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EN COURS DE REFORMATAGE

Au KunstenFestivalDesArts, “plus belle la vie”.

À Bruxelles, le Festival des Arts bouscule, évite la provocation disqualifiante et ne cède à aucune tendance. En témoigne, la pièce de l’Américaine Young Jean Lee, « The Shipment », qui a pris par surprise bon nombre de spectateurs sans toutefois leur couper la parole. L’intention était de nous faire voir le monde autrement qu’en noir et blanc ; au final, nous quittons le théâtre, « déplacé », commotionné.

Ils sont cinq, quatre hommes, une femme. Tous noirs. Au cours d’une première partie (comme lors d’un concert, pour préparer le public), un comédien s’approche sur la scène dépouillée, tel un chauffeur de salle. Il vient fouiller notre « caca » de blanc, dépoussiérer notre vision de la négritude, démonter mot à mot notre position haute. L’homme n’a pas peur même si nous tremblons sur nos bases. Il faut coûte que coûte rééquilibrer la relation. L’énergie qu’il déploie pour aller nous chercher est impressionnante. Pour réduire la distance, il provoque le conflit afin de bousculer nos représentations. Sur ce terrain psychologique, il choisit l’attaque et l’humour pour nous aider à repérer ce qui se joue alors que nous continuons à voir le monde en blanc et noir. Avec d’autres acteurs, il démontre la mécanique implacable produite par cette vision clivante, alimentée de stéréotypes, qui transforme un rappeur nourrit d’intentions artistiques louables en dealer de drogue.

Loin de tomber dans la caricature, les acteurs jouent de ce clivage parce qu’ils s’y incluent. Preuve en est la chanson qu’ils interprètent tout en nous regardant : l’humain, dans toute sa complexité, reprend ses droits. Young Jean Lee réussit le tour de force : jouer de l’exclusion pour nous aider  à penser les stratégies d’inclusion.

La deuxième partie a pour décor, un appartement de la middle class. Ils sont tous là, en smoking et robe de gala, invités à une soirée d’anniversaire. Le jeu de rôles s’emballe très vite. Les rapports sociaux ne sont que manipulation, contrôlés à l’extrême. On joue de l’autre à défaut de se questionner. Une impressionnante mécanique de la domination se met en place où les représentations « normalisées » rigidifient l’interaction. Progressivement, le théâtre prend des allures de sitcom où le processus, sous contrôle, développe une vision « clivée » de la société, propice aux stéréotypes et où le racisme, l’autoritarisme n’ont plus qu’à s’immiscer tranquillement.

 

Soudain me revient une scène, interprétée par le couple Sarkozy, face à des « journalistes » de Femme Actuelle. Alors que Carla Sarkozy joue le stéréotype de la femme au foyer, son mari débarque à « l’improviste ». La sitcom est en marche. Le « politique » contrôle la scène, normalise à outrance, réduit la sphère publique à des considérations privées. Cette vidéo, loin d’être anodine, démontre comment un Président, en jouant sur ce registre « théâtral », développe le clivage, le stéréotype et à terme une vision uniformisée de la société française.

« The Shipment » est donc une pièce qu’il faut voir pour nous voir en scène.

Une ?uvre pour lâcher prise, pour déconstruire nos représentations, pour oser changer d’époque, celle où le métissage sera la relation créative.


Pascal Bély

www.festivalier.net.


La pièce sera jouée au Festival d’Automne à Paris du 4 au 8 novembre 2009.


« The Shipment » par la Young Jean Lee’s Theater Company a été joué du 18 au 21 mai 2009 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

 

Le KunstenFestivalDesArts sur le Tadorne:

Catastrophique KunstenFestivalDesArts.

Bruce Gladwin sidère au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Ma quête d'Europe au KunstenFestivaldesArts de Bruxelles.

Au KunstenFestivalDesArts, Federico León: no future.

Au KunstenFestivalDesArts, chercheurs-artistes: le Nouveau Monde.


Crédits photos:

© Academie Anderlecht – Tracy Richards.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Au KunstenFestivalDesArts, chercheurs-artistes: le Nouveau Monde.

