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A quoi reconnaît-on un chef d’oeuvre ?

A quoi reconnaît-on un chef d’oeuvre? A ce sentiment profond de l’évidence.

Dans “Political Mother” d’Hofesh Shechter, tout coule de source. Après une scène inaugurale de hara-kiri, ce jeune chorégraphe israélien balaye dans son spectacle les différentes étapes de l’aliénation produit par tout système totalitaire : l’abandon initial de certains, la lutte contre la contrainte généralisée de certains autres et la soumission finale. Son leitmotiv est une danse animale, le corps en dedans et tête en avant, la danse de pantins traversés de soubresauts, la danse de marionnettes électrisées.  Une danse qui évite soigneusement le port de tête dégagé et raide qui codifie habituellement la danse contemporaine.

Cela est bien normal car les personnages d’Hofesh Shechter sont victimes. Ils ne maîtrisent pas plus leurs gestes que la force motrice qui les anime. Ils s’agitent dans un monde gouverné par un dictateur hard core proche du général enragé mis en scène par Guy Cassier dans “ Mefisto for ever“. Pour Hofesh Shechter nous avançons dans une brume nimbée d’apocalypse, dans un univers de contrainte où nous ne sommes plus maîtres de rien : plus libres de nos mouvements, ni de nos singularités, ni même de nos envies.

Pour faire ce constat, l’outil d’Hofesh Shechter est simple : la même danse est reprise dans l’ouverture tribale  rythmée par le solo de batteries “End of de world”, dans une danse folklorique et dans la comédie musicale de clôture. Ou plutôt, dans la soumission ultime que représente ce dernier ballet car pour Hofesh Shechter le monde n’est finalement qu’un vaste théâtre kitsch au décor doucereux.

Ce final fait sourire et effraye dans le même temps : comme la jolie risette du bébé Cadum qui vue sous un certain angle n’est qu’un rictus glaçant.

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Si Hofesh Shechter porte la rage et l’énergie sourde de Wim Vandekeybus  qui l’a formé, il a ôté toute sophistication au geste dansé pour créer une danse mue par un mouvement qu’on ne choisit pas. Avec un propos proche de celui du photographe Martin Parr ou de Jérôme Bel dans “The Show must go on”,  Hofesh Shechter nous montre que dans un univers affreusement brutal, conçu pour conditionner les êtres afin de leur ôter toute humanité, le système établi en a recréé un autre de toutes pièces : celui de  la Walt Disney Compagny et de la danse folklorique figée de “Riverdance”.

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C’est d’ailleurs une évidence pour Hofesh Schecter  alors qu’un néon apparaît en fond de scène: « Where there is pressure there is folkdance ».  Hannah Arendt ne dit pas autre chose dans “la crise de la culture” : « La société de masse, ne veut pas la culture, mais les loisirs ».

Galvanisé et éreinté à la fois, on sort donc de “Political Mother” avec la certitude d’avoir vu un chef d’oeuvre. A quoi le sait-on ? A ce même sentiment d’évidence qui celui qui nous traverse quand on tombe amoureux. On se re-connaît.

Et avec “Potical Mother” ça fait froid dans le dos.

Elsa Gomis – www.festivalier.net

Political Mother d’Hofesh Shechter a été présenté à Paris au Théâtre de la Ville du 21 au 25 septembre 2010, pour les autres dates : http://www.politicalmother.co.uk/

 

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LES EXPOSITIONS

À Toulouse, Grand Magasin refait la devanture du Printemps.

En recentrant sa programmation autour de la performance, le Printemps de septembre (festival de création contemporaine), a pris le risque d’accumuler des démonstrations et des tentatives, positionnant le spectateur comme observateur-évaluateur pour finalement l’ennuyer. À l’image de cette exposition au Château d’Eau sur l’histoire de la performance où, faute d’une approche interactive (et donc performative), on se lasse de lire des panneaux didactiques supportés par une curieuse ossature en bois malodorante…
Première performance avec « Kimindi Gotiga » par le Kit collectif. C’est une tentative désespérée d’articuler la magie, avec une esthétique et un travail d’acteurs. Trois femmes, un magicien (étrange Romain Lalire), des décors qui se déplacent, un public qui applaudit à chaque numéro (par réflexe comme dans une émission de télévision) pour finalement s’abstenir lors du salut final. Ce spectacle est une illusion dans lequel un magicien ne peut faire disparaître cette étrange impression d’amateurisme. Où est donc la performance?
Une heure plus tard, c’est au tour de Virginie Le Touze de s’engluer avec « Who’s afraid of the boy from Ipanema? ». Derrière une vitrine, nous l’écoutons chanter des chansons d’amour en différentes langues, dont le français. Quel est le projet artistique? Pourquoi ne correspond-il pas à ce qui était annoncé? Où est donc la performance?

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Trois heures après, au Théâtre National de Toulouse, un attachant duo (Pascale Murtin et François Hiffler) crée la surprise. Avec « les rois du suspense », Grand Magasin nous offre la performance tant attendue. Ici le théâtre n’est qu’illusion où les acteurs jouent sans jouer tout en nous promettant que l’un se mettra nu tandis que l’autre fera des claquettes. Imaginez alors un dialogue dicté par une mystérieuse mécanique, où les acteurs disent ce qu’ils font pour ne pas faire ce qu’ils disent tout en reconnaissant qu’ils devraient le faire puisqu’ils sont sensés s’exhiber (vous suivez?!). Ils dialoguent tout en manipulant des objets (torchons, cruches, chaussures de basket, poutrelles, carton, écran projecteur, armoire, …) qui, à partir d’injonctions paradoxales, perdent leur fonction pour faire liant entre le réel et le fantasmé, à l’image de l’huile avec l’oeuf! À moins que ce matériel ne soit leur grammaire commune, leur ponctuation, leur vision artistique. Allez savoir! Tout semble si ouvert en ce royaume de l’imaginaire! L’ensemble est jubilatoire: comment ne pas y voir la métaphore de l’abrutissante rationalité tout en y décelant la créativité dont nous sommes tous capables dans un cadre contraignant. En jouant sur le jeu d’acteurs (un jeu sur le jeu en quelque sorte),Grand Magasin s’amuse avec le spectateur: à partir d’une promesse non tenue, il s’agit de faire durer le suspense pour amplifier la frustration. Que venons-nous chercher au théâtre? Suffit-il de voir un gorille traverser la scène pour affirmer l’avoir vu ?!
Cette écriture stimule parce qu’avec Grand Magasin, les mots perdent leur sens, mais trouvent leur poésie dans les chemins de traverse que nous créons pour eux.
Pascal Bély – www.festivalier.net

Un deuxième article sur le Printemps de Septembre: À Toulouse, des traces de Printemps.

“Le Printemps de Septembre” du 24 septembre au 17 octobre 2010.

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LES EXPOSITIONS

À Toulouse, des traces de Printemps.

