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Au Festival d’Avignon, les réactionnaires ont le gourdin et sortent du bois?

«Promenons-nous dans les bois, pendant que le  le loup n’y est pas»…et bien non, ce n’est pas le loup, c’est Tonton…et  vous savez quoi ? Tonton, il a le gourdin et Tata est une Lutin. Bienvenue dans «Oncle gourdin»  de Sophie Perez et Xavier Boussiron…

Chaque édition du Festival In a son objet fétiche, son truc, son appareil scénique, et souvent une attitude commune à tous les spectacles…Une année, ce fut des ballons gonflables, puis des filets de maille suspendus, des échafaudages,  les fumées sur les plateaux, le sang à toutes les sauces, beaucoup de bruit pour rien, des bruits de chemin de fer. Une autre fois, ils étaient tous nus…

En 2011, après quelques représentations, le faux prend sa revanche sur le vrai…La taxidermie est partout, les scènes sont envahies par des peluches,  des animaux de compagnie . Le furet est là en guise de spectre, le chien sert de défouloir, et le chat que l’on force à danser… Avec le thème dominant de l’enfance,  la régression irradie bien des spectacles : c’est le “nin- nin”, le doudou, la poupée, la  fourrure qui prennent le dessus…Tout ce que l’on touche doit être doux, ce que l’on caresse doit apaiser, ce  que l’on cajole doit rassurer.

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Ce soir dans «Oncle Gourdin», on caresse, mais on scie aussi. On découpe en tranches son animal préféré, on sort du bois, on se couche, on se touche, on s’exhibe, on prend une carotte en guise d’outil masturbatoire, on s’assoie sur un sexe avec des pattes d’araignée….

Toute cette folie forestière sert d’artifice pour dire que nous sommes tous des Lutins fous et lubriques, qu’on joue tout le temps comme si on était en représentation…..jusqu’à se prendre pour Pina Bausch, pour Jeanne Moreau en E.T qui appellerait désespérément le fantôme de Jean Vilar.

Allez, allons-y, n’ayons pas peur, on se fout gentiment de la gueule de tout le monde. En avant la Déraison, en avant l’Autodérision. C est  parfois désopilant même si au bout d’un moment on commence à se lasser.  N’est pas Pina Bausch qui veut ! Contrairement à  Vincent Macaigne (qui fout autant de bordel sur scène que nos lutins lubriques), l’histoire s’éparpille, et ce bric-à-brac (dans le sens noble du terme) ne devient qu’une suite de gags et de sketches sans cohésion. Juxtaposition et non Intégration. À regret.

On reste souvent au bord du lit même si les Lutins veulent “être in bed with Paul  Claudel” ! On regrette une vraie Yolande Moreau et ses vrais Deschiens sachant que, comme ils disent, “Jean Vilar ne nous laissera jamais tranquille” et que l’on est inquiet quant à «la venue d’Olivier Py» à la tête de la direction du Festival d’Avignon en 2014.

On est loin de l’univers de Philippe Quesne et de sa “Mélancolie des Dragons présentée en 2009. On aimerait bien que le chorégraphe Dave St-Pierre nous revienne aussi avec sa bande d’illuminés….eux qui nous avaient tant attendris en 2009 avec «Un peu de tendresse, bordel de merde!».Comment ne pas évoquer Olivier Dubois et son “Après Midi d’un Faune” présent à Avignon en 2008 : c’est la même forêt qu’en 2011 mais on regrette les fondements, qui en sont absents…..

En passant,  les comédiens d’Oncle Gourdain nous disent qu’ils ne sont pas danseurs, qu’ils ne sont que  des performeurs… c’est peut-être vrai, c’est ironique, mais on les appellera toujours “Pudelague et Kaunasse”…de drôles de Lutins perdus, superbes, magnifiques et attendrissants.

C’est un bon moment passé avec eux, les FousFous, mais on reste quand même, caché derrière un arbre, un peu insatisfait, et va savoir… on se demande pourquoi on reste sur sa FIN…La Dérision ne masque-t-elle pas un  désespoir caché ?…Allez savoir…

Francis Braun.

Mon désespoir, c’est la répétition d’un tel propos: faute de pouvoir penser le théâtre comme  un geste artistique et politique permettant de renouveler la pensée, des artistes tapent.  Même sur le Festival d’Avignon (en évitant soigneusement de s’en prendre à la direction actuelle…). On tape sur le système tout en profitant de ses largesses. Cette génération de metteurs en scène (ils ont entre trente et quarante ans)  est enfermée dans une vision romantique : ils croient à l’immensité de leur talent, mais ils pensent que le monde actuel leur est hostile. Alors, ils tapent…Et nous rions…sauf que derrière ces lutins, se cache une bande de réactionnaires, ceux-là mêmes qui nous pourrissent la  vie en empêchant l’émergence d’une pensée complexe qui serait capable de redistribuer les cartes, avec d’autres jeux, dans d’autres mains. Je combats ces gens au quotidien dans mon métier et sur ce blog. Car nul ne doute que si ces lutins voyaient un tadorne, ils le déplumeraient pour le jeter aux chiens.

Pascal Bély  – Le Tadorne.

“Oncle Gourdin” de Sophie Perez et Xavier Boussiron du 12 au 17 juiillet 2011 au Festival d’Avignon

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Au Festival Off d’Avignon, hallucinant…

Il marche dans le noir. On serait tenté de le suivre des yeux. Seulement trente secondes: c’est juste le temps qu’il nous faut pour passer de la lumière du jour au noir de l’incertitude et entrer dans “les rêves” d’Ivan Viripaev, mise en scène par François Bergoin. Celui-ci apparaît au fond du plateau, assis sur un canapé rouge. Il est seul, juste accompagné de quelques livres et d’un poste à musique d’où l’on entend un rock sensible et envoûtant (Janis Joplin, Kurt Cobain, Jim Morrison, Jimi Hendrix). Quelques secondes et nous avons déjà “pris” la porte, symbolisée par l’enseigne EXIT. Tout un programme. Il est l’acteur-metteur en scène de ce groupe de quatre artistes, incarnant chacun un toxicomane. Il les guide en tirant une à une des balles traçantes à blanc pour jalonner notre parcours de spectateur éberlué par cette rêverie hallucinogène.

