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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS ETRE SPECTATEUR LES FORMATIONS DU TADORNE

Chroniques d’un spectateur engagé et contributeur: Le projet avec la Scène Nationale de Martigues.

J’inaugure cette semaine une série d’articles autour de mes rencontres avec des établissements culturels. Depuis 2009, j’ai proposé différentes actions visant à développer un modèle de relation contributive entre  professionnels du spectacle, de l’éducation, du social, artistes et spectateurs. Premier retour avec la Scène Nationale de Martigues.

C’était au départ une idée originale et courageuse. Préoccupée par la volatilité des spectateurs, Annette Breuil, directrice du Théâtre Des Salins de Martigues, souhaitait engager un dialogue différent avec le public en posant un cadre sans expert et hiérarchie pour l’écouter. Dès 2009, je proposais d’organiser une série de débats participatifs (“que voulons-nous faire ensemble ?”). Je formulais une première  hypothèse : renforcer un service public de la culture suppose de privilégier des relations contributives entre professionnels, artistes et spectateurs (de plus en plus « cultivés » et en réseau via internet notamment). La première saison de «Y’a des Ho! Y’a débat!» pouvait commencer! Le premier rendez-vous en septembre 2009 sur la place du spectateur et du programmateur a quelque peu déçu : il n’a pas réussi à dépasser le schéma descendant entre le public et Annette Breuil. Malgré tout, le besoin de libérer une parole autour des choix de programmation était palpable.

Quelques semaines plus tard, le débriefing a permis de formuler une seconde hypothèse: ouvrir la relation à l’externe suppose d’amplifier la communication à l’interne. J’ai proposé à l’équipe de s’approprier le projet (qu’il ne soit plus centré sur Annette Breuil ou moi-même) et de partir à la rencontre des spectateurs avec une caméra vidéo et une question en tête, thème du deuxième débat («le Théâtre des Salins est-il un lieu d’échanges?»). Un émouvant reportage a fait l’ouverture de la rencontre et permit à l’équipe de créer les conditions d’un échange sincère avec le public. L’intervention par téléphone du chorégraphe Michel Kelemenis sur sa conception d’un théâtre ouvert a offert une perspective passionnante. Au final, la forme de ce rendez-vous (film, débat, interview téléphonique) a multiplié les angles, fluidifié la communication et renouvellé le genre.

Lors d’une réunion bilan, l’articulation «Y’a des Ho ! Y’a débat!» avec un travail d’équipe a été validé (cela crée le «ciment» à partir d’un temps collectif où la recherche du sens  par le langage symbolique et métaphorique garantit la vision globale). La réflexion sur le lien entre nouvelles technologies et théâtre a été jugée pertinente, car elle permet de réfléchir sur le sens de la communication. La dynamique autour de ces débats a interrogé le positionnement des professionnels en envisageant des ouvertures dans un contexte où la relation avec les spectateurs évolue en permanence (billetterie sur internet, nouvelles pratiques culturelles, concurrence accrue de l’offre de spectacles).

Mais pour penser les futures actions envers les spectateurs, l’équipe devait consolider ses fondements à partir de trois axes :

1. Identifier les valeurs de son projet et savoir le communiquer en interne et en externe

2-Travailler  sa dynamique relationnelle pour décloisonner les fonctions et les métiers.

3. Relier les actions de médiation et de communication pour créer des passerelles, des mises en réseau, susceptible de développer qualitativement les publics.

A ce stade du projet, j’ai formulé une troisième hypothèse : un formation pourrait accompagner l’équipe à  définir son socle de valeurs à partir des processus du management participatif.

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Celle-ci n’a pas vu le jour. J’ai proposé à Annette Breuil de poursuivre la démarche en redéfinissant la relation avec le public par l’artistique et le festif. Ainsi est né, «Faire la fête à la Scène». Profitant de la semaine où les Scènes Nationales vont fêter leur 20ème anniversaire en mars 2011, j’ai suggéré d’enclencher avec l’équipe une série d’actions symboliques pour libérer la créativité des spectateurs et des professionnels. En étroite collaboration avec un collectif pluridisciplinaire d’artistes et l’Ecole de Danse de la ville, chacun expérimenterait de nouvelles modalités de communication (Flash mob, bal, mapping vidéo, parcours artistique au sein du théâtre, ateliers d’écriture avec un plasticien et mise en mouvement par un chorégraphe). A ce jour, le Théâtre des Salins a retenu la journée du 18 mars 2011 pour qu’on lui fasse la fête.

