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À Montpellier Danse, le plastique, c’est sacré.

Étrange journée…Le festival Montpellier Danse peut nous réserver une belle surprise en fin d’après-midi et nous propulser plus tard dans une ambiance plombée d’une petite fête entre amis chez Monsieur l’Ambassadeur.

À 17h, Phia Ménard se prépare. Tout autour, le public prend place sur des coussins ou dans les gradins. Je m’assois près d’elle, comme une évidence. Tel un artisan pêcheur avec son bonnet sur la tête et son manteau pour tous les temps, elle découpe des sacs plastiques. Ont-ils été pêchés en Méditerrannée, là où ils prolifèrent jusqu’à menacer durablement la faune et la flore marine ? À moins qu’elle ne les ait attrapés au vol dans la rade de Marseille par temps de mistral. Je n’ai jamais imaginé  retrouver sur la scène d’un festival de danse, ces compagnons d’infortune croisés lors de mes randonnées. «L’après-midi d’un Foehn (version 1)» dure trente minutes. Précieuses secondes où votre corps se laisse porter par les émotions de l’enfance tandis que votre regard balaye l’assistance à la recherche du complice. Délicieux.

À peine entendons-nous la musique de Debussy…à peine percevons-nous le souffle propulsé par les ventilateurs. La délicatesse et une précision millimétrique provoquent une chorégraphie pour que s’envolent ces sacs, métamorphosés en corps humains. L’air est musique. La musique est dans l’air.  Ominprésent dans nos vies (jusqu’à coller à notre intimité?), le plastique devient la matière du mouvement. Il ne porte plus, mais il transporte. Phia Menard convoque  tout un ballet: la danse recycle, régénère et nous libère de la pollution. Elle n’hésite pas en entrer dans le mouvement, à jongler avec eux. C’est un ballet avec nos rêves de danse.

Elle est sur la frontière entre scène protégée et ciel pollué, entre  fragilité et force, entre ordre et désordre. Elle est au coeur d’une cellule régénératrice, celle dont l’énergie métamorphose tout un système. Tel un chorégraphe de l’utopie, Phia Menard est un souffleur de bulles de savon qui viennent se fondre sur notre peau.

Avec elle, l’éphémère est durable jusqu’à tout faire exploser : plus que jamais, les briseurs d’utopie sont à l’oeuvre…

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Quelques heures plus tard, le chorégraphe allemand Raimund Hoghe nous donne rendez-vous pour une création unique. Artiste associé du festival, il a tissé depuis de nombreuses années un lien de confiance avec des spectateurs fidèles. Pour ma part, notre relation a débuté en 2004, ce qui en fait l’artiste le plus chroniqué sur ce blog : « “Young People, Old Voices“(2004), “Cartes Postales” (film ; Arte) ;  «36, Avenue Georges Mandel» , «Meinwärts» (2007) ; « Boléro Variations» et “L’après-midi” (2008), « Sans titre » (2009), «Si je meurs laissez le balcon ouvert»(2010). Raimund Hoghe sait ritualiser mes douleurs et mes deuils. Il orchestre toutes mes cérémonies impossibles. Mais ce soir, je ne suis pas son invité pour «Montpellier, 4 juillet 2011». Le public, composé d’officiels et de VIP, n’est pas celui avec lequel j’ai vibré pendant tant d’années. Dans l’immense cour de l’Agora, (la Cour des grands?), Raimund Hoghe se célèbre face à une assistance hiérarchisée: les artistes devant sur des coussins, les VIP aux premiers rangs (Jean-Paul Montanari, directeur du festival, trônant dans son fauteuil) puis derrière, vous et moi. De ma place, la visibilité est si réduite que je dois me lever.  En reprenant les moments forts de ses oeuvres, Raimund Hoghe nous offre toute l’étendue de son talent. Hors du propos artistique de l’époque, ces extraits me sont  volés le temps d’une soirée.
Ce soir, le corps de Raimund Hoghe est un mausolée institutionnalisé pour célébrer une danse d’État.
Ce soir, Raimund Hoghe est dans les pas de Raimund Hoghe. Pas un seul sac plastique sur scène pour m’accrocher à l’idée que je ne l’ai pas perdu.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« L’après-midi d’un Foehn (version 1) » de Phia Menard et « Montpellier, 4 juillet 2011 » le 4 juillet 2011 dans le cadre de « Montpellier Danse ».