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Six tableaux, tels des coups de semonce pour éveiller nos sens et accueillir cette poésie envoûtante et si charnelle: la Beauté, la Libération, l’Amour, Dieu, le Nirvana et l’Enfer. N’est-ce pas finalement les étapes du chemin du spectateur de théâtre? François Bergoin s’appuie probablement sur cette hypothèse: il nous fait confiance pour entrer dans la poésie “irrationnelle” de Viripaev. Il est inutile de gueuler pour se faire entendre; point de vidéo pour nous distraire. Ici, il y a seulement eux et nous. Nous ne savons rien de leur condition sociale (François Bergoin nous épargne  les clichés autour de la toxicomanie) mais la mise en scène nous tend un lien fraternel.

Magnifique Leila Anis: elle pourrait être notre petite soeur, égarée dans sa grossesse, dont elle serait le (de) nouveau-né. Épatante Catherine Graziani, en soeur aînée combattante et impuissante à la recherche d’une mère perdue. Troublant Karim Hammiche dont les mots du poète bégayent contre le mur où il fut probablement abandonné. Charismatique Xavier Tavera en enfant rési-liant. Épris de liberté sous l’emprise de leur toxicomanie, nous perdons connaissance grâce au travail remarquable de l’espace scénique: les projecteurs latéraux sculptent les silhouettes et invitent les fantômes. Le rêve de l’un traverse le corps des autres jusqu’à créer l’harmonie au coeur du chaos. La poétique des corps finit par chorégraphier leur descente aux enfers.

Leurs habits de poils et de lumière nous accueillent à nous y fourrer…et nous voilà ainsi à l’abri. Notre désir de théâtre se fond dans leur dose: cette mise en abyme provoque un silence quasi religieux dans la salle tandis qu’un magnifique chant russe nous guide vers l’enfer, vers l’apothéose.
Prises dans la brume, des volutes de fumée font disparaître la porte de sortie. Ils se volatilisent, car leur enfer n’est pas le nôtre. La musique de Rachmaninov nous sort peu à peu de l’abyme. Ce n’était qu’un rêve….Ce théâtre-là est une porte, mais surtout un pont pour traverser la poésie de Viripaev. Jusqu’à provoquer le désir d’y revenir.
Pour goûter encore à ce  voyage au bout de la nuit.
Pascal Bély- Le Tadorne
“Les rêves” d’Ivan Viripaev mis en scène de François Bergoin par la compagnie Alibi à la Manufacture d’Avignon à 12h30.
A écouter sur France Culture: “Les rêves” d’Ivan Viripaev.

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Au Festival d’Avignon, Jan Karski héros d’un théâtre de corps et de cris.

À chaque Festival d’Avignon, une oeuvre me sidère, colonise pour longtemps ma mémoire. Le metteur en scène Arthur Nauzyciel avec «Jan Karski (mon nom est une fiction)» offre au public d’Avignon une adaptation du roman «Jan Karski» de Yannick Haenel. Ce résistant polonais et catholique fut le témoin de la plus grande tragédie de l’histoire de l’Humanité : l’extermination des juifs du Ghetto de Varsovie. Tel un «messager», il partit à la rencontre des puissants, dont Franklin Roosevelt. En vain. «L’antisémitisme technocrate» a eu raison de l’Humanité.

Arthur Nauzyciel reprend les trois parties imaginées par Yannick Haenel : des extraits de l’entretien entre Jan Karski et Claude Lanzmann dans «Shoah» ; un résumé du livre de Jan Karski («Histoire d’un État secret») et une fiction sur certains éléments de sa vie. Pendant plus de deux heures et quarante-cinq minutes, le spectateur vit un cheminement qui dépasse de loin la vision linéaire d’une succession de trois chapitres.

Loin du sempiternel «devoir de mémoire» qui nous infantilise parfois en faisant fi de la complexité des personnages, Arthur Nauzyciel nous guide vers le corps de Jan Karski interprété dans la dernière partie par le magistral Laurent Poitrenaux. Depuis la Shoah, le  corps de l’Humanité a disparu. A jamais. Lorsqu’au premier chapitre apparaît Arthur Nauzyciel dans ses vêtements ternes sans Histoire et son expression impassible pour relater le dialogue entre Claude Lanzmann et Jan Karski, je comprends que le théâtre ne peut aller au-delà.  Pour l’instant. L’espace paraît vide. Nauzyciel s’assoit, puis se lève. Il raconte, raconte. Puis il entreprend un numéro saisissant de claquettes. Jan Karski était fou de music-hall avant la tragédie ?

Tout disparaît à nouveau au deuxième chapitre. Plus aucun acteur sur scène si ce n’est la voix de Marthe Keller posée sur la vidéo d’un plan du Ghetto de Varsovie, créée par le plasticien Miroslaw Balka. Quasiment vingt minutes où l’écran finit par donner mal aux yeux : tel un rat coincé dans une souricière, nous voilà enfermés dans ce récitt où l’image restitue la moindre parcelle du plan. C’est interminable. Mes voisins s’assoupissent comme dans le roman de Yannick Haenel où le Président Roosevelt baillait à l’exposé de Jan Karski sur la vie dans le Ghetto.

Je m’accroche. C’est mon devoir. Je tremble d’écoute.