L’équipe vivra une expérience unique qui lui donnera, sans aucun doute, l’énergie pour penser un projet global de développement : qualitatif, ouvert, inscrit dans la durée, innovant et démocratique.

Pascal Bély -Le Tadorne.

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HIVERNALES D'AVIGNON LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

Ne me jette pas.

Il arrive parfois que la danse contemporaine nous tende un miroir à mille facettes. Où en sommes-nous? N’avez-vous rien remarqué autour de vous? Mais où suis-je?
Le chorégraphe tunisien Radhouane El Meddeb a une sensibilité bien particulière pour restituer sur un plateau «ce que nous sommes», titre de sa dernière création.
Ils sont cinq dont une qui n’a pas tout à fait l’allure d’une danseuse (magnifique Alice Daquet, alias Sir Alice): de sa robe moulante transparaît de jolies formes (incarnerait-elle Radhouane?). Elle est le «corps social» et porte les stigmates de l’abandon. Elle a cette colère froide, de ceux qui n’ont aujourd’hui plus grand-chose à perdre. Elle observe souvent, se mêle au groupe sans y être. Elle est le «politique» au sein d’un collectif qui ne sait plus comment s’y prendre pour lutter contre la solitude des individus.

Par un subtil jeu de lumières, ils se dévoilent peu à peu. Deux hommes (troublants Olivier Balzarini et Christian Ben Aïm) et une jeune femme  (puissante Anne Foucher), élégamment habillés s’entremêlent tandis qu’une autre, à l’allure fougueuse (étrange Margot Dorléans), (se) cherche. La scénographie d’Anne Tolleter (collaboratrice de Mathilde Monnier) fait encore des miracles: à l’image de la bordure d’un tableau, elle a posé des gravillons noirs et argentés tout autour de la scène. À tour de rôle, ils marchent sur cette étroite bande dont le bruit produit le frisson à l’arrivée de celui que l’on attendait plus, à moins que ce ne soit le son de la relation…À ce tableau, il faut ajouter la musique de Sir Alice: tout aussi profonde que la danse de  Radhouane El Meddeb, elle nous enveloppe et nous donne l’énergie de ne pas lâcher un seul mouvement. Voudrait-elle nous inclure? Et si nous étions le sixième acteur de ce huit clos ?

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Peu à peu, du repli sur soi, enfermé dans leur bulle virtuelle (qui finit par rendre fou), chacun marche en préférant la diagonale pour tisser la toile. Une tête se pose sur le corps de l’autre tandis que des gestes de rien du tout créent la relation de confiance. On se porte, on se supporte. Il y a peu d’envolées, mais que l’on ne s’y trompe pas: les craintes et les désirs s’entrechoquent en silence. Que ces fils paraissent fragiles!  Ces gestes lents créent la partition d’une étonnante chorégraphie poétique où la personne incarne le «tous». C’est puissant parce que nous sommes toujours à ces deux niveaux en même temps: l’individu et le groupe.
Lentement, les corps se répondent, le collectif prend du relief. Tout un paysage relationnel se dévoile: aux sons des gravillons, se superposent le bruit des baisers et des bisous. La créativité de chacun s’exprime dans un cadre sécurisant, l’érotisme s’approche et le désir amoureux fourbit ses armes. Comment  façonner l’autre à notre image? Est-ce l’autre que nous chérissons? N’est-ce pas plutôt la relation (névrotique si possible) que nous cherchons?
C’est à ce moment précis que le groupe bascule dans une violence inouïe. Alors que nos connaissances sur la psychologie n’ont plus rien à avoir avec ce que savaient nos parents, nous semblons les utiliser pour «jeter» l’autre comme une marchandise. Le corps intime et le corps social se fondent peu à peu dans le consumérisme le plus abject où leur marchandisation côtoie le principe de précaution qui voit dans «l’autre» une possible menace. Radhouane El Meddeb dévoile ici son impuissance à se représenter une issue à cette violence née de nos solitudes contemporaines et de notre incapacité à repenser le collectif en dehors des dogmes qui l’ont jadis structuré. Car aujourd’hui, c’est bien  le corps jeté (les suicidés de France Telecom, le corps immolé en Tunisie et ailleurs) qui ouvre la voie à «notre» reconstruction.
Le corps est une bombe. Radhouane El Meddeb est un démineur en Fa Majeur.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Ce que nous sommes » par Radhouane El Meddeb le 25 février 2011 dans le cadre du festival « Les Hivernales».
Crédit photo: Agathe Poupeney.
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PETITE ENFANCE

Bonne pioche!