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS OEUVRES MAJEURES Vidéos

Avec Raimund Hoghe, notre descen…danse.

Nous voilà rassemblés. Quasiment pas un bruit dans la salle, même pas une toux qui étrangle, quand bien même “cela ne passerait pas”. Avec le chorégraphe allemand Raimund Hoghe, il règne toujours une atmosphère de recueillement, de concentration et d’introspection: sa mise en scène travaille nos lâcher-prises pour puiser dans nos souvenirs le mouvement fondateur à l’origine de notre lien à la danse. Il lui faut donc du temps, trois fois plus qu’à l’accoutumée. Ce soir, il nous gratifie de trois heures autour du chorégraphe  Dominique Bagouet. Mais pas que…

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Je n’ai pas connu Dominique Bagouet, disparu du sida en 1992. Je ne suis pas certain que Raimund Hoghe l’ait approché. Mais pour la création “Si je meurs laissez le balcon ouvert, il a travaillé dès 2009 à partir de vidéos mis à disposition par Montpellier Danse. Où est donc passé ce chorégraphe d’exception dans les programmations actuelles? Pourquoi la danse, à l’instar du théâtre, ne célèbre-t-elle pas ceux qui l’ont porté ? Cet art peut-il se régénérer s’il ne «nomme pas le vide, avant de le remplir» comme le souligne Raimund Hoghe ? La pièce de ce soir, n’est pas seulement une évocation de Dominique Bagouet: c’est aussi l’oeuvre de Hoghe dans les pas d’un autre. Une danse sur la danse. Pour mener à bien ce processus, il guide ses huit danseurs interprètes (tous exceptionnels) vers son cérémonial pour célébrer tout à la fois Dominique Bagouet, sa maladie et les artistes disparus du sida.

Cet enchevêtrement de niveaux de lecture provoque un émerveillement total quand le mouvement est découpé, avec précision seul ou à plusieurs pour magnifier la puissance de Bagouet.  Là où Hoghe pose la toile, ses danseurs sont des pinceaux voltigeurs qui font valser les couleurs jusqu’à parfois nous éclabousser de leurs présences scéniques. L’émotion vous prend à la gorge quand Marion Ballester et Takashi Ueno dansent le désir d’un amour fou et impossible. Emmanuel Eggermont est saisissant lorsqu’il incarne un danseur rock aux ailes fragiles ou quand il parcourt la scène avec son corps désarticulé d’homme en proie aux tourments de la quête du sens.

Mais il arrive parfois que je m’égare dans les rituels trop compassionnels (renforcée par une bande-son travaillée à cet effet) autour  du sida de Dominique Bagouet. Je repense à mes amis disparus alors qu’apparaît et s’efface le corps bossu de Raimund Hoghe ; la tristesse m’envahit quand il enfile une robe de nuit aperçue dans «Café Müller» de Pina Bausch (il a été son dramaturge). Tout se bouscule, je perds le fil et ressens une énorme fatigue:  Bagouet, Pina, Thierry et tous les autres…

Mais il y a Raimund Hoghe. Il y a quatre ans, j’ai croisé sa route au Festival Montpellier Danse. À chacune de nos rencontres, j’ai compris pourquoi la danse était tapie au fond de moi. Il est bossu, mon corps m’a longtemps fait souffrir lorsque j’étais enfant.  Il célèbre les morts du sida quand j’ai dû jeune adulte endurer le corps maculé de tâches de Kaposi de mes amis et entaché du regard des autres. Avec trois cailloux et deux oranges, Raimund Hoghe métamorphose une scène alors qu’enfant je me contentais de peu pour créer un monde plus accueillant. Ce soir, je sais que je remplis le vide, que je suis traversé par mes histoires de corps. Comment faire la part des choses entre Dominique Bagouet, eux, lui et moi ?

La danse tisse des liens, provoque des noeuds et m’emmêle. Raimund Hoghe tire mes ficelles pour m’emmener vers lui et me conduire vers vous.

Pascal Bély -Le Tadorne

« Si je meurs laissez le balcon ouvert » de Raimund Hoghe au Centre Georges Pompidou dans le cadre du Festival d'Automne de Paris du 8 au 11 décembre 2010.

Crédit Photo: Rosa Franck.

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Raimund Hoghe et Faustin Linyekula jettent leurs cailloux sur Montpellier Danse.

