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OEUVRES MAJEURES

Je suis féministe de «choeur».

Elles sont face à nous, la rage au “choeur”.

Elles sont vingt-quatre pour constituer un centre de gravité qui finit par tourbillonner et m’emporter.

Elles sont polonaises, mais leur langue est celle du choeur

Elles sont nos mères, nos soeurs, nos femmes, nos amies.  

Elles sont une partie de l’humanité que nous continuons à dominer. 

Elles ont une chef de chorale, pas plus haute que trois pommes, qui met en musique, en chant, en chorégraphie, le manifeste féministe le plus percutant qu’il m’a été donné de recevoir. Elles sont la voix de toutes celles que l’on finit par ne plus entendre.

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Au-delà d’une manifestation de rue (im)mobilisatrice, elles forment un corps social en mouvement qui s’avance vers vous pour ne plus vous lâcher. 

Ce soir, au coeur du festival «Sens Interdits» à Lyon, le féminisme a pris corps, en s’emparant de la scène, presque de force.
Il y a urgence  à réagir, car la dégradation de l’image et de la place des femmes s’amplifie  depuis que la publicité les réduit à une tête de gondole, que les médias de masse formatent leur rôle dans la société.
Elles sont donc face à nous, sans complaisance avec le public, pour riposter à notre laisser-faire, à notre désinvolture. Nous continuons de véhiculer à nos enfants une vision sexuée des rapports intimes, sociaux et politiques. La question du genre ne nous effleure même plus, tout comme le scandale démocratique que constitue l’absence de parité dans nos institutions.
Elles sont donc face à nous pour mettre en scène, en relief (changement de rythme, de ton, de postures ; debout, couché, de prés, de loin), comme autant de manières d’aborder la question. Ce soir, à chaque femme, son slogan. À chaque groupe, sa force.
Nos représentations sur la femme déterminent nos actes de dominateur, tandis qu’elle réclame, à corps et à cris, un «homme commando» à leur côté. La question de l’émancipation de la femme semble être dans l’impasse : la publicité a durablement contaminé nos consciences. Son langage autoritaire fait de mensonges a pris le pouvoir sur la pensée politique. Ce soir, ne nous y trompons pas, leurs cris de joie ne sont que douleurs, étouffées par une société de la communication et de l’information qui ne veut plus entendre ce qu’elle croit avoir réglé.
Alors? Que nous disent-elles ? La seule réponse est politique. La seule dénonciation ne suffit plus. Il faut des corps énonçant («je parle à mon corps» clament-elles !) ; il faut que chacune fasse la révolution, dans sa cuisine ! Il faut s’emparer de la scène et amplifier le bruit du féminisme par la fureur de l’art. Mais au-delà d’un choeur de femmes, imposant, car vertical descendant, il nous faut maintenant un ensemble vocal, composé à parité d’hommes et de femmes de l’art, pour nous aider à penser autrement notre lien. Pour que la forme de la protestation véhicule les valeurs du changement qu’elle revendique.
Je ne sais pas chanter. Mais je veux bien apprendre à murmurer sur scène. Pour nous faire entendre?
Pascal Bély, Le Tadorne. 
« Choeur de Femmes », direction de Marta Gornicka. Au Festival « Sens Interdits » le 22 octobre 2011.
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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Le Prince Vincent Macaigne vous attend.

Ce fut le succès du dernier Festival d’Avignon. Une oeuvre rare. Le Théâtre National de Chaillot à Paris l’accueille du 2 au 11 novembre 2011 avant une tournée jusqu’en février 2012 (Grenoble, Mulhouse, Douai, Orléans, Nantes, Luxembourg, Valenciennes).

Retour d’Avignon…

Cela devait arriver. Non que cela fut prévisible, mais attendu. Depuis quelques jours, il se trame un drame derrière les murs du Cloître des Carmes au Festival d’Avignon. Après «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» de Vincent Macaigne d’après «Hamlet» de William Shakespeare, de nombreux spectateurs semblent sonnés par cette proposition qui dépasse l’entendement.

Je n’ai pas pleuré. Je me suis même amusé avec le chauffeur de salle. Fini l’attente. Le théâtre est ouvert dès notre installation. Sur le gazon bien amoché et boueux de la scène, un homme harangue la foule avec une chanson débile. Il invite le public à monter sur le plateau. Les jeunes ne se font pas prier. Et ça dure…La caste journaliste vieillissante se demande avec inquiétude comment cela va finir. Cet espace intermédiaire entre théâtre et réalité en dit long sur les intentions de Macaigne : il faut nous mettre en condition, en assemblée. Quitte à se foutre de notre gueule.

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Je n’ai pas pleuré. J’ai juste tremblé pour Hamlet. Depuis le temps, je m’habitue à sa folie. Mais ce soir, c’est tout un système qui devient fou. Le corps du père gît encore dans une fosse ouverte d’eau boueuse tandis que le mariage de Claudius avec la mère d’Hamlet tourne à la farce populaire d’une émission pour temps de cerveau indisponible. Nous rions à notre décadence. La boue est notre merdier. Les personnages se dépatouillent pour exister dans ce décor de terre piétinée, d’arrière-cour de salle d’attente d’entreprise de communication, de logement précaire en tôle et verre probablement dessiné par le metteur en scène institutionnalisé et friqué Fréderic Fisbach, présent au Festival avec Juliette Binoche, actrice squelettique.

