Catégories
ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS AUTOUR DE MONTPELLIER ETRE SPECTATEUR PAS CONTENT

Vous avez dit “spectateur”?

Qu’est-ce qu’être spectateur critique et engagé aujourd’hui ? Ces derniers mois, j’ai été  frappée par des comportements qui m’interrogent…Je suis face à des salles vieillissantes, composées d’abonnés de longue date. Assise à côté d’eux, je me suis senti gênée, tout comme d’autres spectateurs, par leurs commentaires à haute voix. Lors du dernier spectacle de  Decouflé à Nîmes, ils se sont comportés comme s’ils étaient dans leur salon devant leur télévision. J’ai été agacée par leurs remarques («ce n’est pas de la danse») à la fin d’un spectacle de Raimund Hoghe à Montpellier. J’ai surtout été outrée par leur violence à Sète à l’égard de Maguy Marin.

Qui sont ces spectateurs ? En veulent-ils pour leur argent de consommateurs ? La communication des lieux est-elle honnête lors de la présentation de saison? Ne fait-elle pas miroiter à  son public adhérant un divertissement garanti?

public

De ma place de spectatrice, il me semble essentiel d’être dans une démarche de curiosité active. La lecture attentive des programmes, la connaissance des artistes ou le souhait de vivre une expérience sont mes critères de choix. Etre spectateur critique avant d’être consommateur. Je suis malheureuse quand je suis dans une salle à moitié vide, comme pour « Chatroom » par Sylvie de Braekeleer, l’année dernière au théâtre Jean Vilar de Montpellier. C’était pourtant une pièce de société, intelligente et intelligible. Mon plaisir explose quand je suis enfin entourée de vivants, d’enfants, d’étudiants qui composent un vrai public mixé. Ce sont des salles qui respirent, où le public expire fortement ou retient son souffle quand l’émotion est là.

Pourquoi ce glissement ? Quelle est la part de responsabilité des communicants? Quel projet ont-ils pour leur public, mis à part de remplir leur salle pour séduire les politiques et obtenir les subventions à la clef ? Que signifient ces écoles de spectateurs qui pleuvent de tous côtés de Paris à Montpellier, où il faut nous éduquer, nous montrer, nous apprendre ? Je me souviens des soirées de débats télévisés où enfant, j’étais marquée par les engagements et la force des points de vue. Pourquoi sommes-nous aujourd’hui plongés dans la sphère du consensus mou? La parole des spectateurs fait elle si peur dans cette société du spectacle empoisonnée par les jeux de pouvoir? La passion est en droit de libérer tous les déchaînements, quand ils sont justes et argumentés.

Nous considèrent-ils comme des spectateurs de chair et de pensées capables de développer un regard critique ? Savent-ils que ce que je voyais il y a dix ans, je ne le perçois plus de la même façon aujourd’hui parce qu’entre temps, je me suis nourrie de rencontres avec des artistes engagés dans des démarches créatives de recherche.

Depuis quelques années, nous sommes quelques-uns à nous ressentir « chercheurs marcheurs » en quête de sensations. Nous sommes dans toutes les régions et nous nous réunissons au Festival d’Avignon, non pour flatter nos égos, non pour être sous la coupe d’une institution, mais parce que nous sommes passionnés dans un contexte de crise, mot trop facilement, trop souvent martelé.

Notre parole se dépose dans des débats interactifs avec d’autres spectateurs critiques. Elle noircit les blogs pour garder une trace, une mémoire pour les générations à venir et pour le public d’autres territoires. Notre objectif est de nous mettre en lien, d’être dans le plaisir. Nous sommes différents des journalistes qui ne donnent majoritairement que des informations pour privilégier la communication institutionnelle au détriment de la réflexion sensible et de l’analyse. Leur parole est souvent neutre ou fielleuse, mais rarement dans un travail de fond.

Avec d’autres spectateurs Tadorne, je suis heureuse d’être dans cette démarche de réflexion et suis insatiable des découvertes des arts sous toutes leurs formes. Ils me transportent, m’offrent une part de rêve, me font travailler sur moi-même et le monde qui m’entoure.

Ma soif est de pouvoir continuer de soutenir des artistes qui sont dans une démarche créative recherchée, et accueillis dans des lieux ouverts et respectueux de ces engagements.

Les arts sont vivants, tout comme les spectateurs et les structures qui les promeuvent.

Sylvie Lefrere, Tadorne.