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EN COURS DE REFORMATAGE

Au KunstenFestivalDesArts, chercheurs-artistes: le Nouveau Monde.

Il y a des spectacles que l’on n’est pas prêt d’oublier. « Smatch » de Dominique Roodthooft est de ceux-là. Présenté au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, on se prend à rêver qu’elle trimbale sa machinerie et ses chercheurs-artistes aux quatre coins de l’hexagone. Car, il y a urgence. La France n’écoute que sa plainte; les corporatismes n’ont jamais été aussi puissants ; l’émiettement est devenu une stratégie pour bloquer les processus d’innovation. La recherche, stigmatisée par le pouvoir, se coupe progressivement de la société. Après avoir été le moteur de la modernisation du pays après la guerre, elle ne sait plus très bien quel rôle « politique » jouer dans un environnement mondialisé, au c?ur d’une crise systémique. De son côté, la Belge Dominique Roodthooft nous propose une articulation prometteuse entre artistes et chercheurs pour nous aider à ouvrir les possibles, à penser différemment le complexe autrement qu’en utilisant les modèles rationalistes usés de l’ère industrielle.

La première scène donne le ton. Trois comédiennes et un vidéaste-performeur se penchent sur une carte de la Belgique, projetée sur grand écran. La partie supérieure, coloriée de couleurs chaudes, est divisée entre les provinces flamandes, tandis que le côté inférieur (la Wallonie) est d’un bleu uniforme et imprécis. Est-ce la mer, un lac ? Avec les frontières, l’un d’eux s’amuse à dessiner un animal pour changer le regard. Rires dans la salle. En effet, le clivage a fini par s’imposer à tous (même aux auteurs de cette carte !) et nous empêche de voir la Belgique dans toute sa complexité. Dit autrement,  « si vous désespérez un singe, vous ferez exister un singe désespéré ».

Après avoir transformé la scène en espace bifrontal pour y installer un laboratoire, nos artistes-chercheurs vont pendant deux heures nous projeter des  interventions (la philosophe Vinciane Despret, un couple d’éleveurs de vaches, un informaticien, un juriste, un imitateur du cri du cochon) tout en prolongeant le propos sur leur minuscule scène artistique! Tous démontrent avec pédagogie et créativité, que la réalité n’existe pas : elle n’est qu’une construction. C’est le regard que nous portons sur les animaux qui les rendent bêtes. C’est notre vision de la dune comme mouvement submersible qui nous empêche d’imaginer qu’elle puisse faire de la musique. Elle finit même par nous conduire à construire des murs pour nous en protéger plutôt que de lui offrir des chemins de traverse ! C’est ainsi que l’expression « ce n’est pas possible » est elle aussi une construction, une paresse de la pensée qui nous interdit d’imaginer que le changement est une dynamique et pas uniquement une logique verticale descendante.

À mesure que « Smatch » avance, la jubilation augmente. Notre imaginaire est sans cesse stimulé (à l’image de ces ampoules qui pendent, transformées en aquarium, car l’électricité n’est pas là où l’on croit !) afin que le discours du chercheur trouve ses prolongements, ses résonances chez l’individu et le collectif. Le spectateur est inclut dans un changement de représentation parce qu’accompagné à se projeter dans l’articulation chercheur – artiste, métaphore d’un nouveau paradigme.  La scénographie donne à la pensée complexe le cadre qui lui manque tant dans nos sociétés : fini la spécialisation des savoirs, vive les savoirs qui relient, qui ouvrent les possibles, qui déploient la créativité !

Avec « Smatch », on s’autorise à inventer d’autres histoires que celles que l’on voudrait nous faire jouer ; on peut créer les nouveaux territoires qui nous permettent de voir ce que nos répétitions cartésiennes nous empêchent d’appréhender.

Avec « Smatch », on se prend à rêver qu’un ministère de la recherche et de la culture européen soit installé symboliquement sur la frontière. Pour la faire bouger.

Pascal Bély

www.festivalier .net


« Smatch » de Dominique Roodthooft a été joué du 17 au 23 mai 2009 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts.


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