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Artistes, spectateurs, professionnels, politiques : cultivons nos bambous.

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« Culture, mise en réseau et développement des territoires » : voilà une articulation créative pour une sortie de crise par le haut. L'Observatoire des Politiques Culturelles a eu l'excellente idée d'organiser un colloque sur ce thème au Théâtre de Privas (07). Pas moins de dix-huit intervenants pressés de donner leur vision en dix minutes. En France, pour aborder le « complexe », on pose un cadre rationalisant quitte à utiliser une expression (« table ronde ») totalement dénaturée de son sens puisqu'elle est carrée, sur une estrade, où les interactions avec la salle sont réduites à la portion congrue. Ainsi, pour évoquer le transversal, on communique en verticalité descendante. Le mal français est là. Passé cette désagréable impression d'être au c?ur de ce paradoxe, où le quantitatif dicte sa loi au qualitatif (là où le réseau les articule) on a pu compter sur les intervenants pour déjouer cette consigne absurde et donner à la thématique de la journée sa part de fragilité, d'humanité, d'envolées lyriques, de vision, de passion, mais aussi de provocation.

Le retour de l'Etat centralisateur.

D'autant plus que personne n'est tombé dans le piège de vouloir définir le réseau, même pas Alain Lefebvre, professeur émérite à l'Université de Toulouse-Le Mirail qui, profitant d'une panne de sa vidéo-projection, nous gratifia d'une intervention brève, humoristique et visionnaire. Tout juste apprenions-nous que « le réseau est un activateur de territoire, de projets, qu'il est complexe et qu'il pourrait participer à redéfinir les niveaux de compétences entre institutions ». Nous y voilà ! L'Etat, avec la réforme des collectivités locales, s'apprête à enlever la compétence culturelle aux conseils généraux. Ici, en Ardèche comme ailleurs, l'angoisse monte. Dans ce département rural, l'institution départementale est engagée dans une politique culturelle volontariste comme le rappelle son Président, Pascal Terrasse. Le centralisme se ferait-il une cure de jouvence en totale opposition avec le besoin d'une articulation dynamique entre le vertical et le transversal, portée par les territoires ?  Mais plus globalement, notre découpage administratif est-il pertinent à l'heure du réseau, alors qu'il le réduit bien souvent à une forme linéaire (donc contrôlante) pour une organisation rationnelle de l'information. Comme le rappelle justement Priscilla de Roo (chargée de mission à la DIACT), la France est un ensemble de « plaques territoriales d'attraction » qui déjoue bien des représentations : alors que le solde migratoire est de 0,83% l'an pour le rural, il n'est que de 0,14% pour l'urbain. Les villes sont tirées vers le haut par la dynamique de nos campagnes vues comme des terres d'interactions. « La carte n'est pas le territoire » serait-on tenté d'ajouter.

Pour un changement de gouvernance.

Au-delà de la réforme sur les collectivités locales, l'articulation « culture, réseau et territoire » promeut un nouveau modèle de gouvernance qui suppose d'inverser les prémices : là où les institutions influencent la forme des réseaux, il s'agit plutôt d'encourager les collectifs à accompagner les structures à changer d'organisation. C'est par la base des acteurs que nous transformerons nos institutions rigides et non plus par le haut, n'en déplaise à ceux qui demandent toujours plus d'Etat,  incapable d'animer la complexité. Il est temps de cultiver des bambous à côté de nos chênes centenaires ! Mais cela nécessite, comme le rappelle fort justement Olivier Bianchi, adjoint au maire en charge de la culture de Clermont-Ferrand et conseiller communautaire, que les acteurs culturels se (re) politisent en « apportant du sens, leurs enjeux, pour créer le rapport de force ». Bien vu.

Vive les collectifs pluridisciplinaires !