Vous souvenez-vous du jour où vous avez osé pousser LA porte, celle qui mène vers l’antichambre soigneusement cachée ? Vous rappelez-vous de l’émotion qui vous a submergé à l’idée de transgresser la règle qui veut que le jeune enfant ne fouille pas dans les secrets de famille ? Plus de quarante après, me voilà à tirer de nouveau le rideau. Le Théâtre Massalia invite petits et grands à franchir la ligne où nous découvrons éberlué «le cabinet des curiosités» aménagé par le Théâtre «Tête de Pioche». À partir de vieux matériaux agricoles, Christine de Saint-André assemble différents outils pour créer des personnages et des marionnettes qui ne tiennent qu’à un fil. Par un subtil alliage de bois, de tissus et de fonte, nous voilà immergé dans un grenier qui pourrait être celui d’un théâtre où l’on aurait entreposé des décors, des projets de créations enterrés et oubliés, des idées de scénario. Mon regard se pose alors sur une statue de danseuse où sa robe de fonte, si légère, pourrait se soulever. Émouvant. Le lieu nous enveloppe parce qu’il amplifie notre tendresse.

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Mais nous n’avons encore rien vu. Après un petit rituel de métal et de son (!), nos pieds déchaussés foulent un sol de sable qui caresse nos voûtes plantaires. Envoûtant. Alors que les enfants s’assoient en cercle avec leurs parents, tout un monde se dévoile peu à peu autour d’eux, tels des «fragments de vie» qui, à chaque apparition, provoque étonnement, stupeurs et tremblements. Des marionnettes, dont le corps de fonte fait de divers outils d’antan, reproduisent une vie sociale où des travailleurs à la tâche côtoient un coeur d’opéra, tandis qu’un petit train, tel un transport amoureux, encercle les enfants. L’Histoire est en marche ! Tout semble vain à l’image de ces objets fabriqués par ces drôles d’homme-serpent et pourtant, que la mécanique est belle !  On ne sait plus où donner de la tête tandis que la musique accentue notre descente dans cet enfer-paradis.
Cette « installation spectacle » d’où nous tirons les fils de nos racines, est un cri d’amour pour l’humanité. Peu à peu, me voilà fait  de cette fonte là, de celle qui ne rouille jamais parce que des artistes se chargent de la polir.
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Fragments de vie » par le Théâtre Tête de Pioche au Théâtre Massalia (Marseille) du 19 au 22 février 2011.

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PAS CONTENT

A fond la forme.

En 2011, alors que tout bascule et se bouscule à la vitesse d’un battement d’ailes de papillon, que pouvons-nous attendre du spectacle vivant ? Un propos ? Encore faudrait-il qu’il soit «ré(é)volutionnaire», qu’il cesse de s’agripper à des paradigmes usés. Trop de propositions n’ont «rien à nous dire». Qu’importe, la démarche, le processus artistique sont souvent intéressants et nous permettent  de penser autrement ce que nous figeons par incompétence, impuissance et paresse ! Mais qu’écrire à partir d’un propos appauvri, d’un processus qui lasse?

«Questcequetudeveins?» d’Aurélien Bory pour Stéphanie Fuster est un exercice de style, certes sincère, mais qui ne «transporte» pas. Stéphanie Fuster métamorphose sa danse de flamenco. Vêtue d’une longue robe rouge, elle s’en détache pour la faire danser. Cet autre “marionnette” n’est plus elle. Ce détachement fut souvent le manifeste de danseurs issus du classique qui s’émancipaient de la barre parallèle. Le processus n’a donc rien de nouveau si ce n’est le désir d’inclure le flamenco dans le sillon de la danse contemporaine. On utilise alors «l’installation» (à savoir poursuivre sa mue dans une baraque de chantier, où derrière une vitre embrumée, Stéphanie Fuster change de «peau») pour «performativer» (être enfermée) et finir “transformée” sur une scène où le liquide remplace le sol en dur. À défaut de faire des ronds dans l’eau, la danse jaillit, produit des effets «spectaculaires». Les éclaboussures habitent le  mouvement. Dépendante d’une vision classique du flamenco, Stéphanie Fuster se soumet à une forme qui dénature le fond. Tout change parce que rien ne change !