Dans le hall du Théâtre Universitaire Paul Valéry, une spectatrice attend. Elle semble avoir rendez-vous avec le chorégraphe allemand Raimund Hoghe qui, chaque année ici, renverse, bouleverse le public. Je m’approche d’elle ; nous échangeons quelques informations sur la météo locale, et l’environnement du théâtre. Nous abordons la vie culturelle à Montpellier. À ce moment précis, la danse nous sépare : elle la découvre au cours de ce festival. Les mots trébuchent, et l’intimidation la submerge. « Je n’ai pas les mots pour parler de danse » me dit-elle. À quoi lui répondis-je : « Vos mots sont vos ressentis ». Trente années de festival n’y ont rien fait : le discours autour de la danse reste excluant, presque anti démocratique. Mais qui cela intéresse-t-il ? Raimund Hoghe assurément. Nous entrons côte à côte. Nos langages se croisent déjà.
La scène est immense, totalement dépouillée à l’exception d’un petit tas de cailloux. Notre humanité est là : toute à la fois atrophiée et imposante. La danse a commencé. Ils arrivent ensemble, mais séparés. Lui, c’est Faustin Linyekula, chorégraphe congolais. Lui, c’est Raimund Hoghe, ancien dramaturge de Pina Bausch, chorégraphe et bossu depuis l’enfance. Leurs corps incarnent un territoire mêlé qu’une vision du monde éloigne. Les feuilles de papiers délicatement posés tout autour de la scène par Raimund  évoquent l’espace européen qui préserve son modèle de développement. Surtout ne pas se fier aux apparences : la douceur de Hoghe est une bombe à fragmentation. Ces stèles mortuaires glacent. Seraient-elles celles des sans-papiers ? Pendant ce rituel funéraire, Faustin trace avec son petit tas de cailloux des chemins sinueux. La rencontre entre les deux hommes est-elle possible ? Raimund ne bouge plus : notre modèle industriel, social et culturel ne créée plus la relation ouverte. Faustin erre, sans titre, sans papier. Il est notre héros qui marchait sur la lune il y seulement trente ans. Sa danse compliquée et tortueuse les éloigne. La scène symbolise l’écart : 20% de la population mondiale consomme 80% des ressources de la planète.

Alors, place à l’art ! Il va nous offrir d’autres itinéraires, non moins sinueux. Alors que les cailloux s’incrustent dans les corps et crée l’espace de la confrontation, ils tombent pour Faustin, sont jetés par Raimund. La danse met en mouvement le minéral dans le biologique et provoque la régénérescence. La rencontre artistique par le partage permet à chacun de faire son chemin, à partir de nouvelles formes esthétiques (la bosse de Raimund et les plis du corps musclé de Faustin forment le paysage de l’imaginaire). Symboliquement, la danse est un modèle d’élargissement : elle ne puise pas la ressource pour appauvrir l’autre, mais  créée le bien commun et les esthétiques de la rencontre (ndlr: et si les Centres Chorégraphiques se transformaient pour s’ouvrir?)

Avec un propos accessible,  « Sans titre » de Raimund Hoghe, libère le spectateur par la poésie. Il crée à l’aide d’une bougie, d’un tas de feuilles de papier et vingt cailloux. De la rareté éclot le sens. Point de langage descendant, tout nous revient et leur revient ; de la danse de Raimund Hoghe naît la rencontre à l’image de la dernière scène où le blanc et noir se fondent pour créer un corps commun riche de nouvelles articulations. Sublime !

Elle me regarde puis me dit : « Cette oeuvre est une émotion qui se niche dans toutes les parties de notre corps ».

Martine, traçons nos chemins avec nos cailloux, mêlons nos mots et ouvrons ensemble l’espace de la rencontre autour de la danse!  Il y a urgence. Un certain Président de Région (Monsieur Frêche), cofinanceur du Festival, a une tout autre idée de la danse.

Pascal Bély- Le Tadorne

"Sans titre" de Raimund Hoghe a été joué les 2 et 3 juillet 09 dans le cadre du festival Montpellier Danse.
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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES

A Montpellier Danse, les variations de Raimund Hoghe.