Cette nouvelle gouvernance sera donc encouragée par la dynamique des collectifs pluridisciplinaires d'où naissent des territoires élargis, à l'articulation du vertical et du transversal, du réel et du virtuel bouleversant les formes de la création. Pour Jean-Paul Fourmentraux, chercheur à l'EHESS, il faut substituer « à la liste descendante du générique d'un film », « la vision dynamique de la production ». À l'image du spectacle « Oscar, Pièce de cirque ? Schlag ! Opus 2 » où officie Oscar, un acteur virtuel, fruit d'une collaboration entre Montréal, Chalon sur Saône, et Paris. Alors que de  nombreux élus réduisent leur politique culturelle à la seule construction d'une infrastructure, d'autres préfèrent créer un «environnement culturel » comme Palmira Archier (directrice de l'APSOAR) qui voit la décentralisation comme « un partage », où « l'espace scénique, c'est le maillage, seul capable d'intégrer les effets systémiques». En Catalogne, le « réseau transversal »,  qui fut au départ une revue culturelle, réunit aujourd'hui plusieurs collectivités.  Grâce aux nouveaux outils de l'information et de la communication, chaque théâtre diffuse des coproductions. Comme le rappelle Pep Fargas, le directeur de Transversal, « le réseau est un changement d'échelle qui permet d'aller vers des arts plus risqués ». En écho, une auditrice, constata que nous sommes loin de la vision de pas mal de scènes nationales en France qui voient le territoire comme un espace réduit de « vagabondage », de « nomadisme », d' « itinérances » comme au bon vieux temps de l'après-guerre, « où la tournée c'était la province » !

Ainsi l'artiste ne serait plus seulement vissé à un espace géographique, mais inclut dans un territoire de partenariat englobé dans un territoire de projet ! Pour Donato Giuliani (responsable de la coopération eurorégionale et internationale pour la Région Nord-Pas-de-Calais), « le territoire de partenariat des années 90 est devenu aujourd'hui notre territoire de vie et d'activités ». Il va encore plus loin quand il déclare : « nous allons créer un réseau de régions pour dialoguer avec un réseau d'acteurs ». La dynamique des institutions est là !

Les réseaux pour une nouvelle société du savoir.

Mais plus généralement, l'articulation « culture, territoire, résea
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 » nous prépare à une nouvelle société du savoir comme aime à le rappeler  Patrick Bazin, directeur de la Bibliothèque Municipale de Lyon, qui aura sidéré l'assistance par la vision de son propos. Pour lui, « la connaissance s'inscrit dans des lieux d'expériences et de socialisation, ce qui induit que nous n'avons pas tant besoin d'institutions savantes que d'acteurs capables d'accompagner un public acteur et pluriel ». Cela suppose « d'écouter le terrain dans ses comportements et ses expériences ». Seul le réseau permet de restituer la complexité du « bas » (la vison) pour la communiquer vers le « haut » (la visée)  et co-construire des parcours de savoirs, des produits de la connaissance. Cela nécessite de passer d'un régime de médiation hiérarchisé à basse température (chasse gardée des experts) à un mode de médiation ouvert et partagé, créateur de haute énergie. Ce pari démocratique suppose d'amplifier l'articulation entre la culture et le social. Christiane Audemard Rizzo, chef du service Culture et lien social au Conseil Général de l'Isère, en précise l'enjeu : « il nous faut inclure les populations dans le travail des professionnels d'autant plus que les réseaux zappent les filtres institutionnels. Alors que nous repérons toujours plus de solitude et de souffrance, nous avons à observer et à accompagner tout ce qui fait rupture de sens entre l'individu et la société ».

Soyons optimistes : au regard de ce colloque, praticiens, artistes et chercheurs avancent. Mais l'intervention de Philippe Fenwick, comédien, caricaturant bon nombre de propos de la journée, était là pour nous rappeler que notre pays, par ses rigidités et ses chasses gardées, a éloigné bon nombre d'acteurs, dont certains se complaisent aujourd'hui à regretter un passé qui les a pourtant tant isolés du « complexe ».

Pascal Bély ? www.festivalier.net

« Culture, mise en réseau et développement des territoires »: colloque organisé par l'Observatoire des Politiques Culturelles au Théâtre de Privas (07) le 1er décembre 2009.

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS

De l’identité nationale par Raimund Hoghe et Faustin Linyekula.

