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EN COURS DE REFORMATAGE

Avec Wim Vandekeybus, le Festival de Marseille a frôlé la catastrophe.

De ce spectacle, on en sort quelque peu anesthésié, mais pas étonné. La Belgique, pays de l’hybridité, nous a habitués à naviguer en eaux troubles. Au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, Kris Verdonck avec « End » nous faisait tourner la tête avec son apocalypse en forme de boucle ;  dernièrement, le collectif franco-flamand Tristero / Transquinquennal, nous proposait Coalition, pour approcher de biais la catastrophe. Le chorégraphe flamand Wim Vandekeybus s’inscrit presque naturellement dans ce courant  avec « nieuwZwart » présenté au Festival de Marseille. A la différence près que l’on n’y raconte rien (d’autant plus que les textes en anglais de l’auteur flamand Peter Verhelst interprété par Gavin Webber parviennent à nous  éloigner de la narration).

Ici, le plateau reflète un processus, celui du chaos, voire d’un entre-deux entre un et un là-bas. Alors que le progrès accouche de la catastrophe, la scène de Vandekeybus nous est presque familière, depuis que nous sommes matraqués, bousculés, épiés, malmenés, écartelés par notre évolution.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=WrLfJp3LXY4&w=560&h=340]

Ici, compter les corps à terre avec une lampe de poche fait partie du spectacle. Me voilà au c?ur de l’océan, au beau milieu des corps flottants du vol Air France Rio-Paris.

Ici, on fait dans le spectaculaire, en attendant le moment où tout pourrait exploser ou renaître.

Ici, un groupe de musiciens est suspendu sur une scène qui surplombe ce sol lunaire où sept danseurs incarnent ce qu’il y a de plus violent et chaotique en nous alors que survivre nous sert de couverture pour se protéger de l’autre. Le rock est alors ce langage pour se substituer à l’insuffisance des mots.

Ici, l’angoisse de mourir et le désir de renaître ont trouvé leur territoire, jonché de traumas, de trous béants où la peur nous aspire.

Ici, on convulse, on hurle, on se rentre dedans : il faut que ça sorte, coûte que coûte.

Ici, sur le divan de Freud, glisse une couverture de survie qui va et vient, dévoile et cache, prête à faire surgir le fantôme qui habite nos cauchemars.

Ici, Vandekeybus nous invite à quitter le temps de la catastrophe, autoritaire, immédiat, où nous ressentons à l’unisson la même émotion, au même moment. Ici, c’est impossible, tant nos ressentis sont différents. Ma voisine de gauche se cache le visage tandis que mon voisin de droite ne bouge plus, raide mort. Moi, je m’attache à un bras qui pend, à un corps qui s’étale. J’approche la déchéance, je scrute la renaissance, je meurs avec eux. La danse de Vandekeybus donne à l’inconscient le corps, tout le corps qu’il réclame à « corps et à cris ».

Ici, des tôles de fer rouillées, vestiges de la modernité et de nos cloisons accueillent nos désirs de transcendance. C’est émouvant de voir les corps s’y fracasser.

Ici, le sexe enfourche la mort. C’est troublant de ressentir l’amour à mort.

Ici, la crise est un processus permanent. Il n’y a que les médias pour penser que c’est un état à un instant « t ».

Et l’on se réjouit des applaudissements nourris du public du Festival de Marseille qui a fait preuve ce soir d’une grande maturité : nous avons accepté que l’on danse tout haut ce que nous souffrons tout bas.

Pascal Bély

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nieuwZwart” de Wim Vandekeybus a été présenté au Festival de Marseille les 18,19 et 20 juin 2009.

photo: © Erwin Verstappen

Le Festival de Marseille 09 sur le Tadorne:

Au Festival de Marseille, Koen Augustijnen réincarne Pina, poussière d’étoiles.
Le nouvel opus (oups !) du Festival de Marseille.

 

 

 

 
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Laure Vallès, metteuse en scène à suivre.

De cette première étape de travail autour de “Fragmentation de lieu commun de Jane Sautière,  présentée au Ring en Avignon, née l’envie de recroiser le chemin de la metteuse en scène Laure Vallès. Ses prises de position sur ses propositions, sa ferveur à débattre de ses choix et son plaisir à parler de son travail méritent que nous portions une attention particulière sur sa prochaine création.

Le texte évoque le quotidien d’une éducatrice dans les institutions pénitentiaires. Les mots, la mise en lumière, la musique, la nudité du plateau, reflètent avec pertinence l’écrit témoignage de Jane Sautière.  La cellule est le lieu de la rencontre entre l’éducatrice et les détenus, de la confrontation des deux sexes, dans laquelle s’immisce un jeu involontaire, et inconscient de séduction qui crée un autre enfermement.

