L'arrivée de Frédéric Flamand à Marseille à la suite de Marie ? Claude Pietragalla était une ouverture intéressante pour que je m'intéresse à ce chorégraphe. À l'automne dernier, j'ai subi « La Cité Radieuse » dans un contexte défavorable pour porter un regard distancié sur la ville de Marseille (grève dans les transports).
 
La présence de Flamand au Festival de Marseille pour « Métapolis II » est donc une occasion de l'approcher avec de meilleures intentions. Peine perdue. Je n'aime pas cette danse-là. Elle ne m'apporte strictement rien. La forme pourrait évoquer de la danse contemporaine. Mais c'est un trompe l'?il. Le fond est classique, conventionnel : c'est un enchaînement de regards sur la ville qui s'empilent les uns sur les autres, sans lien, sans message global. Où nous emmène-t-il dans cette ville qu'il imagine ? Le sait-il lui-même ? Les rapports humains sont réduits à leur plus simple expression, à l'image des mouvements du corps qui empruntent toujours les mêmes codes. Leur espace est d'autant plus limité que le groupe étouffe toute créativité. Les trois ponts qui circulent sur scène limitent la fonction des danseurs à des machinistes. C'est caricatural et sans réflexion globale. Les danseurs sont finalement des faire-valoir et leur corps font radicalement écran entre la vision de la ville de demain et nous. Les applaudissements sont polis, car nous sommes entre gens de bonne compagnie. Je ne suis pas rassuré: Marseille pourrait ressembler à ce « Métapolis II », ville clivée par excellence et sans âme. Le Festival de Marseille a de beaux jours devant lui, à moins que? 
 Crédit photo: © Pipitone
 
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Tout commence par une attente de dix minutes que le public semble ne pas supporter. Un magnifique jeu de lumières baigne la scène agrémentée d’un bruit d’une forte pluie tombant sur un toit. Cette alchimie m’évoque le repli sur soi, le travail intérieur, la découverte de nouveaux sens. Là où certains spectateurs manifestent leur angoisse du vide, je ressens la présence de l’artiste dans ce chaos. Progressivement, une silhouette se dessine à travers la vidéo. Je ne vois pas bien s’il s’agit d’un homme ou d’une femme. L’ambiguïté est jubilatoire. Puis, par une étrange transformation, là voilà, humaine, qui arrive lentement sur la scène en hochant la tête. Sa venue rassure le public. Elle est suivie par deux danseuses, habillées à l’identique, dansant les mêmes mouvements. On croirait deux clones. C’est alors que le trio se met en place pour danser une valse où les gestes se répètent (rondeur, révolte, cassure). Ce langage du renouveau, du « refaire surface » est pauvre, presque anesthésiant. L’ennui me gagne. Cela ne m’évoque plus rien. À qui s’adresse-t-elle ? D’une posture de repli, Nacera Belaza nous offre une ouverture à partir d’un langage fermé. C’est comme si elle voulait expliquer la psychologie avec la musique des chiffres ! Je ressens progressivement un malaise…je ne me sens pas à ma place, comme un voyeur.
Au studio des Ursulines, Rita Quaglia et Lluis Ayet sont sur scène pour évoquer leur voyage à Jérusalem en compagnie d’un photographe. Comment faire part de ce voyage en articulant la danse et la photographie et faire ainsi ressentir toute la complexité de cette ville ? Comment relier  le langage du corps avec celui des images ? Ce joli défi esthétique est en parti réussi. La scénographie est de toute beauté lorsque les deux danseurs bougent des panneaux où sont projetés des éclats de photo. Cette mise en espace nous immerge dans une ville fragmentée, où les communautés se cloisonnent et n’arrivent plus à communiquer. La bande-son facilite l’immersion. Je ressens le talent d’Annie Tolleter, scénographe, déjà remarquée dans 