La scène est immense, totalement dépouillée, à l’exception d’un petit tas de cailloux. Notre humanité est là : toute à la fois atrophiée et imposante. La danse a commencé.
Ils arrivent ensemble, mais séparés. Lui, c’est Faustin Linyekula, chorégraphe congolais. Lui, c’est Raimund Hoghe, ancien dramaturge de Pina Bausch, chorégraphe et bossu depuis l’enfance. Leurs corps incarnent un territoire mêlé mais un clivage du monde les éloignent.
Tout commence par des feuilles de papiers délicatement posés tout autour de la scène par Raimund Hoghe. Elles   évoquent l’espace européen qui préserve son modèle de développement. A ce moment précis, il ne faut pas se fier aux apparences : la douceur de Hoghe est une bombe à fragmentation. Ces stèles mortuaires glacent. Seraient-elles celles des sans-papiers ?
Pendant ce rituel funéraire, Faustin trace avec son petit tas de cailloux des chemins sinueux. La rencontre entre les deux hommes est-elle possible ? Raimund ne bouge plus : notre modèle industriel, social et culturel ne créée plus la relation ouverte. Faustin erre, sans titre, sans papier. Il est notre héros qui marchait sur la lune il y seulement trente ans. Sa danse compliquée et tortueuse les éloigne. La scène symbolise l’écart : 20% de la population mondiale consomme 80% des ressources de la planète.

Alors, place à l’art ! Il va nous offrir d’autres itinéraires, non moins sinueux. Alors que les cailloux s’incrustent dans les corps et crée l’espace de la confrontation, ils tombent pour Faustin, sont jetés par Raimund. La danse met en mouvement le minéral dans le biologique et provoque la régénérescence. La rencontre artistique par le partage permet à chacun de faire son chemin, à partir de nouvelles formes esthétiques (la bosse de Raimund et les plis du corps musclé de Faustin forment le paysage de l’imaginaire). Symboliquement, la danse est un modèle d’élargissement : elle ne puise pas la ressource pour appauvrir l’autre, mais  créée le bien commun et les esthétiques de la rencontre.

Avec un propos accessible,  « Sans titre » de Raimund Hoghe, libère le spectateur par la poésie. Il crée à l’aide d’une bougie, d’un tas de feuilles de papier et vingt cailloux. De la rareté éclot le sens. Point de langage descendant, tout nous revient et leur revient ; de la danse de Raimund Hoghe naît la rencontre, à l’image de la dernière scène où le blanc et noir se fondent pour créer un corps commun riche de nouvelles articulations. Sublime !

Une spectatrice me regarde puis me dit : « Cette oeuvre est une émotion qui se niche dans toutes les parties de notre corps ».

Traçons nos chemins avec nos cailloux, mêlons nos mots et ouvrons ensemble l’espace de la rencontre autour de la danse.  Il y a urgence. Un certain Président utilisent ces cailloux pour construire des murs.

 

Pascal Bély . www.festivalier.net

 

“Sans titre” de Raimund Hoghe a été joué les 2 et 3 juillet 09 dans le cadre du festival Montpellier Danse. Actuellement au Théâtre de Genevilliers jusqu’au 13 décembre 2010 dans le cadre du Festival d’Automne de Paris.

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FESTIVAL ACTORAL OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Dominique Frot : « liberté, égalité, soeurorité ».

Avec les créations de l’auteur et metteur en scène Hubert Colas, le parcours du spectateur a parfois toutes les allures d’un pèlerinage . Il vous conduit d’abord à Aubagne, où vous écoutez un légionnaire vous enivrer de sentences engagées et éclatées (« Mon képi blanc »). Puis, à Marseille, où vous rencontrez une jeune immigrée tchétchène, sidérante avec ses mots dictés comme des balles qui percent votre corps (« Chto, interdit aux moins de 15 ans »). Vous poursuivez votre périple, à Nice, dans une maison de religieuses pour entendre Soeur Rose, venue de Bratislava jusqu’en France alors qu’elle n’avait que huit ans (« 12 soeurs slovaques »). Nos trois héros existent à travers la plume engagée de Sonia Chiambretto, « notre écrivain public » qui ouvre la parole pour nous la restituer à nos oreilles de citoyens devenus parfois sourds à la différence. Ces trois rencontres constituent  notre « identité nationale » car nous sommes faits de ce croisement d’idéaux, d’errances, d’enfermements, de libérations, là où la « nation » avec son plus petit dénominateur commun nous isole un peu plus du complexe.