Afin de donner de la substance au récit, une comédienne et une danseuse occupent l’espace. Chacune à leur manière. L’une par la parole (Pauline Hornez) et l’autre, par le corps (Céline Schneider).

L’enfermement carcéral transpire sur le plateau et l’on finit par se sentir tel un détenu enfermé dans sa cage, rêvant d’extérieur et d’horizon à perte de vue. Je me retrouve suspendu aux mots alors que le corps m’échappe. Je me ressens alors comme cette éducatrice, qui épluchant ses dossiers, ne peut se défaire de ses noms, de ses crimes ou autres délits, et font de sa réalité un quotidien malheureusement subit.

Ces derniers temps, les suicides de détenus ont fait la une des journaux télévisés. Repenti, rixe, mal-être… On ne sait pas à quoi relier ces événements à moins de préférer en ignorer la cause…

 

Que cela ne tienne, Laure Vallès accomplit un acte citoyen : celui de mettre en lumière le travail courageux des éducatrices en milieu carcéral et offre à Jane Sautière, l’auteur, la justesse d’un beau et futur spectacle.

Laurent Bourbousson.

www.festivalier.net


Fragmentation d’un lieu commun de Jane Sautière, mis en scène par Laure Vallès, a été présenté dans le cadre des résidences de création au Ring, Avignon, les 27 et 28 mai 2009.

Laure Vallès sera présente au Festival off 2009 avec “Corps” à la Bourse du Travail. En 2008, elle y avait présenté “Antigone” selon Henry Bauchau.

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À Uzès Danse, in-suffisant Alain Buffard.

« Le processus de travail que je souhaite mettre en place pour « Self& Others » s’articule à l’idée de l’autoportrait. Mais plutôt que de la confiner dans les limites actuelles du genre, j’aimerais l’expérimenter à partir de et en relation au groupe ».

Ainsi s’exprime le « concepteur » et le « scénographe » Alain Buffard dans le programme distribué à l’entrée de la salle de l’ancien Evêché d’Uzès.

Une heure plus tard, l’écrivaine Geneviève Vincent anime le « quart d’heure d’après » avec le public resté dans la salle. J’en suis. Car une question me taraude : « où est donc passé le collectif ? Où positionner le chorégraphe ? ». Alors que Mr Buffard est en retard, l’animatrice semble gênée pour commencer le débat (à croire qu’un face à face avec le public ne fait pas partie de ses attributions). À peine arrivée, Mme Vincent donne sa lecture de la pièce et parle même pour nous. Ces deux-là s’apprécient. Sont-ils encore dans l’autoportrait? 

Je propose ma question et j’en rajoute (inutilement) sur la décontraction de Mr Buffard alors que le public lui a réservé un accueil plutôt distant. Me revoilà dans une posture d’élève face aux maîtres. Mr Buffard nie avec autorité qu’il serait question du groupe dans sa pièce et ne répond pas sur son rôle, préférant que les interprètes le fassent à sa place. Quinze minutes sont déjà passées. Ce quart d’heure est un espace sous-vide. Le rideau de plastique, omniprésent dans la pièce, semble ne pas avoir été levé.

« Self & Others » est donc une ?uvre auto-suffisante, auto-égo-centrée. Quatre individualités, convoquées par Mr Buffard, nous proposent, à partir de différents matériaux, leur autoportrait. On y retrouve les danseurs tendance du moment (François Chaignaud et Cécilia Bengoléa), à peine échappés de leurs dernières créations, entre objets pénétrants, pratiques masturbatoires et orales, corps pliés et dépliés. Mathieu Doze, affublé de différents kits de survie, peine souvent à se faire une place alors qu’Hanna Hedman lit le «Manifeste du parti communiste » tout en pétrissant de la pâte à pain, métaphore de l’idéologie humanitaire du moment. On frôle souvent l’hystérie (comme s’ils étaient sous acide), ce qui n’est pas sans provoquer un certain essoufflement dans la durée. Le processus d’introspection dépasse rarement l’anecdotique (est-ce suffisant de s’amuser avec les objets de l’époque pour avoir quelque chose à dire sur l’époque ?) et l’on s’ennuie ferme face à cette collection d’individus, échappés d’un centre de rétention où Jan Fabre semble avoir été leur éducateur. Quand le groupe se forme , c’est pour ridiculiser quelques tubes chorégraphiques (dont un passage assez drôle sur le « Boléro » de Ravel) et fuir leur scène sous plastique.

Finalement, « Self&Others » est peut-être l’autoportrait de Mr Buffard. Mais est-ce suffisant ?  