Comment comprendre la tragédie d’Hamlet si l’on ne pose pas le contexte dans lequel elle interagit? Vincent Macaigne ne s’attarde pas beaucoup sur le spectre, réduit à un furet empaillé. Inutile de s’accrocher à l’au-delà. Ici bas, suffit. Les mythes commencent sérieusement à nous emmerder. Hamlet n’est pas fou, il souffre.  Mais comment un tel système politique peut-il entendre la souffrance? Il est décalé. Inaudible. Totalement inaudible. À devenir dingue. D’ailleurs, ils gueulent tous pour se faire comprendre. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Car je n’ai pas tardé à faire un lien : cette scène est notre Europe, notre boueux pays de France où un saltimbanque au pouvoir transforme l’art en bouillon de culture…

Cette scène est dégueulasse. Ils puent tous la mort. Cela gicle de partout. Comme un corps institutionnel agonisant, épuisé par la traîtrise aux idéaux, mais encore vivant, car le cynisme leur donne l’énergie vitale d’organiser le chaos pour le maîtriser à leur profit. Hamlet n’est pas fou : il lutte pour sa chair….Mais le système va l’emporter. Ne reste que le théâtre.

Entracte.

Hamlet reprend la main. Installe un théâtre où il met en scène son enfance. Aux origines. Qu’a vu Hamlet qu’il n’aurait pas dû voir? Mais cette mise en abyme ne résiste pas. Le théâtre se fond dans le système politique jusqu’en épouser les jeux (comment ne pas penser à la nomination controversée d’Olivier Py à la tête du Festival d’Avignon en 2014 ?).

Je n’ai toujours pas pleuré. Je me suis immobilisé. Face à tant de beauté apocalyptique. La folie du Royaume et sa déchéance emportent le décor du Cloître des Carmes balayé par un château fort gonflable prêt à nous sauter à la gueule. Notre Europe forteresse est une bâche rustinée maculée du sang des corps des migrants. Car le théâtre de Macaigne, c’est de la chair à canon contre le pouvoir, offerte par des acteurs jusqu’au-boutistes qui donnent l’impression qu’ils pourraient mourir sur scène. Macaigne ne disserte plus. Il convoque un théâtre d’images, quasiment chorégraphique : pour repenser l’Europe, il faut organiser nous-mêmes le chaos, et arrêter de s’accrocher à des mythes empaillés.  À partir de ses décombres, nous reconstruirons, torche à la main.

Vincent Macaigne pose un acte : celui de MONTRER, alors que nous sommes saturés d’analyses et de paroles. Il n’a probablement rien de plus à dire que ce qui a déjà été dit. Or, à l’heure où le chaos s’installe, qui sait aujourd’hui montrer en dehors des visions molles…

Et si  resentir l’image théâtrale était une forme de pensée?

Je me lève pour applaudir. Où est Vincent Macaigne ?

Peut-être dégueule-t-il.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Le regard de Francis Braun.

Il faut, c’est un ordre, être témoin de ce Miracle. Il faut participer à ces heures de liberté jouissive, vivre cette aventure shakespearienne indéfinissable  avec la troupe de Vincent Macaigne dans «Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» d’après «Hamlet» de William Shakespeare.

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Il faut voir Le Cloître des Carmes, lieu du Sang versé, devenir le lieu de tous les possibles, de tous les délires. Il faut le voir vivre d’une façon différente (il a été investi totalement pour cette occasion par un cabinet de curiosités baroque et intrigant sur un sol un gazon vert fané avec eau croupissante).

Nous sommes conviés par un chauffeur de salle pour une cérémonie joyeuse et terrible. On hésite entre un happening hippy baba et un spectacle de fin d’année ; on se demande à quelle sauce on sera trempés…les gens descendent, des gradins sur la scène, commencent à danser…on attend et ce sera tout à la fois.  Ce soir, Hamlet revisité  va devenir L’?uvre Théâtrale  universelle  d’un mec imprévisible et sans contrainte. Ce sera le fait d’un artiste  qui explose à la fois de sa folie et de son délire. On le sait intelligent, désarmant, on ne sait pas si cela va durer dix minutes, une heure, ou toute la nuit…ou s’il va s’en aller.

Au bout de quelques minutes, c’est certain : nous allons oublier le temps pendant quatre heures, nous allons être assis, rivés à nos fauteuils, bloqués hilares, sidérés et ébahis.

L’esprit de Vincent Macaigne, (qui s’agite avec les machinistes en haut des gradins, comme un chef d’orchestre), est totalement débridé et contrairement au slogan néon posé en enseigne sur le mur d’en face …il y aura pas de miracles ce soir »…Mais,  de CE MIRACLE,  on pourra se souvenir…

C’est Hamlet, lui, sa famille, son trône, son palais qui nous sont racontés, mais c’est aussi la Tragédie de ce Prince du Danemark revisitée sur un gazon piétiné, semé d’embûches irréparables. C’est une vie de crime intemporelle relatée  sur un champ dévasté. C’est hier et aujourd’hui sang mêlé, c’est une Ophélie en pleine inquiétude, c’est une mère qui n’en peut plus de posséder ;  c’est bien sur Hamlet, jeune enfant qui se souvient.