C’est mon quatrième Printemps de Septembre. Le plus ennuyeux, le plus triste, sans bruit dans la ville. Même pas une tempête. Encore moins un florilège de bourgeons. Juste quelques feuilles que l’on ramasse à la pelle. Et pourtant, tout avait si bien commencé avec les photographies de Carole Douillard à l’Espace Ecureuil. Allongée dans la rue, son corps endormi réveille nos sens. Le contraste entre ses beaux vêtements de soirée et l’espace public, nous positionne dans un entre deux: à la fois désir de caresser ses cheveux, de l’embrasser et lui porter secours. Est-ce là notre fragile humanité? Magnifiques clichés qui se relient difficilement au slogan du festival (« Une forme pour toute action ») qui, le temps d’un week-end, offre quelques surprises noyées dans un fourre-tout.

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A l’image de ces propositions où l’on (dé)pose ici un décor de théâtre (« Xanadoudou » de la Compagnie du Zerep), là une performance en vidéo dans son espace d’origine (« jouer avec les choses mortes » de Boris Achour). Mais les acteurs, les danseurs ou le public participant sont absents. Et quand la danse est là, elle déploie sa nostalgie. Fabian Barba propose différents solos de la chorégraphe Mary Wigman, l’une des pionnières de la danse contemporaine dans les années trente. C’est très joli, mais qu’attendre du spectateur, sinon qu’il apprenne sagement sa leçon d’histoire entre deux salves d’applaudissements? Les commissaires du festival (Eric Mangion, Isabelle Gaudefroy) imaginent-ils qu’une trace historique puisse à elle seule faire sens?

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Ce grand vide est accentué par l’installation de Marie Reinert dans le hall du Musée des Abattoirs. Elle y a déposé 77 caisses de transport utilisées pour l’édition du Printemps de Septembre. Des hauts parleurs témoignent de l’activité du déballage. Mais pour déballer quoi? Du bruit. Même ressenti au Musée des Jacobins où est installé un « parc municipal » assez bruyant. Autour d’une structure mobile en bois (tel un manège au coeur d’une foire d’art contemporain?), nous sommes invités à nous propulser dans la vision de l’espace urbain de dix-huit artistes. D’où vient cette étrange impression que le tout est un peu daté? Comme si les messages politiques sous-tendus par ces vidéos étaient déjà dans la sphère publique. Ici l’art témoigne mollement parce que parqué.

Loin de l’agitation, je suis parti à la recherche d’une « trace » activée qui transporte! À l’image de ce joli film (« Child’s Play »)  projeté à l’école des Beaux-Arts où l’on voit Guillaume Désanges animer une classe d’enfants roumains s’exercer à reproduire les performances d’artistes qui ont jalonné le 20ème siècle. L’histoire se prolonge et trouve tout son sens d’autant plus que ces performances ont été probablement interdites jusqu’à la chute de Ceausescu (1989).

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Traces aussi avec Roman OndakMeasuring the Universe») où l’on écrit au stylo noir sur un mur blanc, notre taille et notre prénom. Telle une vague, on est submergé par la beauté de ces traces rupestres et les valeurs qu’elles véhiculent: diversité et mémoire collective (qui n’a pas été mesuré ainsi par ses parents?!).

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De la trace aux restes humains, il n’y a qu’un pas franchi avec talent par Santiago Reyes. Pendant quelques jours, juste avant le coucher du soleil, il a balayé minutieusement quelques passerelles au dessus de la rocade de Toulouse. Il en a récolté des matériaux pour en faire une installation toute à fait remarquable. Des écrans vidéos projettent Santiago Reyes à différents endroits tandis qu’au sol, des matières (feuilles, bouteilles, mouchoirs usagés,…) témoignent de notre époque: on jette ce que l’on ingurgite pour apaiser les tensions crées par une société du toujours plus; le vent transporte le végétal qui se fragmente contre les ponts d’où poussent des herbes folles…Et l’artiste, tel un agent de développement durable, de récolter pour restituer.

Autre processus de transformation avec l’artiste iranien Abbas Akhavan à la galerie Voltex. Avec ses doigts, il décolle de petites feuilles d’or qu’il colle sur un grand mur blanc. De sa bouche, sort des mots qui se dévoilent peu à peu. Moment fragile où l’art expulse la poésie du corps. Troublant.

Le printemps est là.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Le printemps de Septembre” à Toulouse du 24 septembre au 17 octobre 2010.

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ETRE SPECTATEUR LES FORMATIONS DU TADORNE

Indisciplinons-nous!

Depuis 1994, je suis « profession libérale ». Au coeur de ce statut, j’ai rapproché mon métier (je suis consultant et formateur auprès des institutions publiques et privées) et mon environnement (personnel, social, sociétal et terrien). Loin de cloisonner vie privée et professionnelle, j’ai au contraire amplifié les liens pour nourrir mes identités et donner du sens à mes actions de conseil et formation.

Changer mon rapport à la culture s’est naturellement imposé lorsque j’ai orienté mes interventions pour accompagner les collectifs à questionner les valeurs, délaissant les recettes managériales centrées sur la recherche de « la » solution. En 2005, en créant le blog «Le Tadorne»  pour écrire autour des formes contemporaines de l’art, j’ai puisé les ressorts créatifs pour dépasser ma posture de “spectateur consommateur” . Ceci m’a permis d’ouvrir mes pratiques de consultant en posant la transversalité comme vecteur de sens et de communication.

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En faisant le pari d’exposer ma subjectivité sur les oeuvres de danse, de théâtre et d’art contemporain, je savais qu’elle s’articulerait tôt ou tard avec mon métier.  Après une période où j’ai volontairement  très peu communiqué sur lui pour laisser le temps au Tadorne d’être légitimé, des ramifications apparaissent peu à peu. Aujourd’hui Tadorne et mon cabinet Trigone se relient à partir de deux axes qui s’inscrivent pleinement dans les principes de l’Agenda 21 de la Culture tels qu’ils ont été définis en 2004 à Barcelone par le premier Forum Universel des Cultures . Ils répondent aux souhaits des spectateurs qui sont pour certains d’entre eux des professionnels du lien social :

« L’appropriation de l’information et sa transformation en savoir par les citoyens est un acte culturel. Par conséquent, l’accès sans distinction aux moyens technologiques, d’expression et de communication, ainsi que l’élaboration de réseaux horizontaux, renforce et alimente la dynamique des cultures locales et enrichit le patrimoine collectif d’une société fondée sur le savoir. »

 Développer une communication créative autour du spectacle vivant.

La culture n’est pas un produit. Elle crée du processus. Or, la communication des institutions culturelles, orientée vers des transactions de masse, est majoritairement axée sur du contenu, du visuel, du résultat alors que les formes pluridisciplinaires, les propositions théâtrales interactives modifient en profondeur la relation entre le public et la scène. Il convient d’amplifier la communication créative pour rendre visible et lisible ce qui n’entre pas dans les codes classiques de l’information et qui pourtant légitime dans la durée tout projet de développement culturel. Dit autrement, il faut  substituer à la liste descendante du générique d’un film, la vision dynamique de sa production.