Il y a des spectacles que l’on n’est pas prêt d’oublier. « Smatch » de Dominique Roodthooft est de ceux-là. Présenté au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, on se prend à rêver qu’elle trimbale sa machinerie et ses chercheurs-artistes aux quatre coins de l’hexagone. Car, il y a urgence. La France n’écoute que sa plainte; les corporatismes n’ont jamais été aussi puissants ; l’émiettement est devenu une stratégie pour bloquer les processus d’innovation. La recherche, stigmatisée par le pouvoir, se coupe progressivement de la société. Après avoir été le moteur de la modernisation du pays après la guerre, elle ne sait plus très bien quel rôle « politique » jouer dans un environnement mondialisé, au c?ur d’une crise systémique. De son côté, la Belge Dominique Roodthooft nous propose une articulation prometteuse entre artistes et chercheurs pour nous aider à ouvrir les possibles, à penser différemment le complexe autrement qu’en utilisant les modèles rationalistes usés de l’ère industrielle.

La première scène donne le ton. Trois comédiennes et un vidéaste-performeur se penchent sur une carte de la Belgique, projetée sur grand écran. La partie supérieure, coloriée de couleurs chaudes, est divisée entre les provinces flamandes, tandis que le côté inférieur (la Wallonie) est d’un bleu uniforme et imprécis. Est-ce la mer, un lac ? Avec les frontières, l’un d’eux s’amuse à dessiner un animal pour changer le regard. Rires dans la salle. En effet, le clivage a fini par s’imposer à tous (même aux auteurs de cette carte !) et nous empêche de voir la Belgique dans toute sa complexité. Dit autrement,  « si vous désespérez un singe, vous ferez exister un singe désespéré ».

Après avoir transformé la scène en espace bifrontal pour y installer un laboratoire, nos artistes-chercheurs vont pendant deux heures nous projeter des  interventions (la philosophe Vinciane Despret, un couple d’éleveurs de vaches, un informaticien, un juriste, un imitateur du cri du cochon) tout en prolongeant le propos sur leur minuscule scène artistique! Tous démontrent avec pédagogie et créativité, que la réalité n’existe pas : elle n’est qu’une construction. C’est le regard que nous portons sur les animaux qui les rendent bêtes. C’est notre vision de la dune comme mouvement submersible qui nous empêche d’imaginer qu’elle puisse faire de la musique. Elle finit même par nous conduire à construire des murs pour nous en protéger plutôt que de lui offrir des chemins de traverse ! C’est ainsi que l’expression « ce n’est pas possible » est elle aussi une construction, une paresse de la pensée qui nous interdit d’imaginer que le changement est une dynamique et pas uniquement une logique verticale descendante.

À mesure que « Smatch » avance, la jubilation augmente. Notre imaginaire est sans cesse stimulé (à l’image de ces ampoules qui pendent, transformées en aquarium, car l’électricité n’est pas là où l’on croit !) afin que le discours du chercheur trouve ses prolongements, ses résonances chez l’individu et le collectif. Le spectateur est inclut dans un changement de représentation parce qu’accompagné à se projeter dans l’articulation chercheur – artiste, métaphore d’un nouveau paradigme.  La scénographie donne à la pensée complexe le cadre qui lui manque tant dans nos sociétés : fini la spécialisation des savoirs, vive les savoirs qui relient, qui ouvrent les possibles, qui déploient la créativité !

Avec « Smatch », on s’autorise à inventer d’autres histoires que celles que l’on voudrait nous faire jouer ; on peut créer les nouveaux territoires qui nous permettent de voir ce que nos répétitions cartésiennes nous empêchent d’appréhender.

Avec « Smatch », on se prend à rêver qu’un ministère de la recherche et de la culture européen soit installé symboliquement sur la frontière. Pour la faire bouger.

Pascal Bély

www.festivalier .net


« Smatch » de Dominique Roodthooft a été joué du 17 au 23 mai 2009 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts.


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Ma quête d'Europe au KunstenFestivaldesArts de Bruxelles.

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Au KunstenFestivalDesArts, Federico León: no future.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Au KunstenFestivalDesArts, Federico León: no future.