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Apparaît alors Laurent Poitrenaux dans le décor splendide et angoissant d’un couloir de l’Opéra de Varsovie. Assis sur la banquette, nous ne le percevons que de loin. Il raconte à nouveau. Son corps paraît sortir des camps. À moins qu’il ne s’apprête à y entrer. Il est témoin de la fin de l’Humanité. Il est désossé. Il est le corbeau qui crie la mort. Il porte tout. À notre place. Le théâtre va l’alléger et nous alourdir : Laurent Poitrenaux parcourt l’espace théâtral comme si ses pas traçaient le chemin de Karski vers nous. Son jeu renoue les fils d’un dialogue rompu par la surdité («la ruse du mal») des puissants de l’époque. Les mots cognent d’autant plus que la lumière nous plonge parfois dans les ténèbres, métaphore d’un dialogue de sourds («Ne pas écouter faisait partie de la guerre» précise-t-il). Peu à peu, tout s’éclaire: l’?uvre m’éveille. Jamais l’humanité ne s’en remettra. Elle a disparu dans le Ghetto. Nous autorisons inconsciemment les politiques racistes : l’humanité ne peut plus les contrer. Nous gesticulons pour les combattre. C’est tout.

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Tandis que la danseuse Alexandra Gilbert apparaît, le corps de Poitrenaux se fige sur la banquette: cet immense acteur est son chorégraphe. La danse soulève les cadavres pour n’en faire qu’un. Celui de l’Humanité. Elle provoque l’écoute, celle qui a tant fait défaut à Karski. Elle est le spectre du Ghetto. Ma mémoire a maintenant des devoirs.

À l’instant où Laurent Poitrenaux s’éloigne, je serai courageux.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Jan Karski (mon nom est une fiction) » d'Arthur Nauzyciel du 6 au 14 juillet 2011 au Festival d'Avignon.
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Patrice Chéreau fait naufrage.

Il y a des décors qui sont en soi une oeuvre d’art. Celui d’ «I Am the Wind» de Jon Fosse par Patrice Chéreau est de ceux-là. Tandis que le public s’installe, gît un morceau de bois dans l’eau boueuse, témoignage qu’un cataclysme est passé par là. Au loin, le fond de scène est d’un gris bleu profond. C’est infini. L’eau, le minéral, le végétal : mon regard s’égare déjà, mon  imaginaire fait  dialoguer les éléments et se fertilise. La scénographie happe tout en maintenant la distance : se perdre au loin pour reconstruire ici. Serions-nous l’explorateur de notre âme à la dérive ? Qu’emporter sur notre “Arche de Noë” ?

Nous sommes au centre: de nombreuses places sont condamnées à droite et à gauche. Nous voilà «concentrés». L’exigence est là : une salle se façonne comme une scène.

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Tom Brooke et Jack Laskey s’approchent.  Leurs vêtements mouillés nous collent à la peau. L’un porte dans ses bras l’autre. Le torse blanc de l’autre se fond dans le pull de l’un. Le contenu dans le contenant. À ce moment précis, me revient une scène créée par Pina Bausch. « Café Müller » ressurgit : l’essentiel est sauvé de la débâcle. Trois minutes où la chair nous dit tant de ces deux hommes et de leurs liens : un amour improbable où l’inconsciente légère de l’autre dialogue avec la lourdeur de l’un.

Vient l’instant où l’un entreprend de rhabiller l’autre. Les gestes de l’un pour mouvementer l’autre. Le silence est impressionnant et l’on entend le vacarme de la tendresse, le bruit sourd de l’angoisse, les froissements de la métamorphose. La chenille est papillon. Ce moment théâtral est sublime : le théâtre est chair. Patrice Chéreau est un chorégraphe de l’âme. Les mots qui suivront pourront-ils rivaliser avec une telle entrée en matière ?…

Commence alors leur voyage. Pieds dans l’eau, le corps squelettique de l’autre s’est habillé. Ils vont prendre la mer, manoeuvrer leur bateau, l’amarrer à une crique, déjeuner, reprendre la mer. L’autre disparaîtra.

 «Je ne suis plus que mouvement

je suis parti avec le vent

je suis le vent» dira-t-il avant de sombrer dans l’eau.

Mais pourquoi Patrice Chéreau les a-t-il abandonnés, confiant leurs corps et leur âme à un dispositif scénique tout puissant? Le bateau monte et descend sous la pression d’une machine censée restituer une réalité, celle d’une mer calme ou en furie. Entre questionnements métaphysiques et matérialité, je m’égare dans une machinerie théâtrale qui objective : c’est elle qui fait mouvement. Sans chorégraphie, ce théâtre-là n’est qu’une armature. La chair a disparu. Le texte s’amarre à l’action, aux faits et gestes et la mise en scène ne suit plus.

On rêverait presque de les voir nus pour entendre leur âme. Car «I am the Wind» est une oeuvre sur l’insondable. Mais les corps ne sont plus traversés et font semblant de tomber à l’eau : c’est tout simplement insupportable. Les deux hommes sont sur le registre de la conversation, de celle qui pollue notre espace social. Leurs gestes illustrent et finissent par créer peu à peu la distance : les corps s’automatisent, le chaos intérieur ne s’entend plus pris dans la mécanique de la machine. Qu’est donc devenue l’intensité de la première scène, la puissance poétique de certains dialogues ? Entre l’un qui s’attache à la vie et l’autre qui la transcende, Patrice Chéreau préfère un théâtre de masques, un théâtre d’images où la scénographie fascine.

«I Am the Wind» est un naufrage : celui d’un théâtre qui séduit là où il devait créer la turbulence entre notre un et nous autres.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« I Am the Wind » par Patrice Chéreau a été joué du 15 au 18 juin 2011 aux Nuits de Fourvière à Lyon. Au Festival d'Avignon du 8 au 12 juillet 2011.
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Marie-José Malis à la Maison de la Poésie à Paris: quand le théâtre fait rêver…

À la sortie d’ «On ne sait comment» de Luigi Pirandello mise en scène par Marie-José Malis, je me prends à rêver que le théâtre puisse toujours avoir ce niveau d’exigence, de prise de risque et de respect. Avec cette  impression étrange d’avoir participé, de ma place, à une oeuvre où le déplacement permanent du plateau abat la frontière entre conscience et inconscience, comme à l’issue d’une séance d’analyse où l’exploration du rêve rend léger parce que la question du «vrai» et du “faux” n’est pas la Question.

