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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LES EXPOSITIONS PAS CONTENT

Lyon, ses « Sens Interdits » et sa spectaculaire biennale.

Je l’observe près d’une fontaine avec ses ballons publicitaires siglés des différentes marques d’un grand groupe de l’agro-alimentaire. Le vent joue le trouble fête. Le jeune homme passe son temps à les rattraper pour les donner ensuite aux enfants et à leurs parents. Triste spectacle d’un quotidien où le jeu avec l’enfant est marchandisé.

Quelques minutes plus tard, c’est un gigantesque ballon qu’une bande de jeunes tentent d’élever sur la place Bellecour. Ici,  la Biennale de Lyon (dont le thème est «le spectacle du quotidien») fait l’événement publicitaire. Cela n’intéresse pas grand monde. Triste spectacle d’un quotidien où la culture se fond dans le marketing le plus bête. La biennale serait donc objet de spectacle.

Démonstration et petite sélection d’oeuvres qui font débat.

En entrant à la Fondation Bullukian, ce ne sont pas des ballons, mais des dessins tenus par des épingles à linge. Il faut éviter que le message s’envole. Laura Genz a dessiné pendant plus d’un an l’occupation de la bourse du travail par des sans-papiers. Les reproductions sont vendues au bénéfice de « la cause ». À côté de ses oeuvres, l’artiste signe quelques slogans et une revue de presse est accrochée au mur. Je fulmine. La Biennale utilise les mêmes codes que les organisations humanitaires. L’art est objet et le spectateur y est asservi. Comment dans ce contexte évaluer la portée artistique de ces dessins au risque de passer pour insensible à la cause des sans-papiers ? Cette culpabilisation permanente, devenue notre spectacle quotidien à la télé, à la radio, dans les rues, au travail, est reproduite telle quelle. Paresse.

À la Sucrière, un autre dessinateur. L’un des plus talentueux en Europe. Remarqué au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles en 2008, le roumain Dan Perjovschi dessine comme il voit le monde. Deux murs noirs lui sont dédiés pour que jour après jour, ses dessins à la craie nous percutent. Le trait ne montre pas, mais joue le fil entre l’actualité et notre conscience collective d’Européen. Comme dans une galerie commerciale, peu de personnes s’arrêtent  et me voilà bien seul pour débattre. Triste « spectacle ». On passe sans rien voir comme s’il fallait fuir, à l’image de la vidéo proposée par Lin Yilin où un homme menotté à sa cheville déambule dans les rues chics de Paris. Les passants ne font guère attention à lui. Certains visiteurs de la Biennale rient de cette vidéo. Nous sommes au spectacle. Victoire de la société du divertissement.

Adel Abdessemed sait se faire remarquer et arrêter le spectateur. Ses photos et vidéos jouent sur l’opposition. Là des sangliers sur un trottoir, ici un lion quasiment tenu en laisse dans la rue. La ville est  vue comme violente et sauvage. Le son d’autres films projetées à proximité (un homme hurle tel un  vampire dans la rue, l’explosion d’une canette de coca à terre) amplifie la violence. Mais pourquoi cela ne touche pas ? Adel Abdessemed emprisonne son propos dans une vision dépassée à l’heure où la ville se dote de projets plus humains et plus écologiques. Est-ce pour cette raison que la vidéo proposée par le collectif  HeHe percute ? On y voit une voiture miniature téléguidée dans les rues d’une métropole américaine qui fait échapper de la fumée de toutes les couleurs. C’est la théorie du battement d’ailes du papillon qui provoque la tempête, ou la métaphore de la pollution de ces gros bolides qui envahissent nos villes. Bien vu parce qu’on s’en amuse.

Mais à mesure que l’on déambule à la Sucrière, on ressent le besoin de fuir le vacarme de la dénonciation spectaculaire. L’allemand Oliver Herring est là avec ses petits films posés tels des écrins sur le mur blanc. Au hasard de ses rencontres, il improvise avec les habitants des chorégraphies urbaines saisissantes de beauté. Ici, le « corps social » vous serre à la gorge  parce qu’il véhicule de belles valeurs : solidarité collective, appui sur les articulations, jeu avec les éléments naturels pour fluidifier la relation, respect de la différence. Ici, l’humain reprend ses droits, à l’image du Festival de théâtre « Sens Interdits » qui se tient au même moment où la veille, dix vieux de Russie nous avaient fait traverser notre histoire commune de la Deuxième Guerre mondiale à nos jours. Comme le metteur en scène Didier Ruiz, Olivier Herring ne filme pas du « spectacle », mais nous renvoie du sens sans se mettre en position de nous culpabiliser.