Voilà une ?uvre qui provoquera de nombreux débats et agacements lors de sa programmation au prochain Festival d’Avignon. Le jeune cinéaste et metteur en scène argentin Federico León  présente au public patient du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, « Yo en el futuro ». Rarement, je ne me suis senti aussi vide à la sortie d’un théâtre comme si cette proposition se jouait en dehors de moi.

Trois enfants, trois adolescents et trois personnes âgées regardent un écran de cinéma, télécommande à l’appui. Ils se ressemblent étrangement et l’on imagine aisément qu’ils sont de la même famille, d’une tribu identique. Un film familial des années 50 tourné par le patriarche (lui-même projeté dans la famille des années 70) finit par être vu sur la scène du théâtre. C’est une mise en abîme sans fin, à l’image d’un miroir dans le miroir. Le cinéma s’invite donc au théâtre : pluridisciplinarité, transdisciplinarité ? La feuille de salle pose quelques questions passionnantes:

« Que se passe-t-il lorsque des jeunes d’aujourd’hui actent à l’identique, ce que leurs ancêtres ont acté avant eux » ; « Qu’est-ce qui change réellement et qu’est-ce qui se répète ? » ; « Qu’est-ce qui se transforme et qu’est-ce qui s’oublie ? ». Annoncé initialement pour une durée de 85 minutes, le spectacle ne dure que 45 minutes à l’image d’une ?uvre qui explose en vol. Aux interrogations prometteuses, Federico León ne répond pas (ou si peu). Empêtré dans cet enchevêtrement, il semble préoccupé pour donner du sens à sa mise en scène alors que le film (de toute beauté) transcende à lui seul les générations avec une force incroyable. Le théâtre finit donc par regarder le cinéma, mais ne s’y projette pas. Les corps sur scène se statufient, comme tétanisés en l’absence d’une direction d’acteurs à la hauteur des intentions de l’auteur.  Un chorégraphe aurait peut-être pu travailler la dynamique du changement et de la  transformation. Mais ici, le théâtre est un écran (de fumée) qui nous isole du film : symboliquement, nous aurions pu protester pour que le rideau se lève!

La scène est autre chose que le prolongement linéaire d’un plan de cinéma : elle donne à voir le « jeu », “l’implicite”  dont la transmission des codes culturels. Au lieu de cela, les acteurs passent leur temps dans les coulisses. Federico León ne sait plus quoi nous dire à partir de cet enchevêtrement, parce qu’il ne pose jamais un contexte aux différents cycles vitaux de la famille. Tout semble hors du temps en l’absence d’un propos qui traverserait les époques.

Federico León a fait un très beau film et a réussi à positionner de très attachants spectateurs sur scène. Quant au public, il m’est apparu exclu du théâtre, perdu dans cette articulation.

Que ferons , en 2029, de ce processus, la prochaîne génération de spectateurs  ?

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

“Yo en el futuro” de Federico Leon a été joué du 18 au 22 mai 2009 au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. A voir au Festival d’Avignon du 20 au 23 juillet 2009.

 

 Crédit photos: ®Wim Pannecoucke

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Bruce Gladwin sidère au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

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LES EXPOSITIONS

Admission free.

J’ai été récemment interrogée en visitant la  Whitechapel Gallery à Londres. La crise a eu pour effet positif de faire redécouvrir l’opportunité artistique de proximité, à peu de frais, en offrant aux visiteurs la gratuité de lieux d’expositions. Ainsi, l’âme peut flâner à plaisir devant des ?uvres, en des lieux, pour l’ambiance, pour être ensemble. Même si nous savons tous que ces lieux sont des lieux de grande sociabilité, en plaise à Bourdieu, la Culture de l’art reste un domaine à démocratiser. La représentation d’une ?uvre appartient à tous, mais sa connaissance en reste un langage savant. Là les institutions s’imposent : faire naître l’intérêt et la compréhension d’une ?uvre, jusqu’à tirer le novice dans la perversion du besoin de voir toujours plus loin.

