectacle est un déluge d’idées et d’effets visuels. Les images poétiques côtoient les dérapages “loufoques”. Nosfell avec Pierre Le Bourgeois accompagnent le tout de leurs très belles mélodies jouées en live.

Ne boudons pas le plaisir, Phillipe Decoufflé et sa bande ont crées cinquante minutes étoilées, et je vous invite à les vivre. Surveiller vos bassins de proximité.

“Swimming poules et flying coqs”, inversement et réciproquement ?

Piscine pour tout le monde !

Bernard Gaurier, Le Tadorne

«Swiming poules et flying coqs» Un tragique ballet nautique par des plongeurs inexpérimentés de Philippe Decouflé et collectif ? Festival Mettre en Scène à Rennes du 8 au 12 octobre

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG

Bloc-notes / Le Président et Cendrillon en DRAC Queen.

J’ai connu le chorégraphe Philippe Lafeuille en 2009 lors d’une correspondance où il saluait et encourageait mon travail de spectateur. Expert danse à la DRAC Ile de France, il pressentait que les commissions d’attribution des subventions aux compagnies s’ouvriraient tôt ou tard aux spectateurs engagés.

En janvier 2011, pour accompagner sa création «Cendrillon, Ballet Recyclable», il fonda sa compagnie «La Feuille d’Automne». Il me demanda d’en être le Président. J’ai accepté, conscient de la portée symbolique de cette proposition.

Avant l’été, Vanessa Charles (Conseillère Danse à la Direction Régionale des Affaires Culturelles en  PACA) me proposa d’intégrer la commission des “experts danse” en 2012. J’ai accepté ce signe de confiance et de reconnaissance, conscient que ma nomination pouvait faire lien entre les artistes, le public et les institutions.

Puis arriva le jour de la première de «Cendrillon, ballet recyclable» de Philippe Lafeuille à la Maison de la Danse de Lyon le 3 novembre. Président ou Tadorne, il me fallait choisir. Je n’écrirais donc pas sur cette oeuvre.

Sauf que…alors que je n’avais vu aucune répétition, je découvrais, comme le public, ce que Philippe Lafeuille préparait depuis des mois (une Cendrillon postmoderne fondue dans le plastique, matière recyclable pour rêver). À mesure que le spectacle avançait, je ressentais l’article en gestation. Le Tadorne allait écrire : ce que je voyais sur scène était exactement là où je me situais dans mon rapport à la danse. Ce soir-là, je compris qu’avec Philippe Lafeuille, j’étais devenu une Cendrillon.

Ainsi, quelques jours plus tard, je publiais l‘article. Président et blogueur…

…Qui posera son soulier de plastique sur la table, face à des “experts danse” émerveillés.

Pascal Bély, Le Tadorne.

 

 

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DANSE CULTE OEUVRES MAJEURES

Mathilde et Jean-François. For ever.

C’est un rendez-vous, tant désiré, depuis tant d’années. «Pudique Acide». «Extasis».

Les titres sont en soi un poème. Reliées entre eux, ils forment un ensemble entre passé (ces oeuvres datent de 1984 et 1985), présent (Mathilde Monnier et Jean-François Duroure en proposent une recréation) et futur (les deux danseurs, Sonia Darbois et Jonathan Pranlas im(ex)plosent par leur jeunesse).

Enchevêtrées, cet ensemble tisse entre nous et la danse, un lien qui traverse les générations de spectateurs et d’artistes. À n’en pas douter, vingt-sept après, il n’a rien perdu de sa pertinence, d’autant plus qu’entre temps, le duo s’est plutôt fait rare. Le solo domine les nombreuses propositions émergentes où l’on sonde le sens à partir de la profondeur d’un geste, à la frontière de l’inconscient.

Le duo est autre. C’est un espace où nous projetons le désir dans la relation à partir d’une infinité de configurations : le jumeau, le semblable, le couple, le différent car complémentaire, le masculin dans le féminin. Le duo est une dynamique qui emprunte tant de chemins chaotiques pour signifier que la cohérence est un processus. Le duo, c’est la communication, en boucle, du haut vers le bas, du haut d’en bas et surtout de travers. Le duo est vital.