De la trilogie, il me manquait « 12 petites soeurs slovaques ». Je suis allé jusqu’à Nantes, pour faire connaissance avec Soeur Rose, incarnée par Dominique Frot. Elle est frêle, habillée de noir, si petite que l’on peine à imaginer l’adulte : est-ce l’effet du religieux qui véhicule cette étrange impression? D’autant plus que la scénographie (raffinée et imposante, comme d’habitude chez Hubert Colas) articulée à la présence d’un curé dont le chant transcende la parole (impressionnant Nicolas Dick, posté au dehors de la scène) renforce la fragilité de ce corps tout entier dévolu à Dieu. Elle parle malgré tout, raconte son périple de la Tchécoslovaquie communiste à la France catholique puis explique le lent processus de transformation d’une petite fille en soeur Rose pour ad vitam aeternam. Elle parle comme elle réciterait une prière trop longtemps apprise et jamais restituée.

Mais elle est sous surveillance, notre chère Rose. Les fantômes circulent au-delà de ce décor noir, comme au bon vieux temps où enfant, nous prenions peur à la vue d’une ombre venue vérifier l’intensité de notre sommeil. Car ici, sur ce plateau, la religion affronte le théâtre et pas qu’un peu ! Le visage de Dominique Frot reflète cette tension jusqu’à la faire pleurer tout au long de ces  cinquante-cinq minutes. Ce sont les larmes de la profondeur, de la libération, une réponse lumineuse à la noirceur du décor. Ce sont des perles de pluie sur un sol trop longtemps desséché par la rudesse d’une vie de groupe qui ne laisse aucune place au corps turbulent. Nous l’écoutons Rose et son flot de paroles nous parle d’autant plus que nous sommes presque tous pétris de cette éducation religieuse qui formate durablement notre approche du collectif, de la diversité, du commandement.

Le corps de Soeur Rose, c’est notre corpus religieux ; la mise en scène, c’est notre échappée belle en pays laïque, conquise contre l’obscurantisme. « 12 soeurs slovaques » place le spectateur dans cet interstice, là où précisément l’acteur renonce pour se donner corps et âme à son rôle. Dominique Frot est exceptionnelle dans cet engagement parce qu’elle octroie à Soeur Rose sa citoyenneté dans la patrie des droits de l’homme et renforce la foi des « pèlerins spectateurs » en un théâtre combattant les dépendances obscures.

Pascal Bély, Le Tadorne

« 12 soeurs slovaques » de Sonia Chiambretto, mise en scène et scénographiée par Hubert Colas, joué au Lu de Nantes du 1 au 5 décembre 2009.

Crédit photos: Bellamy/1D-photo.org

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EN COURS DE REFORMATAGE

Le vaudeville “made in China” de Robert Lepage.

 

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Brigitte Salino, critique au journal “Le Monde” évoque “le plaisir tranquille d’une soirée avec le théâtre d’images de Robert Lepage“. Est-ce véritablement positif? “Le dragon bleu“, actuellement présenté au Théâtre National de Chaillot à Paris, est une immersion, en surface, de la Chine d’aujourd’hui, ce qui explique sans doute pourquoi ce théâtre s’aventure dans l’art de la tranquillité. Tout dans cette production n’est que réduction pour spectateur amateur de modélisme. À l’heure où la Chine bouleverse l’équilibre du monde, je m’étonne qu’une vision aussi étroite de ce pays puisse trouver un écho positif.

Pierre Lamontagne est un artiste résident à Shanghai où il tient une galerie. Ce détail, s’il est mentionné sur la plaquette du spectacle, est loin d’être évident sur scène. Pour faire court, Pierre Lamontagne vit dans un petit duplex. Claire, ex-camarade d’École des Beaux Arts de Pierre, est publiciste montréalaise. Elle vient en Chine pour adopter un enfant. Pierre l’accueille chez lui et puis…vous devinez la suite…après un verre…Sa demande d’adoption ne fonctionnera pas. Mais Pierre a une petite amie artiste, Ling,  qui est enceinte de lui, mais il ne le reconnaît pas…vous imaginez la fin…Claire, Ling, l’enfant, Pierre. Mais Robert Lepage n’exclut rien ; il veut faire « confiance à l’intelligence du spectateur » en nous offrant trois alternatives à la fin du spectacle.