Mes pas s’égarent dans la Whitechappel . Je ne suis pas saisie de ces potentielles offres, plutôt intéressée par d’étranges scènes. Mon regard, de ce qui m’était offert de voir, a glissé vers ceux venus voir. Des familles aux enfants intrigués, le solitaire ruminant sa rêverie devant sa contemplation, le pas éteint de celui qui se promène, et simplement celui qui regarde les autres pour comprendre. Jolie toile dans la toile ! Et si l’art était ce qui tirait la réflexion vers la résurrection d’une société en péril, en quête d’identification? Rappelons aimablement que Warhol a décrié l’acte absurde de consommer, au travers de toiles pop. Outre le fait d’extase devant une couleur criarde, à effet décoratif pour certains, vivons le propos peint. Nous sommes dans l’outrance d’un système de consommation invisible et perverse, qui a su habillement polluer l’essentiel de nos quotidiens. Traçons Basquiat. Nous ne pilotons plus nos propres désirs. On les décide pour nous jusqu’à nous faire taire ce que nous sommes.

L’art nous permettra-t-il de nous regarder au plus profond de nous-mêmes ? De nous sauver de cette crise sociale en attente de mutation ? Utopie ? J’ose y croire et  m’interroge encore.

Diane Fonsegrive

www.festivalier.net

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THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

France Inter – Bobée : David contre Goliath.

Vendredi 15 mai 2009, 8h50. France Inter. Edwy Plenel, le patron du site d’information Médiapart, est l’invité de la rédaction. Ses propos dénoncent le climat autoritaire qui règne sur la profession de journaliste (poids des actionnaires privés, l’intervention directe de Sarkozy sur la nomination des PDG des médias publics). L’homme est convainquant. Jean-Luc Hess, le tout nouveau PDG de Radio France, débarque dans le studio, « parce qu’il passait par là ». Ancien journaliste, il sait manier le micro et parler à l’oreille de l’auditeur. Il réagit aux allégations de Plenel et assure que les journalistes « pourront continuer à aboyer ». Je frémis. En prenant de façon autoritaire l’antenne, Hess communique à partir d’une injonction paradoxale : « vous êtes libre de parole mais ce matin, j’impose un cadre qui vous empêche de la prendre ». De quoi devenir fou. À mesure que le dialogue s’instaure, le discours des deux hommes se fond, s’annule comme s’ils s’entretuaient. À trop rester entre soi, on finit par s’entredévorer .  L’auditeur est alors seul. Avec talent, Sarkozy alimente le cannibalisme.

19h30. « Le téléphone sonne », émission animée par Pierre Weill, accueille Dominique Paillé de l’UMP, Marielle de Sarnez du Modem et Daniel Cohn-Bendit d’Europe Ecologie. Les deux derniers ont envie de nous parler d’Europe mais Pierre Weill réduit le propos et cherche l’anecdote. Le débat, autour du sens du projet européen, se perd dans le détail des frasques de la politique française. L’auditeur est seul. L’inspiré Pierre Weill, en phase avec le système médiatique dénoncé par Edwy Plenel, cannibalise le fond et la forme.

20h30. Théâtre de Châteauvallon, lieu majeur de la création avant l’arrivée du FN à Toulon en 1995, année de la faillite des valeurs. Début du cauchemar. Nous y sommes encore. Ce soir, le metteur en scène David Bobée propose “Cannibales”, sur un texte de Ronan Chéneau. Un groupe de jeunes spectateurs se manifeste bruyamment. Plus pour très longtemps. Alors qu’un couple de trentenaires se prépare à s’immoler, la tension dramatique monte dans la salle.

La pièce retrace le long processus qui les a guidés vers ce drame.  Cette « génération sacrifiée » devient l’héroïne et se fond dans le décor (mobilier Ikea, canapés, armoires transparentes à l’image d’une vitrine d’un grand magasin). Mais surtout, elle s’immisce dans notre histoire commune comme si le théâtre voulait relier ce que le pouvoir autoritaire en place clive. « Cannibales », en multipliant les références sociologiques, politiques, esthétiques, pose quelques repères au moment où nous en manquons cruellement. Comme un acte de résistance, la troupe s’empare de la scène, ingurgite les mots et les débite pour ne laisser aucune place aux doutes entre elle et nous. Comme s’il fallait nous parler coûte que coûte, nous écouter, sans nous neutraliser.