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Ils sont cinq sur scène : deux couples et un ami. 2+2= 5. Tout est lié. Aucun de ces personnages ne pourra s’extraire du drame. Aucun ne pourra résister à l’assaut : la vérité n’existe pas. Seule, la réalité psychique construit ce que l’illusion du réel nous impose. Roméo le sait (troublant Olivier Horeau): il a eu une aventure sans lendemain avec la femme de Giorgio, son ami marin. Depuis, Roméo doute de tout : de la sincérité de son épouse, de l’amour triomphant au sein du couple d’amis, du rapport à la vérité et à la responsabilité. Ils le considèrent comme un fou, mais il ne lâche pas: il y a chez chacun de nous des crimes innocents que nous dissimulons derrière nos fronts de granit. Du meurtre révélé tel un secret de famille, au rêve du matin où nous avons éprouvé du plaisir avec le corps d’un Autre, tout y passe : Roméo lève les voiles («je ne peux pas me sauver par un mensonge»), les embarque dans sa folie  («j’ai besoin de croire que cela arrive à tout le monde»), voit la liberté comme un châtiment et le rêve «comme un crime innocent».

Cela dure trois heures. Il faut tout le talent de Marie-José Malis et des comédiens pour être soi-même entraîné. Ici, point d’effets spéciaux et de roublardises technologiques : entre les actes, ce sont les acteurs qui déplacent les décors tandis que la mise en scène les fait glisser pour abattre les cloisons. Ainsi, toute la «machinerie théâtrale» est au service du propos (et non  l’inverse comme dans tant de créations «pluridisciplinaires»). Le rideau rouge (couleur du sang qui lui ne trompe pas) est une membrane entre le dedans du «huit clos mensonger» et le dehors du jeu de la “vérité”. Le plateau s’avance même tel un plongeoir vers le public : il est prêt à céder sous le poids des remords et des mensonges. Mais il nous plonge aussi dans un lien différent au théâtre (quelle part de vérité venons-nous y chercher ?). En fond de plateau, un décor dans le décor où un rideau métallique ouvre les portes de l’inconscient, l’espace de toutes les dissimulations (il est l’autre scène).

Quant à la salle du Théâtre des Bernardines, elle reste éclairée tout au long du spectacle afin que les acteurs puissent quitter le plateau et s’approcher de nous : ainsi pris à témoin, la «folie» de Roméo nous inclue dans ce cauchemar «jusqu’en éprouver du plaisir». C’est depuis le parterre que l’effet inconscient du théâtre se joue.  Peu à peu, la tension monte d’acte en acte : la lumière joue sa fonction hallucinogène (rêve ou réalité ?) tandis que la musique accentue l’inéluctabilité du drame qui se prépare: la quête de la vérité mène droit vers la mort.

Tel Roméo, Marie-José Malis questionne avec force et engagement le texte de «folie» de Pirandello. Elle ne recule devant rien et ouvre «son» théâtre pour explorer ce processus psychique quitte à jouer avec lui pour nous “déplacer”  sans ménagement, mais avec respect. Il est rare de nos jours qu’une metteuse en scène créée une telle affinité entre la dramaturgie et l’inconscient, où l’intensité théâtrale est proportionnelle à l’intensité du refoulement.

Avec «On ne sait comment», Marie-José Malis propose sa séance où le sujet est en spectacle pour qu’advienne le devenir du sujet dans la quête de sa vérité. Sublime.

Pascal Bély – Le Tadorne.

«On ne sait comment» de Luigi Pirandello par Marie-José Malis. Avec Pascal Batigne, Olivier Horeau, Marie Lamachère, Victor Ponomarev et Sandrine Rommel. Au Théâtre des Bernardines à Marseille du 5 au 9 avril 2011.
A la Maison de la Poésie à Paris du 9 au 31 mars 2013
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Nous sommes Tribu-Terre de la jeunesse.

Le contexte :
Dans un récent article, je qualifiais de «sans ambition» la saison théâtrale 2010 – 2011 dans l’aire marseillaise. Motivé, je migre vers Lyon et son festival «Anticodes» présenté aux Subsistances. J’apprécie cette manifestation et ce lieu d’autant plus que l’an dernier j’avais fait la connaissance de  la contorsionniste Angela Laurier qui sera d’ailleurs au prochain Festival Montpellier Danse. En ce dimanche estival, la programmation foisonnante m’oblige donc à faire des choix : ce sera Michel Schweizer et ses «fauves» ; la troupe New Yorkaise du Big Dance Theater pour «Supernatural Wife» et «Drama per musica» d’Alexandre Roccoli et Séverine Rième. Les deux dernières propositions m’apparaissent bien faibles (voir inaboutie et bâclée pour drama). Seul Michel Schweizer suscite mon enthousiasme.

L’accueil :

Les Subsistances savent accueillir. À l’entrée, des jeunes gens en bleu de travail vous guident, vous conseillent. Une actrice déambule dans la cour, telle une vendeuse à la sauvette, pour rappeler les lieux et les horaires. C’est souvent drôle, car inattendu. Mais avant «Les Fauves», un homme nous accueille sous un porche. Yoann Bourgeois est acrobate, acteur et jongleur. Il nous offre sept minutes de poésie où les balles prolongent le corps et créent le mouvement. Sept minutes où le public assis par terre contemple cet homme-balle nous raconter à partir de fugues de Bach emballées, que l’art peut nous aider à penser rond?

« Les fauves » de Michel Schweizer.