La programmation des institutions culturelles peut se lire comme un roman, un poème, une épopée. Elle provoque chez chacun de nous des réactions engagées. Elle suscite des choix, nous positionne comme spectateur actif. Nous programmons aussi! Mais comment dynamiser ce processus au-delà des présentations de saison et des rencontres après spectacle avec les équipes artistiques? N’est-il pas temps de créer des espaces de communication créative entre spectateurs, artistes et professionnels (aller au-delà des logiques binaires) à partir d’un cadre contenant et souple?

Pourquoi ne pas imaginer à l’instar des artistes associés, un groupe de spectateurs associés chargé de restituer une vision dynamique d’une programmation à partir d’un imaginaire partagé ? Comment développer un langage de spectateurs (par le corps ?) pour ne plus entendre « je n’ai pas les codes pour en parler » à la fin de tant de représentations ? Tadorne peut alors créer l’espace pour faciliter l’expression tandis que Trigone accompagne l’équipe de professionnels de la structure à s’approprier la démarche dans le cadre d’un projet global de développement des publics.

N’est-il pas temps d’écouter le public sur la place qu’occupe l’art chorégraphique dans notre société (le moins médiatisé et probablement le plus fragilisé par le contexte de crise) ?  Des «Etats Généreux de la danse” peuvent s’organiser où spectateurs, professionnels, artistes échangent leurs souvenirs, leurs représentations, leurs pratiques, leurs projets autour d’un art qui relie, quoiqu’on en dise. Tadorne créé le concept avec chaque institution et supervise l’animation tandis que Trigone accompagne le comité d’organisation pour impulser la dynamique de réseau, socle du projet.

Ces deux actions amplifieront des processus qui permettront aux institutions culturelles de communiquer en horizontalité à partir notamment des outils numériques (blogs et réseaux sociaux). Tadorne peut apporter son expérience de blogueur tandis que Trigone forme une équipe pluridisciplinaire à s’approprier les processus d’un internet chaleureux.

Saisons, festivals et écoles: pour de nouveaux espaces de formation continue.

Alors que la société de la connaissance requiert d’articuler créativité, savoirs et expertises, il nous faut inclure les institutions culturelles dans des réseaux plus larges comme le recommande  l’Agenda 21 de la culture :

– Amplifier les relations entre les équipements culturels et les organismes travaillant dans le domaine de la connaissance.

– Favoriser la mise en place d’instances de coordination entre les politiques culturelles et les politiques éducatives.

–  Encourager le développement de la créativité et de la sensibilité ainsi que le lien entre la vie culturelle du territoire et le système éducatif.

Il est également précisé que « le travail est un des principaux espaces de la créativité humaine. Sa dimension culturelle doit être reconnue et développée. L’organisation du travail et l’implication des entreprises dans la ville ou sur le territoire doivent respecter cette dimension, comme un des éléments fondamentaux de la dignité humaine et du développement durable ».

Ces principes généraux peuvent inspirer des politiques de formations innovantes. Ils sont au coeur du croisement entre un Tadorne et un Trigone !

– De nombreux professionnels sont aujourd’hui propulsés dans des ensembles «englobant» (pôle, réseau, intercommunalité,…), dont ils finissent par perdre la finalité. Les organisations créent de l’hyperstructure, sans travail d’amplification du sens. Or, définir le projet global de ces ensembles revient à développer la  vision globale des professionnels. Ils puiseront dans leurs liens à l’art et la culture un sens unificateur, capable de rapprocher les «cases». Dès lors, une formation «Créativité et développement de projets transversaux» peut s’articuler aux programmations des théâtres et des festivals et relie les lieux de cultures aux domaines de la connaissance.

– Mon expérience de consultant et de spectateur me conduit à formuler l’hypothèse que les professionnels en lien direct avec le tissu social (travailleurs sociaux, éducateurs, médiateurs) sont tout aussi «intimidés» par l’art que les personnes qu’ils accompagnent, d’autant plus que le langage du social n’est pas celui des professionnels de la culture. J’ai expérimenté avec la ville d’Aubenas, un dispositif de formation-action (« le partage des médiateurs ») dont la finalité a été de créer un réseau d’acteurs capable de développer des projets permettant d’accompagner vers la culture des publics éloignés. L’intervention d’artistes dans le cursus et les sorties théâtrales les jours de formation ont introduit un travail sur le positionnement tout en ouvrant le regard sur l’articulation entre le travail social, l’éducatif et la culture. Auparavant «pourvoyeurs de publics», ce réseau est aujourd’hui partie prenante des projets culturels de la ville.

– Les écoles de musique et de danse sont des lieux d’apprentissage et de lien social. L’apparition sur la scène européenne de formes pluridisciplinaires devrait pouvoir se traduire par une sensibilisation aux formes hybrides. À partir de mon expérience avec les établissements de la ville de Martigues dans le cadre d’un rapprochement des deux écoles, Tadorne et Trigone proposent des séminaires destinés aux enseignants, aux enfants et aux parents autour d’un «projet pédagogique indisciplinaire» qui traverserait les cursus.

Au croisement du Tadorne et du Trigone, il y a des ponts pour traverser nos archipels de créativité.

Au plaisir de vous y croiser…

Pascal Bély

www.festivalier.net / www.trigone.pro

06 82 83 94 19 / pascal.bely@free.fr

 

 

 

 

 

 

 

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Une “salve” d’oeillets par Pina Bausch à la Biennale de la Danse de Lyon.

Elle a disparu le 30 juin 2009. Au Festival d’Avignon, il y a eu cet hommage, ce moment fragile autour d’un parterre d’?illets imaginé par Raimund Hoghe, son ancien dramaturge. Le 13 octobre 2010, sortira en salle, « les rêves dansants » d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann, beau documentaire (voir vidéo) qui retrace l’aventure d’un groupe d’adolescents sélectionnés pour interpréter « Kontakthof », l’une de ses oeuvres mythiques.

Mais cela ne suffit pas à voir au-delà, à s’imaginer l’avenir de la danse contemporaine sans Pina Bausch. Et pourtant…Il y a eu les chocs de la programmation du Festival d’Avignon autour du corps l’été dernier. Deux mois plus tard, la Biennale de la Danse de Lyon poursuit l’Oeuvre. En programmant au cours d’un week-end «Nelken» de Pina Bausch, «Salves» de Maguy Marin (article du Tadorne  ici), «fondly do we Hope?Fervently do we pray» de Bill T.Jones, tout s’éclaire.

