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FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE! THEATRE MODERNE Vidéos

En Off, les Belges s’incrustent. Baal jubile !

Qu’ont-ils donc ces Belges pour transformer l’espace théâtral en aire de reliance et de jeux pour un plaisir partagé avec les spectateurs? Qu’ont-ils de plus que nous pour savoir inscrire l’art dans le lien social? Quasiment absents de la programmation du Festival «In», je les retrouve à la Manufacture pour «Baal» de Bertolt Brecht, mise en scène par Raven Ruël et Jos Verbist. Deux metteurs en scène pour une troupe d’acteurs francophones et flamands. En soi, c’est déjà un propos.

À notre arrivée dans la salle, l’espace scénique est séparé par un rideau de panneaux en bois. Il fait office d’écran vidéo;  il ne touche pas le sol pour permettre aux acteurs d’entrer ou sortir vers l‘Autre scène. À elle seule, cette scénographie évoque la complexité de la psychologie de Baal, jeune poète rebelle, provocateur, fou et libre presque égaré dans une société qui consomme du spectacle au kilomètre. Deux scènes parce que tous les personnages ont un rôle taillé sur mesure et qu’une fois le rideau franchit, Baal leur ôte le masque.  Sûr de son pouvoir d’attraction (qui peut résister à sa fougue, à sa folle virilité ?), il les fait venir un à un pour qu’ils tombent dans ses bras, à ses pieds. Vincent Hennebicq est exceptionnel dans le rôle d’un chef d’orchestre d’une microsociété qui cherche dans sa décadence des raisons d’apaiser les conflits de classe et religieux.

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Avec sa caméra, il transpire d’amour et de colère et filme la part de mystère de chaque visage. Amis, amante, patron, collègue?tous finissent par déclamer un «moi» qui se projette en «je» dans ses yeux et sur l’écran. Cette mise en scène de la métamorphose est éblouissante parce que j’y suis inclus. Chaque acteur joue avec mon désir: là où j’attends une mère de Baal droite dans ses bottes vient un acteur masculin courbé et tremblant qui, du fond des profondeurs, remet Baal dans une filiation. Là où je rêve d’une grande scène, chacun la rétrécit pour y installer la force de son personnage dans la relation étroite qu’ils entretiennent avec Baal. Étroite parce que dépendante. Tous portent une part de Baal en eux, magnifiquement électrisée par une guitare branchée sans crier gare.

Collectivement, la belle troupe du Theater Antigone donne à chaque acteur sa part de rêve, de liberté, de créativité pour y jouer la Scène de leur vie. Magnifique instant où, soudain, la jeune fille se met à danser pour entrer dans le monde des grands; troublant moment où Baal fait sa déclaration d’amour à une inconnue qui, anneau de tasse à café à la main, fait brûler dans ses veines le sang de la vie…Époustouflante scène à l’hôpital des fous où Baal baisse la garde pour se reconnaître dans ses pairs. Émouvant tableau de la mort de sa mère qui, telle Marie, finit dans les bras d’un Baal bientôt crucifié.

Peu à peu, la scène est un long traveling de cinéma où le théâtre s’invite des coulisses, à l’image des fous qui troublent «l’ordre public». Chaque acteur magnifie la chair de son rôle pour que l’on ne perde aucun détail de cette galerie de portraits, de cette fresque humaine.

«Baal» est une belle pièce parce qu’elle repose sur un collectif engagé qui joue la proximité sans tomber dans le racolage. A l’époque, Berthold Brecht ne savait pas que Baal demanderait la nationalité belge.

Pascal Bély, Le Tadorne

«Baal» de Bertolt Brecht par le Théâtre Antigone. À la Manufacture d’Avignon du 8 au 27 juillet 2012 à 20h30.

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LE THEATRE BELGE!

Sommes-nous tous des Peeping Tom?

Vendredi 29 juin, 21h, Festival de Marseille.

La foule se presse pour assister à la nouvelle création du collectif Belge Peeping Tom.

C’est la salle Vallier qui accueille cette pièce (à l’origine… une salle de boxe). Il est vrai que ce fut le parcours du combattant pour arriver à obtenir ce ticket tant convoité ! Mais j’ai mon sésame. Je me dirige donc vers ma précieuse place, au premier rang central, détail qui a toute son importance dans ce lieu inadapté et suffocant. Je vais malgré tout passer quatre-vingts minutes avec l’une des compagnies que je suis avec grand intérêt depuis presque dix ans et que je retrouve avec joie, émotion et un peu de nostalgie. Entre Peeping Tom et moi, c’est déjà une vieille histoire, qui date du festival Uzès Danse.