Pour masquer la faiblesse du texte et du scénario, Robert Lepage ne lésine pas sur l’esthétique. Comme dans un dernier spectacle sur la Chine vu dernièrement à Marseille, le changement constant de décor amplifie l’impression de survol de la psychologie des personnages. Certaines scènes, où sont reproduites des ballades en vélo, donnent l’étrange sensation d’assister à une mauvaise production d’Hollywood des années cinquante. Rien n’est crédible dans cette histoire où les relations n’ont pas beaucoup de surface, coincées dans la mécanique du décor et les effets de style. Robert Lepage se perd à nous décrire la place de l’artiste en plein boom économique Chinois d’autant plus qu’il peine à relier toutes ces informations à l’histoire de Claire. Là où le metteur en scène Français Joël Pommerat excelle à faire du décor un élément inclut dans la chronique sociale, ici les lumières et les objets illustrent plus qu’ils ne transcendent le propos. Le décor, bien trop descendant, ne nous emmène que trop rarement sur la relation.

« Le dragon bleu » est un « théâtre de séduction » mais dont la machine à rêver ne fonctionne pas tant l’histoire est linéaire. Seule la fin prête à sourire comme si Robert Lepage s’autorisait cette pirouette d’artiste gâté.

La vision de la Chine par Robert Lepage est le gentil calque de nos représentations dépassées.

Pascal Bély – www.festivalier.net


«Le dragon bleu» de Robert Lepage a été joué le 24 mai 2008 au MC2 de Grenoble. Au Théâtre National de Chaillot à Paris jusqu’au 15 décembre 2009.

Crédit photo: © Photo : Erick Labbé

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EN COURS DE REFORMATAGE

Le touché coulé d’Anne Lopez

Avec Anne Lopez et sa compagnie « Les Gens du quai », j'ai scellé, lors du processus de création de « Duel », un pacte basé sur une entente artistique et humaine alors que ses deux pièces précédentes avaient fait l'objet d'un retour sur ce blog. Il m'apparaît intéressant aujourd'hui, de questionner l'évolution de son écriture chorégraphique. « Duel », marque-t-il un virage, un tournant dans son parcours de chorégraphe ?

Délaissant les objets et autres artifices scéniques, le corps est omniprésent pour une mise en scène incluant  différentes formes de combat dualistique : western (premier tableau qui colle à la peau comme le soleil dans les plaines d'Arizona), bagarre de rue (style West Side Story), combat chevaleresque (digne d'un Monthy Python, ce tableau mêle fantaisie et ironie). La force mystique a même sa place, pour défier par honneur l'être suprême. Le corps n'est pas écrasé par les images de ciels orageux en arrière-fond, autre vecteur communiquant invitant l'imaginaire à dresser son cadre de représentativité.

Puis, parcimonieusement, le message d'Anne Lopez se distille pour monter en puissance. Elle convoque toutes formes de combats pour constater qu'aujourd'hui, dans une société globalisante, le pouvoir a pris le pas sur l'honneur jusqu'à guider l'homme à opprimer son semblable. Ichem Belhaj, l'un des cinq interprètes, incarne l'honneur pour ne pas tomber dans la folie meurtrière. Il crève littéralement le plateau de par sa présence et répand sa danse généreusement.

Finalement, l'écriture chorégraphique d'Anne Lopez a gagné en maturité. Tout à la fois « déjantée », (c'est la marque de fabrique de la compagnie des « Gens du quai »), elle n'en est pas moins intelligente, voire savante. Les tableaux s'imbriquent, s'enchevêtrent sans jamais se perdre et nous perdre. L'optimisme qui naît à chacune de ses créations, se lit ici lors de la scène finale. Alors que les danseurs tirent leur propre ficelle, tels des marionnettistes, ils nous invitent à la bataille, pour que notre honneur nous donne le pouvoir d'être le seul maître de notre vie. Une belle morale à mettre en exergue.

« Duel » est une pièce qui fait mouche, amusant le spectateur tout en le questionnant sur la nécessité de mener des combats dignes de ce nom.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

 

« Duel » d’Anne Lopez a été joué les 17 et 18 novembre 2010  au Théâtre de l'Odéon ? Nîmes.