A commencer par l’extraordinaire vision de l’art chorégraphique portée par Maguy Marin. « Salves » aura probablement le même destin que « May B », l’une de ses oeuvres majeures, créée en 1981. Là où Pina Bausch théâtralisait la danse, Maguy Marin chorégraphie le théâtre. C’est une victoire du corps et un tournant : la danse n’a peut-être plus besoin de questionner en permanence son esthétique. Elle se doit d’habiter un propos et d’y intégrer son histoire. Mais surtout, la « danse théâtre » repose sur la sensibilité du spectateur, qu’elle provoque, électrise, pour «décontaminer» notre regard. Dit autrement, Maguy Marin repolitise à partir d’un art qu’elle « traumatise » pour sortir enfin de la « pensée molle ».

Rien de tel avec Bill T.Jones. En répondant à une commande pour célébrer le 200ème anniversaire de la naissance d’Abraham Lincoln, la danse n’est ici que prétexte pour embaumer l’histoire. On cérémonise là où l’on aurait apprécié un propos engagé.  Bill T.Jones propose une danse officielle (qui n’a rien à envier à l’art nord-coréen), sans dynamique, alourdie par une mise en scène conventionnelle (ah, le rideau que l’on ouvre et que l’on ferme !). A ce jour, il n’y pas de doute, la danse «contemporaine» est belle et bien en Europe.

C’est un parterre d’oeillets qui accueille.

« Nelken » de Pina Bausch et ses vingt et un danseurs accueillent le spectateur et son désir de danse. Ce soir, à l’Opéra de Lyon, tous les rêves de danse sont permis, même avec le petit doigt.
C’est un parterre d’oeillets, entretenu par Pina Pausch, depuis longtemps “piétiné” (dans le bon  sens chorégraphique du terme!) par tant d’artistes inspirés par son oeuvre! Tout au long de ces deux heures prodigieuses, je n’ai cessé d’imaginer en chacun des danseurs, un chorégraphe. A savoir, tous ceux qui m’accompagnent dans mon parcours de spectateur à m’éloigner de l’illusion du mouvement bavard  pour me recentrer sur le sens.
C’est un parterre d’oeillets, celui de notre scène chorégraphique, délicatement protégée par Dominique Mercy (il dirige aujourd’hui le TanzTheater Wuppertal Pina Bausch; voir la vidéo). Il est ce soir, notre frère de danse.
C’est un parterre d’oeillets, pour que chaque spectateur puisse faire sa révolution, sa réévolution et s’interposer dès que le désir est maltraité par le Pouvoir.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y perdre, pour substituer à notre animalité, une robe de soirée, parce que de dessous, on y voit l’origine du monde.
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C’est un parterre d’oeillets, où tous les corps vieux et jeunes forment le jardin des délices, mais aussi le camp de ceux qui n’en sont pas revenu.

C’est un parterre d’oeillets piétiné par notre toute-puissance de spectateur avide de spectaculaire et dont il ne faut pas grand-chose, des petits gestes avec la main, pour apaiser ses pulsions mortifères.
C’est un parterre d’oeillets assiégé par la barbarie, où l’on se jette seul d’une passerelle tandis que le collectif  poursuit sa danse, coûte que coûte. Parce que, le corps dansant…finalement.
C’est un parterre d’oeillets pour s’y allonger, puiser la force de se relever pour être « femme debout !», « homme debout ! »…
C’est un parterre d’oeillets pour y créer l’assemblée constituante. Celle des spectateurs dansants, rêvant d’une société fraternelle, protégée par les artistes vigiles.
C’est un parterre d’oeillets pour que la danse célébre le fragile et donne la force d’accueillir les «salves» de Maguy, tous les corps tordus de folie, d’amour de Raimund et Pippo…

C’est un parterre d’oeillets où se cache la poésie de mes chorégraphes « chéris »…

Pascal Bély – Le Tadorne

"Nelken" de Pina Bausch du 15 au 20 septembre 2010 / "Salves de Maguy Marin du 13 au 19 septembre 2010/ « fondly do we Hope?Fervently do we pray » de Bill T.Jones du 18 au 22 septembre 2010 dans le cadre de la Biennale de la Danse de Lyon.
Crédit photo: Ursula Kaufmann
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LES JOURNALISTES!

Cinq blogs démasqués et plumés.

A l’occasion d'un débat organisé par le Festival Off d’Avignon (“Quels espaces de parole pour le spectacle vivant?“) auquel participait Pascal Bély du Tadorne, quelques bloggeurs s’essaient à expliquer leur démarche, et esquisser le portrait d’un autre blog… comme pour esquisser une cartographie des blogs consacrés au spectacle vivant. Nous vous proposons un jeu de pistes entre quatre blogs : Images de Danse (de Jérôme Delatour), Un soir ou un autre (de Guy Degeorges), Le Blog de l'Athénée (de Clémence Hérout) et Marsupilamima (de Martine Silber.)

A vous de trouver le fil?d'Ariane ?

 

Pollaiuolo.jpgJérôme Delatour : Ma chère Clémence, me voilà déshabillé pour l’été… Pourquoi que de la danse, il y a tellement de raisons que je n’en finirais pas : parce que la danse est l’art du corps, et que le corps est ce que nous avons de plus immédiat, de plus beau et de plus politique ; ou parce que mon blog s’appelle  Images de danse, et que si je me mets à y parler de théâtre, de cuisine et d’arts plastiques, il faut que je lui trouve un autre nom. Mais le mieux est de passer par une petite anecdote, un de ces moments vécus qu’on érige, à quarante ans, en tournant de sa mythologie personnelle.

Quand j’étais petit, j’assistais chaque été au son et lumière de Château-Chalon, un des plus anciens de France, à ce qu’on dit. C’était une sorte de théâtre amateur, populaire et de plein air où l’avenir de la patrie se jouait dans ce trou sublime de Franche-Comté, de l’homme des cavernes à De Gaulle. Mais, outre le froid qui saisissait le public quand la nuit était tombée, j’en ai surtout retenu la forte présence des chevaux qui allaient et venaient sur la place du village changée en scène, leurs corps massifs et chauds dont s’échappait force crottin. J’ai retrouvé cette impression il y a quelques années au Théâtre de la Ville quand Jan Fabre proposa sa vision du Lac des Cygnes. Les chevaux étaient cette fois des ballerines dont la troupe nombreuse, étrangement lourde, faisait trembler les planches. Je crois que ce sont ces chevaux que je recherche inlassablement. Quant au Texte, j’en veux bien s’il est corps lui-même, je veux dire s’il est poétique, qu’il sort comme une incantation, une parole magique qui en impose au c?ur, fait advenir des choses. Je ne sais pas si le théâtre de ce texte existe, probablement. Je compte sur vous pour m’initier.