Sarah Sze prolonge en nous proposant l’une des oeuvres les plus touchantes de cette biennale. À l’heure où l’on nous parle de « crise systémique », elle a créé une sculpture faite de liens complexes. Tout est lié et l’on s’amuse à imaginer des ruptures, des croisements, des transformations. C’est beau parce qu’elle nous projette dans un Nouveau Monde (celui du développement durable, de la société de l’information) qui ne fonctionnera que si nous mobilisons nos capacités de reliances et de communication autour d’un imaginaire partagé. Et l’on n’est guère étonné d’échanger avec un enfant et sa mère sur l’effet qu’aurait un battement d’ailes de papillon dans cette structure fragile et impressionnante. Rien de spectaculaire. Juste prémonitoire.

Pascal Bély –Le Tadorne.

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En région PACA, la « rentrée » du spectateur serait-elle proche de la sortie ?

Le mois de septembre est celui des lectures assidues de toutes les « plaquettes » avec ce sentiment d'excitation qui caractérise tout spectateur curieux. En région PACA et notamment dans l'axe Aix ? Marseille, les programmateurs nous laissent le temps vu que quasiment tous les théâtres sont fermés. Calée sur le calendrier scolaire, l'offre culturelle frôlera l'indigestion en octobre et novembre.

Si certains lieux ouvrent leur programmation (à l'instar du Théâtre d'Arles autour de la performance), d'autres nous (re)servent des artistes avec qui les liens sont institués (le Merlan revendique les « artistes majeurs », la Scène Nationale de Cavaillon parle d'amis) comme si le concept d' « artiste associé » cher au Festival d'Avignon faisait des émules. Dit autrement, on se demande si promouvoir ses “amis” ne finit pas par être un art de la programmation. Les éditos des directeurs de lieux de diffusion nous rassurent : ils ouvrent leurs portes à l' «émergence». L'ouverture semble si étroite que l'on doute aujourd'hui de leurs capacités à prendre des risques et à inclure le spectateur dans un processus, celui de perdre une certitude au profit d'un questionnement. Il est aisé, grâce au web, de parcourir la France à travers ses scènes nationales, scènes conventionnées et autres espace de création. Une évidence s'impose alors : c'est souvent le découpage en régions qui joue sur les programmations des théâtres.

La culture est politique nous dit-on à longueur d’éditos mais à la lecture des programmes, nous avons l'impression qu'elle est surtout « territoriale ». Il revient à dire qu’hormis les «stars» du théâtre et de la danse contemporaine (Pipo Delbonno, Joël Pomerat, Christophe Honoré, Angelin Preljocaj, Jan Lauwers, Maguy Marin?) qui sillonnent les routes de France, les compagnies débutantes se cantonnent à rester dans leur territoire au nom de la rentabilité. Il est rare qu'un programmateur seul promeuve un artiste d'une autre région pour une date. Sauf si ce théâtre fonctionne en réseau et arrive à imposer son choix aux autres lieux de diffusion voisins, mais avec le risque d'uniformiser les programmations. La logique économique prend bien souvent le pas sur le parti pris artistique. Comment expliquer la quasi-disparition de la danse pour la saison 2009/2010 si ce n'est pour se prémunir d'un propos politique, d'une turbulence ?

Où donc trouver les nouveaux réceptacles de créations et d'artistes émergents ? Essentiellement dans des espaces à la marge. Le festival Actoral tente l'exploit de nous proposer un panorama souvent intéressant de la création contemporaine (qu'il perpétue le reste de l'année dans la programmation de Montevideo). Les Bancs Publics osent des traversées étonnantes à l'articulation de la danse, du théâtre et des arts performatifs. «Domaines» du Centre Chorégraphique Nationale de Montpellier Danse permet à des artistes d'explorer le processus de création par des voies détournées. On salue le Théâtre Antoine Vitez d'Aix en Provence qui offre, au c?ur de l'Université, une programmation risquée ouverte aux jeunes talents. Bureaux de recherche et d'expérimentation pour certains, propositions multidisciplinaires pour d'autres, c'est dans cet acte de création que la parole du spectateur peut se faire entendre et surtout être féconde.