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Ils sont dix jeunes et un accompagnateur. On ne sait d’ailleurs pas très bien quelle est sa fonction: habillé d’un t-shirt siglé dont il ignore le sens, le metteur en scène Michel Schweizer lui a demandé d’être lui-même. Alors, Gianfranco Poddighe chante pour nous accueillir puis passe derrière les platines tel un DJ de l’âme. Il fait jeune. Comme moi. La jeunesse n’est donc pas un statut. Elle est.
Des tables avec des micros entourent le plateau (métaphore de la nouvelle Agora ?) tandis que deux horloges digitales pendent du plafond. Elles ne donnent pas la même heure et le décalage ne cessera de grandir au cours de l’heure quarante-cinq minutes du spectacle. Le temps est suspendu, mais aussi décalé comme une invitation à lâcher prise nos repères habituels et nos visions normées. Les voilà donc face à nous (Robin, Elsa, Pierre, Clément, Aurélien, Pauline, Zhara, Lucie, Elisa, Davy), habillés de leur t-shirt où est écrit «endurci» accompagné d’un numéro indiquant leur degré de dureté ! Comme l’eau calcaire de nos machines. Façon élégante de nous renvoyer leur sensibilité, là où nous les aurions probablement enfermés dans des cases inamovibles.

Leur regard ne trompe pas : nous ne saurons rien de leurs origines sociales, de leur statut, de leur vécu familial. Rien pour nous accrocher, mais ils vont tout donner pour nous relier : ils sont ma contemporanéité et mon avenir. Très vite, ils refusent l’abécédaire de la jeunesse écrit par le philosophe Bruce Bégout que leur tend Gianfranco. Ils veulent d’abord évoquer leur ressenti d’être ici, face à nous : et c’est du corps dont ils nous parlent. Cette parole crue et drôle autorise alors toutes les audaces chorégraphiques, plus proches  d’une danse de l’enchevêtrement que du ballet: elle ne cesse de les habiter même quand ils chantent. Ici, la danse a de la voix.

Peu à peu, ils dessinent le changement de civilisation qui se profile : ce groupe incarne un schéma totalement inversé. C’est en partant du bas vers le haut qu’il  propose de  co-construire notre société au-delà des savoirs d’experts. La créativité et l’écoute sont le moteur du progrès (gare à celui qui n’entend pas?), le sensible en est la matière.

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Le groupe semble s’inscrire dans un «ici et maintenant» qui le  mène à refuser un débat vain sur le lien entre jeunesse et immortalité. Leur identité est complexe car leur avatar doit cohabiter avec leur rôle social : c’est leur recherche du mouvement qui les engage loin des dogmes qui rigidifient «le corps social». En un instant, ce groupe est capable de se mobiliser si les valeurs de respect et d’écoute sont menacées. Car le «je» est en «nous». Individualisme ? Sûrement pas. Plutôt un désir de tribu (chère au sociologue Michel Maffesoli) où l’harmonie conflictuelle définit le vivre ensemble, où  l’unicité est une conjonction des contraires, où une tolérance infinie empêche que leur vie sociale se tisse sur un pathos enfermant.

À mesure que «Fauves» avance, je me sens flotter dans un liquide (amniotique ?) et me laisse porter quitte à m’autoriser l’ennui quand leur interpellation me sature (à l’image de certains d’entre eux qui s’isolent avec leur casque, leur guitare ou se lovent dans le canapé du fond). Avec eux, je ne cherche rien à savoir, mais je ressens, calmement.

Leur espace artistique est une toile où  les mots se prolongent dans le mouvement, où se réinvente une démocratie, où aujourd’hui est le premier jour du reste de notre vie…

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Fauves” de Michel Michel Schweizer au Festival Anticodes du 31 mars au 3 avril 2011.

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En Provence, le théâtre fait front.

Inoubliable saison 2010 -2011 ! Est-ce possible de poursuivre l’aventure de ce blog à partir des programmations proposées dans ma région (Provence)? Après le stimulant Festival d’Avignon, l’accueillante Biennale de la Danse de Lyon, et le généreux Festival d’Automne de Paris, mon écriture de spectateur engagé a buté au cours de l’hiver. Il s’installe un profond décalage entre les ambitions affichées par les festivals et la frilosité des théâtres où les mêmes noms reviennent associés aux mêmes esthétiques enrobées dans des politiques de communication aux slogans creux. Pour la première fois depuis six années, j’ai failli jeter l’éponge. La quasi-disparition de la danse contemporaine, en dehors de la programmation policée du Centre Chorégraphique National d’Aix en Provence, a accéléré mon dépit. Malgré tout, il faut poursuivre, même si c’est pour s’émouvoir du déclin culturel de ma région. Il y a pourtant de quoi espérer : une maison pour la danse emmenée par Michel Kelemenis ouvrira à l’automne prochain à Marseille, tandis que l’année capitale 2013 finira bien par créer une émulation…
Mais en attendant, programmateurs et artistes s’accrochent à l’Histoire, non pour réinventer les valeurs de l’avenir, mais pour nous transmettre les idéaux d’une modernité dépassée. J’ai cru au théâtre engagé d’Ariane Mnouchkine en me rendant à Lyon pour ses «Naufragés du fol espoir». Naufrage total pour une nostalgie gluante. Qu’importe ce présent pourri, pourvu que soit célébrée la France de grand-papa! Avec François Cerventes, «le voyage de Penazar» proposa de traverser neuf siècles pour finalement me  perdre dans des détails historiques insignifiants. Malgré la performance de Catherine Germain, je m’interroge : à quoi sert le théâtre s’il doit nous donner une approche linéaire de l’histoire, là où j’attends qu’il la transcende?

Catherine Marnas avec “Lignes de faille” du roman de Nancy Huston a fait pire : elle a tué toute possibilité de transcendance en nous offrant un voyage dans le 20e siècle à partir d’une vision transgénérationnelle, mais en empêchant l’imaginaire du spectateur de fonctionner. Au total quatre actes d’une heure chacun pour quatre périodes (2000, 1980, 1960, 1944) où l’enfant raconte (avec mimiques enfantines à l’appui) tandis que les adultes s’affairent. On plaque sur le plateau des images vidéo de l’époque pour mieux signifier que tout est sous contrôle : avalanche de texte, même dramaturgie et effets de scène répétitifs. Comme avec Ariane Mnouchkine et François Cerventes, le spectateur n’a plus qu’à se laisser porter. Tout est donné au détriment d’une recherche partagée entre artiste et public. Le théâtre célèbre le visible, le linéaire, à partir d’une scénographie signifiante qui fait totalement l’impasse sur le complexe (l’espace de la résonance). À l’image du discours politique qui peine à se renouveler et à embrasser la complexité, ce théâtre-là s’accroche au texte aux dépens du corps, souvent déguisé. Il perd en intimité et semble incapable de parler de la douleur du monde.