En 2004, ils y présentaient le second volet de leur trilogie : «Le Salon». Je découvrais alors une gestuelle et des artistes hors-normes, une danse généreuse et touchante, un collectif soudé et chaleureux, empli d’une belle humanité. L’année d’après, nous programmions «Le Sous-sol» qui clôturait en beauté cette trilogie sur la famille, la vieillesse et les rapports humains. Quelques années après, et n’ayant pu voir «32 rue Vandenbranden», c’est donc avec un réel enthousiasme que je m’apprêtais à vivre cette nouvelle expérience.

«À louer», leur dernière création, est un thriller chorégraphique, à la fois surréaliste et inquiétant, une sorte de Cluedo dansé mêlant l’univers d’Hitchcock et de Buñuel.

Nous sommes dans le salon de réception d’une maison bourgeoise, un salon vieillissant, étouffant et intrigant. Un gigantesque rideau rouge en arc de cercle entoure cet espace et nous plonge immédiatement dans un huis clos dont nous serons acteurs malgré nous. Dans ce décor angoissant et imposant, une maitresse de maison sortie d’un film d’Almodovar s’entretient avec son valet. Leur relation est étrange. Qui sont-ils ? Un lourd secret semble les unir, voire un triste mensonge. Les autres habitants de cette demeure jouent à cache-cache, des visiteurs arrivent en masse, impossible de les discerner, ils prennent vie entre ces rideaux, dans des pièces invisibles que l’on imagine à perte de vue. On pourrait croire à un vaudeville, les portes claquent, les personnages s’immiscent et sortent par des entrées lumineuses dissimulées derrière ces imposants rideaux, mais il n’en est rien. Ce ballet incessant est comme le fil rouge de notre pensée. Le décor en est le cadre, il se reproduit à l’infini, comme autant de cases de notre cerveau, d’assertions, de distorsions qui modifient l’espace-temps et nous plongent dans un monde parallèle.

Peu à peu je deviens le voyeur qui observe avec empathie tout ce petit milieu, ces jeux de pouvoir, ces rites amoureux, ces déceptions… Je tente de percer les secrets de cette maison : qui est vraiment ce valet aux mouvements déstructurés, que cache ce couple, quelle est la place de cet enfant devenu grand, mais qui cherche encore le regard approbateur de sa mère trop occupée à revivre ses auditions ratées, qui est ce jeune homme sur ce tableau funéraire ? Et cette maîtresse de maison habitée par la tristesse et les souvenirs, que cherche-t-elle ?

Leur danse m’accompagne dans ce questionnement, elle est le lien, elle me porte, leurs mouvements me font voyager dans cette maison, découvrir les recoins cachés, les secrets inavoués, les miens peut-être aussi. Je n’ai plus de repères, le temps s’est arrêté. Je suis prisonnière de cette maison hantée, au bord de la folie. Les flash-back s’enchainent, la virtuosité de ces interprètes est à son apogée. Le souffle court je les observe toujours, ou bien est-ce eux, qui nous observent nous perdre dans ce labyrinthe mental et physique ?

Les figurants reviennent, le salon se peuple, le temps reprend son cours ; je suis perdue, au bord des larmes, le souffle coupé, enfermée dans cette attraction à taille humaine. Ils me regardent avec insistance, comme pour me demander: «Alors, où en es-tu de ta vie ?»

Qu’ai-je perdu, qu’ai-je retrouvé, qu’ai-je cédé ? Je ne le sais pas vraiment. J’ai ressenti le vide, celui avant le grand saut, celui de la vie qui défile et de cette angoisse qu’on ne peut maitriser. L’angoisse du temps qui passe, du temps perdu. Ce moment où la vie se transforme en rêve, parfois en cauchemar, cette ligne invisible et si fine entre ces deux mondes irréels.

Les Peeping Tom ont une nouvelle fois créé leur monde et merci à eux de m’y avoir à nouveau convié.

Alexandra Piaumier – Le Tadorne.  

 “A louer” – Peeping Tom au Festival de Marseille les 29 et 30 juin 2012.

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LE THEATRE BELGE! OEUVRES MAJEURES

Au Théâtre du Merlan, Vanessa Paradis…

Pour commencer la lecture de cet article, une vidéo et une chanson. Juste pour poser l’ambiance de ce spectacle magnifique actuellement à l’affiche du Théâtre du Merlan à Marseille jusqu’au 17 décembre 2011. Etes-vous prêt ?

Ce fut l’un des grands moments du  Festival d’Avignon et de la Biennale de la Danse de Lyon. Bouleversant à plus d’un titre. Du théâtre populaire comme on n’en fait presque plus. « Gardenia » du chorégraphe Alain Platel et du metteur en scène Frank Van Laecke prouve, une fois de plus, que le Théâtre flamand sait décaler notre regard vers les “angles morts” de notre société. L’actrice et scénariste Vanessa Van Durme que nous avions tant aimée ici lors de son dernier spectacle, leur a soufflé une idée de départ: réunir sur scène de « vieux travestis qui dansent gaiement sur une musique triste ! ». Quelque temps plus tard, ils sont sept sur scène autour de Vanessa et d’un jeune danseur pour faire revivre ce cabaret éphémère, pour que le rideau se lève enfin et dévoile un pan entier de l’histoire du spectacle vivant.