Comédiens, danseurs, acrobates tirent les fils, tendent les cordes, hissent les mats, dansent sur le lit, s’embrassent, s’engueulent pour quelques miettes abandonnées par terre. On fait des déclarations d’amour (il n’y a pas qu’internet et les SMS), on convoque le mythe (Spiderman) et la poésie en réponse à la perte des valeurs humaines, à la transformation du couple en unité de consommation. On y dénonce l’absence d’un discours de gauche proche des minorités et la faillite d’un système démocratique. Les acteurs parlent avec leurs corps, le sculptent avec leur imaginaire pour conquérir le nôtre. L’écoute est partout, aidée par une scène interactive, en trois dimensions, où le spectateur puise dans l’énergie de ses acteurs pour penser par lui-même.  Public et comédiens s’éloignent du rapport de force pour donner du sens à l’acte artistique, à l’image de ce couple pour qui le suicide reste le seul projet porteur de sens.

David Bobée est un scénographe hors pair qui évite soigneusement la culpabilisation individuelle et collective malgré le poids d’un héritage mortifère, celui de la révolution ratée de 1968. Il tente, comme beaucoup d’entre nous, d’inventer quelque chose de nouveau alors que la génération de 1968, toujours aux manettes du pouvoir médiatique et économique, créent les plafonds de verre qui empêche la jeunesse d’être autre chose qu’une force consommatrice.

Alors que la dernière scène nous « utopise », on se prend à rêver que la « France Inter » soit enfin le pays du rock ‘n’ roll.

Pascal Bély

www.festivalier.net

“Cannibales” de David Bobée par la Compagnie Rictus a été joué le 15 mai 2009 au Théâtre de Chateauvallon.

 

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LES EXPOSITIONS

Au musée de la vie romantique, sublime Marc Riboud.


Le Musée de la vie romantique à Paris est un lieu charmant, un brin désuet. Et c’est à pas calfeutrés pour ne pas réveiller le temps que l’on avance dans une ambiance proustienne où l’immuable paraît conserver teneur.

Il pleuvait ce jour  au fond de la cour. Là, 110 tirages photographiques originaux témoignent de presque un siècle d’existences, issues des scènes que Marc Riboud a su capter lors de ses nombreux voyages, jusqu’à l’émulsion autour de l’élection du Président Obama en 2008. D’abord curieux, votre ?il se plonge dans cet univers, puis le respect naît, car vous effleurez  le travail d’un grand ; le frisson par la justesse de la prise de vue. Comment être à ce moment précis derrière l’objectif, dans un angle propice par couchés, en variation de nuances, afin de saisir ces scènes de vie qui se racontent ?

On s’accroche aux années mentionnées, datant le cliché. Nous sommes invités dans l’image. On remarque le coin de la photographie un peu usé. On sublime le temps d’une respiration ;  nous sommes intemporels et ébahis. La proximité exacerbe notre sensibilité.  Et puis plus loin, ces lettres exposées sous vitre, comme un trésor, dévoilent un caractère en mots. On s’étonne de la signature. Henri Cartier Bresson. Ainsi  imagine-t-on Marc Riboud, pareil à ces ?uvres offertes que nous avons pu intimement contempler.

Diane Fonsegrive

www.festivalier.net


Exposition Marc Riboud au musée de la vie romantique – Paris – Du 3 mars au 26 juillet 2009.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Catastrophique KunstenFestivalDesArts.

Est-ce un hasard de la programmation ? À moins que cela ne soit calculé, prévu. Toujours est-il que les spectateurs du KunstenFestivalDesArts ont frôlé la catastrophe. À plus d’un titre.

Alors que la Belgique sort à peine d’une crise politique, voir une pièce co-mise en scène et jouée par deux collectifs, l’un francophone (« Transquinquennal ») et l’autre néerlandophone (« Tristero ») est risqué!