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Quid alors de la création «pluridisciplinaire» ? Julien Bouffier a mis en scène Marguerite Duras avec «Hiroshima mon amour». J’attendais que le corps évoque le drame collectif. Sauf que la scénographie fait office de mise en scène et les différentes esthétiques (documentaire, cinéma, chanson, théâtre, danse) visent à remplir le vide provoqué par la tragédie. Pendant que je regarde le film sur un mur (une visite du musée d’Hiroshima probablement pour que le spectateur comprenne enfin ici aussi, le théâtre fait oeuvre de transmission!), je ne vois plus ce qui se joue à ma droite et à ma gauche. On me perd vraisemblablement pour que je me retrouve. Finalement, je  ne ressens plus le corps de l’acteur, comme si toute cette machinerie prenait le pouvoir. À quoi sert le pluridisciplinaire si c’est pour propager la même idée du progrès : accumuler de la technique pour reposer l’homo spectator de la turbulence (un comble alors que le Japon est au bord de l’implosion). Et s’il me plaît de ressentir le vide sous mes pieds ?
C’est ainsi que l’hiver 2010-201 m’aura frigorifié. Alors que le monde connaît des soubresauts encore inimaginables il y a quelques mois, j’ai l’étrange impression que certains lieux culturels s’en protègent, véhiculant ainsi la croyance que tout ceci n’est que “feu de paille”, que la globalisation n’a rien à voir avec l’émancipation des peuples. Je me sens pourtant totalement traversé par ces chaos, mais le théâtre qu’il m’a été proposé reste sourd. Probablement parce qu’il manque d’empathie. Sûrement, parce que l’entre soi produit un théâtre suffisant.
Pascal Bély- Le Tadorne.

« Hiroshima, mon amour » de Marguerite Duras par Julien Bouffier à la Scène Nationale de Cavaillon les 17 et 18 mars 2011.
« Le voyage de Penazar » par François Cervantes au Théâtre Massalia de Marseille du 8 au 26 mars 2011.
« Lignes de faille » de Nancy Huston par Catherine Marnas au Théâtre des Salins de Martigues du 23 au 25 mars 2011.

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PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Le Théâtre muet d’Ariane Mnouchkine.

Le public prend la direction du vieux Palais des Sports de Lyon, proche du Stade de Gerland. L’architecture respire le bon vieux temps où la France affichait sa puissance par ses ponts et ses tours. Mais en 2011, tout paraît décrépi. Comme au parc des expositions de Château Blanc lors du Festival d’Avignon en 2007, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil savent vous accueillir et redonner vie à notre béton d’antan. On y retrouve les caisses en bois, les loges visibles par les spectateurs, la musique d’ambiance des troubadours et la soupe chaude. La pièce se joue déjà. C’est si bon. Le Théâtre du Soleil sait cultiver le mythe du théâtre populaire.

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A la première réplique donnée dans «les naufragés du fol espoir»,  la troupe fouille dans son histoire, chine dans le grenier de ses décors de théâtre, et  nous en restitue une allégorie, comme au bon vieux temps des films que l’on projetait dans les salles d’avant guerre pour informer le peuple sur la grandeur du pays. Nous voilà donc propulsés en 1914, dans la guinguette «le fol espoir» tenue de main de maître par monsieur Félix Courage (étonnante Eve Doe-Bruce). Un passionné de cinéma, Jean Lapalette, et les employés y tournent un film muet, inspiré d’un récit de Jules Verne. Des passagers d’un bateau échouent au Cap Horn, caressant l’espoir d’y fonder une société libre et juste où le triptyque «liberté, égalité, fraternité» pendrait tout son sens. L’enchevêtrement des trois histoires (la guinguette, le cinéaste et son assistante, la fiction) nous plonge dans une machinerie théâtrale incroyable, où les spectateurs s’émerveillent de l’énergie déployée pour que le film prenne forme sur un plateau de théâtre. La générosité, l’abnégation de soi, l’engagement sacrificiel transpirent à chaque scène. Jusqu’à lasser. Car la mécanique de ce manège d’antan, finit par tourner sur elle-même : elle est un déni de complexité.

Cette mise en abyme ne permet pas de repérer des niveaux de sens qui régénérerait le regard et éviterait d’être un spectateur seulement contemplatif. On ne différencie pas les trois histoires comme si tout se valait : la fonction de l’art, n’est-elle pourtant pas de transcender? Le politique n’est-il pas dans la différenciation entre le faire du projet ? Le groupe fusionne ses membres sans que l’on ne puisse les distinguer : l’unisson est le mot d’ordre au détriment du relief, de la diversité. Cette dynamique finit par devenir effrayante. Les rares moments où l’on s’attarde sur la psychologie des personnages sont affligeants: la fragilité de Jean Lapalette se résume à ses pulsions sexuelles ; le conflit entre deux hommes à une bagarre virile. Il y a pourtant un instant de grâce : une des employées semble paumée, sans rôle attitré (probablement métaphorique du positionnement de certains spectateurs laissés au bord de la route). Elle veut jouer. C’est alors que Félix Courage la perd dans les détails pour rendre impossible son entrée dans le film. Étouffant.