Wolfgang Amadeus Mozart et Emanuel Gat ont donné rendez-vous au public du Festival de Marseille pour « K 626 ». Celui-ci, comme tout spectacle, s'inscrit dans un contexte : le match de football France ? Espagne en huitième de finale, un public composé au quart de salariés invités par leur entreprise à se cultiver un peu entre deux brainstormings sur l'évolution du marché des chemises bioniques. Si le premier perturbe un magnifique solo par ses hurlements déchaînés, le deuxième n'hésite pas à regarder le match sur son portable et à applaudir mollement pour ne pas déplaire au chef. 
Pourtant, « K 626 » fera date dans l'histoire de la danse tant cette chorégraphie ne ressemble à aucune autre. Elles sont dix, venues d'Israël, habillées comme des petits soldats à qui l’on demande trop tôt de faire la guerre. Leurs petits pas, leurs bras, leurs doigts donnent à ce requiem imposant, sa part d'intimité. Avec elles, l'infiniment petit devient grandiose. Loin d'être à l'unisson, elles peuvent jouer leurs différences, mais font référence au groupe, quoiqu'il en coûte. Elles ne sont jamais seules. Il faut les voir faire ces haies d'honneur pour se relier entre elles, pour ne pas se perdre. Le groupe porte des valeurs que nous ne connaissons pas ici : elles peuvent danser l'hésitation ; rien n'est certitude, tout est créativité même dans la précarité. Cette chorégraphie est alors un refuge où l'on se serre pour se protéger, à l'image de cette mouette effrayée par les clameurs de la ville qui vient chercher la sécurité parmi nous? Leur corps évoque toutes ces valeurs : nous sommes à l'opposé de l'esthétique européenne où l'apparence fait parfois illusion. Ici les corps parlent d'Israël : loin d'être seulement modelés par l'effort physique, ils portent en eux la peur et le désir infaillible de danser alors que le terrorisme menace. J'ai la douce sensation qu'Emanuel Gat a chorégraphié leur histoire comme un peintre le ferait avec son modèle préféré. Rare.
J'ai fait un voyage. Dans le site merveilleux de Châteauvallon, trois musiciens, un chanteur pakistanais, deux sculptures de silicone sont au sol. Ils sont deux chorégraphes pour danser « Zero Degrees » : l'un est indien, Akram Khan, l'autre est l'enfant prodige belge des Ballets C. de la B., Sidi Larbi Cherkaoui. Avec eux  commence le voyage du Bengladesh vers l'Inde. Tout à la fois semblables et différents, ils dansent leurs mimétismes, leur conflit, leur réconciliation. C'est un voyage dansé comme un conte. Nous sommes alors des enfants capables d'observer leurs péripéties et la complexité des relations entre deux hommes qu'a priori tout oppose. Ce conte débute par une histoire de passeport à l'aéroport, racontée simultanément à deux voix. La musique des mots m'emporte et la danse de leur bras métamorphose nos deux voyageurs en oiseau de paix. Je m'envole avec eux parce que cela fait bien longtemps que je ne suis pas redevenu un enfant. Par enchantement, les corps se transforment en lampe d'Aladin, jusqu'à me faire tourner la tête, étourdi par tant de beauté.
Sidi l'européen nous fait un numéro de magie à même le sol : je ne le reconnais plus, tout à la fois oiseau, clown, chat. J'ai envie d'applaudir, d'en redemander. Mais j'ai peur : dans le train qui les emmène je ne sais où, un homme va mourir et sa femme ne peut l'aider. Ils hésitent à faire quoique ce soit, de peur d'être accusé par la police de l'avoir tué. Pris dans le paradoxe, mes deux anges dévoilent leur part d'ombre. Tout était trop beau, mais rien n'est perdu. Il est toujours possible de faire avec, même si c'est lourd à porter, à supporter. Le lien est là, il se construit avec ces parts d'ombre. Le voyage ne se fait plus à deux, mais à quatre. Chacun tire son double comme l'on tirerait la couverture à soi. On compte l'un sur l'autre pour s'alléger, pour danser de nouveau à deux, loin de ses lourdeurs culturelles et éducatives. Ils ne peuvent plus rien faire l'un sans l'autre. Le public d'enfants attend d'eux qu'ils continuent le voyage: cette danse est tellement sublime même avec deux mannequins blancs qui portent le noir. Petit à petit, les corps se figent, l'un est au sol, l'autre debout. Il faut porter, tirer, pour continuer le voyage. Il vaut mieux laisser les parts d'ombre ici pour poursuivre. Les enfants silencieux dans les gradins en feront quelque chose. Sidi et Akram disparaissent au fond ; enfant, je les accompagne. Adulte, j'ovationne pour relier « Zero Degrees » à mon corps, à mon devenir.