Avec «Flux» du Théâtre du Centaure, la déception est à la hauteur de l’enjeu : habiter du dedans et du dehors, l’imposant Théâtre des Salins de Martigues, à partir d’une «installation» itinérante où des êtres hybrides (mi-humains, mi-chevaux) poétisent la rencontre. Tout commence par une vidéo spectaculaire où l’homme et le cheval galopent sur la plage tandis que nous sommes debout sur la scène. Totalement enivrant, d’autant plus que les casques audio sensualisent le son. Puis, des coulisses, elle arrive sur son cheval. Débute alors un parcours qui nous mène au dehors, où des poésies caressent les murs, où installés sur des bancs dans la cour, un cheval blanc surgit du hall d’accueil pour une «danse» érotique avec l’homme.

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La traversée se poursuit pour nous perdre définitivement dans la grande salle du théâtre où une longue vidéo nous immerge dans les turpitudes du désir sexuel entre l’homme et le centaure avant que les protagonistes ne l’incarnent en réel sur le plateau. Le travail avec les chevaux est indéniable, mais quel sens peut avoir le moment  où on les fait asseoir dans un fauteuil? Quel est le processus qui nous guide de la vidéo vers la scène ? Suffit-il de multiplier les formes pour créer du fond ? Ici aussi, l’acte performatif (produire du mouvement par la fusion des «corps») masque plus qu’il ne révèle et ne touche pas, ne traverse pas. La «fusion» avec le Théâtre des Salins était probablement le «niveau» à travailler pour y puiser les processus qui auraient permis l’articulation entre le fond et la forme. Mais à prendre le bâtiment comme une «surface», le Théâtre du Centaure n’a pas habité l’espace : il l’a juste occupé.

Pourtant le centaure est une bête de scène.
Pascal Bély – www.festivalier.net
«Questcequetudeveins ?» d’Aurélien Bory pour Stéphanie Fuster à la Scène Nationale de Cavaillon des 17 et 18 février 2011.
« Flux » du Théâtre du Centaure au Théâtre des Salins de Martigues les 18 et 19 février 2011.

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PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Le Théâtre muet d’Ariane Mnouchkine.

Le public prend la direction du vieux Palais des Sports de Lyon, proche du Stade de Gerland. L’architecture respire le bon vieux temps où la France affichait sa puissance par ses ponts et ses tours. Mais en 2011, tout paraît décrépi. Comme au parc des expositions de Château Blanc lors du Festival d’Avignon en 2007, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil savent vous accueillir et redonner vie à notre béton d’antan. On y retrouve les caisses en bois, les loges visibles par les spectateurs, la musique d’ambiance des troubadours et la soupe chaude. La pièce se joue déjà. C’est si bon. Le Théâtre du Soleil sait cultiver le mythe du théâtre populaire.

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A la première réplique donnée dans «les naufragés du fol espoir»,  la troupe fouille dans son histoire, chine dans le grenier de ses décors de théâtre, et  nous en restitue une allégorie, comme au bon vieux temps des films que l’on projetait dans les salles d’avant guerre pour informer le peuple sur la grandeur du pays. Nous voilà donc propulsés en 1914, dans la guinguette «le fol espoir» tenue de main de maître par monsieur Félix Courage (étonnante Eve Doe-Bruce). Un passionné de cinéma, Jean Lapalette, et les employés y tournent un film muet, inspiré d’un récit de Jules Verne. Des passagers d’un bateau échouent au Cap Horn, caressant l’espoir d’y fonder une société libre et juste où le triptyque «liberté, égalité, fraternité» pendrait tout son sens. L’enchevêtrement des trois histoires (la guinguette, le cinéaste et son assistante, la fiction) nous plonge dans une machinerie théâtrale incroyable, où les spectateurs s’émerveillent de l’énergie déployée pour que le film prenne forme sur un plateau de théâtre. La générosité, l’abnégation de soi, l’engagement sacrificiel transpirent à chaque scène. Jusqu’à lasser. Car la mécanique de ce manège d’antan, finit par tourner sur elle-même : elle est un déni de complexité.