Raimund Hoghe est l’artiste « associé » du Festival Montpellier Danse. Invité quasiment chaque année, le public lui réserve un accueil tout à la fois chaleureux et distant. 2008 ne déroge pas à la règle avec deux propositions, aux antipodes l’une de l’autre.
« Boléro Variations » restera l’un des grands moments du Festival. Pendant plus de deux heures, nous sommes guidés pour changer notre système de représentation sur l’une des musiques les plus mythiques du répertoire, le « Boléro » de Ravel avec pour certains, la danse de Béjart en embuscade. Car, que n’ais-je entendu à l’entracte de la part d’un public âgé, souvent nostalgique! « Ce n’est pas de la danse », « enfermons-le ». J’ai donc pris le temps pour expliquer, convaincre, calmer les impatiences de mes voisines remontées à bloc. Car, le langage de Raimund Hoghe paraît si loin des clichés que véhicule encore la danse : celle du mouvement à tout prix, à toute vitesse.

Ici, « Le Boléro » est un album de famille intergénérationnel, une mappemonde qu’Hoghe fait tourner pour l’arrêter avec ses cinq danseurs (tous exceptionnels) avant de repartir. Cette musique lancinante est ici un espace bien plus large qu’il tricote avec d’autres morceaux de sa discothèque personnelle. Le « Boléro » de Raimund Hoghe impressionne par son travail sur l’intervalle, toujours habité, jamais saturé, mais en mouvement continu. À aucun moment, les danseurs ne sont isolés : quand bien même je n’observerais que l’un d’entre eux, je ressens tous les autres. Du groupe à l’individu, ce “Boléro”est l’hymne de l’unisson ! Chaque pas, chaque geste n’est plus une mécanique imperturbable, mais une dynamique où s’étire le sens. Ce n’est plus le temps de l’énergie, mais l’énergie du temps. Comment ne pas être époustouflé par la posture d’écoute dans laquelle nous sommes!
L’apogée de ce « Boléro » survient alors que Lorenzo De Brabandere pose sur l’épaule de Raimund Hoghe un plâtre, comme la caresse de la mère avec son bébé, un retour aux sources du geste dansé. Un autre cérémonial suit, où chacun déposera un tas de cendres coloré, métaphore des fours crématoires, où les corps prostrés reprennent vie. Hymne à la renaissance, à la croyance d’un renouveau même dans l’horreur. Alors qu’une femme se lève de sa chaise pour donner à chacun des vêtements propres (autre geste maternel…sublime), le « Boléro » touche à sa fin. Séparement, chacun gravite autour de lui-même pour délimiter l’espace du corps dansé.
Ils me font tourner la tête. Mon manège à moi, c’est eux.
On aurait tant aimé être ainsi caressé avec «L’après-midi», un solo pour Emmanuel Eggermont, présenté quelques jours plus tard en clôture du festival. Peine perdue, le public n’est pas convié. Le face à face final en dit long sur cette relation quasi fusionnelle entre un chorégraphe et son danseur «fétiche». En écho au corps bossu de Hoghe, répond le corps parfait, statufié, verticalisé d’Eggermont. Il est cet « autre ». Et même si la statue vacille, la distance entre lui et nous est troublante, poussant jusqu’à son paroxysme le culte de la beauté plastique. À deux, ils nous convient à explorer leur territoire tout en veillant bien de le verouiller. J’observe de loin l’intimité de leur relation dont on suppose l’intensité.
Un fait semble certain : la soirée sera sans eux. Le Festival d’Avignon m’attend. Raimund Hoghe n’est pas du voyage cette année.

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Boléro Variations» de Raimund Hoghe a été joué le 2 juillet 2008 dans le cadre de Montpellier Danse.
 "L'après-midi" de Raimund Hoghe a été joué le 5 juillet 2008  dans le cadre du Festival Montpellier Danse
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FESTIVAL D'AVIGNON OEUVRES MAJEURES

Au Festival d’Avignon, Raimund Hoghe, encore et toujours.