Pascal Bély

www.festivalier.net

 

Self&Others ” d’Alain Buffard a été présenté le 16 juin 2009 dans le cadre du festival “Uzès Danse”.

Un extrait vidéo du spectacle ici.

Crédit photo: Marc Domage.

 

Alain Buffard sur le Tadorne:

Alain Buffard renverse Montpellier Danse et bouleverse le Théâtre du Merlan.

François Chaignaud et Cécilia Bengoléa sur le Tadorne:
François Chaignaud et Cecilia Bengolea, concepteurs cherchent chorégraphe.
L’anus horribilis de Cecilia Bengolea et François Chaignaud.

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« Liquide » de Christophe Haleb : un chef d’?uvre, dans la moiteur de la nuit d’Uzès.

Les renseignements s’échangent à voix basse : « es-tu au courant de ce que l’on va voir ce soir? ». Il s’agit d’un « work in progress », le début d’un travail, un ersatz de réflexion. « L’équipe s’est vue au mois d’avril puis plus rien. Ils se sont retrouvés la semaine dernière. Ils sont tous flippé ». Palpitant. Excitant.

En préambule de la représentation, Liliane Schauss, directrice du Festival Uzès Danse et le chorégraphe Christophe Haleb, posent le contexte. En toute humilité. Avec beaucoup de respect. Ils sont intimement liés par le processus de création. Cela coule de source. Qu’importe que ce matériau ne soit pas visible dans sa totalité, nous sommes ici pour ce « Liquide » qui n’en finit pas, quelques jours après, de couler sur notre peau. Car la cour de l’Évêché d’Uzès, a été le théâtre d’une explosion sensuelle, érotique et sexuelle d’une rare intensité.


Les pistes de travail de Christophe Haleb reposent sur la question de l’amour dont nous puisons les codes et les pratiques chez notre voisin, le singe bonobo. Tout le champ sémantique est convié : la rupture telle une déclaration de guerre, l’hystérie amoureuse, celle de la séparation, le corps comme une résurgence du plaisir, le sexe. Les rythmes langoureux, appuyés par une bande-son envoûtante, expriment ce que les corps nous renvoient : une caresse, l’effleurement, le souffle dans le creux de l’oreille, le goût de la peau sur les lèvres. La scénographie nous enveloppe comme si nous étions invités à passer sous la couette. Elle multiplie les angles de vue nous permettant d’être à la fois voyeur et acteur de nos délires amoureux. Contemplatifs et stimulés par tous les sens, nous sommes quasiment prêts à monter sur scène ! L’environnement musical entre jazz et rock acidulé nous convie dans un jardin des plaisirs où notre animalité nous fait déraisonner tandis que les mots continuent à s’accrocher à la raison. Christophe Haleb aurait réécrit “Dernier Tango à Paris” avec cette variation qu’il n’en aurait pas à en rougir.

C’est ainsi que la torpeur des corps se découvrant laisse place à l’hystérie qui met tour à tour le corps en manque de sexe, de rapport de force, de l’autre. En manque de tout.

Christophe Haleb chorégraphie le charnel et inclut le public dans sa horde sauvage. Pour mieux nous apprivoiser. Là, où nous sommes si sensibles.

Pascal Bély – Laurent Bourbousson

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“Liquide” devrait être présenté lors des Hivernales d’Avignon en Février 2010 puis au Festival de Marseille en juin 2010.

Photo de Cathy Peylan avec son aimable autorisation.

 

“Liquide” de Christophe Haleb parl a Compagnie “La Zouze” a été présenté le 14 juin 2009 dans le cadre du festival “Uzès Danse”.

 

Christophe Haleb sur le Tadorne:

Evelyne a disparu (La Zouze Compagnie).

Au Festival d'Avignon, Christophe Haleb, chorégraphe «off » et « in »

À Uzès Danse, principalement Christophe Haleb.

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Menace catastrophique à Uzès Danse.

En 2009, le festival « Uzès Danse » est amputé d’un week-end. Les restrictions budgétaires commencent donc à produire leurs effets. Après la crise de l’intermittence de 2003, les années 2009-2010 s’annoncent chaotiques et peut-être stimulantes : redistribution des cartes entre institutions culturelles ; émergence de nouveaux collectifs artistiques ; organisations en réseau ; nouvelles articulations entre social, éducation, économie et culture. En attendant, le contexte semble lourd, étouffant. La compagnie d’Anne Lopez ressentirait-elle le danger ? Plus pessimiste qu’ « Idiots mais rusés », son dernier opus, « La menace », offre une vision radicale de notre société, celle où le temps médiatique véhicule une hystérie émotionnelle collective pour au bout du compte produire un capharnaüm monumental.