Cette mise en abyme ne permet pas de repérer des niveaux de sens qui régénérerait le regard et éviterait d’être un spectateur seulement contemplatif. On ne différencie pas les trois histoires comme si tout se valait : la fonction de l’art, n’est-elle pourtant pas de transcender? Le politique n’est-il pas dans la différenciation entre le faire du projet ? Le groupe fusionne ses membres sans que l’on ne puisse les distinguer : l’unisson est le mot d’ordre au détriment du relief, de la diversité. Cette dynamique finit par devenir effrayante. Les rares moments où l’on s’attarde sur la psychologie des personnages sont affligeants: la fragilité de Jean Lapalette se résume à ses pulsions sexuelles ; le conflit entre deux hommes à une bagarre virile. Il y a pourtant un instant de grâce : une des employées semble paumée, sans rôle attitré (probablement métaphorique du positionnement de certains spectateurs laissés au bord de la route). Elle veut jouer. C’est alors que Félix Courage la perd dans les détails pour rendre impossible son entrée dans le film. Étouffant.

Quid du climat de 1914 ? Il est malheureusement réduit à un vendeur de journaux qui fait office de liant entre les scènes de tournage et la vie des salariés. Enfermé dans son mythe, le Théâtre du Soleil s’affranchit du contexte. Tout comme fait-il trop souvent  l’impasse sur le jeu d’acteur. Ceux-ci semblent d’ailleurs plus à l’aise dans le muet?
Malgré leur formidable énergie à en découdre, ces «naufragés du fol espoir» ne permettent pas d’interroger  la fonction politique de cette proposition (un quatrième niveau en quelque sorte ). Ariane Mnouchkine s’est rependue dans les médias sur l’importance de résister, de proposer une alternative. Mais serions-nous à ce point si effrayés par la société globalisée pour nous laisser embarquer dans un émerveillement qui aveugle sur la nécessité de régénérer nos valeurs? Suffit-il de réaffirmer «Liberté, Égalité, Fraternité», de faire l’apologie du progrès à travers une mécanique magnifiée, de solenniser le collectif unitaire, pour faire «politique» ?

Que nous disent l’unanimité de la critique et le succès public sur une des ?uvres les plus faibles du Théâtre du Soleil ? Je formule une hypothèse : perdus, nous célébrons le mythe de l’ère moderne (incarné par le Théâtre du Soleil), celle où tout était permis, possible, grâce aux ouvertures promises par le progrès. Nous entrons durablement dans une période nostalgique, où l’on s’indigne avec Stéphane Hessel mais où l’on fait encore l’impasse de lire «la voie» d’Edgar Morin pour la traduire dans les faits. C’est ainsi que ces «naufragés» donnent l’énergie de l’instant, mais nous isolent un peu plus dans une lecture du futur à partir du passé. C’est sans avenir. Sans espoir. Et pourtant, l’improbable est arrivé. Notre «Cap Horn» est du côté des pays arabes.

Côte à côte avec eux, acceptons de ne rien savoir. Ils pourraient nous apprendre le quatrième mot qui nous manque pour éclairer de sa reliance le fronton de nos écoles et de nos mairies.
Pascal Bély – www.festivalier.net

“Les naufragés du Fol Espoir (Aurores)”, une création collective du Théâtre du Soleil du 18 janvier au 20 février 2011 au Théâtre des Celestins de Lyon.

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OEUVRES MAJEURES THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN THEATRE MODERNE

Il y a un théâtre qui n’est, ni pour tous, ni pour chacun…

«Tartuffe», “Bérénice“, «Hamlet» et «Antigone», quatre «cadeaux», offerts, sur quatre semaines par Gwenaël Morin et le Théâtre Universitaire de Nantes.
Comment débuter ce texte ?
Remercier peut-être ?  Oui, c’est ça…, écrire… Merci.

