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EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, Anatoli Vassiliev fait de l’art brute.

Après « Mozart et Salieri », spectacle ringard proposé par Anatoli Vassiliev à la Carrière Boulbon, je persiste pour assister à « Iliade Chant XXIII » dans ce lieu magique. C'est le récit de la vengeance d'Achille contre les Troyens, après la mort de son ami Patrocle. Le Roi Hector, assassiné, sera l'objet de cette vengeance. A l'issue de ces deux heures quarante, je me questionne toujours : comment définir ce théâtre ? Pourquoi ce metteur en scène me tient-il tant à distance? Tout est verticalisé, brutal, et cela fascine certains spectateurs qui sont radicalement en transe face à ce ch?ur de vingt-trois chanteurs. Moi pas. Ils m'ennuient dans leus déplacements et leurs chants m'évoquent une chorale d'enfants de coeur. Les quinze  acteurs parlent toujours avec le même phrasé (style «Comédie Française » et « je vous engueule en même temps ») : cela me glace le sang tant c'est brutal, guerrier, sans nuance comme si Vassiliev faisait fi de la complexité psychologique des personnages. Progressivement, ces acteurs me font peur ; ils ne me regardent jamais : le public existe-t-il ? C'est une relation à sens unique. Nous sommes très loin de la préoccupation des artistes actuels qui s'interrogent sur l'interaction entre l'art théâtral et le public. J'ai l'étrange sensation de régresser, d'être dépendant de cette mise en scène. Comme si Vassiliev ne me laissait aucun espace si ce n'est le sien.
Quant à la danse, elle illustre les propos alors que ce n'est pas sa fonction ! « Iliade Chant XXIII » va donc chercher chez le spectateur sa fascination pour le symbole (les poupées jetées à terre font leur effet, les oiseaux de mauvaise augure transcendent,?), pour le culte du chef et sa recherche d'un au-delà. Anatoli Vassiliev est alors leur gourou. Un tiers du public préfère quitter les gradins ; l'autre s'endormir. Et puis, quelques irréductibles veulent comprendre. Ils attendent le moment où tout pourrait basculer, mais rien ne vient. Ils préfèrent se moquer de ce théâtre prétentieux.
« 
Iliade Chant XXIII » vaut-il un article sur ce blog ? Vassiliev réussit-il à me rendre incompétent pour écrire  sur son théâtre?
Brutal comme questions…

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Le  bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!

Par thématiques, les articles du Festival d’Avignon:
“Les sublimes”
“Le théâtre des maux”
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“Les mondes enfermants”
“Les hors-jeu”

Le palmarés du Tadorne du Festival d’Avignon:

“VSPRS”
d’Alain Platel.
“Paso Doble” de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
“Combat de nègre et de chiens” de Koltès par Arthur Nauzyciel.
“Au monde” de Joël Pommerat.
“Human” de Christophe Huysman.
“Rouge décanté” de Guy Cassiers.

“Faut qu’on parle!” d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, “Sizwe Banzi est mort” de Peter Brook, “Récits de juin” de Pippo Delbono et “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois.

“La tour de la défense” et “Les poulets n’ont pas de chaises” de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
“Les marchands” de Joël Pommerat.

“Chaise”, “Si ce n’est toi” et “Le numéro d’équilibre” d’Edward Bond.
“Les barbares” d’Eric Lacascade.
“Pluie d’été à Hiroschima” d’Eric Vigner.

“Asobu” de Josef Nadj.
“Mnemopark” de Stefan Kaegi.
“La poursuite du vent” par Jan Lauwers.
“Battuta” de Bartabas.
“Mondes, Monde” de Frank Micheletti.
“Journal d’inquiétude” de Thierry Baë.
“Depuis hier. 4 habitants” de Michel Laubu.

“La course au désastre” de Christophe Huysman.
“Gens de Séoul” de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
“Sans retour”
de François Verret
“Mozart et Salieri”
et “Iliade Chant XXIII” par Anatoli Vassiliev.
“Ecrits de Jean Vilar” par Olivier Py.

“Le bazar du Homard”
par Jan Lauwers.

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LECTURE

Au Festival d’’Avignon, la belle leçon de vie de Pippo Delbono.

Depuis 2002, Pipo Delbono, acteur, auteur, metteur en scène italien est un habitué du Festival d’Avignon. Cette année-là, il présentait trois oeuvres de son répertoire («Guerra», «Il Silenzio» et «La Rabbia»). Je me souviens avoir été profondément bouleversé. En 2004, «Urlo » à la Carrière de Boulbon avait déçu. En 2006, « Le temps des assassins » joué au Théâtre des Salins de Martigues m’a confirmé dans mon intuition : le théâtre de Pipo Delbono fait partie de ma vie, sans que je sache vraiment pourquoi.
«Récits de juin» est présenté cet été dans la cour magnifique du Musée Calvet. C’est un rendez-vous incontournable. Je ne suis manifestement pas le seul tant le lien entre Pippo Delbono et les festivaliers semble fort. Il était tant de nous retrouver, car le temps passe vite. Celui de Pippo est peut-être compté…
Il y a une table, un micro, une bouteille de bière et d’eau. Il commence sa « conférence-spectacle » par une confidence : «Il y trois mots à ne pas répéter en dehors de cette enceinte…à ma mère». L’intimité est créée. Pippo peut débuter, même si son français est parfois aléatoire. Qu’importe. Je ne l’écoute pas ; je le ressens. Et cela fait quatre ans que cela dure. Je suis heureux de le revoir et je m’aperçois à quel point je tiens à lui. Il nous raconte sa vie, de l’enfant de choeur troublé par le curé à sa rencontre avec Bobo, sourd-muet, microcéphale, interné dans un hôpital psychiatrique pendant plus de quarante-cinq ans et qui deviendra son acteur fétiche. Entre confidences parlées et extraits de «La Rabbia» ou «Du temps des Assasins», Pippo Delbono tisse peu à peu la trame de son oeuvre, la particularité de son théâtre : celle d’une écriture du ressenti, du geste simple (souffler dans une bouteille de bière pour retrouver le souffle de vie), de la danse qui transcende la douleur pour aller chercher le sens. Il se dégage de la vie de Pippo Delbono une profonde humanité. Ses mots, son écriture touchent ceux pour qui, vivre, est un défi quotidien. Sa vie prend sens dans le lien avec l’autre “différent”. Grâce à ses «Récits de juin», j’ai compris la finalité de son oeuvre et le lien que j’ai avec lui. J’ai ressenti que je l’aimais. C’est aussi simple que cela. Encore fallait-il y mettre des mots. Mais promis, je ne dirais pas à sa mère les trois mots qu’elle ne peut entendre. Nous l’avons compris, Pippo Delbono avait besoin de nous les dire, de poser ces trois mots sur la table pour en écrire d’autres. Avec nous, pour nous.
J’en suis convaincu: il s’en sortira car son théâtre vit avec nous. Ses « Récits de Juin » sont aussi nos « Récits d’Avignon ».
A bientôt, Pippo.
Pascal Bély. Le Tadorne