Proposer « Coalition », oeuvre sur la « catastrophe » tandis que menace la grippe porcine, est un télescopage pour le moins hasardeux. Si l’on ajoute à ce cocktail explosif, un sujet politique, sociétal, interprété avec humour, où les mots, les objets, les corps s’articulent dans un numéro d’équilibriste qui peut à tout moment sombrer dans le ridicule. Vous l’aurez compris, ces acteurs-là réussissent à créer un bel enchevêtrement où performance, théâtre, happening forment un tout jouissif.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=JRyT_B7tdXM&w=320&h=265]

Il y a d’abord cet écran vidéo où s’écrit la longue histoire de la catastrophe au théâtre (incendies, décès d’artistes sur scène, spectateurs morts de rire, prise d’otage). On en aurait presque oublié que l’art ne protège pas du malheur, mais l’inclut dans une dramaturgie qui fait envie. Et si la catastrophe nourrissait les formes artistiques ?

Il y a cet écran télé où un accident d’avion militaire soviétique, vu vingt ans après, prend des allures de farce (que dirons-nous du 11 septembre dans une décennie ?) comme si l’image du drame ne résistait pas au temps, à force de ne véhiculer que de l’émotion.

Il y a cette scène, où se joue un « ici et maintenant », espace possible d’une catastrophe imminente, dans ce théâtre bruxellois, au c?ur du festival. On y célèbre des scènes « dramatiques », burlesques, qui créent la complicité avec le public, où le corps protégé, cagoulé, enveloppé métaphorise nos sociétés précautionneuses qui oublient trop souvent de s’interroger sur le sens des désastres passés et à venir. La mise en scène génère la tension par la mise en résonance de ces trois tableaux, où le spectateur ressent tout à la fois de la peur, une jouissance morbide, mais aussi le potentiel créatif inclut dans toute catastrophe.

C’est ainsi que « Coalition » réussit à créer un climat « paradoxal» où l’imprédictible se fond dans le prévisible, où l’espérance d’un monde meilleur se nourrit du malheur provoqué par les dégâts du progrès. Si bien qu’à la sortie du théâtre, on s’étonne d’espérer qu’une catastrophe majeure puisse nous permettre (enfin) de trouver les remèdes à la crise économique, sociale et écologique.

Le KunstenFestivalDesArts n’est quand même pas allé jusqu’à nous faire tomber le ciel sur la tête.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

A écouter la chronique de Christian Jade de la RTBF.

 

“Coalition” par Tristero / Transquinquennal a été joué du 3 au 10 mai 2009 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

 

Le KunstenFestivalDesArts sur le Tadorne:

Bruce Gladwin sidère au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Ma quête d'Europe au KunstenFestivaldesArts de Bruxelles.

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Crédits photos:

photo 1:© Herman Sorgeloos

photo 2: © Academie Anderlecht – Nancy Geeroms

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EN COURS DE REFORMATAGE

Bruce Gladwin sidère au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Je quitte le théâtre sans voix. Même la pluie qui menace Bruxelles et la perte de notre chemin, ne parviennent pas à m’extirper de ce cauchemar, de cette réalité intrapsychique dans laquelle m’a propulsé le metteur en scène australien Bruce Gladwin.

« Food court » sera sans aucun doute l’un des événements culturels majeurs de l’année. C’est une chorégraphie (le corps est partout), incluant un concert de jazz (remarquable trio « The Necks », présent dans la fosse d’orchestre), englobés dans une ?uvre théâtrale incontestablement influencée dans sa mise en espace par Joël Pommerat et Roméo Castellucci. Le tout est exceptionnel avec des acteurs handicapés mentaux qui réussissent à jouer de leurs différences pour nous aider à transcender nos névroses individuelles et collectives. Passé le moment de sidération, « Food court » vous habite longtemps comme si  Bruce Gladwin s’était immiscé dans une faille traumatique de notre vie (celle où, handicapé, infirme, nous avons dû affronter la persécution qui rend mutique) pour la réveiller, la mettre à nu et l’inclure dans une perspective sociale et sociétale.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=VF4cN6PS6B8&w=560&h=340]

Ici, tout n’est que violence des mots entre deux femmes vêtues de strass et de paillettes, en tenues moulantes, héroïne de nos cauchemars, étoiles montantes des causes humanitaires télévisées, et une autre, silencieuse, accablée.  Les insultes fusent (« Tu es laide », « tu pues », « tu es grosse »), la musique fait trembler les mots et un rideau transparent finit par amplifier la violence, nous positionnant complice et voyeur.  