 

Il y a très peu de répit au cours de cette représentation, retransmise en direct sur internet (www.menace-tv.com). Du bruit, des éclats de voix, des corps écartelés, des têtes privées de visages, un studio télé tout puissant où finalement tout se joue, une presse papier où les pages finissent par s’étendre comme du linge sur une corde. Avec Anne Lopez et sa bande de copains, on ne saisit plus les limites d’un cadre qui ne cesse d’exploser, dans lequel se retrouvent pêle-mêle un imbroglio délirant de situations explosives et de private joke. Alors, comment se parler, s’émouvoir, penser tandis que le temps médiatique fait fit du temps de l’humain ?

Ici, la menace, résultat d’une société d’images, est polymorphe, jusqu’à produire une peur constante. D’habitude anxiogène, Anne Lopez nous en libère par le rire, en multipliant les situations absurdes. Mais elles finissent par menacer le fond qui perd en consistance et produit une proposition joyeuse, mais avec une morale en demi-teinte. Prise au piège d’un propos vertical descendant, elle nous renvoie à notre condition, celle de survivre dans un milieu hostile.

En mai dernier, au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles, le collectif franco-flamand Tristero/Transquinquennal, nous proposait Coalition. Une heure pour comprendre le processus de la catastrophe à partir des écrits de l’urbaniste et essayiste Paul Virilio. De la menace à la catastrophe, il y a ce changement d’échelle qui aurait permis à Anne Lopez d’ouvrir son propos et de protéger sa belle compagnie d’une mise en scène qu’elle a finit par rendre menaçante.

En totale résonance, « Uzès Danse » et Anne Lopez, nous ont fait flipper. La même soirée, Christophe Haleb nous a proposé une éblouissante histoire d’amour.

On finit par s’attacher à ce festival si humain.

Pascal Bély – Laurent Bourbousson

www.festivalier.net

 

“La menace” d’Anne Lopez  par la compagnie “‘les gens du quai” a été présenté le 14 juin 2009 dans le cadre du festival “Uzès Danse”.

 

Anne Lopez sur le Tadorne:

2001 ou la folle odyssée d’Anne Lopez.


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FESTIVAL D'AVIGNON

Festival d’Avignon 2009 : réservons!


 

La billeterie du Festival d’Avignon “In” ouvre le 15 juin (04 90 14 14 14). Il n’y en aura pas  pour tout le monde, vu le succés rencontré par  certaines pièces lors de l’ouverture de la vente aux avignonais le 13 juin. Petit rappel d’une programmation prometteuse (les liens renvoient vers des critiques déjà parues).  
Le Festival d’Avignon sera l’une des rares manifestations où les citoyens vont pouvoir discourir sur l’état du monde sans être pris en flagrant délit d’intelligence. Pour cela, la Direction a choisit d’élargir notre regard sur le théâtre par de multiples articulations avec le cinéma (Amos Gitai avec « la Guerre des fils de la lumière contre les fils des ténèbres Â»), avec les nouvelles technologies (Denis Marleau avec « Une fête pour Böris Â»),  et en donnant au récit sa fonction de relier l’intime et le sociétal. Sur ces différents registres, l’argentin
Federico Leon avec « Yo en el Futuro Â» a divisé le public lors du dernier KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Qu’en sera-t-il à Avignon?

Entre Beyrouth et Montréal, Madagascar et Le Caire, Anvers et Marseille, Varsovie et Buenos Aires, Gand et Haïfa, Nantes et Brazzaville, Séville et Modène, jamais le festival ne m’est apparu aussi cosmopolite, ouvert sur les réalités d’un monde complexe. Pour appréhender la crise globale, le Festival nous offre l’opportunité de développer notre vision globale, en multipliant les angles de vue et les territoires. Ainsi, nous pourrions nous retrouver collectivement dans une “clairière“, espace émergeant qui échappe, d’après Wajdi Mouawad (l’artiste associé), à la maîtrise de l’homme et permet l’art de la conversation.

On commencera probablement par scruter le ciel de la Cour d’Honneur tout au long d’une nuit proposée par Wajdi Mouawad pour l’intégrale de ses trois pièces (« Littoral Â», « Incendies Â», « Forêts Â») avant de voir la quatrième (« Ciels Â») dans l’espace déshumanisé du Parc des Expositions de Chateaublanc (attention, jauge très limitée!). Cette « traversée Â» donnera  l’opportunité à Mouawad de remettre en question ce quatuor. Le public d’Avignon participera à coup sûr à ce processus !