Autant enlever le masque. L’émotion ne m’a pas quitté tout au long de la représentation. De la première minute (si politique, tant attendu) à la dernière (si respectueuse de la part du public), j’ai baissé la garde . Car ces hommes et ces femmes ont été sur la route de jeunes adultes perdus, apeurés par le sid’amour, pour leur donner la force de s’affranchir des habits sur pièce confectionnés par des familles oppressantes et une société autoritaire. Alors qu’ils s’avancent vers nous, dans leurs vêtements de ville, sur ce sol en pente, je sens que les lumières et la scène vont les libérer de cette atmosphère de maison de retraite dans laquelle nous les avions oubliés. Mais Alain Platel et Franck Van Laecke n’éludent en rien notre responsabilité d’avoir fait basculer cette pente afin que  disparaissent peu à peu ces corps qui nous ont pourtant tant donnés. Pas plus qu’ils n’épargnent le milieu de la nuit sur la violence de ses rapports sociaux et amoureux.

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Mais ce soir, il est temps de nous rapprocher, de créer l’équilibre entre notre gradin en pente et leur scène verticale. C’est ainsi que « Gardenia » multiplie les points de rencontre pour que le «genre» ne soit plus une question, mais un corps en mouvement. Le résultat est magnifique, généreux, car la mise en scène épouse le processus du travestissement en évitant de tomber dans la gaudriole et la moquerie. La musique joue sa fonction mémorielle et pacificatrice : «Gigi», «comme ils disent», nous est revenu « d’Alexandrie, Alexandra » tandis que la longue dame brune veille sur le destin de chacun. La présence de ce jeune danseur majestueux au milieu de ces vieux travestis amplifie la tragédie, rend poreuse la frontière entre masculin et féminin, symbolise le commencement là où approche la fin et incarne pour toujours «l’objet de tous nos tourments». Les tableaux se succèdent et la scène bascule vers le conte, l’enfer pour n’être vers la fin qu’un pacte respectueux entre nous et ces artistes de l’âme. On prend conscience du rôle déterminant des acteurs travestis pour que le mouvement du corps incarne le désir refoulé (il est d’ailleurs troublant de constater le poids du travestissement dans certaines créations actuelles).

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« Gardenia » est situé sur la frontière entre la danse, le théâtre, le cabaret, la musique. Dans une explosion de joie, le public signifie une fois de plus qu’il est grand temps d’ouvrir les codes de la représentation. Il en va de notre désir d’être encore uni, divers et fraternel. 

Pascal Bély – Le Tadorne.

“Gardenia” par les Ballets C de la B jusqu’au 17 décembre 2011 au Théâtre du Merlan. Dates de tournée, ici.

Crédit photo: Michel Cavalca.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Au Festival Off d’Avignon, l’épuisement.

Un bruit sourd envahit la salle. Dans l’attente, nous crions pour nous faire entendre. L’assemblée des spectateurs et les entrées symbolisent la ville bruyante. D’un coup, le vacarme s’arrête. Un grand mur vidéo nous affronte pour nous plonger, dans un silence quasi religieux, dans le flot incessant de la circulation de la capitale belge. Le corps est en totale symbiose avec l’automobile. L’anonymat le plus absolu.

Tandis que l’actrice-comédienne Olivia Carrère apparaît du fond de son lit rouge sang, le théâtre s’incruste peu à peu. Nue, elle regarde le monde au travers des stores. À cet instant précis, le théâtre fait son cinéma pour filmer théâtralement la solitude d’une jeune femme. Pas un mot ne sera prononcé, tout juste résonneront «Dis quand reviendras-tu?» de Barbara et «The winner takes it all» du groupe Abba. Les premiers tableaux me rappellent «Le concert à la carte» de Franz-Xaver Kroetz, mise en scène par Thomas Ostermeier et présenté au Festival d’Avignon 2004. Mais ici, la solitude est en troisième dimension: le corps en scène, le mal de vivre en film, la quête d’un amour absolu en internet. Face à un tel dispositif, nous sommes probablement aussi seuls qu’elle : notre désir d’une certaine théâtralité doit cohabiter avec des effets scéniques qui nous éloignent peu à peu d’un propos que nous voudrions limpide.