Ici, on se croirait dans un mauvais film dont nous sommes spectateurs  passifs avant  d’être propulsés au coeur d’un cauchemar collectif : que vaut le corps différent dans une société du divertissement qui nivelle les valeurs vers le plus petit dénominateur commun? Que deviennent nos handicaps, nos fractures, nos singularités dans nos sociétés où le corps parfait tout puissant s’acoquine avec le langage publicitaire et médiatique pour défigurer les rapports sociaux? Que valent nos silences quand on n’a plus les mots pour dire ? Que faire pour tous ceux que nos sociétés globalisées et uniformisées laissent à côté en leur coupant la parole?

Ici, le spectateur assiste impuissant à un combat acharné : entre la toute-puissante société du divertissement, symbolisée par ces deux femmes, qui écrase la différence pour réduire la diversité et l’individu dont il ne resterait plus que le corps dénudé pour puiser dans ses forces créatives.  

Ici, à mesure que le jazz se fait plus chaos, que la mise en scène trouble nos perceptions pour y inclure la danse, la poésie, le spectateur retrouve sa parole et voit les mots s’envoler vers son imaginaire.

Ici, nous avons eu peur ; on a failli partir, pleurer, sombrer. C’était dur d’entendre de tels mots sur scène, par eux. Mais il fallait en passer par cette violence, pour extirper ce que nous ne voulons plus admettre à force de réduire l’art à un divertissement complaisant : l’art fait mal et se nourrit du laid pour être beau.

Ici, avec eux, nous sommes allés loin, très loin, pour être à ce point paralysés sur nos fauteuils. Comme si la violence sur scène était le miroir de ce que nous refusons d’accepter : nos  mots réducteurs, nos slogans faciles, nos modèles relationnels guerriers, nos laideurs, sont aussi des armes de séduction massives.

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

“Food court” par le Back to Back Théâtre, mise en scène par Bruce Gladwin a été joué du 2 au 5 mai au KVS-BOL de Bruxelles dans le cadre du KunstenFestivalDesArts.

 

Pour retrouver le KunstenFestival sur le Tadorne:

Ma quête d'Europe au KunstenFestivaldesArts de Bruxelles.

Catastrophique KunstenFestivalDesArts.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Ma quête d’Europe au KunstenFestivaldesArts de Bruxelles.

Ils vont nous aider à penser un autre projet de développement pour promouvoir de nouvelles valeurs. Il est temps. Nous avons quasiment épuisé celles des « trente glorieuses » et nous tournons en rond à vouloir défendre un modèle qui ne crée plus l’énergie de la communication. Les festivals sont donc là pour nous distancier et mettre en sourdine notre toute-puissance. Celui de Bruxelles (le bien nommé KunstenFestivalDesArts) a la bonne idée d’ouvrir la voie du questionnement.

Il est 11h. Nous débutons avec l’architecte et plasticien Filip Berte. Il rêve d’une autre Europe, incarnée dans un lieu, au c?ur du quartier européen de Bruxelles. Il rêve d’une « Maison d’Eutopia ». À la Centrale Électrique, il nous présente la maquette d’un des étages du futur bâtiment. On y entre serein ; on en sort perturbé, agacé parce qu’il remet en question l’utopie d’une Europe en paix. Avec Filip Berte, elle n’est qu’un camp retranché, concentrationnaire,  pour classes moyennes protégeant leur maison individuelle et leur quatre-quatre. Assiégée par les réfugiés, l’Europe développe tout un arsenal policier. Tout n’est que gyrophares, terrain noir miné, papiers d’identité exigés. La maquette remplit donc sa fonction : elle réduit pour percuter. Mais génère-t-elle pour autant du sens ? N’enferme-t-on pas le spectateur dans un paradoxe (penser le « complexe » par la réduction)  afin de lui prendre le pouvoir? On aurait pu attendre de Filip Berte une ouverture, un propos transcendant. Même  la projection d’un film avec pour décor sa maquette, se perd dans un scénario catastrophe. On ne peut décidément pas penser le futur en réduisant le présent.