L’intention est-elle la même pour le Marseillais Hubert Colas ? Il présentera sa trilogie (« Mon Képi Blanc », « Chto » et « Le livre d’or de Jan Â»). Les deux premières pièces furent jouées dans le cadre de l’excellent festival marseillais « Actoral Â». C’est certain, Colas rencontrera le public d’Avignon.

À peine intronisé lors de l’édition de 2004, Jan Lauwers nous revient cinq ans plus tard avec lui aussi sa trilogie. Deux pièces sont déjà connues (dont la magnifique « Chambre d’Isabella »). On sera attentif à « La maison des cerfs », sa dernière création pour vérifier si Lauwers peut encore nous parler du monde en stimulant notre imaginaire. Mais qu’est-ce qui justifie de programmer l’indigeste « bazard du homard »?

Entre intime et sociétal, Pippo Delbono sait créer les passerelles. Avec « La menzogna », j’entends d’avance l’enceinte de la Cour du Lycée Saint-Joseph résonner. Du spectacle vivant. Hurlant.

Tout comme le chorégraphe Rachid Ouramdane qui avec « Des témoins ordinaires Â» et « Loin » évoquera sur scène la mémoire des exilés et des torturés. Beau partage en perspective. Autres plaies, avec le québécois Christian Lapointe qui avec son « CHS Â» donnera à voir et à entendre le corps brûlé. Les corps de Nacera Belaza avec “le cri » risquent par contre de provoquer le débat sur la relation particulière qu’elle entretient entre la danse et le public. On n’ose encore imaginer ce que nous prépare Maguy Marin. Mais du débat, du conflit, il y aura et l’on ne se privera pas de faire quelques liens avec le propos percutant que nous promet Jan Fabre avec son « orgie de la tolérance ». Le chorégraphe canadien Dave St-Pierre viendra poser par la suite un baume chorégraphique sur nos plaies ouvertes avec « Un peu de tendresse, bordel de merde ! Â».

Vous l’aviez rêvé, le Festival programme le polonais Krzysztof Warlikowski dans la Cour d’Honneur avec « (A)pollonia Â» pour y dévoiler la complexité de notre humanité à partir d’extraits d’Euripide, Eschyle, Hanna Crall… On nous promet une ?uvre pluridisciplinaire. Ce sera aussi un détour par les Grecs pour Joël Jouanneau avec « Sous l’?il d’?dipe Â» d’après Sophocle et Euripide, avant que nous plongions dans l’atmosphère de crise sociale et amoureuse de « Casimir et Caroline Â» par Johan Simons et Paul Koek dans la Cour d’Honneur.

La crise de civilisation va donc s’incarner cet étÃ
©. La France ne sera pas en reste avec Jean-Michel Bruyère et « Le préau d’un seul Â» qui mettra en scène l’outil policier qu’est le camp de rétention. On reviendra avec Thierry Bedard et l’écrivain malgache Jean-Luc Raharimanana sur les massacres de l’armée française à Madagascar en 1947 et sur le caractère inextricable des conflits au Proche-Orient avec Lina Saneh et Rabih Mroué (« Photo-Romance Â»). Après Berlin en mars dernier où il a déçu, le collectif Rimini Protokoll avec « Radio Muezzin » tentera d’humaniser notre vision sur l’Islam tandis que Christoph Marthaler (futur artiste associé en 2010 avec l’écrivain Olivier Cadiot) posera un regard poétique et provocateur sur une humanité déclassée avec « Butzbach-le-Gros, une colonie durable Â».

Cette programmation ouverte nous permettra de saluer le retour de Claude Régy avec « Ode Maritime Â» de Fernando Pessoa, d’accueillir pour la première fois le cinéaste Christophe Honoré  (« Angelo, Tyran de Padoue Â» de Victor Hugo) et le flamenco décapant d’Israel Galvan. Avec une telle traversée, se perdre risque d’être jouissif.

Pour le “off”, le programme est en ligne depuis le 15 juin. L’intégralité des 980 spectacles répertoriés est consultable via de multiples entrées qui, pour la première fois dans l’histoire du Off, font du programme en ligne un excellent outil de recherche. L’édition papier  sera envoyée par voie postale à partir du 29 juin, et distribuée à Avignon partir du 1er juillet.


Pascal Bély

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS PAS CONTENT

Le Théâtre du Merlan vagabonde et se perd.