Quid du climat de 1914 ? Il est malheureusement réduit à un vendeur de journaux qui fait office de liant entre les scènes de tournage et la vie des salariés. Enfermé dans son mythe, le Théâtre du Soleil s’affranchit du contexte. Tout comme fait-il trop souvent  l’impasse sur le jeu d’acteur. Ceux-ci semblent d’ailleurs plus à l’aise dans le muet?
Malgré leur formidable énergie à en découdre, ces «naufragés du fol espoir» ne permettent pas d’interroger  la fonction politique de cette proposition (un quatrième niveau en quelque sorte ). Ariane Mnouchkine s’est rependue dans les médias sur l’importance de résister, de proposer une alternative. Mais serions-nous à ce point si effrayés par la société globalisée pour nous laisser embarquer dans un émerveillement qui aveugle sur la nécessité de régénérer nos valeurs? Suffit-il de réaffirmer «Liberté, Égalité, Fraternité», de faire l’apologie du progrès à travers une mécanique magnifiée, de solenniser le collectif unitaire, pour faire «politique» ?

Que nous disent l’unanimité de la critique et le succès public sur une des ?uvres les plus faibles du Théâtre du Soleil ? Je formule une hypothèse : perdus, nous célébrons le mythe de l’ère moderne (incarné par le Théâtre du Soleil), celle où tout était permis, possible, grâce aux ouvertures promises par le progrès. Nous entrons durablement dans une période nostalgique, où l’on s’indigne avec Stéphane Hessel mais où l’on fait encore l’impasse de lire «la voie» d’Edgar Morin pour la traduire dans les faits. C’est ainsi que ces «naufragés» donnent l’énergie de l’instant, mais nous isolent un peu plus dans une lecture du futur à partir du passé. C’est sans avenir. Sans espoir. Et pourtant, l’improbable est arrivé. Notre «Cap Horn» est du côté des pays arabes.

Côte à côte avec eux, acceptons de ne rien savoir. Ils pourraient nous apprendre le quatrième mot qui nous manque pour éclairer de sa reliance le fronton de nos écoles et de nos mairies.
Pascal Bély – www.festivalier.net

“Les naufragés du Fol Espoir (Aurores)”, une création collective du Théâtre du Soleil du 18 janvier au 20 février 2011 au Théâtre des Celestins de Lyon.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Il y a un théâtre qui n’est, ni pour tous, ni pour chacun…

«Tartuffe», “Bérénice“, «Hamlet» et «Antigone», quatre «cadeaux», offerts, sur quatre semaines par Gwenaël Morin et le Théâtre Universitaire de Nantes.
Comment débuter ce texte ?
Remercier peut-être ?  Oui, c’est ça…, écrire… Merci.

« Pom, pom, pom, pom, pom, pom, pom,… Pom, pom,pom ! » :
Pour leur Talent, leur Générosité, leur Plaisir à Jouer, leur Humilité, leur Proximité : Renaud Bécher, Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Gwenaël Morin, Ulysse Pujo.

Pour les regards, les sourires, les mots échangés/partagés : les spectateurs croisés à ces soirées. 

Pour nous avoir proposé ce Voyage, pour leur accueil : l’équipe du Théâtre Universitaire de Nantes.

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Acte 2 :
Des adolescents et de jeunes adultes présents en grand nombre, prouvant que le théâtre n’est pas une affaire de «bobos» comme on tend à nous le faire «avaler». Chaque soir, salle comble, grâce à, et par la parole (voir par sms, mais là, je suis pour!) qui circule; l’intelligence de l’esprit et du coeur, quand ils offrent cette qualité, trouvent toujours leurs messagers.
Du Théâtre étincelant, fait avec des ficelles, du carton, des planches, des tréteaux…On est loin ici des millions étalés sur scène, qui plus est, utilisés, par certains, pour «dénoncer» la «Crise»

Et pourtant? !
Ces Dames et Messieurs de moins de quarante ans (là j’extrapole, pour le “style” , je n’ai pas vu leurs papiers..) nous offrent un « Kontakthof» théâtral majestueux, on est comme dans un «Café Muller» où les «Nelken» fleuriraient des ronces du passé.

De l’essence  de la Tragédie ; ils nous permettent de sourire (voir même, sans sacrilège, de rire) pour mieux nous amener à rebondir sur le présent de son actualité. Ils nous font entrer «dans le texte» et nous permettent, par cette même invite, de mieux regarder, après «distance» de plaisir, ce qui nous agite, aujourd’hui  encore.
C’est ici véritablement de Théâtre Vivant dont il s’agit. Ce théâtre qui n’est, ni pour tous, ni pour chacun, mais qui…tout simplement, et c’est ça qui fait s/Sens ; c’est ça qui résonne et traverse chaque être pour le faire travailler à définir ce qu’il cherche, ce qu’il ressent et ce qu’il trouve là.

Ce Théâtre là nous ramène à l’enfance, ce temps de «Liberté» où nous n’avions besoin que de «bouts de cartons» pour mettre en Vie le Monde et y voir toutes les richesses d’un devenir.            
Gwenaël Morin et ses compagnons font Advenir le Théâtre de nos chimères, celui là même qui nous poussait à courir vers un demain meilleur, Forcément Meilleur, puisqu’on serait plus «grands» et plus  «libres . Et, ce théâtre là, nous re-fait advenir, car il nous susurre le «petit» qui «savait, peut-être», mieux lire les «travers du monde» parce qu’il avait alors le «pouvoir, sans doute», d’en tordre les ressors…«Mémoire?»

La lecture offerte, de ces textes d’hier, calque, à merveille, les images que l’on se créait, pour faire «entrer» ce passé lointain dans notre quotidien «enfantin».

«Bérénice», «Antigone», «Tartuffe», «Hamlet» et, tant d’autres, ont portées, et portent encore les vêtements «emblématiques» des époques où de grands yeux singuliers dévorent leurs histoires de papier. On sait bien,…en ces temps là…, qu’ils «bougent» toujours.

 Acte 3:

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Dis, Monsieur Morin, avec tes copains, tu ne veux pas nous inviter Chimène, Don Juan, Don Quichotte, Phèdre, Arlequin, Cazanova, Sigismond, Eve, Adan qu’on fasse un peu les Poussières?