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L’atmosphère rappelle “Inland Empire» de David Lynch comme pour renforcer sa descente aux enfers et nous guider vers l’inexplicable : elle préfère son avatar tandis qu’elle déforme son corps; elle s’ouvre vers la toile pour s’enfermer chez elle et finir barricadée alors que la ville capitale grouille d’humains. Fabrice Murgia filme, théâtralise, connecte pour distancier, isoler tout en tissant des liens d’effets et de causes. Nous vivons en direct, ce processus qui paraît inéluctable : le plus petit acte répétitif du quotidien fait sens, le corps ne répond plus au désir de le rendre beau, l’internet est une prison ouverte à partir de connexions infinies avec un homme-lapin, mais qui réduisent et définitisent tout. Effrayant. Nous voilà à distance alors que probablement, nous souffrons d’une solitude imposée par une société qui objective le subjectif, cloisonne l’inséparable. Désirons nous humaniser pour communiquer ? Supportons-nous l’improbable quand internet nous promet l’autre à notre image ? Acceptons-nous le corps biologique alors que le virtuel nous propose un lien amical désincarné ? Toutes ces questions sont superbement portées sur scène, au croisement des esthétiques qui, une par une, symbolise notre rapport au corps, au temps, à la représentation de la réalité. Le sort de cette jeune femme émeut à peine (sauf quand elle chante Abba avec sa belle robe rouge), comme si nous étions trop occupés à ressentir ce qui se joue sur la toile, cette réalité «psychique» dont nous ignorons encore les ressorts.

Fabrice Murgia mouvemente l’interconnexion du théâtre, du cinéma et de l’internet. Il ouvre des possibles pour mettre en scène nos connexions entre virtualité et réalité.

Il nous offre un art théâtral pour éclairer le Nouveau Monde.

Pascal Bély – « Le Tadorne ».
« Life : reset / chronique d’une ville épuisée » de Christophe Murgia à la Manufacture pendant le Festival d’Avignon 2011.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Fallait-il aller à Bruxelles ?

«Fallait-il aller à Bruxelles?» me demande une amie à mon retour du KunstenFestivalDesArts. Moment d’hésitation. Comme un blanc. Ce qui me semblait une évidence les années précédentes, ne l’est plus aujourd’hui, comme si je ressentais un décalage entre le bouillonnement de la planète et des créations sans relief apparent.

Oui, il fallait s’y rendre même si l’absence de pont a découragé bon nombre de français (je n’ai croisé aucun programmateur de ma région!). Au total, j’ai passé six jours dans la capitale belge pour quatorze propositions (soit la moitié de la programmation). À noter l’augmentation croissante de coproductions européennes : certaines oeuvres sont à l’affiche du Festival d’Automne de Paris et du Festival d’Avignon. Dit autrement, le Kunsten est-il encore indépendant dans ses choix artistiques ?

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Oui,  il fallait s’y rendre, car le Kunsten, en croisant les arts, stimule le positionnement du festivalier. Le documentaire de Sven Augustijnen sur le passé colonial de la Belgique avait autant de force que la performance de Walid Raad sur les chemins de traverse de l’art contemporain. L’opéra d’Henry Purcell par Jan Decorte a enthousiasmé en ouvrant le théâtre vers une discipline peu réceptive à la pluridisciplinarité. La performance de Miet Warlop a évoqué le corps amputé en chorégraphiant les déplacements des spectateurs tandis que Mariano Pensotti convoquait le public dans le métro pour le socialiser à partir de dialogues poétiques. Dit autrement, le Kunsten nous raconte des histoires pour traverser les arts, faire bouger le regard et positionner le spectateur actif. C’est un festival qui stimule d’habitude la transdisciplinarité, mais avec moins de force cette année.

Oui, il fallait s’y rendre, car le Kunsten restitue une certaine vision de l’Europe. Cette année, le tableau a été très noir avec un sentiment d’oppression, d’étouffement comme si le Vieux Continent déclinait inexorablement à force de ne pas réinterroger son modèle démocratique et économique. Il a fallu tout le talent de deux Belges, Fabrice Murgia et Anne-Cécile Vandalem pour, à partir de cette crise,  créer une mise en scène particulièrement inventive. Mais l’Europe n’a pas brillé du côté de ses créateurs. Le Berlinois René Pollesch m’a ennuyé avec son discours infantilisant sur le théâtre ; le chorégraphe Philipp Gehmacher a plombé le public avec sa danse vidée de sa sensibilité (est-il encore nécessaire de conceptualiser à ce point ?), tandis qu’Eszter Salamon a osé nous convoquer au théâtre sans objet théâtral. De son côté, Manah Depauw, en célébrant l’homme des cavernes, s’est dispensée d’un propos pour aller au-delà de l’histoire.  La danse s’est laissé contaminer par l’art contemporain. Au Kunsten, le corps ne nous a pas parlé de la douleur du monde et de ses révolutions (à l’exception notable de la Marocaine Bouchra Ouizguen avec «Madame Plaza» créée au festival Montpellier Danse en 2009).

Oui, il fallait y aller, car le Kunsten reste un festival ouvert au Monde. Toshiki Okada avec deux  propositions (dont l’une vue au dernier festival d’Automne) a de nouveau conquis le public. Pour le reste, deux déceptions : nous n’avons rien compris à la création indienne de Zuleikha et Manish Chaudhari tandis que le collectif mexicain Lagartijas Tiradas al Sol nous a noyé dans des anecdotes des guérillas des années 1960-70.