Pour clôturer sa saison, le Théâtre du Merlan à Marseille, scène nationale, « vagabonde » pour y faire « résonner » des oeuvres sur l’amour. Direction le Vieux-Port. Le quartier populaire où il est installé n’est sûrement pas assez glamour, mais cela ne l’empêche pas d’utiliser un vocabulaire emprunté à la précarité. Car « vagabonder » n’est quand même pas le sport favori des riches.  Avec une telle politique, les publics des quartiers nord souvent exclus de la programmation du Merlan, le sont encore plus. Mais quel sens peut donc avoir ce déplacement forcé ? Loin de mixer les publics, cette opération n’a qu’un seul but : faire de  la communication publique.

  

 Le Fort Saint Jean, à l’entrée du Vieux Port, n’a pour ouverture que la mer. Le Merlan souhaite le transformer « en lieu de vie, de bien-être, d’échanges ». Est-ce sa mission ? Comment est-il possible de tolérer une telle dérive de langage et de projet ? Quelques transats nous attendent et le rouge, couleur du logo du Merlan, est partout. La rhétorique publicitaire fait office d’oeuvre culturelle. Bientôt, les responsables de la communication s’occuperont des relations avec le public. Les nombreux artistes plasticiens marseillais qui auraient pu s’emparer du lieu devront patienter.

À notre arrivée, le « camp » est étrangement désert. Glacial. Sans ambiance. À côté, le Théâtre National de Chaillot à Paris est un dancefloor.  La directrice du Merlan, Nathalie Marteau, n’a pas son pareil pour accueillir ses hôtes. À croire que c’est elle qui “reçoit”. L’estrade, qui longe la bâtisse, donne l’impression au spectateur qu’il est l’acteur d’un défilé.

Parle-t-on seulement d’amour du théâtre ? Jamais. Ce n’est pas dans le vocabulaire de la maison. L’amour est mis à distance. Cela se ressent et se voit. Nous entrons dans un bâtiment où l’intérieur de la salle fait plutôt penser à une MJC des années 70 en voie de désamiantage. À l’heure où de nombreuses communes en France s’interrogent sur l’opportunité de construire un équipement culturel, ici on quitte ce que l’on a pour aller vers ce que l’on ne voudrait plus subir: une scène minuscule pour un confort minimaliste. Seule l’architecture métallique qui supporte les lumières semble neuve (combien d’euros ?). Le lieu manque de profondeur. Qu’importe. La thématique sur l’amour fait sens. La com’, toujours elle, est toute puissante.

Nous commençons la soirée avec « Manteau long en laine marine sur un pull à l’encolure détendue avec un pantalon peau de pêche et des chaussures pointues en nubuck rouge » de et par Delgado Fuchs (comprenez Nadine Fuchs et Marco Delgado). Cette chorégraphie est un moment à la fois amusant et apprenant. Elle positionne la danse au coeur du corps social en prenant pour figure Barbie et Ken. Tout n’est que mécanique, le désir n’est que jouet et la peau forme la pellicule de nos clichés. Notre couple s’acharne à véhiculer du sens, mais semble perpétuellement rattrapé par son incapacité à faire du mouvement un geste dansé. C’est alors que cette oeuvre résonne particulièrement avec les choix artistiques du Merlan et la relation qu’il entretient avec son public : la forme touche le fond et la tendance se confond avec l’émergence.  

Le deuxième spectacle de l’italien Massimo Furlan (« Make Noise, Be a girl ») est un ovni théâtral qui s’écrase en plein vol. Le public décroche littéralement au bout de vingt minutes et laisse dériver cette troupe dans son délire « bo bo », entre provocation facile et désinvolture.

Ce soir, nous avons tout perdu en route.

La rencontre,

L’errance,

L’amour.

Ce soir, le Théâtre du Merlan pense qu’il est à lui seul objet de désir. Il se regarde vagabonder. Tel Narcisse, il tombe amoureux de son propre reflet.

Il ne sait pas encore qu’il dérive.

Pascal Bély – Le Tadorne

“Manteau long…” de Delgado Fuchs et “Make noise, be a girl” ont été présentés dans le cadre du cycle “Parlez-moi d’amour’, en vagabondage, par le Théâtre du Merlan le 5 juin 2009 à Marseille.

 

 

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A Marseille, le foot a ses secrets.

Rien ne laisser présager que je quitterais cet espace d’art contemporain aussi troublé. Parce que la fatigue d’une journée de travail et la lassitude d’être si rarement enchanté par les propositions artistiques des programmateurs marseillais. Parce qu’il fallait oser entrer, dans ce lieu, anciennement bains douches, dans le quartier animé de La Plaine.

