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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON Vidéos

A la biennale de danse de Lyon : en faire toute une histoire?

En juin dernier au festival « Montpellier Danse », William Forsythe proposait aux spectateurs une expérience chorégraphique particulièrement stimulante. Invité à entrer dans un château fort gonflable, le public a dansé et ressenti les possibilités que lui offrait un espace entièrement dédié aux mouvements, au désir d’interagir avec son voisin. La danse pour communiquer. Ce fut un moment jubilatoire (un article ici). Il me revient encore un propos de William Forsythe: «la démocratisation de la danse à l’intérieur d’un théâtre me semble quasi impossible».

 La Biennale de Lyon a son défilé, grand rassemblement populaire autour de la danse, vecteur du plaisir partagé et ode à la diversité. Dans le même esprit, elle propose de découvrir au Musée d’Art Contemporain les dessins de la chorégraphe Trisha Brown et quelques ?uvres chorégraphiques (« Early Works »). La présence des danseurs dans ce lieu d‘exposition crée un lien particulier à la danse: ce que je vois importe autant que le comment je le vois. Alors qu’ils jouent avec la matière (ici des longs bâtons en bois, là un mur percé de trous, plus loin des vêtements multicolores enfilés à des cordes tenues par des tubes métalliques), j’accueille la fragilité, j’entends le froissement, je ressens la suspension des corps. Je m’éloigne d’un désir de performance qui serait hors de moi pour m’approcher de ce qui me fait “danse” et m’inscrit dans un rapport déverticalisé à la création. Ce sentiment se prolonge alors que nous sommes emmenés au Parc de la Tête d’Or. Quand deux danseurs s’attachent à des cordes enroulées en spirale autour des troncs d’arbre pour descendre progressivement (« spiral »), j’ai un haut-le-c?ur jubilatoire comme s’ils marchaient à l’horizontale pour m’enrôler. Lorsque plus tard, quatre danseuses interprètent sur leur radeau une chorégraphie sur le dos (« Raft Piece »), la peinture jaillit de l’eau et je vis un moment d’une intense poésie. Loin d’être seulement un hommage à Trisha Brown, ce parcours de deux heures donne du souffle pour penser l’avenir d’une danse démocratique.

En fin d’après midi, le retour au théâtre est brutal. « Tres Pontos? » du jeune chorégraphe Brésilien Alex Neoral est une succession de trois pièces (« Pathways », « Interpret », « Um a um ») pour quatre, cinq, sept danseurs accompagnés pour les deux dernières par des musiciens (piano et violoncelle). La technique est certes irréprochable, mais l’ensemble est d’un romantisme daté, d’un classicisme ennuyeux. Si la danse se veut «contemporaine», le rapport au public est immergé dans le formol. « Tres Pontos » me positionne tel un charmant qui chercherait sa cavalière. Mais faute d’être surpris et étonné, je me contente d’attendre patiemment la fin du bal, au bras d’une vieille dame un peu triste qu’il faut raccompagner par galanterie?

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Plus tard dans la soirée, la chorégraphe française Catherine Diverrès plonge le public dans l’expectative. «Encor», pièce pour cinq danseurs, est une tentative courageuse pour rendre hommage à la danse, mais qui se perd dans des tics de représentation (succession rapide de tableaux, bande sonore confuse, ..) et un propos compliqué à force de références. Ce spectacle postule que nous n’avons pas tous la même histoire de danse. Soit. Mais comment s’en parler? Pourquoi cela ne résonne-t-il pas? Serions-nous si différents? Pourquoi de tels marqueurs historiques (le tutu, les perruques, le corps jeté, le collectif en sang) s’ils ne procurent aucun frisson sur la peau du spectateur ? Je peux accepter qu’il n’y ait aucun chemin tracé, mais encore faut-il que je ressente une toile d’où je tirerais des fils. « Encor » accumule ce que je ne veux plus : une poésie qui me prend de haut, où le chorégraphe-plasticien propose deux ?uvres en une sans que je puisse les relier. Cette danse sur la création d’une danse m’a littéralement noyé.
Étrange journée où le souvenir d’un château fort poursuit son ?uvre, celle de mon histoire de danse, qui  m’éloigne peu à peu des chorégraphies sans histoires?
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Early Works » de Trisha Brown au Mac de Lyon les 10, 11 et 12 septembre 2010.
« Tres pontos » d’Alex Neoral au Théâtre de la Croix Rousse du 11 au 14 septembre 2010.
« Encor » de Catherine Diverrès au Tobogan de Décines les 10 et 11 septembre 2010.
Crédit photo: Christian Ganet.