21h. De la maquette, nous voilà propulsés sur la place du Jeu de Balle de Bruxelles, lieu du rendez-vous du metteur en scène Catalan Roger Bernat, pour « Domini Public ». Munis d’un casque audio, les spectateurs répondent aux questions posées afin de se positionner à droite, au centre ou à gauche de la place. Tel un casting, on nous interroge quasiment sur tout : amour, amitié, pratiques de consommation, souvenirs d’enfance, rites sociaux. Les spectateurs passent d’un camp à l’autre tandis que la musique de Mozart sert d’entracte, mais aussi de mise en perspective.

On se croise (tout le temps), on danse (un peu), on rit (beaucoup) et l’on s’étonne de nos réponses (surtout lorsqu’on nous interpelle sur nos mensonges supposés). Nos mouvements sur la place nous relient, à l’image des communautés d’égos qui tissent la toile d’internet. La communication passe, facilitée par l’utilisation d’un langage métaphorique suggéré par Roger Bernat.

Petit à petit, le spect’acteur émerge et l’on nous invite à jouer un jeu de rôles où se côtoient policiers, réfugiés, personnel de la Croix Rouge. Ainsi, nos valeurs individualistes préparent ce scénario catastrophe, où chacun se protège et se défend pendant que les réfugiés politiques, économiques et « climatiques » affluent. L’Europe de Filip Berte serait-elle de nouveau en jeu ici ? Détail troublant : alors que nous rejoignons un espace derrière un bâtiment, nous sommes réunis autour d’une maquette éclairée, symbole de la place que nous avons quittée. Les questions continuent de fuser alors qu’un film, projeté sur grand écran, met en scène les figurines de la maquette (donc nous-mêmes). Nous revoilà donc spectateurs, à distance, casques sur la tête, mitraillés de questions pour nous réveiller sur la société que nous construisons.

Roger Bernat réussit à nous mouvoir dans l’espace public en semant la  confusion, en provoquant l’introspection par la recherche de nos valeurs fondatrices, en ouvrant notre horizon bouché par l’art du questionnement pour « nous prendre la tête ». En nous remettant au centre, Roger Bernat guide le spectateur à co-construire l’espace public dans l’espace du politique, lui-même relié aux valeurs éducatives de chacun. Comme si nous devions reconstruire notre maison commune, après toutes ces années où le « je » a primé sur le « nous ». Avec l’artiste comme éclaireur. Eutopia ?

22h30. À peine avons-nous quitté la place, qu’une esplanade nous attend. Accolé au Brigittines, structure culturelle bruxelloise et centre du Festival, un immeuble de 11 étages, construit dans les années soixante, proche de la voie de chemin de fer, devient objet d’art par la grâce de l’artiste italienne Anna Rispoli. Il y a foule pour voir se transformer cet édifice en ?uvre d’art contemporain, avec la complicité de ses habitants qui actionnent les interrupteurs de leur appartement. Il est 22h30 et pendant dix minutes, l’immeuble est un écran de cinéma, parsemé d’ombres chinoises, où le rouge et le noir émaillent la toile du peintre tandis que le vert et le bleu éclairent les corps pour le chorégraphe. On applaudit comme lors d’un feu d’artifice.

Elle est donc là, notre maison d’Eutopia, notre envie collective d’un nouveau modèle social.

C’est ici que la maquette nous modélise.

C’est au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles et nulle part ailleurs.

Pascal Bély

www.festivalier.net


Pour retrouver le KunstenFestival 09 sur le Tadorne:

Bruce Gladwin sidère au KunstenFestivalDesArts de Bruxel
les.

Catastrophique KunstenFestivalDesArts.

Au KunstenFestivalDesArts, Federico León: no future.

Au KunstenFestivalDesArts, chercheurs-artistes: le Nouveau Monde.

Au KunstenFestivalDesArts, “plus belle la vie”.

 

 

A lire aussi sur le Tadorne, le Festival des Arts en 2008, 2007 et 2006.

 

Crédit photos:

© Academie Anderlecht – Elke Verheyen