Le hasard veut que le dernier à parler ici ait été le premier à se lancer dans l’aventure des blogs… car le blog de Pascal Bély, dont je dois parler maintenant, a été créé deux mois après le mien, en juillet 2005. Les blogs, c’était presque encore nouveau à l’époque, rendez-vous compte ! Pascal et moi sommes partis sur des bases quasi opposées. Mon blog est la voix d’un lonesome cowboy qui ne cherche qu’à travailler son expérience singulière, et la partage avec qui veut bien ; le blog de Pascal (appelons-le Pascal) se veut entièrement ouvert, engagé, militant, communicatif, et ne néglige d’ailleurs aucun art art vivant, s’aventurant même, à l’occasion, sur le terrain des arts plastiques. Tout a commencé pour lui avec un spectacle de Jérôme Bel, “The Show Must Go on“, qui lui apporta l’intuition que le spectateur n’était pas là pour se taire et consommer, comme il était forcé de le croire auparavant. Que le spectateur n’était pas le bas d’une pyramide, mais le maillon d’une chaîne, et d’une chaîne qui n’entrave pas, mais relie ; la chaîne de la démocratie et de la vie ensemble.
Depuis lors Pascal est sur tous les fronts, ne rate aucun festival de France ni de Berlin ni de Bruxelles. Et s’il ne peut se déplacer lui-même, il diligente un de ses “tadorneaux”, généralement un admirateur de sa démarche et de son style qui s’engage sous sa bannière. Car notre homme a beau être de gauche, il n’en est pas moins impérialiste. Pascal défend ses idéaux jusqu’à devenir le plus parfait emmerdeur. Il refuse par exemple de se laisser inviter et tient à payer toutes ses places, car il se sent spectateur et entend le rester, pleinement. Dans ses papiers, écrits à la première personne, il s’avoue transi, transporté, le souffle coupé, trépignant, furieux, exclu, ne sachant que dire… ce sont comme des petites dramaturgies personnelles dont l’enjeu serait, invariablement, la rencontre de l’artiste et du public.
En même temps, il ne laisse rien passer : critiques de la presse traditionnelle, politiques culturelles publiques, il traque et décortique tout sans complaisance. C’est peut-être pour cela qu’il se dit blogueur hybride.
Chez Pascal, le blog est aussi le prolongement de son métier de consultant en ressources humaines dans le domaine social et de la petite enfance. L’un et l’autre semblent vivre en parfaite symbiose. Pascal parle souvent horizontalité, réseau, dynamique, rhizomes, Morin, reliance, hybridité, positionnement, excommunie les cases et les cloisonnements. Je ne comprends pas toujours tout, mais j’admire.

Mais la seule question que je trouve à lui poser, c’est quelle stratégie, si ce n’est pas un gros voit-il  pour que la parole des spectateurs non professionnels soit plus audible et respectée des professionnels…

tadorne-petit-bandeau.JPGPascal Bély : Merci Jérôme pour ce portrait si…horizontal et reliant!

Pour être audible, la parole des spectateurs doit-être entendable. Aujourd'hui, elle ne l'est pas parce que le cadre n'est pas suffisamment structurant. Nous nous sommes donné le blog pour nous faire entendre. La stratégie viserait à créer des espaces participatifs à l'image de nos blogs. Mais cela nécessitera un travail de co-construction entre artistes, institutions et spectateurs. Mais la première démarche serait  de leur demander : «Qu'avez-vous envie de dire ? Pour quoi le dire ? Et comment le dire ?

A mon tour maintenant de vous présenter Martine Silber.

martine.JPGMarsupilamima” est un blog au nom imprononçable, image d'une contrée lointaine, pays imaginaire peuplé de femmes et hommes de l'art. O
n a parfois plus vite fait de dire, « le blog de Martine Silber, ex-journaliste au Monde ». Et là, silence dans les rangs ! Total respect, car Martine jouit d'une excellente réputation dans le monde du spectacle vivant où elle entretient de solides amitiés. Elle se nomme « journaliste sans journal ” statut hybride, mais légitime sur internet où sa prise de parole perpétue l'esprit de ces anciens articles. C'est un blog sur l'amitié (rare y sont les critiques négatives) car Martine Silber porte sur les artistes de théâtre et les écrivains un regard profondément fraternel. Ses réflexions sur les liens complexes entre presse et blog, entre internautes et blogueurs nous rappellent la fragilité de ces espaces virtuels et de la profonde humilité dont nous devons faire preuve. Marsupilamima est la contrée de l'écriture libérée du poids des contraintes, qui s'amuse, virevolte et finit par vivifier le lien entre spectateurs, artistes et programmateurs. 

Martine, où en es-tu après trois années d'écriture sur Marsupilamima? Si tu imagines un pont avec «  Un soir ou un autre », quelle porte ouvrirais-tu ?

 

La suite, ici

 

 

 

 

 

 

 

 

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A la biennale de danse de Lyon : en faire toute une histoire?

En juin dernier au festival « Montpellier Danse », William Forsythe proposait aux spectateurs une expérience chorégraphique particulièrement stimulante. Invité à entrer dans un château fort gonflable, le public a dansé et ressenti les possibilités que lui offrait un espace entièrement dédié aux mouvements, au désir d’interagir avec son voisin. La danse pour communiquer. Ce fut un moment jubilatoire (un article ici). Il me revient encore un propos de William Forsythe: «la démocratisation de la danse à l’intérieur d’un théâtre me semble quasi impossible».

 La Biennale de Lyon a son défilé, grand rassemblement populaire autour de la danse, vecteur du plaisir partagé et ode à la diversité. Dans le même esprit, elle propose de découvrir au Musée d’Art Contemporain les dessins de la chorégraphe Trisha Brown et quelques ?uvres chorégraphiques (« Early Works »). La présence des danseurs dans ce lieu d‘exposition crée un lien particulier à la danse: ce que je vois importe autant que le comment je le vois. Alors qu’ils jouent avec la matière (ici des longs bâtons en bois, là un mur percé de trous, plus loin des vêtements multicolores enfilés à des cordes tenues par des tubes métalliques), j’accueille la fragilité, j’entends le froissement, je ressens la suspension des corps. Je m’éloigne d’un désir de performance qui serait hors de moi pour m’approcher de ce qui me fait “danse” et m’inscrit dans un rapport déverticalisé à la création. Ce sentiment se prolonge alors que nous sommes emmenés au Parc de la Tête d’Or. Quand deux danseurs s’attachent à des cordes enroulées en spirale autour des troncs d’arbre pour descendre progressivement (« spiral »), j’ai un haut-le-c?ur jubilatoire comme s’ils marchaient à l’horizontale pour m’enrôler. Lorsque plus tard, quatre danseuses interprètent sur leur radeau une chorégraphie sur le dos (« Raft Piece »), la peinture jaillit de l’eau et je vis un moment d’une intense poésie. Loin d’être seulement un hommage à Trisha Brown, ce parcours de deux heures donne du souffle pour penser l’avenir d’une danse démocratique.