« Pom, pom, pom, pom, pom, pom, pom,… Pom, pom,pom ! » :
Pour leur Talent, leur Générosité, leur Plaisir à Jouer, leur Humilité, leur Proximité : Renaud Bécher, Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Gwenaël Morin, Ulysse Pujo.

Pour les regards, les sourires, les mots échangés/partagés : les spectateurs croisés à ces soirées. 

Pour nous avoir proposé ce Voyage, pour leur accueil : l’équipe du Théâtre Universitaire de Nantes.

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Acte 2 :
Des adolescents et de jeunes adultes présents en grand nombre, prouvant que le théâtre n’est pas une affaire de «bobos» comme on tend à nous le faire «avaler». Chaque soir, salle comble, grâce à, et par la parole (voir par sms, mais là, je suis pour!) qui circule; l’intelligence de l’esprit et du coeur, quand ils offrent cette qualité, trouvent toujours leurs messagers.
Du Théâtre étincelant, fait avec des ficelles, du carton, des planches, des tréteaux…On est loin ici des millions étalés sur scène, qui plus est, utilisés, par certains, pour «dénoncer» la «Crise»

Et pourtant? !
Ces Dames et Messieurs de moins de quarante ans (là j’extrapole, pour le “style” , je n’ai pas vu leurs papiers..) nous offrent un « Kontakthof» théâtral majestueux, on est comme dans un «Café Muller» où les «Nelken» fleuriraient des ronces du passé.

De l’essence  de la Tragédie ; ils nous permettent de sourire (voir même, sans sacrilège, de rire) pour mieux nous amener à rebondir sur le présent de son actualité. Ils nous font entrer «dans le texte» et nous permettent, par cette même invite, de mieux regarder, après «distance» de plaisir, ce qui nous agite, aujourd’hui  encore.
C’est ici véritablement de Théâtre Vivant dont il s’agit. Ce théâtre qui n’est, ni pour tous, ni pour chacun, mais qui…tout simplement, et c’est ça qui fait s/Sens ; c’est ça qui résonne et traverse chaque être pour le faire travailler à définir ce qu’il cherche, ce qu’il ressent et ce qu’il trouve là.

Ce Théâtre là nous ramène à l’enfance, ce temps de «Liberté» où nous n’avions besoin que de «bouts de cartons» pour mettre en Vie le Monde et y voir toutes les richesses d’un devenir.            
Gwenaël Morin et ses compagnons font Advenir le Théâtre de nos chimères, celui là même qui nous poussait à courir vers un demain meilleur, Forcément Meilleur, puisqu’on serait plus «grands» et plus  «libres . Et, ce théâtre là, nous re-fait advenir, car il nous susurre le «petit» qui «savait, peut-être», mieux lire les «travers du monde» parce qu’il avait alors le «pouvoir, sans doute», d’en tordre les ressors…«Mémoire?»

La lecture offerte, de ces textes d’hier, calque, à merveille, les images que l’on se créait, pour faire «entrer» ce passé lointain dans notre quotidien «enfantin».

«Bérénice», «Antigone», «Tartuffe», «Hamlet» et, tant d’autres, ont portées, et portent encore les vêtements «emblématiques» des époques où de grands yeux singuliers dévorent leurs histoires de papier. On sait bien,…en ces temps là…, qu’ils «bougent» toujours.

 Acte 3:

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Dis, Monsieur Morin, avec tes copains, tu ne veux pas nous inviter Chimène, Don Juan, Don Quichotte, Phèdre, Arlequin, Cazanova, Sigismond, Eve, Adan qu’on fasse un peu les Poussières?

Dis pis, M’sieur Morin, avec tes copains,tu lâches pas, hein, dis, tu tombes pas sous les « dorures » et les « fanfreluches »?

Dis, t’as vu tous les jolis « gamins » qui ne vous font pas « clap, clap » mais « Bravo Merci », tu ne lâches pas « l’enfance », hein?!

Continuez à danser et offrez-nous encore, s’il vous plaît, les « Carmen » et les « Don Rosé » sortis de vos malles à Parfums d’Enfances…
Dites-les TU (Théâtre Universitaire), tu nous/les invite encore demain à la Fête du Théâtre?

Dites les spectateurs, on se refait encore, même sans leur aide s’ils sont occupés ailleurs, les Bonheurs des Regards, des Sourires et des Mots?  