Car la place du spectateur dans les lieux institutionnels se résume à la fonction d'«abonné » avec des formules chocs empruntées au marketing : « Devenez spectateur privilégié » ou «spectateur associé ». Ces désignations fourre-tout ne permettent pas de relier le spectateur aux enjeux politiques, économiques et sociaux de la culture. Enfermé dans un lien « producteur ? consommateur », les services de relations publiques font de l'information, institutionnalisent et instrumentalisent le spectateur, mais ne créent pas de la communication. Il est impératif aujourd'hui de réfléchir à la fonction de chargé de «communication», de « relations publiques » pour la redéfinir dans un contexte où le spectateur croule sous l'information, mais où l'on ne communique plus avec lui. Alors que l'on évoque notre « émancipation », notre « citoyenneté », pourquoi les formes de démocratie participative semblent absentes des lieux de culture ? N'est-ce pas là un paradoxe?

Malgré tout, certains théâtres créent leur blog afin de dynamiser leur relation au public. C'est le cas de la Scène Nationale de Cavaillon. Peu utilisé, car quasiment invisible, on espère que la refonte du site facilite l'expression du public. Encore faudrait-il que les équipes osent la question avant de penser l'outil : « quel lien désirons-nous avec le public ? ». À ce jour, on attend des propositions innovantes qui peinent à venir.

Avec le réseau social Facebook, un nouvel espace de communication semble s'ouvrir. Peine perdue. Quasiment toutes les institutions vous invitent à devenir leurs « amis » pour diffuser ensuite les informations disponibles sur leur plaquette et dans leur newsletter. Il y a là une difficulté à imaginer « le réseau social », c’est-à-dire un lien transversal où circulent aussi des affects, des visions, des débats. Saluons le positionnement récent du Festival d'Uzès Danse qui nous informe sur leur dynamique de projet d'équipe. N'est-ce pas une nouvelle manière de stimuler l'envie, le désir du festivalier ?

D'autres semblent vouloir aller plus loin dans la démarche en créant l'espace du blog vivant! C'est dans cette perspective qu'il faudra suivre l'initiative d'Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins à Martigues, qui a instauré pour cette saison une série de trois débats, avec son public, animé par Pascal Bély, l'auteur du présent blog. La prise de risque est à saluer puisqu'elle ouvre les portes du théâtre à un regard extérieur pour créer de nouveaux liens avec le public. Cette démarche
(re)donnera-t-elle la place au spectateur, celle d'un être réfléchi et réfléchissant ?

La transparence, tant recherchée en politique, pourrait se jouer dans les lieux de diffusion pour permettre à la création de participer à la vie de la cité et d'être plus en phase avec des spectateurs dont on sent bien qu'ils marchandent de plus en plus leur relation avec le milieu culturel.

Laurent Bourbousson ? www.festivalier.net

 

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EN COURS DE REFORMATAGE

A Lyon, la résistance s’organise.

 

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Lyon est la ville des lumières et de la résistance. Rien d'étonnant à ce que le « Festival Sens Interdits » y voit le jour pour célébrer nos valeurs fondatrices : qu'est-ce qui fait notre culture commune européenne, celle qui va au-delà des frontières de l'Union ? Au moment même où se multiplient les événements mémoriels (n'avons-nous pas célébré le premier anniversaire de la crise financière ?), alors que nous avons accès à l'histoire avec un simple clic, où l'information instantanée réduit le temps de l'humain à une variable d'ajustement, comment le théâtre peut-il nous aider à retrouver le passé pour construire le futur ? Peut-il remettre l'humain au centre de tout d'autant plus que l'accélération de l'information minore le temps de la communication ? Le théâtre peut-il nous défendre face aux rationalités écrasantes de toutes sortes et promouvoir l'humain dans ses forces et ses fragilités? Au cours d'une journée, deux  metteurs en scène s'y sont essayés lors de ce festival prometteur, organisé par le Théâtre des Célestins.