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C’est son histoire fondue enchaînée à notre actualité qui s’exprime sous nos yeux et devenons alors  les otages-bienveillants-volontaires dans un cloître ouvert à toutes les Folies. Folies de la mise en scène tour à tour explosive, sereine, calme ou désespérée. Folies des lumières, soudainement crépusculaires, parfois hivernales, soudainement glaciales…Le cauchemar ou le rêve partent en fumée…des réelles fumées nous enveloppent ponctuellement.

Les comédiens  nous surprennent tout le temps, ils nous font rire et  nous coupent la respiration. Nous sommes à chaque seconde secouée de sentiments différents. Nous sommes déstabilisés, dérangés, enthousiastes, parfois inquiets. Plus les minutes passent, plus les corps-spectateurs se figent silencieusement dans le respect et l’effroi.

Des litres  de sang se déversent sur un corps qui meurt. C’est l’Instant terrifiant incarné par des comédiens incroyables. Nous sommes happés, nous ne savons plus distinguer l’histoire et le présent.

C’est à la fois le spectre de Pippo Delbono qui hurle sans qu’on le comprenne, c’est Angelica Liddell qui joue de son corps, de ses seins, de son sexe, c’est aussi le Sang de Jan Fabre, mais c’est surtout le monde du corps  de Vincent Macaigne.

 Il y avait avant Pina et après Pina…il y avait avec Angelica Liddell, maintenant l’histoire shakespearienne ne pourra vivre sans le  cadavre laissé  par Vincent Macaigne. dans les murs du Cloître des Carmes….

C’est lui L’ENFANT du festival, car il naît ce soir à nos yeux. Offrons-lui le TRONE qu’il mérite, qu’on le couvre d’HONNEURS, qu’on le salue, et que l’on reconnaisse en lui CELUI par qui un autre THEATRE arrive…. Proclamons-le …Notre Nouveau Prince de Hambourg, crions haut et fort…Vive LE PRINCE et vive sa folie.

Ce fut, je dois dire,  exceptionnel.

Monsieur Vincent Macaigne, Nouveau Prince en Avignon…

Francis Braun, Le Tadorne.

«Au moins j’aurai laissé un beau cadavre» de Vincent Macaigne. Tournée ici.

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KLAP, MARSEILLE Vidéos

Klap, Capitale maison pour la danse.

Depuis quelques saisons, la danse disparait peu à peu des programmations à Marseille et aux alentours, chacun déléguant la «tâche» au Pavillon Noir d’Angelin Preljocaj à Aix en Provence. Dans ce contexte, l’ouverture de Klap, Maison pour la Danse dirigée par Michel Kelemenis, est attendue. Pour qu’enfin, l’art chorégraphique se développe dans une ville qui fut, en son temps, si accueillante?

En ce jour historique du 21 octobre 2011, je suis invité à l’inauguration officielle. Au déjeuner de presse, les journalistes parisiens semblent saluer le projet : le bâtiment est entièrement dédié à la création. Symboliquement, la capitale phocéenne revient donc sur le devant de la scène avec le soutien de la Fondation BNP PARIBAS. Sur le ton de la confidence, sa déléguée générale, Martine Tridde-Mazloum, affirme son engagement auprès d’un projet qu’elle accompagne depuis le début, signe qu’un mécène peut voir plus loin que le financement d’actions ponctuelles, souvent spectaculaires?

À 18h, vient le temps des discours. Michel Kelemenis débute par un hommage appuyé à l’Afrique du Sud, pays où il puise la force des valeurs d’accueil du bâtisseur créateur. Avec élégance et émotion, il nous communique sa détermination à voir ce lieu occuper sa place dans un paysage structuré autour des Centres Chorégraphiques Nationaux et des institutions prestigieuses (Maison de la Danse de Lyon, Centre National de la Danse, ?). Jean-Claude Gaudin, Maire de Marseille, poursuit sur la lancée dans un numéro de fanfaronnerie dont il a seul le secret. En insistant sur la préparation réussie de Marseille Provence 2013, dont Klap serait le symbole, il en oublierait presque le sens du projet: après 2013, il y a 2014?Puis vint le Préfet de Région dont l’intervention restera dans les annales : après cinq minutes d’un discours policé, il lâche son texte pour évoquer avec Michel Kelemenis un souvenir de danse. À cet instant précis, Klap joue déjà sa fonction : accueillir tous  nos désirs de danse?

À 20h30, apparaît la danseuse Caroline Blanc en maîtresse de cérémonie. Ses intermèdes espiègles et enfantins sont autant de fils conducteurs pour nous relier à la toile de Klap, patiemment tissée tout au long de sa carrière par Michel Kelemenis. Je retiens cinq moments comme autant de symboles de la Maison pour la Danse.