Dis pis, M’sieur Morin, avec tes copains,tu lâches pas, hein, dis, tu tombes pas sous les « dorures » et les « fanfreluches »?

Dis, t’as vu tous les jolis « gamins » qui ne vous font pas « clap, clap » mais « Bravo Merci », tu ne lâches pas « l’enfance », hein?!

Continuez à danser et offrez-nous encore, s’il vous plaît, les « Carmen » et les « Don Rosé » sortis de vos malles à Parfums d’Enfances…
Dites-les TU (Théâtre Universitaire), tu nous/les invite encore demain à la Fête du Théâtre?

Dites les spectateurs, on se refait encore, même sans leur aide s’ils sont occupés ailleurs, les Bonheurs des Regards, des Sourires et des Mots?  

Merci  à Vous, Renaud, Virginie, Julian, Barbara, Grégoire, Gwenaël, Ulysse de m’avoir, de nous avoir, invités dans vos rêves.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

Les spectacles du répertoire de Gwenaël Morin: ici.

«Tartuffe», “Bérénice”, «Hamlet» et «Antigone» mise en scène par Gwenaël Morin au Théâtre Universitaire de Nantes du 17 janvier au 11 février 2011.

Photo Julie Pagnier

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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Gwenaël Morin, le transe-formateur.

Gwenaël Morin est un metteur en scène. Il a l’étoffe du bâtisseur, celui qui laisse son empreinte pour ouvrir la voie. Dèsqu’il arrive dans un théâtre (celui d’Arles par exemple), on a l’étrange impression qu’il modifie les plans, l’aspect, voire l’architecture. Pour “Tartuffe, d’après Tartuffe de Molière“, les escaliers, les loges, les recoins, les portes sont autant de plateaux pour que le théâtre s’entende. A se demander si ces lieux souvent imposants et massifs méritent bien leur qualificatif de “théâtre dans la cité“. À notre arrivée, un décor fait de cartons, de peintures photocopiées assemblées par du scotch, d’une vieille table, d’une chaise de plastique récupérée dans une salle des fêtes et d’un boudoir. Tout donne l’impression que la force se nourrit de cette fragilité. Six acteurs (Renaud Béchet, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Gwenaël Morin et Ulysse Pujo) se préparent comme des sportifs: étirements, concentration, allers et venues. Habillés comme vous et moi, ils nous regardent avec le sourire. Ils sont “agents d’accueil“! Pendant quatre-vingts minutes, ils ne vont plus nous lâcher. Ils partent au combat pour susciter le désir, pour éveiller les sens, pour nous faire plaisir comme s’il fallait nous mettre en état de tension permanente. Il y a chez Gwenaël Morin ce pari un peu fou de diriger ses acteurs tout en “malaxant” la salle, tel un sculpteur avec la pierre.

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A la sortie, on en sort presque épuisé. Comme après une transe. Car ce “Tartuffe” n’offre aucun répit. Au commencement, il y a cette scène où Orgon, couvert d’un tissu noir, hésite à descendre la marche qui le sépare du public. Il tremble, il vacille, de peur d’avancer dans l’incertitude (à l’image du peuple français?).C’est tout l’enjeu du théâtre de Gwenaël Morin: franchir la ligne, ouvrir l’espace de la représentation, nous prendre à partie. C’est alors qu’Orgon, quasiment “enburcanné” monte les escaliers de la salle suivie par sa famille, désespérée par tant de dévotion à l’égard de Tartuffe. Poursuivraient-ils l’obscurantisme? Car, combien sont-ils, dans les plus hautes sphères de l’Etat et des familles, à naviguer à vue sous l’influence de “conseillers” manipulateurs et spoliateurs?

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Tartuffe, c’est le vers dans le fruit de la démocratie et des institutions censées nous protéger de l’affairisme et de la corruption. La mise en scène restitue la violence de ce processus. Je reste fasciné par la façon dont l’acteur occupe l’espace scénique d’une table, d’un dessous de table, d’un bout de carton: tout fait corps!  Avec délicatesse, Gwenaël Morin bouscule notre représentation du théâtre patrimonial: il force notre écoute quand les acteurs chuchotent (ou complotent!); il nous aide à nous distancier des effets scéniques un peu faciles (ici, le jeu de lumières consiste à éteindre ou allumer!) et nous donne un repère (le boudoir) qui se transmet d’acteur en acteur comme un passage de témoin afin de ne pas perdre le fil de la tragédie qui se trame.

Mais surtout, ce “Tartuffe” transpire. La folie du désir est partout. Tout n’est pas tout blanc ou tout noir comme au temps de Molière. Aujourd’hui, comprendre Tartuffe, c’est ressentir toutes les ambiguïtés, tout ce qui fait “complexe”. Ici, des acteurs masculins jouent des rôles de femme tandis que Tartuffe et Orgon s’homosensualisent! Même le piège tendu par Ermine à Tartuffe pour démontrer, au mari caché sous la table, son hypocrisie est ambiguë : elle provoque le désir pour chercher la vérité par le mensonge. Alors qu’elle fait tomber une à une les barrettes de ces cheveux face à un Tartuffe médusé, le compte à rebours d’un “amour à mort”‘ a commencé. Magnifique.

Avec Gwenaël Morin, c’est par le corps que l’on manipule les consciences. Après l’avoir libéré des jougs de la religion, il est aujourd’hui l’objet de toutes les “tartufferies” qui nourrissent les rapports de force. Nos Tartuffes contemporains savent jouer avec nos désirs. Jamais la libération du corps ne m’est apparue aussi fragile.

Gwenaël Morin nous le rappele avec une force “trans(e)pirante“.

Pascal Bély, www.festivalier.net

« Tartuffe d’après Tartuffe de Molière », conception de Gwenaël Morin a été joué les 6 et 7 janvier 2011 au Théâtre d’Arles.

Crédit photo: Pierre Grobois.