« Je pense à vous, épisode XX » de Didier Ruiz fera date. Imaginez dix personnes âgées russes, assises  face à nous, issues de différents milieux sociaux. Tout commence par la projection d'un album photo, comme si nous étions côte à côte. C'est le début d'une « photo romance » qui prend le temps, quitte à ce que les trous de mémoire s'invitent et que la traductrice, un peu seule dans sa cabine, soit prise de signes de fatigue. A tour de rôles, ils nous racontent un instant de leur histoire qu'ils restituent avec leurs cinq sens pour nous y inclure : le parfum posé sur la peau, le goût  du premier baiser, l'odeur d’un champ de fleurs, les objets et les chansons de l'enfance. Malgré la guerre, ils ont poursuivi leur route qui les conduit jusqu'à nous. Ils semblent avoir eu peur de tout, « même d'une souris » mais ils ont  surmontés. Ils nous délivrent un message percutant : nous sommes aussi acteurs de nos propres peurs. Ces dix femmes et hommes sont au c?ur du théâtre du monde où ils ont traversé la seconde guerre mondiale, le totalitarisme soviétique, l'avènement de l'économie de marché. Ils ont cherché un père, une s?ur, disparus sans savoir ni où, ni comment. L'une en a même perdu la parole, tandis qu'une autre s'est mise à bégayer à l'adolescence. L'histoire est ainsi : elle se répète parfois, devient mutique quand les états refusent leur travail de mémoire. 

C'est un moment unique, fragile, car ces hommes et ces femmes sont les derniers témoins d'une époque qui a vu naître l'idée d'une Europe politique. Didier Ruiz s'appuie sur eux et leur offre une mise en scène de la transmission : les objets qu'ils nous tendent font maintenant partie de notre imaginaire, leurs photos sont un patrimoine de l'humanité et leurs chants résonnent tels des hymnes à la joie.

 

Quelques heures plus tard, nous retrouvons à nouveau dix témoins. Ils sont Allemands, Polonais, Ukrainiens et on tous vécus enfants et jeune adulte l'enfer de la Deuxième Guerre mondiale. Pour « Transfer ! »  du polonais Jan Klata, ils sont assis face à nous, mais au fond de la scène.  Ils viennent un à un raconter leur guerre.  On s'émeut, on sourit, on apprend ce que l'on ne nous a jamais dit : sur l'agonie des Polonais humiliés de toute part, sur la douloureuse introspection des Allemands, sur l'horreur vécue par les Russes au cours de cette boucherie. Ils sont tous exceptionnels à poursuivre leur devoir  de mémoire sur une scène de théâtre comme si la guerre ne s'était jamais arrêtée. Il y a dans leur regard, une détermination à interroger les valeurs de l'époque pour nous aider à les projeter dans un futur certes incertain, mais ouvert. 

Mais Jan Klata ne leur fait manifestement pas confiance. Il leur soumet une scène surélevée où officient trois comédiens dans les rôles de Staline, Roosevelt et Churchill. Entre les témoignages, ils s'imposent pour jouer un concert rock ( ?) et débiter des dialogues censés nous faire comprendre que décidément, quelles que soient les époques, les dirigeants sont d'une bêtise crasse. Cette farce n'apporte strictement rien, elle fait violence à la mémoire tel un spot de publicité au c?ur d'un film sur un génocide. Cette scène lacère le plateau, nous éloignent des acteurs ? témoins. Elle nous prouve que la résistance doit aussi s'organiser contre cette société du spectacle qui tend à brutaliser ce qu'il y a de plus fragile : notre capacité d'indignation.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

 

“Je pense à vous, Episode XX” de Didier Ruiz et “Tranfer!” de Jan Klata, joué le 19 septembre 2009 dans le cadre du festival “Sens Interdits” à Lyon (jusqu’au 26 septembre).

“Transfer!” sera joué dans le cadre du Festival d’Automne à Créteil les 5, 6 et 7 novembre 2009.

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EN COURS DE REFORMATAGE

A Londres, de danser notre c?ur s’est emballé.


Dans l'hebdomadaire culturel londonien (« Time out »), on trouve quelques pages sur la danse, perdues dans la programmation foisonnante de concerts et de divertissements en tout genre. Cet art semble rare  comme si Londres affichait sa toute-puissance financière pour masquer ses fragilités.  Mais ma visite touristique n'aurait pas de sens si je n'approchais pas la danse. C'est elle qui nous permet de ressentir le « corps » social et politique.