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L’extrait de «Cendrillon» interprété par le Ballet du Grand Théâtre de Genève provoque l’hilarité. Cinq anges affublés d’ailes sur les fesses, maculés d’étoiles filantes sur le corps, enrobés de chaussures à col plumé, font voler la belle et pas seulement pour la réveiller. Avec des gestes amples et circulaires, la danse est conte de fée pour ranimer nos émerveillements trop souvent empêchés. Quelques minutes plus tard, nous sommes prêts à plonger dans le bleu, celui d’ «Henriette et Matisse», spectacle créé pour la Biennale de Lyon en 2010. La peinture, art pictural et chorégraphique pour minots et parents : Klap au croisement pour relier les âges?

Entre alors Thomas Birzan pour «Faune Fomitch». Il n’a que 17 ans. Il est interprète pour Josette Baïz. Sur la musique de Claude Debussy, une bombe humaine traverse le magnifique plateau du « Grand Studio ». Sous nos yeux, un jeune adulte se métamorphose par la magie de la transmission de Michel Kelemenis. Son «corps fleuve» relie nos désirs affluents. Entre eux, s’engouffre le souffle vital d’une danse pour l’humanité, de celle qui s’affranchit des codes pour créer un langage universel. Thomas Birzan est né à Klap. Je serai là, spectateur-parrain?

Arrive «That Side», interprété par Fana Tshabalala, dialogue entre ce magnifique danseur sud-africain et Michel Kelemenis. De sa force sensible, il déploie une gestuelle «coulée», «ouatée» où le corps est source de transmission, récepteur et ouvert, nourri du vécu, de cultures. Solo ennivrant.

Et puis…Michel Kelemenis lui-même. Pétales de rose dans une main, qu’un souffle pose sur la scène. «Kiki la rose» fut ma première grande émotion de danse. C’était sur la scène du Théâtre de l’Archevêché lors du festival «Danse à Aix». Non annoncé dans le programme de la soirée, le solo surprend l’assistance, médusée. Submergé par l’émotion de ce souvenir, mon corps lâche et se donne: chaque mouvement, du plus petit au plus ample, est une déclaration pour la danse, vers le public. À cet instant précis, Michel Kelemenis explore ce magnifique plateau de ses gestes ciselés pour accueillir les publics : à chacun sa rose, à tous sa tulipe. Pina n’est plus très loin.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Soirées d’inauguration de Klap, Maison pour la Danse les 21 et 22 octobre 2011.

 

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COMMUNIQUE de ROMEO CASTELLUCCI

Le contexte de ce communiqué: iciLe spectacle dont il est question: ici.

Je veux pardonner ceux qui ont essayé par la violence d’empêcher le public d’avoir accès au Théâtre de la Ville à Paris.
Je leur pardonne car ils ne savent pas ce qu’ils font.
Ils n’ont jamais vu le spectacle ; ils ne savent pas qu’il est spirituel et christique ; c’est-à-dire porteur de l’image du Christ. Je ne cherche pas de raccourcis et je déteste la provocation. Pour cette raison, je ne peux accepter la caricature et l’effrayante simplification effectuées par ces personnes. Mais je leur pardonne car ils sont ignorants, et leur ignorance est d’autant plus arrogante et néfaste qu’elle fait appel à la foi. Ces personnes sont dépourvues de la foi catholique même sur le plan doctrinal et dogmatique ; ils croient à tort défendre les symboles d’une identité perdue, en brandissant menace et violence. Elle est très forte la mobilisation irrationnelle qui s’organise et s’impose par la violence.
Désolé, mais l’art n’est champion que de la liberté d’expression.

Ce spectacle est une réflexion sur la déchéance de la beauté, sur le mystère de la fin. Les excréments dont le vieux père incontinent se souille ne sont que la métaphore du martyre humain comme condition ultime et réelle. Le visage du Christ illumine tout ceci par la puissance de son regard et interroge chaque spectateur en profondeur. C’est ce regard qui dérange et met à nu ; certainement pas la couleur marron dont l’artifice évident représente les matières fécales. En même temps, et je dois le dire avec clarté , il est complètement faux qu’on salisse le visage du Christ avec les excréments dans le spectacle.
Ceux qui ont assisté à la représentation ont pu voir la coulée finale d’un voile d’encre noir, descendant sur le tableau tel un suaire nocturne.

Cette image du Christ de la douleur n’appartient pas à l’illustration anesthésiée de la doctrine dogmatique de la foi. Ce Christ interroge en tant qu’image vivante, et certainement il divise et continuera à diviser. De plus, je tiens à remercier le Théâtre de la Ville en la personne d’Emmanuel Demarcy-Mota, pour tous les efforts qui sont faits afin de garantir l’intégrité des spectateurs et des acteurs.

Romeo Castellucci
Sociétas Raffaello Sanzio

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En 2011, en France : des insultes antisémites contre le Tadorne, les spectateurs et Roméo Castellucci.

Premier acte, premier choc, à la lecture des témoignages de spectateurs publiés sur Facebook et confirmés par la Direction du Théâtre de la Ville de Paris:

« Les premières représentations du spectacle de Romeo Castellucci «Sur le concept du visage du fils de Dieu» au Théâtre de la Ville, ont été gravement perturbées par des groupes organisés au nom de la religion chrétienne.  Leur demande d’interdiction du spectacle par voie de justice ayant été déboutée par une décision du Tribunal de Grande Instance en date du 18 octobre 2011.