Merci  à Vous, Renaud, Virginie, Julian, Barbara, Grégoire, Gwenaël, Ulysse de m’avoir, de nous avoir, invités dans vos rêves.

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

Les spectacles du répertoire de Gwenaël Morin: ici.

«Tartuffe», “Bérénice”, «Hamlet» et «Antigone» mise en scène par Gwenaël Morin au Théâtre Universitaire de Nantes du 17 janvier au 11 février 2011.

Photo Julie Pagnier

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PAS CONTENT

Mouvements « trans-géniques » au Ballet Preljocaj.

Où repérer la nouvelle vague chorégraphique ? J’apprécie particulièrement les espaces où je peux l’entendre m’approcher, la ressentir fouler mes pieds pour en recueillir l’écume. Depuis quelques temps, elle est rarement tempétueuse, quelquefois prometteuse, mais trop souvent silencieuse. Je repense encore à la portugaise Marlène Freitas, à La Vouivre découverts lors du Festival «Questions de Danse» à Marseille, de Yan Raballand au concours «(re)connaissance» à Décines. Ce soir, c’est Angelin Preljocaj, installé au Pavillon Noir d’Aix en Provence depuis six ans qui nous révèle les talents issus de son ballet. Au total, quatre créations qui ont fini par m’éloigner du rivage («So Mo» d‘Émilie Lalande, «XX.XY. (une histoire d’Eve et d’Adam)» de Sébastien Durand, «Parce que nous sommes aussi ce que nous avons perdu» de Lorena O’Neill et «Bonsoir Madame la Baronne» de Baptiste Coissieu). Reconnaissons que la tâche est particulièrement difficile. Ils sont membres du ballet, lui-même intégré dans un Centre Chorégraphique National.  Le risque est important de générer une danse « consanguine»: comment écrire pour se différencier, tout en étant fidèle, voire reconnaissant? Ce soir, chaque oeuvre s’inscrit dans un même contexte institutionnel pesant, à l’image d’une fête de fin d’année d’une grande école. Elles sont une métaphore du positionnement de chacun au sein d’un ballet célébré dans le monde entier…Incontestablement, ces chorégraphes en herbe cherchent leur émancipation.

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Au final, que retenir ? Chaque oeuvre évoque la transformation, mais le propos ne va pas jusqu’à chorégraphier la métamorphose. Probablement trop risqué. Dans «So Mo» et «XX.XY», on évoque la manipulation psychologique et génétique, soit pour la dénoncer ou la solenniser. Mais cela ne vient pas jusqu’à moi comme si j’assistais de loin à un exercice de style, de (re) production, mais qui n’est pas éprouvé. On noie le pois(s)on à partir d’une exposition performative, en interrogeant le mythe (d’Adam et Eve) mais sans vision politique (et pourtant, la question éthique autour des manipulations génétiques est d’actualité).

Avec Baptiste Coissieu, nous sommes témoin d’un total défoulement (convoquer une baronne déjantée qui s’amuse avec des spectateurs triés sur le volet comme dans un loft story). Plongé dans un cabaret gay, je me questionne sur le sens de la proposition. À part d’y voir le besoin de faire la fête au sein du Ballet pour s’en émanciper. Soit. Mais, c’est un peu court.

Seule Lorena O’Neill s’essaye dans un propos sensible, très personnel autour de la perte. En reconstituant ce processus bien connu de tous, notre empathie est rapidement mobilisée. Mais elle manque de temps pour laisser son empreinte, s’enfermant dans une vision trop linéaire (du poids du deuil à sa libération). La danse illustre un processus mais le corps reste à distance.

Finalement, je n’attendais pas de chorégraphes émergents mais un propos autour de l’émergence. Le poids de l’institution les conduit probablement à reproduire, là où je désirais une rencontre. La danse contemporaine requiert du métissage, de s’inclure dans des réseaux artistiques pour y croiser les esthétiques, de s’immerger dans le tissu social pour y poser sa poétique sur du politique.

Or, ce soir, rien que du trés « classique ».

Pascal Bély-www.festivalier.net

Créations des danseurs du Ballet Preljocaj , “Les Affluents” (Emilie Lalande, Lorena O’Neill, Sébastien Durand, Baptiste Coissieu) les 4 et 5 février au Pavillon Noir d’Aix en Provence.