Ce soir, rendez-vous à « The Place », beau théâtre rénové, tout entièrement dédié à la danse qui s'apprête à fêter ses 40 années d'existence. Le programme propose cinq « work in progress » où se côtoient chorégraphes émergents et établis.  A la fin de la soirée, on finit par ne plus les différencier comme s'ils se nourrissaient entre eux.

Ce qui frappe d'emblée, c'est la vitalité des propositions. Ici, aucun regard mortifère, mais au contraire, un désir de danser sur la communication, à l'image de ce collectif composé d'enfants et d'adultes, d'amateurs et de professionnels, qui transforme la danse en langage pour mieux s'apprivoiser. C'est un travail sur la diversité qui sait amplifier la différence. Emmené par le chorégraphe Luca Silvestrini, « ?5,6, 7, 8 »  produit une belle dynamique qu'on aurait aimé trouver dans le « City maquette » de Mathilde Monnier présenté lors du dernier “Montpellier Danse” abordant la même forme et le même sujet. Le projet de Luca Silvestrini est à suivre. De près.

On reste éberlué face à ce duo : il est blanc, lui métis. Chorégraphes et performeurs, Colin Poole et Simon Ellis nous proposent avec « Colin, simon and I », vingt minutes sur la rencontre où la séduction marchandisée qui contamine les rapports humains nous ferait presque oublier que le lien avec l'autre est fait de turbulences, où l'approche « animale » entre en conflit avec nos codes sociaux. Cette danse est sincère, car elle vient nous chercher sans démagogie, mais avec détermination : « regardez à quoi nous jouons ». Après ce duo, on s'étonne à peine de voir Déborah Light et son solo « Untitled ». Face à des projecteurs et un flash qui la mitraille, elle nous offre une danse saccadée, où le visage caché par ses cheveux finit par donner à l'apparence des airs de folie. Très troublant.  Autres turbulences avec Zoi Dimitriou et Jos Baker accompagnés de trois figurants avec leurs cerceaux. Ici aussi, on se cherche, on se perd, on se gifle au cas où l'autre n'aurait toujours pas compris. La danse, profondément métissée, emprunte les codes du hip-hop et le lancer de cerceaux sur la scène propulse le danseur dans un espace urbain. La scène change alors de dimension en accueillant la vitesse qui rend notre homme plus seul que jamais. Cet espace complexe où la rapidité du cerceau (objet de consommation ?) rencontre l'humain bouleverse, car la danse nous restitue un miroir sur nos errances.

Ce soir, à Londres, le corps dansé est turbulent. À la sortie, nous ressentons un bien-être troublant, signe que ces chorégraphes « en travail » nous ont inclus dans leur recherche. Leur fragilité devient notre force.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Pour prolonger cette invitation à découvrir la danse londonienne, une halte à Créteil entre le 15 et le 17 octobre 2009 pour découvrir le nouveau spectacle de Michael Clark. Renseignements ici.


“Touch Wood 2009” at “The Place” à Londres le 12 septembre 2009 avec:

Luca Silvestrini, “…5,6,7,8”.

Vera Tussing et Albert Quesada, “Your Eyes”.

Colin Poole et Simon Ellis, “Colin, Simon and I”

Deborah Light, “Untitled”

Zoi Dimitriou, “In the process of…”

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LES EXPOSITIONS

« Visa pour l’image » doit s’ouvrir.

 

Commencer la visite de « Visa pour l'image », c'est d'abord lire l'éditorial de son directeur Jean-François Leroy et s'énerver une fois de plus de son absence de vision sur l'avenir d'une profession en crise. Cette année, il déclare le photojournalisme mort à l'exception de son festival qu'il qualifie « d'incontournable », d'autant plus qu'il montre « le monde réel ». Il ne s'arrête pas là. Il faut une colère pour justifier de tels propos. La couverture médiatique de la mort de Michael Jackson lui offre la possibilité de hiérarchiser le bon et le mauvais journalisme. Comment peut-on inviter à voir le monde avec une vision aussi clivée ? Pendant combien de temps, cette génération de directeurs va-t-elle continuer à plomber la jeunesse (et les autres !) avec une telle approche (il n'y a pas d'autre monde possible que celui que nous avons connu, avec les avantages dont nous avons bénéficié) ?