Nous considérons qu’il ne s’agit pas de la simple perturbation d’un spectacle, mais d’actes violents visant à interdire l’accès du public au Théâtre de la Ville en s’en prenant aux personnes et aux biens :

Jeudi 20 octobre

– Tentative violente d’intrusion par des militants organisés, avec usage de gaz lacrymogènes.

–  Enchaînement des portes de la salle dans le but d’en empêcher l’accès.

–  Utilisation de boules puantes

– Distribution de tracts dénonçant le prétendu caractère « christianophobe » du spectacle, reposant sur des allégations entièrement mensongères.

– Envahissement de la scène du théâtre par 9 activistes interrompant la représentation.

Devant les nombreuses menaces collectives ou personnelles que nous avons reçues depuis plusieurs semaines, faisant suite à l’odieuse campagne menée par Civitas, j’ai demandé à la Mairie de Paris de prendre des mesures susceptibles de garantir la sécurité du public, du personnel et des artistes tout en nous permettant d’assurer le maintien des représentations.

La présence des forces de police a permis de neutraliser les militants les plus violents. Lors de l’envahissement de la scène, devant l’impossibilité d’obtenir un départ dans le calme et sans violence et afin de prévenir un affrontement entre les manifestants et le public, j’ai demandé l’intervention de forces de l’ordre. Après l’évacuation des perturbateurs, la représentation a pu reprendre et se poursuivre jusqu’à son terme.

Vendredi 21 octobre

–  Jet d’huile de vidange et d’oeufs sur le public lors de l’entrée pour la représentation

–  Distribution de tracts

 Dans l’attente de l’intervention de la police pour déloger les agresseurs qui étaient juchés sur une corniche située au-dessus des portes d’entrée et interdisant l’accès au hall du théâtre, nous avons aménagé l’entrée du public par une issue de secours. Mais cela a pris énormément de temps et entraîné un retard de plus d’une heure de la représentation qui s’est finalement déroulée sans troubles.

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Samedi 22 octobre

Démarrage de la représentation avec 30′ de retard.

Nouvel envahissement de la scène du théâtre par un groupuscule interrompant la représentation.

Évacuation dans le calme. Reprise du spectacle.

Avant d’arriver en France, le spectacle a été présenté en Allemagne, en Belgique, en Norvège, en Grande-Bretagne, en Espagne, en Russie, aux Pays-Bas, en Grèce, en Suisse, en Italie et en Pologne. Il n’a pas suscité la moindre réaction analogue à celles que nous déplorons aujourd’hui. Ces agissements à caractère fascisant sont absolument inadmissibles.

Mes collaborateurs et moi-même, en plein accord avec Romeo Castellucci et son équipe, ainsi que l’ensemble du personnel du théâtre, ne céderons sous aucun prétexte à ces menaces et à cette intimidation. Nous entendons défendre la liberté d’expression, les droits du théâtre, et la mission qui est la nôtre face à cette terreur. Nous entendons exercer pleinement nos droits et réclamer aux fauteurs de trouble réparation des dommages et préjudices importants qu’ils nous occasionnent. Je tiens également à saluer l’attitude du public lors des deux premières représentations. Face à l’agression verbale, puis physique dont ils étaient l’objet, ils ont réagi avec calme et ont observé avec patience les mesures de contrôle que nous avons été contraints de mettre en place.

Les représentations du spectacle se poursuivront jusqu’au 30 octobre au Théâtre de la Ville. Je souhaite que le public continue à venir découvrir le travail d’un grand artiste que nous sommes fiers de soutenir et d’accompagner.

Emmanuel Demarcy-Mota

Directeur du Théâtre de la Ville »

Deuxième acte, deuxième choc.  Je ne m’y attendais pas. Suite à la publication de mon article sur le spectacle de Roméo Castellucci, un site me traite de “juif qui a payé pour aller voir le spectacle et qui a bien aimé la merde”. Il  s’en prend aux artistes, aux spectateurs avec des expressions d’une violence inouïe.

Comment de tels propos sont-ils possible en France ? À quoi sert la loi Gayssot qui punit de tels agissements (sur se site, on conteste aussi l’holocauste) ?

J’ai pour ma part écrit à SOS RACISME, à la LICRA, au MRAP et au Théâtre de la Ville pour les informer de cette situation et les inviter à porter plainte.

Troisième acte, troisième choc : je rêve d’une tournée de Romeo Castellucci en France.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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THEATRE MODERNE

Pour la Tunisie.

La Tunisie vote demain.

Retour sur un temps fort du dernier Festival d’Avignon, présenté au Festival Sens Interdits ce soir à Lyon.

Ils sont parmi nous, avec nous. Acteurs de la révolution tunisienne dans tous les sens du terme, ils descendent peu à peu, tout en nous observant d’un léger sourire. A chacun son tapis rouge et ses palais. Pour Jalila Baccar, Fadhel Jaïbi et les dix comédiens, ce sera les marches de la salle de Montfavet. Ils descendent lentement pour mieux signifier que le changement est un long processus, qu’il ne peut se résumer dans une formule médiatique («le printemps arabe») déjà dépassée. Le théâtre n’est pas fait de ce temps-là.