Oui, il fallait aller à Bruxelles et pourtant. Je m’interroge. Je n’ai pas retrouvé l’impulsion des années précédentes à l’image du lieu qui rassemble spectateurs, professionnels et artistes. Je me souviens encore de l’effervescence qui régnait en 2008 au Beursschouwburg, lieu de partage et d’émulation créative. Cette année, le Kunsten a choisi une école (le Rits) dans une salle qui fait office de cafétéria, aménagée par le plasticien Simon Siegmann. La scénographie n’est pas sans rappeler l’atmosphère low-cost de certains hôtels et autres restaurants en recherche de «branchitude». Je n’y ai rencontré personne. Cet «assèchement» relationnel est inquiétant, car le Kunsten a toujours été un festival du dialogue. N’est-il pas aujourd’hui en voie d’uniformisation ? N’est-il pas temps d’interroger sa vision d’un festival des arts ouvert sur le monde capable de stimuler un projet européen de la culture ?

Rendez-vous en 2012, juste après les élections présidentielles françaises, épiphénomène face aux nombreux bouleversements planétaires qui nous attendent.

Pascal Bély, le Tadorne

Le KunstenFestivaldesArts de Bruxelles du 6 au 28 mai 2011.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Comme d’habitude, le théâtre belge nous habite.

Le public semble sonné. Le théâtre (sur)réaliste belge a encore frappé. On devrait pourtant s’y habituer. Ce pays s’empare de la question sociale pour la porter sur scène et métamorphoser le corps du théâtre. Seuls les Belges sont aujourd’hui capables d’introspecter notre inconscient collectif à partir d’une scénographie sans cesse réinventée. Anne-Cécile Vandalem avec «Habit(u)ation» s’inscrit donc dans la lignée du collectif Peeping Tom et du chorégraphe Alain Platel en portant sur scène une famille en crise de nerfs et de sens, en décomposition, mais dont la régénérescence démontre une fois de plus qu’un changement de civilisation est en marche.

Annie est une jeune enfant. Elle rêve d’une expédition en Norvège, là où siège l’entreprise de son père. Alain, découpe du saumon dans l’appartement. Sa société est sous embargo pour produits impropres à la consommation. Le voyage attendra…Nous voilà propulsés au coeur d’une famille transformée en outil de production où la mère (Claudia) assure dans une société d’assurance tandis qu’Yvonne (la tante) subit les réorganisations de sa compagnie de bus. Le décor fait penser à un vieux théâtre de boulevard mais l’appartement donne sur un jardin que l’on imagine florissant. En quelques minutes, Anne-Cécile Vandalem traduit les effets de la mondialisation sur le fonctionnement familial. Le mal de vivre est saisissant.  La communication au sein de cette famille semble rythmée par les conventions sociales et éducatives d’un autre temps. Chacun est en perte de statut, mais s’accroche à des gestes et des rites, même s’ils n’ont plus de sens.

Les dialogues s’assèchent comme le poisson dont le père extrait la chair pour la mettre sous vide. Ce système familial est autarcique, à l’image d’un continent européen en panne de projet  pour s’inventer un nouveau destin. Même les médias ne jouent plus leur fonction d’éducation et de culture : dans cet appartement qui sent le rance, la radio diffuse ce que les protagonistes vivent toute la journée, à savoir la marchandisation de l’humain. Tout se vend. C’est le triomphe de la communication quitte à transformer les vêtements de nos enfants en panneau publicitaire. Il y a cette phrase qui résonne, glaçante: «ce n’est pas de gober dont nous manquons dans la famille, mais c’est de souffler». Dans ce contexte-là, Annie cherche sa place. Par sa justesse de jeu, elle vit ce que nous faisons subir aux enfants. Dès leur plus jeune âge, ils doivent acquérir les gestes et postures de la soumission à un capitalisme financier dont ils ne sont qu’une variable d’ajustement. Qui s’étonne aujourd’hui du projet du Ministère de l’Éducation Nationale Français de faire apprendre l’anglais aux enfants de trois ans ? Quels sont les parents offusqués, trop soulagés de trouver dans cette proposition un  remède à leur angoisse sur l’avenir de leur chérubin ?