Incontournable « Visa pour l'image » ? Non, juste complémentaire des « Rencontres Photographiques d'Arles », de « l'été photographique de Lectoure » et de tant d'autres. Car le monde réel n'existe pas, seulement des représentations de celui-ci. À Perpignan, il est triste, ensanglanté, « terrible » comme nous l'entendons régulièrement dans les espaces dédiés au public.  Si vous écoutez les excellents journaux de France Culture et leurs reportages, si vous lisez « Courrier International » et « Le monde 2 »,  alors vous constaterez que Visa reprend les grands sujets, mais il ne crée pas l'actualité d'autant plus qu'il fait largement l'impasse sur la crise écologique, financière et boude le continent européen. L'espace dédié au Web-documentaire (l'un des supports les plus prometteurs) est si peu mis en valeur, que l'on doute du soutien du festival pour ces nouvelles formes d'expression.

Ce n'est donc pas tant l'information que l'on vient y chercher qu'une vision déformée d'un monde en chaos permanent.  Le mythe du reporter en temps de guerre peut répondre à ce désir de transcendance. Mais cette année, il semble ne plus faire recette (voir la série de Massimo Berruti sur le Pakistan qui n'hésite pas à faire l'apologie des thèses révisionnistes sur le 11 septembre). Même les reportages sur la misère sociale aux États-Unis (Brenda Ann Kenneally) ont un goût de déjà vu.  C'est une certaine vision du photojournalisme qui paraît désuète, peu en phase avec le nouveau paradigme de la communication qui réclame de la rencontre, du lien, de la résonance et non plus cette information descendante que le reporter consent à partager.  

Nous avons besoin d'une photographie qui assume sa subjectivité pour oser nous raconter des histoires et le public de « Visa pour l'image » ne s'y trompe pas. Walter Astrada avec « Madagascar ensanglantée » sait capter le drame qui se joue dans les rues d'Antanarivo et s’inclut dans le processus démocratique qui oppose le jeune maire de la capitale Andry Rajoelina au président en place Marc Ravalomanana.  La plus longue file d'attente est pour Callie Shell et sa série de photographies sur Barack Obama. Nous rêvons de ce Président-là parce que la photo sait faire partager une vision politique bien au-delà du continent américain. Quant à Eugène Richards, il réussi à transformer une salle d'exposition en lieu de commémoration pour les soldats américains et leurs familles broyées par la guerre en Irak. Le silence des spectateurs en dit long sur la force de ce travail, d'autant plus qu'Eugène Richards ose une « scénographie » que l'on voit rarement à « Visa pour l'image » qui se contente bien souvent d'aligner les photos les unes à côté des autres.

Viktor Drachev avec « Entre humour et gravité » réussi à faire de sa série de photographies sur les habitants du Bélarus, une galerie de personnages et de climats telle une pièce de théâtre en préparation ! Le public va et vient comme s'il écrivait son carnet de voyages. Jubilatoire. Quant à Ulla Lohmann, « la cité des cendres » nous plonge dans l'enfer de Rabaul, site ne Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui vit sous les éruptions permanentes du mont Tavurvur depuis 1994. Elle ne décrit pas, mais elle fait de ces cendres tombées du ciel, un décor de cinéma où le spectateur empathique prend le pas sur le voyeurisme de la catastrophe. Troublant.

Mais c'est peut-être Steve McCurry qui parvient le mieux à s'échapper du cadre restrictif posé par l'éditorial de Jean-François Leroy. Avec son « instant privilégié », il réconcilie la photo artistique et de reportage en se nourrissant des contextes (pêcheurs du Sri Lanka, cimetières de bateaux au Pakistan, ?) qu'il partage en faisant le pari que le ressenti du spectateur est en soi une information.

La sortie de crise du photojournalisme est à chercher vers ces photographes qui ont compris que le reportage devait s'ouvrir à de nouvelles formes d'expression. Car l'enjeu n'est pas tant de nous informer que de nous parler et nous toucher pour finalement nous «peopoliser» !

 

ps: à lire l’excellent article de Louis Mesplé sur Rue89.