Une fois arrivé sur le plateau, le noir et de blanc vont mener une longue bataille pour que le théâtre éclaire les dessous d’un système. Écrit bien avant la révolution, «Yahia Yaïch, Amnésia» met en scène le limogeage d’un despote, où l’économique et le politique ne font qu’un. Comment ne pas songer à Ben Ali et à sa famille ?

Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi voient grand, si l’on en juge par la profondeur de la scène, renforcée par un jeu subtil de lumière qui voit apparaître et disparaître les corps. Car “Amnésia” n’est qu’un théâtre de corps, au croisement de tant d’influences : comment ne pas penser à Pina Bausch quand les chaises valsent et qu’elles structurent la dramaturgie en fonction du jeu et des enjeux? Comment ne pas se souvenir des corps courbés et volants de Joseph Nadj, lui qui sait amplifier le mystère en colorant le corps et la scène d’un noir trouble et fulgurant ? Ici, tout est question de corps : n’est-ce pas son immolation qui a tout déclenché en décembre 2010 ? Ici, tout est question de mots : mais ils sont tous bien pesés. Sous la dictature, la parole est d’or…

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«Amnésia» dévoile peu à peu un système, par apparitions et disparitions successives : les corps sont fantômes, tout à la fois apeurés et insoumis. Le son est de la partie : si le despote est affublé d’un micro, c’est pour mieux entendre ce qu’il a dans la tête. Fascinant. Ici, l’Hôpital est le lieu où la tragédie prend corps, Yahia Yaïch ayant eu la mauvaise idée de mettre le feu à sa bibliothèque. Immolation ratée. Le voici badigeonné de rouge, l’une des rares couleurs à créer de l’espérance…Dans un tel système, bien difficile de distinguer le médecin du policier comme si les corps institués n’avaient qu’une seule fonction : le faire perdurer. La confusion est totale d’autant plus que l’on marche comme si l’on défilait, arme sur l’épaule (quand ce n’est pas un ballet pour balais).
Peu à peu, le système s’emballe sans que l’on ait besoin de créer du fracas sur scène : la parole se libère, à l’image de cette conférence de presse où les questions les plus improbables fusent comme des balles. Peu à peu, ces rats de laboratoire sortent de leur souricière. Les corps se redressent, la scène s’éclaire de nouvelles couleurs (le plastique est décidément fantastique !). Sous les chaises, les pavés. La danse s’orientalise pour occidentaliser le propos : nos despotes sont-ils si éloignés des vôtres ? Car «Amnésia» célèbre l’avènement d’un corps politique qui prend la parole et sa liberté de mouvement. A nous peuple français d’accueillir cette énergie, nous qui avons longtemps fermé les yeux pour préserver cette destination touristique privilégiée.
Mais à observer les bâillements du public et son faible enthousiasme lors du salut final, me reviennent les observations entendues cet hiver : «après la révolution, ils vont déchanter». Mais leur chant pourrait devenir l’hymne de notre révolution : celle de la pensée qui verrait dans tout progrès démocratique, une avancée économique, culturelle, sociale et écologique.
Pascal Bély, Le Tadorne.
« Yahia Yaïch, Amnésia » de Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi. Au Festival d’Avignon du 15 au 17 juillet 2011.
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OEUVRES MAJEURES

Pour Roméo Castellucci, contre la censure des malades de Dieu.

Hier soir, au Théâtre de la Ville de Paris, un groupuscule a interrompu la représentation de Roméo Castellucci, «Sur le concept du visage du fils de Dieu». Les CRS ont évacué la salle.

Je publie à nouveau ma critique écrite lors du Festival d’Avignon. Modeste contribution pour chasser, hors de nos théâtres, ces fous de Dieu.

 Je reste assis. Sidéré. Pas un mot. «Sur le concept du visage du fils de Dieu» de Roméo Castellucci est une épreuve. 20h10.  Je suis vidé

À mon arrivée, l’immense visage de Jésus. Théâtral. Il est une scène, une mise en abyme. Les quinze minutes qui précèdent le début de la représentation sont interminables. Il interroge ma manière de regarder le monde. Où en suis-je ? Je ne baisse pas les yeux, ce n’est pas le moment, car je ne sais plus très bien où j’en suis…

Sur scène, l’appartement paraît luxueux, mais ce n’est qu’apparence. Le lit est dans le salon et une petite table fait office de ligne de démarcation entre trois fonctions biologiques essentielles : dormir, bouffer, regarder la télévision. Et chier. Car le vieux monsieur qui habite là se fait dessus. Nous sommes quasiment dessous. Son fils, probablement de passage, croit pouvoir s’en aller. C’est une vieille croyance. Le temps s’étire. S’écoule. Le liquide malodorant est partout. Son père se liquéfie. Tout deux entrent en guerre contre cette merde:

“-tu sens mauvais, tu es vraiment un cochon, tu sais, Papa.”

“-”

“-Mais non, je plaisante. Tu sais, on sent tous mauvais quand on le fait. Ça va Papa ? Est-ce que l’eau est trop froide ?

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Je suis un voyeur fasciné. Je cherche d’où vient cette putain de merde. Il ne change pas de canapé à chaque représentation tout de même ? Ça pue . Cela empeste, mais les gestes du fils chassent l’odeur : l’amour est un don surnaturel. Il le nettoie, le déplace, le rechange, s’agenouille, se relève. Cela n’en finit pas. C’est un chemin de croix, sous l’oeil impassible de Jésus. Cette liturgie me touche jusqu’à prier pour lui : «faites qu’ils puissent partir». Pitié pour eux. Merde, je suis presque à genoux.