En fin d’après midi, le retour au théâtre est brutal. « Tres Pontos? » du jeune chorégraphe Brésilien Alex Neoral est une succession de trois pièces (« Pathways », « Interpret », « Um a um ») pour quatre, cinq, sept danseurs accompagnés pour les deux dernières par des musiciens (piano et violoncelle). La technique est certes irréprochable, mais l’ensemble est d’un romantisme daté, d’un classicisme ennuyeux. Si la danse se veut «contemporaine», le rapport au public est immergé dans le formol. « Tres Pontos » me positionne tel un charmant qui chercherait sa cavalière. Mais faute d’être surpris et étonné, je me contente d’attendre patiemment la fin du bal, au bras d’une vieille dame un peu triste qu’il faut raccompagner par galanterie?

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Plus tard dans la soirée, la chorégraphe française Catherine Diverrès plonge le public dans l’expectative. «Encor», pièce pour cinq danseurs, est une tentative courageuse pour rendre hommage à la danse, mais qui se perd dans des tics de représentation (succession rapide de tableaux, bande sonore confuse, ..) et un propos compliqué à force de références. Ce spectacle postule que nous n’avons pas tous la même histoire de danse. Soit. Mais comment s’en parler? Pourquoi cela ne résonne-t-il pas? Serions-nous si différents? Pourquoi de tels marqueurs historiques (le tutu, les perruques, le corps jeté, le collectif en sang) s’ils ne procurent aucun frisson sur la peau du spectateur ? Je peux accepter qu’il n’y ait aucun chemin tracé, mais encore faut-il que je ressente une toile d’où je tirerais des fils. « Encor » accumule ce que je ne veux plus : une poésie qui me prend de haut, où le chorégraphe-plasticien propose deux ?uvres en une sans que je puisse les relier. Cette danse sur la création d’une danse m’a littéralement noyé.
Étrange journée où le souvenir d’un château fort poursuit son ?uvre, celle de mon histoire de danse, qui  m’éloigne peu à peu des chorégraphies sans histoires?
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Early Works » de Trisha Brown au Mac de Lyon les 10, 11 et 12 septembre 2010.
« Tres pontos » d’Alex Neoral au Théâtre de la Croix Rousse du 11 au 14 septembre 2010.
« Encor » de Catherine Diverrès au Tobogan de Décines les 10 et 11 septembre 2010.
Crédit photo: Christian Ganet.
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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES Vidéos

À la Biennale de Lyon, spectateur (r)échauffé par Hofesh Shechter.

 C’est mon premier rendez-vous avec la Biennale de la Danse de Lyon. J’ai le trac pour cette rencontre inédite avec le chorégraphe Israëlien Hofesh Shechter. À 20h30, il présentera «Political Mother». Mais à 19h, je suis inscrit à un «échauffement du spectateur» animé par Anne Décoret-Ahia, anthropologue de la danse et coach. En s’inspirant du propos et du langage d’Hofesh Shechter, elle propose différents jeux d’étirements, d’occupation de l’espace, de rencontre avec l’autre et d’écoute du corps. Elle souhaite un travail sur «la résonance» avec l’oeuvre de ce chorégraphe. Ainsi, pendant une heure, je suis en interaction corporelle avec de parfaits inconnus qui semblent familiers  avec ce type d’exercice.

Aucun processus de socialisation n’est travaillé: pas de présentation (ni de l’intervenante, ni des spectateurs) et l’on nous met dans les bras de quelqu’un sans que nous contestions la brutalité du processus! Je me fonds dans le groupe anonyme à l’image de tant de salariés qui doivent fusionner et faire corps avec l’entreprise lors de séminaires pour produire des normes managériales efficaces. Je reconnaîtrais sur scène quelques mouvements expérimentés au cours de “l’échauffement”. Mais «la résonance» a des ressorts psychologiques qui ne peuvent se réduire à  une «expérience» en atelier qui mobilise nos capacités d’apprentissage et de mémorisation. À 20h, plus qu’échauffé, je suis épuisé et je m’interroge : entre le temps de la scène et le contexte du spectateur, quel espace médian peut-on créer pour libérer une parole autour de la danse et la métamorphoser en acte créatif ? Comment articuler parole singulière et structure sociale normalisatrice? Je ne me doute pas encore que ce seront des sujets abordés par Hofesh Schechter…

La salle de l’Auditorium est enfumée comme après un séisme. «Political Mother» est un «spectacle» de danse au coeur de la société du divertissement : pour dénoncer les processus d’embrigadement et d’asservissement du pouvoir, Hofesh Shechter crée une forme spectaculaire (dix danseurs, quatre bassistes à l’étage, quatre batteurs en bas) où il articule danse groupale, musiques rock, militaire et classique. Spectateur «conditionné», je dois accueillir cette oeuvre qui utilise les ressorts du grand spectacle (et donc du pouvoir sur les masses), ceux-là mêmes qui nous empêchent de nous émanciper des formes abrutissantes, de nous recentrer sur le sens.

Ce sont donc les faiblesses de «Political Mother» qui permettent de s’affranchir du «spectaculaire» : un langage chorégraphique plutôt minimaliste, mais sensible (succession de gestes incantatoires dansés sur la pointe des pieds pris dans le tourbillon de l’enrôlement groupal), des danseurs qui «théâtralisent» leur danse au lieu de la «performer», une mise en scène qui crée le vertige du pouvoir tout en humanisant ce qui par le bas le fragilise. Hofesh Shechter danse l’embrigadement sur scène, mais se garde bien de nous enrôler, tout juste mobilise-t-il notre imaginaire chorégraphique, musical et théâtral pour  repérer les formes utilisées par le pouvoir pour nous asservir.

Oeuvre profondément pédagogique sur les processus de domination à l’intérieur d’un groupe, vis-à-vis du chef ou de toute autorité verticale, elle est aussi à l’égard de la danse contemporaine. Il nous démontre qu’elle est aujourd’hui au croisement des langages (musical, théâtral, plastique), qu’elle peut ouvrir les codes de la narration pour laisser place à nos interprétations, qu’elle peut créer du silence en transformant la lumière en poussière, en «nuit et brouillard». Mais surtout, il s’appuie sur le spectaculaire (et le langage publicitaire qui l’accompagne) pour y puiser l’énergie de la résistance, pour donner la force à l’art chorégraphique de s’émanciper des pouvoirs autoritaires.

Plus globalement, «Polical Mother» nous rappelle que le corps est politique : loin de le statufier sous le poids des contraintes d’une Histoire qui nous échapperait, il nous invite au rassemblement.
C’est ainsi que le spectateur s’échauffe, prêt à défiler.
Pascal Bély – www.festivalier.net
“Political Mother” par la Hofesh Shechter Company à la Biennale de la danse de Lyon les 10,11 et 12 septembre 2010.
Crédit photo : Ben Rudick.
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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES THEATRE MODERNE

Christoph Schlingensief n’est plus. L’intolérance se marre.