C’est alors que tout bascule, parce que le théâtre redonne « corps » à cette famille. Rarement une scénographie n’est allée aussi loin dans la décomposition et la régénération. Peu à peu, la parole s’efface, ensevelie par la lente métamorphose des corps et des liens (un peu trop appuyé ce qui laisse supposer qu’Anne-Cécile Vandalem s’inclue dans le processus). On navigue entre un thriller (comment ne pas penser au drame familial intervenu à Nantes en avril dernier ?) et un voyage au coeur de la Renaissance italienne, à moins que cela ne soit une allégorie de la catastrophe pour nous réinventer. Il est probable que la mise en scène soit anxiogène (elle résonne avec le contexte actuel où les fléaux naturels et nucléaires s’enchevêtrent avec les révolutions arabes et la lente décomposition du politique né de la civilisation industrielle). Le spectateur est enseveli dans ce déluge de créativité jusqu’à perdre son regard critique tant les images sont saisissantes. Anne-Cécile Vandalem et ses acteurs (tous exceptionnels) donnent l’impression qu’ils ne maîtrisent pas tout. C’est probablement cette fragilité qui sécurise et humanise profondément cette machinerie théâtrale qui semble totalement incontrôlable.
Habit(u)ation” mériterait d’être prolongé par un débat avec le public, les artistes, des chercheurs et des politiques. Car cette oeuvre parle à tous, nous relie et peut-être vécue comme une catharsis de nos peurs contemporaines. N’est-ce pas là, la fonction d’un théâtre engagé et populaire ?
Pascal Bély- « Le Tadorne »
« Habit(u)ation » d'Anne Cécile Vandalem du 20 au 23 mai 2011 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.
Crédit photo: Phile Deprez.
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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES LE THEATRE BELGE!

Européens épuisés, mais connectés.

Le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles a commencé depuis quelques jours et le spectacle de Fabrice MurgiaLife : reset / chronique d’une ville épuisée») semble avoir marqué certains esprits. Pour s’y rendre, il faut monter les raides escaliers du Théâtre National qui nous conduisent au 3e étage. Un bruit sourd envahit la salle. Dans l’attente, nous crions pour nous faire entendre. L’assemblée des spectateurs et les entrées symbolisent la ville bruyante. D’un coup, le vacarme s’arrête. Un grand mur vidéo nous affronte pour nous plonger, dans un silence quasi religieux, dans le flot incessant de la circulation de la capitale belge. Le corps est en totale symbiose avec l’automobile. L’anonymat le plus absolu.

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Tandis que l’actrice-comédienne Olivia Carrère apparaît du fond de son lit rouge sang, le théâtre s’incruste peu à peu. Nue, elle regarde le monde au travers des stores. À cet instant précis, le théâtre fait son cinéma pour filmer théâtralement la solitude d’une jeune femme. Pas un mot ne sera prononcé, tout juste résonneront «Dis quand reviendras-tu?» de Barbara et «The winner takes it all» du groupe Abba. Les premiers tableaux me rappellent «Le concert à la carte» de Franz-Xaver Kroetz, mise en scène par Thomas Ostermeier et présenté au Festival d’Avignon 2004. Mais ici, la solitude est en troisième dimension: le corps en scène, le mal de vivre en film, la quête d’un amour absolu en internet. Face à un tel dispositif, nous sommes probablement aussi seuls qu’elle : notre désir d’une certaine théâtralité doit cohabiter avec des effets scéniques qui nous éloignent peu à peu d’un propos que nous voudrions limpide.

L’atmosphère rappelle “Inland Empire» de David Lynch comme pour renforcer sa descente aux enfers et nous guider vers l’inexplicable : elle préfère son avatar tandis qu’elle déforme son corps; elle s’ouvre vers la toile pour s’enfermer chez elle et finir barricadée alors que la ville capitale grouille d’humains. Fabrice Murgia filme, théâtralise, connecte pour distancier, isoler tout en tissant des liens d’effets et de causes. Nous vivons en direct, ce processus qui paraît inéluctable : le plus petit acte répétitif du quotidien fait sens, le corps ne répond plus au désir de le rendre beau, l’internet est une prison ouverte à partir de connexions infinies avec un homme-lapin, mais qui réduisent et définitisent tout. Effrayant. Nous voilà à distance alors que probablement, nous souffrons d’une solitude imposée par une société qui objective le subjectif, cloisonne l’inséparable. Désirons nous humaniser pour communiquer ? Supportons-nous l’improbable quand internet nous promet l’autre à notre image ? Acceptons-nous le corps biologique alors que le virtuel nous propose un lien amical désincarné ? Toutes ces questions sont superbement portées sur scène, au croisement des esthétiques qui, une par une, symbolise notre rapport au corps, au temps, à la représentation de la réalité. Le sort de cette jeune femme émeut à peine (sauf quand elle chante Abba avec sa belle robe rouge), comme si nous étions trop occupés à ressentir ce qui se joue sur la toile, cette réalité «psychique» dont nous ignorons encore les ressorts.

Fabrice Murgia mouvemente l’interconnexion du théâtre, du cinéma et de l’internet. Il ouvre des possibles pour mettre en scène nos connexions entre virtualité et réalité.

Il nous offre un art théâtral pour éclairer le Nouveau Monde.

Pascal Bély – « Le Tadorne ».
« Life : reset / chronique d’une ville épuisée » de Christophe Murgia au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles du 10 au 14 mai 2011. Puis à la Manufacture pendant le Festival d’Avignon 2011.