Mes voisins rient, c’est plus fort qu’eux. Ils chient du rire. Je me retiens.

Le fils pose sa main sur le dos du père pour le laver. Il s’arrête. Bouffée de chaleur et d’émotion face à cette image pieuse. Jésus est dans la merde. Moi aussi. Le blanc. Je vois du blanc. Cette main de Dieu, cette main du diable? Comment vous l’écrire? Cette merde me revient. Du sang du Christ, au sang impur qui abreuvait nos sillons jusqu’à la merde du vieux…Est-ce là notre chemin ? Cette main sur ce dos est un miracle : de la Shoah à ce geste, toute l’humanité se nettoie  pour recréer sans cesse la toile, celle qui redonne visage à notre regard, à la figure du«bon berger».

Le théâtre dans ses yeux.

Nous n’avons plus que cela.

Oh, mes théâtres…

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Sur le concept du visage du fils de Dieu » de Romeo Castellucci au Festival d’Avignon du 20 au 26 juillet 2011.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE THEATRE MODERNE

Le théâtre de Christiane Véricel donne faim.

Ce n’est pour l’instant qu’un chantier de création. Ce ne sont que quarante minutes. Le temps paraît si court avec Christiane Véricel et sa compagnie Image Aigüe. Pourtant, avec «La morale du ventre», elle signe l’une des réjouissances de la rentrée théâtrale. Ils sont sept sur scène : des adultes, des adolescents, des jeunes enfants. Amateurs et professionnels. Ils sont noirs et blancs. De France, de Sicile, de Turquie. Tout un théâtre de couleurs, de sons, de corps et de mots qui me percute comme autant de balles siffleuses, métaphore d’une famine qui fauche une personne dans le monde toute les quarante secondes. Au sol, une frontière signalée par un trait blanc et quelques morceaux de pain, que l’on donne aux oiseaux après avoir vidé nos ramasse miettes. A moins que ce ne soit celles que nous voulons bien laisser aux pays pauvres. Ainsi, se succèdent des situations qui voient s’affronter les possédants et ceux qui n’ont rien. Le tout ou rien. Le tout pour le tout où chacun joue son va-tout. Ils ne sont pas meilleurs que nous : malins, tricheurs, menteurs…Mais ils ont faim à l’image des immigrés sur les bateaux de fortune qui déjouent tant de pièges pour prendre leur part du gâteau.

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Christiane Véricel s’affranchit donc des frontières pour proposer un théâtre chorégraphié profondément drôle pour que la question ne tombe pas dans la dérision, la déraison. La mise en scène nous tend le miroir de nos lâchetés quotidiennes : elles en disent long sur le rapport dominant-dominé, instauré en toute situation et qui façonne un système de pensée incapable de résoudre ce fléau mondial.

Son théâtre est un dessin animé pour personnages anémiés espiègles et créatifs qui calme ma faim de spectateur. Pour cela, tout y est détourné : les contes où l’on se meurt, les murs où la parole se fracasse, sous les jupes des garçons où l’on se cache, des chaises d’enfants pour adultes infantilisants. Tel un vieil ascenseur social, l’échelle se dérobe même sous leurs pieds. Plus rien ne fonctionne à l’image de ces corps qui désarticulent le vertical et l’horizontal.

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Mais ces héros des temps modernes cherchent. Sans fin. Leur créativité vient à bout des stratégies des Etats tout-puissants. Ils vont au-delà de la frontière pour entrer dans notre espace démocratique et y interroger nos valeurs et nos principes moraux. Ils sont là avec leur pince pour piquer nos chairs et réveiller nos consciences : notre dette est ailleurs qu’en Grèce.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« La morale du ventre » – Etape de création présentée aux Subsistances à Lyon les 14 et 15 octobre 2011.

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Toujours ce manque de temps…

«Le temps nous manquera» de Stéphane Gasc nous laisse un peu dépités. Sa fin brutale est à l’image de la disparition, thème central de cette oeuvre délicate sur le deuil. Deux personnages (un homme, une femme) évoquent le suicide du troisième (présent sur scène, mais silencieux). Ils l’ont aimé, ensemble et côte à côte. Le sujet est périlleux, convenons-en. Mais la compagnie l’Employeur l’aborde en adoptant un ton, un temps particulier, fait d’accélérations, de lenteurs et de flash-back. Nous sommes loin d’une oeuvre tapageuse, désireuse d’être dans le coup : on n’y décèle aucun tic de langage du théâtre contemporain (vidéo, musique vrombissante). Juste un décor un peu lounge mais bancale, où l’on ne fait plus très bien la différence entre l’appartement privé du couple et l’espace public d’un bar. Aucun meuble ne tient tout à fait droit…

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Vous serez probablement interpellé par ce début énigmatique, aveuglant…lumière blanche pour soleil noir : une plongée hypnotique dans le tunnel de la mort pour entrer dans le noir des âmes torturées, de ceux qui restent. Autant préciser qu’ils ne vont pas bien du tout, mais allaient-ils mieux avant, près de lui ?