Le 21 août 2010, le metteur en scène allemand Christoph Schlingensief est décédé à l’âge de 49 ans. Cette nouvelle noyée dans le flot continu de la communication gouvernementale amplifiée par la caste médiatique, est passée quasiment inaperçue. Et pourtant, cet homme (rarement programmé en France) provoquait nos relents racistes avec humour, créativité et humanité.
En mai dernier, j’avais vu son dernier opéra-théâtre au KunstenFestivalDesArts. Je pense à lui au moment où la France  plonge dans le populisme et le racisme d’Etat.

Les applaudissements sont totalement désordonnés. Ils forment une vague sonore irrégulière, presque maladroite. Comment remercier ce collectif Germano-Africain de nous avoir bousculés, tordus, baladés d’un coin à un autre de la scène ? Comment leur en vouloir d’avoir déformé notre regard sur l’opéra pour en faire un moment populaire, festif et politique ? « Via Intolleranza II » nous vient du Burkina Fasso, à partir d’un projet de « village-opéra » impulsé par le metteur en scène allemand Christoph Schlingensief. Sur plus de quatorze hectares, s’érigent depuis le début de l’année, écoles, cours de cinéma et de musique, salle de répétition, maison d’hôtes, une scène de théâtre, café, restaurants, terres agricoles, dispensaires…De là-bas, ils sont vingt danseurs, musiciens africains et allemands à venir vers nous pour revisiter « Intolleranza 1960 » de Luigi Nono, pamphlet contre l’intolérance et le racisme.

Tout commence par une annonce : le volcan islandais a fragilisé le processus « classique » de création. Peu de jours pour répéter, difficulté pour acheminer l’ensemble de la troupe (Air France est ce soir raillé pour avoir délaissé bien des pays africains au profit d’autres contrées plus prometteuses). L’économie européenne reste colonialiste et le monde culturel n’échappe à pas à cette loi implicite. Pendant plus de vingt minutes, artistes et producteurs défilent pour moquer notre système de production des idées et des arts calqués sur le modèle industriel qui enrichit les plus riches et appauvrit les plus pauvres. Sauf que, à l’heure d’une crise économique sans précédent, qui se paupérise ? L’Europe ou l’Afrique ? Une fois malmenés nos désirs de toute-puissance et de domination à l’égard de ces artistes venus d’ailleurs (magnifique scène ou un gosse en costard cravate nous provoque « hein, que vous me trouvez mignon »), « Intolleranza II » va faire trembler les murs du théâtre à partir d’un bazar innommable ! La scène est alors le terreau où une nouvelle civilisation peut naître, si nous acceptons collectivement d’introspecter notre lien à la colonisation. Ici, trois « villages » se superposent: se projette un film sur les camps allemands qui enfermaient les Africains pendant la Seconde Guerre mondiale, en alternance avec des images qui nous guident dans ce village opéra en construction. Le troisième “village global” se construit sur scène. Avec des décors de cartons pâtes, on se moque des maisons allemandes, bousculées par des lits d’hôpitaux où Africains et Européens s’allongent pour se faire opérer (opéra?) des tumeurs malignes de leur inconscient. L’orchestre ne cesse jamais de jouer pour chanter, crier mais aussi pour pleurer, pour que le blanc poursuive le noir, fou de désir de ce corps sculpté comme une statue qu’il aimerait bien immobiliser.

On célèbre « les beaux fruits allemands » tandis qu’un rappeur noir nous les gonfle ! La scène est si encombrée que l’espace est à chercher ailleurs (sur des rideaux pour s’y projeter, dans nos têtes pour se libérer des codes classiques du théâtre). Les surtitrages français et néerlandais ne suivent même plus tant certains dialogues semblent improvisées. Sur toute cette scène, c’est l’art « colonialiste » qui est convoqué et provoqué tandis qu’émerge peu à peu un autre lien à la culture, plus joyeux, plus libre, plus ouvert et tolérant et pour tout dire plus accueillant. L’ensemble de ces beaux artistes donne une dimension poétique à la frontière (entre l’Europe et l’Afrique, entre la danse, la musique et le théâtre) et positionne l’opéra au coeur du lien social (on est loin de la vision mortifère qu’il véhicule dans nos contrées). Ici, il est un enchevêtrement d’Histoires qui redessinent un vivre ensemble pour des liens plus horizontaux et fraternels. C’est un opéra d’une tolérance dépourvu des oripeaux de la bonne conscience du blanc dont le modèle de civilisation ne tient qu’en fonction de l’évolution des spéculations boursières.

Christoph Schlingensief creuse, introspecte, s’engage personnellement pour provoquer le chaos psychologique afin que notre lien à l’Afrique se nourrisse de ce travail. La scène devient une matière que notre regard de spectateur malaxe pour en faire l’oeuvre du renouveau, celle d’une civilisation tournée vers l’Afrique.

« Via Intolleranza II » est un chantier qui peine à se décrire tant que l’on ne le vit pas. Il faut être belge et au Kunsten pour programmer une opéra pareil.

Pascal Bélywww.festivalier.net

 « Via Intolleranza II » de Christoph Schlingensief a été joué du 15 au 18 mai dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

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FESTIVAL D'AVIGNON

Bilan du Festival d’Avignon 2010.

Le Festival d’Avignon est un festival de langages. Depuis 2004, le binôme de direction Hortence ArchambaultVincent Baudriller a fait voler en éclat la frontière entre danse et théâtre, posant le langage comme seul repère au risque de s’entendre reprocher que « cela ne parle pas ».

Pour l’édition 2010, cela m’a parlé parce qu’il a été question du corps dans l’espace intime, social et politique, pour imaginer l’inimaginable. Premier bilan pour s’en reparler?

La douleur est politique.

Elle est venue d’Espagne pour crier « gare » ! Angelica Liddell a provoqué la stupeur et les tremblements avec « La casa de la fuerza». Quatre heures d’un théâtre où la douleur intime nous a propulsés vers le corps politique. Ce chef d’oeuvre place Angelica Liddell comme l’une de nos plus grandes dramaturges.

Stupeur aussi avec Christoph Marthaler. « Schutz vor der Zukunft » (« se protéger de l’avenir ») proposé dans le très catholique collège Champfleury a sidéré. Parce que le sort réservé aux fous traverse les siècles et dit tant sur nos capacités à nous civiliser. Avec Marthaler, les fous nous ont fixés droit dans les yeux. Intimement. Politiquement. Moment inoubliable, malheureusement vu par un cercle de privilégiés…

Il en fut tout autrement avec Alain Platel qui, avec «Out of context», a esthétisé le langage du fou en dehors de toute conscience politique. Les rires du public ont signé l’errance de ce chorégraphe dont on se demande s’il n’est pas prêt à tout faire danser. Pourtant, avec « Gardenia », co-écrit avec Frank Van Laeke, il s’est autorisé bien des audaces avec ces vieux travestis de retour sur scène. Lorsque le corps dans sa douleur se donne un genre, c’est magnifique et profondément émouvant.