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FESTIVAL D'AVIGNON LE THEATRE BELGE!

Au Festival Off d’Avignon, l’adolescence chagrine.

Belle tentative que d’essayer de mettre le doigt là où ça fait mal à l’adolescence. “Le chagrin des ogres”  de Fabrice Murgia s’appuie fortement (trop?) sur la technologie pour tenter de nous faire entendre (de nous rappeler) le bruit et la fureur de cet âge “cruel”.

Autopsie d’un passage où l’on doit lâcher hier pour aller vers un ailleurs dont on ne perçoit, à ce moment,  que le tonitruant bruit d’un renoncement de soi. L’enfance est là abîmée, ensanglantée, à l’image de cette poupée humaine qui arpente la scène et enjoint, câline ou vociférante, de ne pas céder. Le monde adolescent nous est montré comme enfermé dans la prison des espaces numériques, la relation à l’autre s’établissant via la caméra et internet à coup de « mensonges » scénarisés ou d’obsessions « infantiles ».

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Peut-être est-on avec «le chagrin des ogres» trop dans la métaphore archétypée,  tant dans les tableaux pathologiques des personnages que dans les rappels d’un réel de faits divers. Il me semble regrettable d’avoir raccroché ces portraits à des faits d’actualités trop marqués par les couvertures médiatiques dont ils ont fait l’objet. Le tableau me paraît trop tranché et pourrait renforcer l’idée que c’est par le « scoop » que l’on peut faire entendre sa souffrance. Cela bien sûr étant, je le crois, à l’encontre de ce que souhaite la troupe.
Ce travail pourrait être un excellent outil de prévention et permettrait d’ouvrir le dialogue avec ceux qui traversent ce bouleversement. En ce qui me concerne je n’ai pas retrouvé trace de mon histoire, je sais…, elle date du temps d’avant internet. Mais, en cela, cette proposition peut revendiquer une parole de son époque.
Je n’ai pu m’empêcher de penser à une autre pièce vue l’an dernier au Off : « Chatroom » qui traitait une problématique similaire, mais avec une mise en scène moins « spectaculaire » et un propos à mon sens plus fouillé.
Cette proposition me laisse donc sceptique, je ne peux m’inscrire dans un regard net, c’est peut-être là l’un des objectifs de ce chagrin que de donner à questionner ce que l’on voit et de ne pas trancher. Puissent, dans ce cas, les larmes des ogres ouvrir des espaces où percevoir et entendre que l’enfance n’a pas besoin d’être jetée comme un vieux « doudou » pour se lancer dans le monde des « grands».

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

“Le chagrin des ogres” de Fabrice Murgia à la Manufacture (Avignon) jusqu’au 27 juillet 2010.

Crédit photo: Cici Olsson.

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LE THEATRE BELGE!

Anne, ma soeur Anne.

Pour Louis Jouvet, « le théâtre rend aux hommes la tendresse humaine ». Aujourd’hui, nous pouvons compter sur le théâtre belge et allemand pour « humaniser » les programmations « tendances » et déplacer le spectateur vers les eaux troubles que l’on éclaircit trop souvent pour ne plus le choquer. L’auteur et metteur en scène Franz Xaver Kroetz nous propose avec « Negerin » (négresse), une oeuvre qui permet à trois acteurs d’exception (Laurent Caron, Didier De Neck et Anne Tismer) d’éclairer le lourd climat social de notre époque.

À peine montons-nous les gradins posés sur la scène de la Comédie de Valence, qu’elle arpente le plateau. Pendant qu’une employée du théâtre vient rappeler les règles d’usage et faire la promo de la programmation (pourquoi nous infliger cette irruption telle une page de publicité au beau milieu d’un film d’auteur?), je la suis des yeux avec sa jolie robe blanche et noire. Alors que la lumière s’éteint peu à peu, que le décor se fait de plus en plus oppressant, elle disparaît pour réapparaître tandis qu’elle fait  une fellation. Elle finit par se tourner vers nous, étale le sperme délicatement et se passe du rouge à lèvres,  telle une star de cinéma. Nous sommes son miroir. L’instant est magnifique. D’elle, nous ne saurons jamais son prénom. De l’amant, non plus. Du mari qui ne tarde pas à faire irruption, pas plus.