Ils sont dix, isolés. Ils forment une carte invisible reliés par des itinéraires que personne ne connaît. Ils sont couchés, debout, collés au mur, au sol. Ils ne parlent pas et font la pose. Suis-je le peintre ? Aucun n’adopte la même posture, mais tous semblent liés par un lien fraternel, à la fois déterminés à en découdre et profondément unis. La guerre serait-elle passée par là tant ils paraissent asphyxiés ? La blancheur du lieu contraste avec le patio où, à travers les vitres, des négociations semblent avoir lieues entre artistes et producteurs. Ce « dedans-dehors » me trouble : au patio, espace végétal et vivant, répond la galerie, lieu d’exposition de soi, minéral, où l’artiste creuserait sa tombe avec les mots. Mais est-ce si sûr ?


Je marche, comme s’il s’agissait de reconnaître les corps après une catastrophe. Je les regarde. Ils sont beaux ; ils ne parlent pas, à peine déstabilisés par les photographes qui mitraillent. Le médiatique est décidément partout. Comment s’avancer vers eux ? Le lien entre le public et l’artiste n’est pas donné ; il est à construire. Je suis spectacteur, sujet autonome. Je reconnais Clara Le Picard et Robin Decourcy, deux artistes marseillais soutenus par Le Tadorne, mais je reste mutique, comme paralysé : nos corps entrent en résonance sans trop savoir pourquoi. Commencée à 18h30, la performance collective de Leopold Pan Football ») n’a pas, au bout de quarante minutes, révélée tous ses secrets. L’humain a besoin de temps au moment où nos sociétés nous précipitent dans l’immédiateté.


C’est alors qu’un bras bouge ici, qu’un corps se déplace là, qu’une posture change de forme. Des mots sur le mur, sur le sol apparaissent comme si les expressions (« le corps parle », « je l’ai dans la peau », « c’est lourd à porter ») prenaient sens. Je découvre un morceau du puzzle de leur histoire à l’image d’une autobiographie que l’on effeuille (« La mort subite de ma mère me laisse encore vide d’une présence fantasmée »). Le viol, la mort, le secret, les désirs empêchés ponctuent ma déambulation. Ils ont tous la trentaine, mais la violence familiale n’a cure de l’époque. Les enfants seront toujours en proie à la fureur des adultes. Malgré Dolto. Les mots prolongent leurs corps et mon imaginaire les fait danser. Je m’attarde sur une main dont les mouvements dessinent la souffrance du poète. L’instant est précieux, unique. Autour des corps, l’espace social se crée. Les performeurs se lèvent, vont et viennent, reprennent leurs postures. On s’assoit à côté d’eux, on échange quelques mots, verre de vin à la main. Loin de la connivence, spectateurs et artistes font bloc. N’avons-nous pas tous ce soir-là de lourdes histoires familiales à porter ? C’est ainsi qu’une performance collective crée l’espace de la résonance.

Jamais, il ne m’a été donné à voir un tel processus de transformation, d’inclusion, de partage.

De fraternité.

On y revient. La famille est partout. 

Ce soir, les artistes marseillais, se sont tous donnés rendez-vous pour se mettre en jeu à dix. Les spectateurs dans les tribunes ont finit par envahir la pelouse et jouer dans l’herbe encore fraîche, mouillée et piquante de l’enfance.

Pascal Bély

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« Football », performance collective et individuelle de Leopold Pan a été présentée à la Galerie les Grands Bains-douches à Marseille.

Photos d’Emilie Prin-Derre avec son aimable autorisation.

Prolongations de FOOTBALL jusqu’au 18 juin à la galerie les Grands Bains Douches à Marseille.

 

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Yves-No no !

Après un premier article sur la dernière pièce d’Yves-Noël Genod jouée actuellement au Théâtre National de Chaillot (et sa réaction pour le moins surprenante de la part d’un homme de l’art), Elsa Gomis apporte sa contribution. A suivre…


Mimer une course à cheval sur un tuyau de canalisation,

Faire une glissade, nue, devant la scène,

Décrire une tentative de meurtre,

Cracher du Champagne,

Commander un kebab,

Clamer des vers d’Oncle Vania et de Roméo et Juliette,

Boire un Martini

S’apitoyer sur son sort

Enfiler une tête d’âne

Aspirer son visage avec un aspirateur

… 

Voici dans le désordre une liste de ces instants passés au Studio Théâtre de Chaillot, à contempler le travail d’Yves-Noël Guénod. 

Ainsi que la presse le définit ou plutôt, refuse de le définir, ce spectacle éponyme est inclassable. 

Style décousu. Apartés avec le public. Réflexions à haute voix des acteurs. Conversations off sur scène en début et fin de représentation. Inversion de la disposition acteurs / spectateurs à l’entracte.

Et pour finir, la bouteille de Champ tendue aux spectateurs.