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«Pudique acide» vitalise ma relation à la danse contemporaine, car elle est une recherche sur la communication. La dramaturgie fait émerger deux personnages de théâtre, qui m’habiteront tout au long de la soirée.

Comme un éternel (re)commencement, à la lisière de l’adolescence et de l’âge adulte, de la partition chorégraphique et du langage musical. Sur une musique de Kurt Weill, ils s’élancent avec leur kilt dont ils se débarrassent pour mieux se différencier, s’apprivoiser, se chercher et se rechercher. La langue allemande  projette de la nostalgie dans leur futur. Ils osent tels des affranchis. Probablement seraient-ils des indignés aujourd’hui…À ce jeu du chat et de la souris, il n’y a ni gagnant, ni perdant, mais une victoire: celle du désir de se métamorphoser ensemble.

«Pudique acide», c’est se délester de sa jupe pour célébrer la «pudeur des sentiments /maquillés outrageusement / rouge sang»1.

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Dans «Extasis», notre duo nous revient, plus grave. Le kilt provocant a disparu pour se muer en imperméable inquiétant d’où dépasse un tutu florissant. Ils hésitent entre peur et désir de libérer leur énergie créative. Dans ce décor tout blanc de cinéma où le scénario n’est pas encore écrit, ils jouent leur histoire d’amour à mort. Entre réel et fantasme, entre ombre et lumière, entre dedans et dehors, ils renoncent pour avancer, vers soi, vers l’autre. Leur désir est une tragédie. Leur jeunesse, un théâtre où les masques tombent. C’est beau à vous couper le souffle. C’est triste à vous laisser submerger par la joie de ressentir une danse d’une vitalité saisissante.

À la nuit tombée, «Extasis» est une danse de libellules  sensuellement transmissible.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Pudique Acide / Extasis » de Mathilde Monnier et Jean-François Duroure au Théâtre de l’Olivier le 5 novembre 2011.

Les dates de tournée sont ici.

(1) “Les dessous chics” de Serge Gainsbourg.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR OEUVRES MAJEURES Vidéos

Philippe Lafeuille plastique “Cendrillon” et détone.

Le final est saisissant. Plus aucun corps sur scène…et notre imagination prend corps. Le commencement est inattendu. Un homme remballe une poubelle qui déborde. Le public rit puis applaudit: le temps est-il venu de jeter aux ordures les vieilles idées, les représentations usées jusqu’à la corde? Le chorégraphe Philippe Lafeuille nous y invite, avec délicatesse et humour.

Entre ces deux moments, «Cendrillon, ballet recyclable» pour sept danseurs masculins est une proposition politique: danser, c’est résister; résister c’est faire danser le corps créatif pour mettre en mouvement nos systèmes de pensée épuisés par la crise et les injonctions paradoxales. Ce soir, le mythe de Cendrillon se métamorphose pour nous embarquer dans un univers onirique, violent, sensuel, poétique, plastique et…caustique. À la Maison de la Danse de Lyon, le public ne s’y trompe pas: l’écoute ne faiblit jamais et chacun semble hésiter entre rires et gravité.

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Car Cendrillon est abimée. Nous l’avons maltraitée. Elle habite dans les bidons villes, dans les décharges à ciel ouvert. Après le passage du tsunami à Sendai en mars dernier, elle nous a même interpellés,questionnés («mais qu’avons-nous fait là»?).  Elle est aujourd’hui à Athènes, réduite à une serpillère où les grands de ce monde s’essuient les pieds. Elle vit dans un environnement où, à la terre des champs, s’est substitué des plaines de bouteilles et de sacs plastiques (futurs gisements dans cinquante ans ?). Son corps est  marchandisé à l’image d’une des scènes éblouissantes du début où nos princesses se débattent dans de l’emballage de produits formatés. Si le corps est marchand, alors il est aussi déchet. Avouez que le conte célébré par Disney en prend un sacré coup…

Philippe Lafeuille le fait entrer dans la postmodernité en convoquant un univers sublime et délirant : des sacs noirs emballent une danse de bal(les); des pluies de bouteilles fracassent l’émancipation du mouvement; un film plastique empêche de relier le corps et l’esprit (métaphore du désir démocratique); des costumes (magnifique travail de Corinne Petitpierre) transforment nos sacs Lidl en robe de soirée pour faire la fête (populaire); des masques composés de coupes de champagne créent du pétillant dans les têtes;  un carrosse fait de fontaines plastiques déboule sur scène et nous plonge dans la féérie d’une histoire d’amour.