Dans ce huit clos étouffant, les phrases sont amputées de leurs liaisons. Si la révolution industrielle a accompagné l’alphabétisation, notre époque ne garde que les mots « utiles » : le texte est mitraillé comme des coups de poings, parfois murmuré, obligeant le spectateur à faire preuve d’une très grande écoute. Cet humain-là, ne s’offre pas facilement. Le mari est donc parti et ne revient que pour chercher ses « slips propres ». Elle accueille cet amant qui se précipite sur son assiette, affamé du pouvoir qu’il croit détenir sur elle. Il se jettera sur elle ensuite pour une séance d’amour d’anthologie. Car dans cet appartement, on se jette sur tout ce qui bouge. À chaque instant, un fil se tend, prêt à casser pour un dénouement tragique. La force de la mise en scène est de nous faire vivre de l’intérieur la violence conjugale et la marchandisation du corps féminin. La bêtise crasse qui dégouline des médias et des mots de certains politiques trouvent ici un prolongement dans ce couteau pointé, dans cette veste de chasseur échangé entre les deux hommes, où le sang gicle d’un corps à l’autre.

L’instinct de propriété vient même se nicher là où on ne l’attend plus : « ne touche pas à mon assiette » dit l’amant au mari. C’est époustouflant de voir les corps ainsi propulsés de chaque côté de la scène, comme une partie de ping-pong dont nous serions les joueurs complices et eux la balle. Ce théâtre-là bouscule : depuis quand n’avons-nous pas vu cela sur scène ? Ici, on se touche avec les mains qui pénètrent, on se tue, on se baise, on s’aime. Ici, la musique ne s’écoute pas avec des enceintes criardes censées forcer l’émotion, mais à partir d’un vieux poste de radio où l’on diffuse « parlez-moi d’amour », « les sucettes» et de la musique militaire.  La poétique vient alors chasser la suprématie de la trique. Le plus extraordinaire est de ressentir l’enfance meurtrie chez ces trois personnages perdus : leur moindre geste traduit une cassure, un trauma qui se transmettrait entre classes défavorisées, comme la « chtouille » qu’elle est accusée de propager.

Anne Tismer est exceptionnelle parce qu’elle incarne la fraternité : elle est notre petite soeur au coeur de ce théâtre du sale qui nous la restitue à l’endroit où nous l’avions abandonnée. Là où le marketing (culturel) étouffe la voix de ceux qu’il marchandise.

Pascal Bély –www.festivalier.net

“Negerin” de Franz Xaver Kroetz a été joué les 4 et 5 février 2010 au Théâtre de la Ville à Valence.

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LE THEATRE BELGE!

Au festival Off d’Avignon, « Chatroom » tisse sa toile et nous relie.

La Belgique, toujours elle, est là quand il faut introspecter les terres chaotiques de l’humain.  Elle sait souvent nous parler au bon moment et avec la manière. Au festival Off d’Avignon, « Chatroom » d’Enda Walsh par Sylvie de Braekeleer, pièce sur l’adolescence avec en toile de fond les « chats » sur internet, affiche complet. Pas étonnant. Elle répond à un besoin. Notre pays n’écoute plus sa jeunesse, si ce n’est au travers d’un arsenal répressif, ou s’en remettant à l’industrie culturelle chargée de propager les bonnes moeurs commerciales. Dès le début de la pièce, elle en prend d’ailleurs pour son grade à partir d’une scène savoureuse, où deux jeunes filles habillent pour l’hiver Britney Spears : sur internet, on fait aussi oeuvre de sens critique !

Car ceux qui verraient dans « Chatroom» une accusation à charge contre la toile, en seront pour leur frais. Ce qui est en cause, c’est notre approche sur cette tranche de vie, souvent caricaturée, peu étudiée à l’université, gommée des politiques de santé publique. Et pourtant, alors que l’on nous invite à retrouver notre regard d’enfant, il est rare que l’adolescence véhicule un imaginaire positif. La force de cette pièce est de combler ce vide avec six jeunes comédiens (tous exceptionnels) qui, loin de réduire ce qui est complexe, jouent avec générosité et honnêteté un texte ciselé pour le théâtre. On y voit six adolescents pris dans la toile avec leurs bagages déjà lourds,  tenter de s’alléger en s’essayant à la manipulation, à sauver ce qui peut l’être, à jouer les grands frères avec distance, à rechercher la bonne cause, à s’engager avec fraternité, à s’affirmer par le pouvoir et s’y brûler.

Les mécanismes de la séduction et de la domination sont approchés avec délicatesse dans un décor qui n’utilise pas les nouvelles technologies pour faire branché, mais qui sert les acteurs. La vidéo prolonge avec succès le jeu théâtral parce qu’elle s’appuie sur une dramaturgie en forme de happening : à 15 ans, on sait faire la différence entre monde réel et virtuel et puiser dans l’enfance les ressorts de l’imaginaire qui construisent un adulte. Sylvie de Braekeleer sait matérialiser un espace virtuel en assumant le propos : un outil, si l’on veut bien s’en donner la peine, peut véhiculer du sens.

« Chatroom » permet de vieillir avec sérénité. Vous y prendrez un sacré coup de jeune.

Pascal Bély – Le Tadorne

« Chatroom » d’Enda Walsh, mise en scène de Sylvie de Braekeleer, jusqu’au 28 juillet au Théâtre des Doms en Avignon.