Comme pour briser les conventions théâtrales… 

Plus généralement, dans cet inventaire à la Prévert que semble être la pièce, tel est sans doute la ligne directrice : être anticonformiste dans la forme. 

On reste souvent dérouté devant ces surprises scéniques et pourtant, on ne s’ennuie pas.

On reste parce que cette succession de provocations, de gags, de monologues incompréhensibles, fascine.

Assez étrangement, du rejet de toute continuité dans le récit, du bouleversement de la forme, naît le sens. 

N’allons pas plus loin, avec Yves Noël Guénod, la forme c’est le fond !

Alors nous restons, voyeurs, pour profiter de la performance.

Elsa Gomis – www.festivalier.net.

 

“Yves-Noël Genod” au Théâtre National de Chaillot à Paris jusqu’au 6 juin 2009.


Photo Patrick Berger. 
Felix M. Ott.

Yves-Noël Genod sur le Tadorne:

Au Festival Actoral, l'acte anal d'Yves-Noël Genod.

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EN COURS DE REFORMATAGE

Yves-Noël Genod: …:)!?!?,….,…;-(?

Cette femme distinguée a l’air surprise quand je lui avoue : « c’est la première fois que je viens au Théâtre National de Chaillot ». Elle se méfierait presque de moi! L’endroit évoque les années glorieuses du Théâtre Français ; il s’impose, intimide avec ses hauts plafonds et ses dorures. La France d’en haut m’écrase. Pour la pièce d’Yves-Noël Genod, il faut se rendre au sous-sol. L’auteur, étrangement déguisé avec un bonnet en côte de maille, nous accompagne. S’il salue chaleureusement ses hôtes, il peine à transformer ce moment en acte poétique.

En entrant, on se croirait dans la cave d’un immeuble désaffecté. C’est la France d’en bas. Celle des artistes et des précaires qui, souterrainement, poursuivent leur travail. Malgré tout. Malgré eux. Toujours est-il que la culture institutionnalisée semble avoir quelques difficultés à assumer Yves-Noël Genod, si « underground » qu’on lui réserve un lieu si souterrain.  « Sous les escaliers du palais » comme se plaît à préciser dès le début du spectacle, cet artiste décidément inclassable. Les institutions  belges seraient avec lui bien plus courageuses !

Nous sommes donc une cinquantaine à nous asseoir sur un tout petit gradin. Autant rester groupé.  Les acteurs arrivent un par un, s’installent symétriquement face à nous.

Eux, c’est nous.

Ils sont isolés, presque tristes. Le champagne ne tarde pas à couler. Elle vide son sac. Cela semble lui faire du bien. Se déshabille et enfile un masque de vieille femme. « Viens voir les comédiens » qu’il chantait ! L’ami Charles ne pensait probablement pas à ces acteurs-là !

Pour nous emmener, ils sont prêts à tout. Le grotesque est envahissant. Est-il nécessaire qu’elle se vautre sur une scène maculée d’eau pour nous plonger dans les méandres de ses largeurs ? On  préfère quand il arrive nu, pour s’asseoir et sculpter délicatement son corps. La poésie est dans ces plis là.  On est radicalement suffoqué alors qu’un autre s’accroche à une rambarde, bascule puis disparaît. Le courage est alors un acte artistique. Il illumine cette ?uvre avec son accent germanique, ses yeux de poète fatigué et ses gestes « spidermaniques » !

Ici, les corps flottent, se fracassent. Les langues se délient, avant qu’un couteau tranchant ne coupe la parole. Rien n’est lisible, tout n’est que chaos et abandon dans un espace où la singularité se voit, mais ne s’entend plus.

Mais pourquoi nous laisser avec ce miroir déformant qui éblouit parfois, mais n’éclaire pas. Le burlesque suffit-il à élargir la focale ? L’épais brouillard qui finit par envahir la scène n’est-il pas un écran de fumée d’un univers artistique qui sépare bien plus qu’il enveloppe ? Comment donner du sens à cette ?uvre « sans nom » dans ce lieu parisien fortement connoté ? Je finis par ne plus savoir pourquoi je suis là sauf à démissionner : qu’importe le sens et que vive l’ivresse de faire partie du cercle d’initiés parisiens facebookés !

J’ai fui ce théâtre. La culture n’a pas vocation à m’emprisonner. Même dans l’un des plus beaux palais de Paris.

Pascal Bély – www.festivalier.net


“Yves-Noël Genod” au Théâtre National de Chaillot à Paris jusqu’au 6 juin 2009.


Photo Patrick Berger. Marlène Saldana.

Yves-Noël Genod sur le Tadorne:

Au Festival Actoral, l'acte anal d'Yves-Noël Genod.