Pourquoi la dernière création de Raimund Hoghe a-t-elle à ce point déçu les festivaliers d’Avignon ? J’y ai pourtant retrouvé le talent, la délicatesse, et la créativité de ce chorégraphe exceptionnel. Je le connais depuis 2004, date à laquelle il présentait face au public bouleversé de Montpellier Danse, « Young people, Old Voices ». En juin dernier, Meinwärts provoquait la sidération. Depuis, il y vient chaque année comme un rendez-vous ritualisé avec les Montpelliérains. Je me sens familier de son univers fait d’objets posés sur scène, de métaphores qui s’emboîtent les unes des autres pour former le kaléidoscope de nos sensations. J’ai un profond respect pour cet artiste qui m’a familiarisé avec la lenteur des mouvements, avec l’émergence du sens par l’immobilité. Là où le public d’Avignon frissonne avec Roméo Castellucci, je tremble d’émotions pour Raimund Hoghe.
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Alors, que se passe-t-il avec « 36, Avenue Georges Mandel » présentée dans la jolie chapelle des Penitents Blancs ? C’est la dernière adresse où vécut Maria Callas, seule et malade. Hoghe y voit une « sans domicile fixe » qu’il incarne en portant la couverture de la Croix Rouge, en se glissant sous des cartons. Cette détresse est traduite par des gestes délicats qui, comme dans « Les éphémères » d’Ariane Mnouchkine, résonnent chez les admirateurs de la Callas et le public sensible à la question de l’hébergement précaire. Hoghe parcourt la scène, telle la diva, à la recherche de sa gloire perdue comme le fait un SDF avec les objets qu’il trimballe, témoignage d’un passé encore vivant. Les vêtements sont une seconde peau qu’il plie avec minutie pour les déplier avec grâce et endosser un nouveau rôle. C’est ainsi qu’il enfile un imperméable (où l’on devine qu’il est nu), tels ces hommes qui miment la Callas devant la glace. Bouleversant.
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Que ce soit pour la Callas ou un SDF, c’est la lenteur qui semble faire l’histoire : le processus de déchéance n’est pas aussi brutal et rapide que les médias voudraient nous le faire croire. Perdre son domicile, sa gloire, est un long processus, parfois indescriptible à l’?il nu.  C’est précisément cela qui hante les Français (plus de la moitié d’entre eux ont peur d’être SDF selon un sondage paru lors des dernières élections). Raimund Hoghe ne le traduirait-il pas à ses dépens ? Ce spectacle serait-il donc anxiogène ?

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L’arrivée du danseur Emmanuel Eggermont, tel un ange, fait baisser la tension (à cet instant précis, les spectateurs ne quittent plus leurs sièges). Avec sa rose à la main, on imagine  Barbara se dirigeant vers ses admirateurs. Mais plus vraisemblablement, il incarne le public de la Callas. Nous sommes donc sur scène pour entourer Hoghe, lui redonner nos habits, pour l’inclure à nouveau. Ce moment est magnifique, car cet ange fait (trop tardivement) le pont entre lui, elle et nous.  Il libère Raimund Hoghe d’un poids mythique, et de l’angoisse générée par la pauvreté. Le dernier regard entre les deux hommes est fulgurant comme un lien indestructible entre elle et nous, entre la dénuement et la gloire (il fallait tout de même oser ce rapprochement).
Alors, oui, « 36, Avenue Georges Mandel » est un chef d’oeuvre d’humanité, qui s’entend dans un lien quasi intime avec Raimund Hoghe. Je rêve qu’Avignon reconnaisse la stature de ce chorégraphe et que l’on cesse, pour se protéger, de faire référence à des clichés (que n’ais-je pas entendu ! « Il utilise le fait qu’il soit bossu », « ce n’est pas de la danse » ; « c’est un peu trop facile? »).

« 36, Avenue Georges Mandel »,
« Rue de la grange aux loups »,
Paris,
Nantes,
Callas,
Barbara,
« Chapelle des Penitents Blancs », Avignon?

Pascal Bély – Le Tadorne

« 36, Avenue Georges Mandel » de Raimund Hoghe a été joué le 22 juillet 2007 dans le cadre du Festival d'Avignon.
Crédit photo: © Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon

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FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES

Raimund Hoghe, in memoriam.