Pascal Bély- www.festivalier.net

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LES EXPOSITIONS

“Visa pour l’image”: un hommage, de guerre lasse.

Le festival « Visa pour l'image » sait rendre les hommages quand il retrace la carrière d'un photojournaliste comme celle de Françoise Demulder, disparue en 2008.

Il s'agit d'un petit bout de femme déterminé et à l'?il juste. Trop juste pour pouvoir continuer ce début de carrière comme modèle dans la mode. « Fifi », comme la nommait Yasser Arafat, a placé le Proche Orient au centre de sa vie. Elle vivait les malheurs de tous, accompagnée de son appareil photo, s’abstenant de shooter en cascade.

À « Visa pour l'image », les photos de Françoise Demulder émeuvent par la force de l'inhumanité qu'elle savait immortaliser. Une femme apeurée négocie la survie de ses enfants avec un soldat armé.  Une autre, bras tendus, mains ouvertes, implore la miséricorde auprès de militaires au milieu d'un quartier en feu où règne le chaos, la peur, l'angoisse. Un enfant vietnamien, allongé sur un lit d'hôpital, symbolise la victime irréversible des conséquences d'une guerre. En quelques photos, Françoise Demulder démontre notre impuissance à réparer l'irréparable tant nous nous sommes perdus dans l'engrenage : la guerre de certains, détruisant à l'ultime les autres.

Les photos exposées ont trente ans. Le temps d'une génération. Elle nous laisse en héritage un cri : celui de continuer à lutter contre des horreurs de guerre restées jusqu’alors sans écho de paix.

Deux photographes semblent s'inscrire dans sa lignée sans pour autant nous offrir un pas de côté capable de faire évoluer le photoreportage de guerre.

Pascal Maître avec « Somalie, le pays abandonné de tous » démontre l'enchevêtrement des maux dont souffre ce pays qui finit par déshumaniser tout un peuple : guerres civiles, déchets toxiques et radioactifs largués par les Occidentaux, pirates des mers. L'inexistence fait la force des clichés : camps de réfugiés, une mère avec ses enfants en pleine décharge, un soldat au regard inhumain, la misère des hôpitaux pour soigner les brûlés.

Cependant, au c?ur de cet abandon, la vie prend les couleurs et nous offre une échappée à la lourdeur du reportage. Les Somaliens continuent de se battre contre le désengagement des pays riches. Pascal Maître, après ses six années de présence là-bas, espère: une bergère, aux portes du désert, nous tourne le dos, regarde vers l'horizon et garde son troupeau de chèvres. Tel un spectre vêtu d'un voile d'or, elle veille sur la vie.

À l'ouest de la Somalie, la République Démocratique du Congo. Dominic Nahr a photographié les horreurs de la guerre qui a opposé, et opposera encore, les tutsis, les militaires du gouvernement et les rebelles de la libération. Prises dans un chaos vertigineux, les populations ont fui, réduites à abandonner les corps sans vie de leur entourage, à se frayer un chemin entre les armées des rebelles et autres militaires. Dominic Nahr parvient à nous guider vers une voie sans issue.

Les photos d'enfants surgissant de fumées épaisses soulignent l'enfance volée tandis que les rebelles armés démontrent leur toute-puissance guerrière alors que celles de l'exode figent ce que nous avons l'habitude de voir dans les journaux télévisés.  Mais ici, pas question de faire du zapping. Ce reportage nous invite à apprendre à re-regarder, à re-comprendre, les flots d'images dont nous sommes inondées. La dernière photo, celle d'un enfant jouant avec un sac plastique sur la tête, nous étouffe de tant de violence, au nom du pouvoir, si peu soit-il.

Le photojournalisme nous propose un monde sans couleur, fade, avide de violence. À notre désir d'information répond  l'aveuglement à ce flot d'images qu'un sentiment de tristesse parvient parfois à stopper. Mais que retenir de ces deux visions de la Centrafrique ? Peut-on croire qu'il n'y a plus de joie, juste de l'abandon et plus d'avenir ? Même rare, pourquoi ne pas aussi photographier la créativité dont tout être humain est capable ?

Diane Fonsegrive ? Laurent Bourbousson ? www.festivalier.net

Visa pour l'image” à Perpignan. Jusqu'au 13 septembre 2009.