C’est donc une société du déchet, du recyclable (à se demander si ce ne sont pas les vieilles idées que l’on recycle) qu’il faut remettre en mouvement  pour rêver à nouveau. Philippe Lafeuille la prend en scène et nous accompagne dans sa métamorphose tandis que le sublime travail de lumières de Dominique Mabileau  élargit les frontières du plateau jusqu’aux limites du rêve éveillé, au coeur de l’art visuel.

La danse est théâtralisée, assez éloignée des attentes d’un public qui a vu tant de Cendrillons chorégraphiées dans du formol. Ici, la musique jadis toute puissante de Prokofiev doit composer avec d’autres (dont l’énigmatique Ran Slavin et le mélancolique Arvo Part). C’est aussi cela le changement d’époque! L’énergie de Cendrillon est à chercher dans les situations où le corps est mis en jeu, où son rapport au plastique le métamorphose (matière symbole du consumérisme triomphant), où ses gestes plastiquent l’espace et ouvrent la voie des arts florissants.

 Le statut de l’artiste (incarné par un personnage habillé de blanc, oiseau bienveillant) et le rôle de la danse contemporaine sont ici interrogés : à force de convoquer la vidéo et les concepts, celle-ci nous éloigne, là où elle devrait stimuler nos imaginaires fatigués par une société où tout déborde. Avec Philippe Lafeuille, le beau n’est plus une question de moyens spectaculaires, de tours et de cathédrales. Le beau, c’est recycler,  c’est mettre en lien pour tresser des niveaux de sens, seuls capables de nous redonner notre puissance imaginative. Recycler, c’est résister contre un pouvoir qui rêve à notre place.

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Les sept danseurs, touchant dans leur diversité, sont pris dans le tourbillon de la métamorphose des arts de la scène proposé par Philippe Lafeuille. Leur fluidité dépend de notre capacité à lâcher. Comme si eux, c’était nous. Comme si  peu à peu enrôlés dans leur chrysalide, nous étions tous une Cendrillon parée pour s’envoler, tel un papillon aux ailes du désir.

Ce soir, j’ai une conviction. Notre plastique, prêt à  fondre, formera nos rêves affluents.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Cendrillon, Ballet Recyclable » de Philippe Lafeuille à la Maison de la Danse de Lyon du 3 au 12 novembre 2011.

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Bloc Notes / C’est un directeur, adjoint.

Elle est assise face à nous. Avec son micro, elle nous cherche du regard puis nous interpelle : «j’ai besoin de vos retours, même si vous vous êtes ennuyé». La chorégraphe Danya Hammoud a confiance dans le cadre posé par Michel Kelemenis pour “Questions de danse” à Marseille: présenter une étape d’un processus de création puis ouvrir un dialogue avec le public.

Il prend la parole. Il est directeur adjoint d’un festival local. Il évoque le  travail antérieur de Danya Hammoud. Personne dans la salle n’a vu l’extrait du spectacle auquel il fait référence. Il regrette de ne pas retrouver ce qu’il avait semble-t-il aimé au mois d’avril dernier. Il précise même les points techniques qui font défaut ce soir. Implicitement, il fait comprendre à Danya Hammoud qu’elle ne sera pas programmée dans son festival.

De dos, du haut de son petit pupitre de jury, ce directeur adjoint joue à la Star Académy. La scène est d’une violence sociale inouïe (même dans le secteur privé, c’est un peu plus doux). Plutôt que de partager un ici et maintenant, ce professionnel exerce son pouvoir de vie et de mort sur les artistes.

Que ce directeur adjoint sache que mon émotion est à la hauteur de l’insulte.

Pascal Bély, Le Tadorne.