Les deux survivants (touchante Édith Mérieau, troublant Alexandre Le Nours)  se rapprochent pour mener un combat à fleuret moucheté, quand ce n’est pas au sol. Il a disparu, mais ils poursuivent leur jeu d’attraction-répulsion pour continuer à se projeter dans le regard de l’autre. Comme un réflexe de survie qu’une subtile «lumière sale» vient éclairer. Les dialogues sont ciselés comme des lames à double tranchant. Drôle car incisif. Cela saigne encore. Mais  ils ne trouvent jamais la réponse à leurs questions dont on peine d’ailleurs à cerner les contours: l’amour n’a pas d’explication en dehors de ceux qui s’aiment.

C’est un théâtre du non-dit où les mots s’enveloppent et cachent à l’image du décor magnifique de la deuxième partie (le voile blanc de la pudeur posé sur ce qui ne peut s’enfouir). À l’image de la crise d’exéma qui démange l’un, tandis que l’autre semble épuisée dans sa quête d’amour.

À ce «temps», il me manque une troisième dimension, pourtant incarnée par la présence du suicidé (Stéphane Gasc lui-même). Il aurait pu danser pour faire résonance, pour ancrer dans mon imaginaire, une image théâtrale du deuil. Pour m’accompagner à baisser ma garde amplifiée par le dialogue amusant et défensif des deux survivants.

Ce «temps» qui me manque est celui de la danse, l’art de la disparition.

Pascal Bély, Le Tadorne

« Le temps nous manquera », texte de Stéphane Gasc ; mise en scène de la compagnie l’Employeur. Au Festival Actoral de Marseille du 4 au 8 octobre 2011.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE

Klap, Maison pour la danse d’Henriette et Matisse.

À quelques jours de l’ouverture officielle de «Klap, Maison pour la Danse» à Marseille, son directeur, Michel Kelemenis, présente «Henriette et Matisse» créée pour la Biennale de la Danse de Lyon en 2010. À voir du 11 au 13 octobre, dans le cadre de la programmation du Théâtre Massalia.  Puis en tournée dans toute la France.

De la Biennale de la Danse de Lyonau Théâtre des Salins de Martigues, toujours ce même enthousiasme : enfants, parents et professionnels de l’éducation jubilent en découvrant l’univers du peintre. Nous sommes à la fois au musée, dans l’atelier et au théâtre. Qui plus est avec un chorégraphe! Michel Kelemenis nous offre, avec « Henriette et Matisse » une immersion dans la beauté, dans la création et le chaos. Imaginons Matisse et son chapeau de paille, interprété par Davy Brun, tour à tour Artiste et probable grand frère pour les tout-petits. Rêvons d’Henriette, le Modèle, la muse (troublante Caroline Blanc) dont la beauté fait tache d’huile sur la toile blanche d’un film d’amour, de capes et de fées. Jouons avec deux pinceaux (espiègles Lila Abdelmoumène et Tristan Robilliard) qui, peu à peu, glissent entre nos mains comme les deux baguettes du chef d’orchestre.

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 À quatre, ils occupent la scène dans tous ses recoins pour pousser les cloisons de nos imaginaires. De la salle, les « Ouah », « Ouh la la », « c’est magique » ponctuent en cadence la création de la toile jusqu’au silence le plus absolu alors que « le clair de lune » de Debussy éclaire « les Nus bleus » de Matisse. L’émotion serre la gorge comme si nous étions bercés par le chorégraphe, ébloui par le peintre. Ces deux-là seraient-ils complices pour puiser dans nos fragilités les ressorts de notre sensibilité ?

« Henriette et Matisse », sont nos ailes du désir à moins que ce ne soit le nom d’un bonbon à la réglisse aux effets secondaires. C’est une invitation à la poésie, à se rapprocher les uns des autres. Cette oeuvre crée la communauté au moment où tant de liens se distendent. Il y a chez Michel Kelemenis le désir d’un art total profondément accueillant qui ne laisserait personne de côté. Les conditions de l’invitation sont donc réunies. Ici, la musique joue son rôle d’aiguillon : tout à la fois polissonne, déroutante, envoûtante, pénétrante, elle débusque à chaque tableau ! Mieux qu’un guide de musée, elle pose ses petits cailloux pour petits et grands poucets. L’univers du peintre est un théâtre à l’italienne où nous pénétrons de nuit pour jouer à nous faire peur avec les fantômes (c’est bien connu, ils sont partout), où le décor de papier vous tombe dessus comme une toile de cinéma et s’enrôle autour des corps pour faire valser les couleurs.

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La danse provoque l’alchimie entre les matières, créée la troisième dimension du tableau, génère le mouvement évanescent du geste créatif. Elle vous emporte et vous déplace pour que chacun d’entre nous soit traversé.

Ainsi, « Henriette et Matisse » n’est plus seulement une invitation à ressentir ces peintures mythiques. C’est une ?uvre qui peint la danse comme un mouvement populaire.
Pascal Bély – www.festivalier.net

A lire le très bel article de Denis Bonneville dans La Marseillaise.

“Henriette et Matisse” de Michel Kelemenis àKlap du 11 au 13 octobre 2011.

Crédit photo: Manon Milley.