À côté, « Trust » de Falk Richter et Anouk van Dijk est apparu comme une oeuvre séduisante dans sa forme, mais froide. En prenant à témoin nos corps pour métaphoriser l’impact de la crise sur nos comportements relationnels, la danse a fait le spectacle. Mais de l’intime au politique, il y a le corps et ses stigmates. Ici, rien. C’était trop beau pour ne pas y croire.

Le corps épuré

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De la terre comme plateau. La lumière du soleil couchant comme seul éclairage. Tout n’était qu’épure pour une danse innommable. Avec « en atendant », Anne Teresa de Keersmaeker a signé un chef d’oeuvre en retirant à son langage chorégraphique des élisions dangereuses pour placer des traits d’union entre des danseurs majestueux et des spectateurs respectueux.

Autre épure avec Gisèle Vienne dont la forêt sur scène nous a embrumé jusqu’à soulever l’humus posé sur des corps violentés. « This is how you will disappear » restera pour longtemps une très belle  ?uvre chorégraphique et musicale.

Le corps langage qui laisse des traces?

Il y a eu le corps qui trace. Le chorégraphe Joseph Nadj s’est trempé jusqu’au cou dans une encre (de Chine ?) pour faire voler ses «corbeaux » au dessus de nos têtes. Sublime.

Dans la « lignée », entre le corps qui trace sur le sol, et la lumière, matière pour traces chorégraphiées, Cindy Van Acker avec quatre solos (« Lanx / Obvie », « Nixe / Obtus ») a provoqué le « syndrome de Florence » au c?ur d’Avignon. Palpitant.

À l’opposé, la Canadienne Julie André T avec « Rouge » et «Not Waterproof» a signé deux propositions sincères où le corps trace pour faire beau et en souffrir. Sauf que par la suite, cela m’est apparu  délébile?

Faustin Linyekula avec « pour en finir avec Bérénice », n’a pas réussi non plus à donner corps aux traces laissées par la colonisation de la langue Française dans son pays, le Congo. Sa danse-théâtre a manqué de force.

Sur un tout autre registre, le duo Suisse Zimmermann et de Perrot nous a proposé de belles envolées dans «Chouf Ouchouf» (regarde et regarde encore) avec le cirque acrobatique de Tanger. Ici, le corps dessine des traces politiquement correctes dans nos imaginaires déjà colonisés par les tours opérateurs Marocains et Européens. Je cherche encore les raisons de sa programmation dans le festival d’Avignon.

Le collectif fait corps sur la convention et le jeu.

« Papperlapapp » de Christoph Marthaler et Anna Viebrock a été une oeuvre injustement décriée par une partie du public et de la presse. Donné dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, ils nous ont proposé un théâtre où le collectif d’acteurs fait « corps » pour conter l’histoire des papes. Vu comme un spectacle chorégraphique et musical, «Papperlapapp» fut un beau moment de drôlerie, de poésie et de provocation au c?ur de cet édifice qui n’est pas adapté aux remises en cause?

Autre collectif. Celui réuni autour de l’acteur Laurent Poitrenaux dans « Un nid pour quoi faire » d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde. Pièce jubilatoire où le groupe pour maintenir leur roi déchu au pouvoir, fait corps sur la musique rock and classe de Rodolphe Burger. Toute ressemblance avec ?

Laurent Poitrenaux aurait pu en être. Quand un chorégraphe (Pierre Rigal) réunit sur scène un groupe de rock, cela prend corps dans « Micro ». Le rock et ses conventions ont trouvé leur langage. Réjouissant.

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Un paradoxe.

Le Festival d’Avignon est au coeur d’un paradoxe :  il développe de nouveaux langages pour faciliter notre compréhension de la complexité. Mais certaines propositions vont à l’encontre de ce processus. Dit autrement, le festival amplifie le clivage au coeur de l’ouverture.  Il affiche la diversité comme une valeur de programmation au détriment d’une cohérence: il prend d’un côté, ce qu’il donne de l’autre.

Peut-on à la fois proposer une mise en scène risquée, un texte lourd de sens avec « Der Prozess » d’Andreas Kriegenburg («Le procès» de Franz Kafka) et m’infliger une pièce mineure d’Eugène Ionesco (“Délire à deux“) poussivement interprétée par Valérie Dréville et Didier Galas dans une “mise en espace” datée de Christophe Feutrier ?

Peut-on à la fois attendre que « je travaille » (attente formulée par Guy Cassiers sur France Culture au sujet de « l’homme sans qualités I » pour justifier la difficulté  d’entrer dans le jeu des acteurs) et m’enfermer dans la mise en scène académique de « Richard II » par Jean-Baptiste Sastre jouée dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes ?

Comment expliquer que « 1973 », pièce « légère » de Massimo Furlan sur le Concours Eurovision de la Chanson, ne trouve aucun prolongement, aucun écho dans le reste de la programmation? C’est posé là, comme une cerise sans gâteau. Autre isolement,  l’auteur et metteur en scène Christophe Huysman qui, avec «L’orchestre perdu», s’est égaré dans un délire textuel totalement incompréhensible. Dans la même veine (quoique plus réussie!), à quoi bon mettre en valeur le texte dans «Un mage en été » d’Olivier Cadiot pour nous y perdre ?

Est-ce bien pertinent de nous offrir un voyage poétique, empli de tendresse avec « Big Bang » de Philippe Quesne, où le spectateur est encouragé à lâcher toute velléité narrative puis de proposer le collectif GRDA qui, avec ses « Singularités Ordinaires », empile les histoires, les illustre et finit par donner un prêt à penser indigeste ?

Comment expliquer que « Baal » de Bertolt Brecht, mise en scène par François Orsoni, est manqué à ce point de rythme à l’opposé d’un Boris Charmatz qui sait raconter Merce Cunningham avec « Flipbook » ?

Au final, subsiste un malaise, comme une incompréhension: pour mettre en valeur des langages innovants, la direction du festival néglige le théâtre dit contemporain comme s’il y avait incompatibilité entre textes et corps. Là où le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles réussit plutôt cette articulation, Avignon oppose et provoque toujours les mêmes réactions clivées de la presse et du public.
À moins que le problème soit ailleurs : et si le théâtre contemporain français était durablement dépassé par la vitalité des metteurs en scène européens ? Et si notre modèle cloisonné de production et de diffusion empêchait toute possibilité d’enrichir le langage ?
Il y a là un véritable enjeu pour l’édition 2011 : offrir une visée sur l’importance de renouveler les formes tout en ne perdant pas la vision, celle d’accompagner les artistes français à se renouveler.
Au risque de finir par bégayer et de développer des tics de langage?

Pascal Bély – Le Tadorne