A Thierry.
Raimund Hoghe est de retour à Montpellier Danse. Je l’avais quitté en 2004 avec « “Young People, Old Voices” puis en octobre 2005 sur ARTE avec « Cartes postales ». Depuis, je n’ai cessé d’y faire référence dès que j’évoque la danse engagée. Raimund Hoghe transforme sur scène tout ce qu’il touche comme si sa petite taille et sa bosse dans le dos renvoyaient notre vulnérabilité et notre force. La précision de ces gestes, sa lenteur, son lien aux objets dessinent les contours de la danse du poète. Ce soir, « Meinwärts », créé en 1994, bouleverse une fois encore le public du Théâtre de Grammont.
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Dos au public, assis sur une chaise, il attend. Un carré de bougies rouges, au fond et à droite de la scène, illumine déjà sa présence. Une musique symphonique introduit ce premier tableau à jamais gravé : l’immobilité du corps stoppe le temps de nos sociétés modernes. Soudain, un homme arrive et jette sur les bougies de la terre noire pour les éteindre. La violence du geste évoque les cendres des camps d’internement. Par la magie de la poésie, les poussières déposées par l’histoire vont se transformer en œuvre chorégraphique. Raimund Hoghe nous invite ce soir à nous souvenir du ténor juif Joseph Schmidt (1904 –1942) déporté par les nazis ainsi qu’à commémorer les victimes du sida. Ce rapprochement n’a rien de surprenant : il semble mettre au même niveau les discriminations envers les juifs et les homosexuels emportés par la maladie et l’indifférence. Alors qu’il s’accroche nu tel un trapéziste, son corps devient le lien entre ces deux époques. Notre regard sur sa bosse est notre ouverture pour lire horizontalement l’histoire.
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Des airs d’opéra et des chansons populaires interprétés par Joseph Schmidt sont le décor sonore des rituels du souvenir crées et joués par Raimund Hoghe. Des textes de la période nazie, des lettres de malades du sida ponctuent les séquences comme s’il fallait réparer, se ressourcer par l’écrit pour laisser au corps le temps de se régénérer. Il les lit comme une partition de musique, le souffle parfois coupé. Je retiens difficilement une émotion trop longtemps contenue. En effet, Raimund Hoghe redonne à ceux qui ont vécu les débuts difficiles de la lutte contre le sida, un bout de leur histoire. Nous sommes peut-être quelques-uns dans la salle à avoir connu cette époque où distribuer des préservatifs à la sortie des lycées conduisait au poste de police. Qui se souvient encore de la solitude des malades qui,  pour cacher leur maladie, devaient inventer des stratagèmes humiliants ? Quand Raimund Hoghe répand de la terre rouge sur la scène du théâtre tel un semeur de blé, il réhabilite les morts et inscrit dans notre histoire commune, la longue liste des victimes de la barbarie nazie, du sida et le combat de leurs proches. Le sol finit par être parsemée de petites bougies rouges avec chacune une photo : nous comprenons alors que nous avons créé lui et nous, le plus beau mémorial. 
Et lorsque les grandes portes au fond de la scène s’ouvrent sur le jardin du théâtre, un souffle vital envahit la salle. La danse devient simultanément un art fragile et puissant : elle seule peut transformer une poussière de terre en constellation de danseurs et chanteurs étoiles.
Pascal Bély – Le Tadorne
 «Meinwärts» de Raimund Hoghe a été joué le 29juin 2007 dans le cadre du Festival Montpellier Danse.
Crédit photo: Rosa Frank.
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OEUVRES MAJEURES

La magie inoubliable de Raimund Hoghe sur ARTE.

C’était dimanche soir à 20h15 sur ARTE. Alors que la moitié des téléspectateurs regardent Sarkozy sur TF1 utiliser la misère d’une partie de la population à des fins personnelles et vomir sa haine de la différence, ARTE diffusait un magnifique film de danse, “Cartes postales” du chorégraphe Raimund Hoghe avec Lorenzo de Brabandère, son danseur fétiche. J’ai découvert pour la première fois Raimund Hoghe, disciple de Pina Bausch et…bossu, au festival “Montpellier Danse” en 2004. “Young People, Old Voices avait duré 3 heures. Le public était bouleversé et une longue ovation de vingt minutes avait clôturée cette soirée magnifique.Je ne m’attendais pas à retrouver une telle émotion, surtout à la télévision.Et pourtant…Comment expliquer la magie d’un tel film?

Les pas, les gestes de Hoghe et de Lorenzo sont d’une précision bouleversante, d’une tendresse infinie. Filmé avec brio par Richard Copans, “Cartes Postales” est un hymne à la différence, à l’ouverture, à la communication. Entre Raimund et Lorenzo, tout est question de circularité, de rondeurs, de déplacements où l’un est interdépendant de l’autre.Au même moment, un ministre d’Etat parle de “racaille” pour stigmatiser une partie de la population française…

Pascal Bély – Le Tadorne

Voir le film ici.