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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS

pascal.rambert.com

De nombreuses institutions culturelles ont une politique offensive de communication. Elles produisent plaquettes, se positionnent sur les réseaux sociaux de l’internet, ouvrent des comptes sur Youtube ou Dailymotion. Elles produisent des petits films vidéo promotionnels, souvent joliment bien faits. Mais que véhiculent ces supports? Est-il possible d’exercer un “arrêts sur images”, à moins que l’exercice ne soit vain? Premier exemple avec une vidéo postée sur la page Facebook du Théâtre de Gennevilliers dirigé par Pascal Rambert. Quatre minutes et dix-huit secondes qui ont suscité une réaction critique de Pascal Bély, du Tadorne. Un débat s’est alors engagé (dont nous vous proposons une synthèse, puisqu’il s’est engagé avec de nombreux interlocuteurs) avec Neige Mélanie Chereau (metteuse en scène et blogueuse théâtre), Gilles Groppo (comédien et assistant à la mise en scène de Pascal Rambert sur sa dernière création) et Pierre-Jérôme Adjedj auteur et metteur en scène. Au cœur du débat: que révèlent la forme et le fond de cette communication institutionnelle?

Pascal Rambert dans le film: Le théâtre de Gennevilliers, un lieu simple, pas prétentieux…je crois que c’est le futur des lieux comme çà, des lieux ouverts, chaleureux, où on se dit que si on n’y va pas, on a raté quelque chose…et ça peut être super agréable d’y passer du temps…c’est là dessus que je travaille, sur le désir, toujours je travaille sur le désir

Pascal : Et des lieux qui n’ont pas besoin des ficelles de la com. pour susciter le désir!

Neige Mélanie: devant la profusion d’information, il est normal que les lieux culturels  utilisent les mêmes ficelles que les autres pour se faire connaître. C’est de bonne guerre…

Pascal: Si je prends au pied de la lettre ce que tu écris, c’est à désespérer des artistes. Ils n’ont pas à utiliser les ficelles qui enferment la pensée (que je sache, la communication, c’est de la propagande) mais au contraire, ils doivent les transcender! Dans cette vidéo, on peut enlever TDG et le remplacer par un lieu de consommation. L’effet est le même. Cette vidéo me désespère, car j’ai besoin que les artistes résistent. Et non qu’ils se fondent dans un moule qui, de toute façon, n’est pas fait pour eux.

Neige Mélanie: je comprends bien. Franchement on ne peut qu’être d’accord avec ce que tu dis. Mais à ce moment-là on arrête les affiches et les tracts… et c’est terminé. On est bien obligé aussi de se battre avec les armes de son ennemi parfois… On peut aussi voir ça comme un acte de résistance.

Pascal : ce n’est pas sérieux! Ce film n’est en rien un acte de résistance. C’est de la publicité. On peut aussi arrêter les affiches et les tracts et travailler les réseaux à partir d’une communication sur le sens et les valeurs.

Neige Mélanie: Le réseau c’est aussi une manière de ne jamais rester qu’entre soi. Or, j’aime la politique d’ouverture de Gennevilliers qui essaye de faire venir au théâtre des gens qui n’y vont pas… Mais ce n’est pas un film destiné aux Parisiens… le T2G communique énormément avec le public de Gennevilliers, mais il est utopique de penser que ça suffit. Il faut buzzer pour que les choses se fassent connaître dans le brouhaha d’infos. Et ce genre de film est adressé à tous, les franciliens et les autres… Après il sera toujours temps de créer du buzz avec des objets artistiques, et c’est le cas avec ces photographes et auteurs invités à créer autour de Gennevilliers et de ses habitants.

Pascal : A quoi sert cette énergie pour communiquer ainsi, alors que tout le monde sait que c’est insuffisant pour faire venir du public? Ce clip, n’est-il pas un objet “narcissique” où le TDG se fait du bien, se renvoie un beau miroir. Peut-on en 2010 résumer un théâtre à son dirigeant ? Un théâtre c’est une équipe, des réseaux, des spectateurs: ils sont cruellement absents dans ce film. C’est un film qui reproduit le schéma vertical du pouvoir et nous empêche de voir et de penser les horizontalités. Ce clip n’est destiné qu’aux tutelles. On instrumentalise la communication vers les spectateurs à d’autres fins. D’autre part, Pascal Rambert nomme dans ce film des processus, comme s’il voulait se convaincre lui-même de leur validité. À titre d’exemple, ai-je besoin de communiquer sur la confiance si j’ai confiance en vous ?

Gilles: Et si vous arrêtiez de critiquer les directeurs qui osent encore nous proposer des programmations aussi variées, et qu’enfin vous vous concentriez sur ce gouvernement qui ne cesse de baisser les subventions. Proposer une telle diversité est un challenge auquel peu de directeurs s’essaient de nos jours avec des budgets aussi faibles.

Pierre-Jérôme : pitié, arrêtez de tous sortir l’argument budgétaire à chaque fois qu’il y a polémique : c’est vraiment devenu un bouclier anti-discussion dans tout le monde culturel français. Chaque critique se termine par “c’est ça, continuez, de toutes les façons bientôt on sera morts, et vousaurez tout gagné”! Figurez-vous que je connais plutôt bien tout ça : je suis en train de monter une production, et c’est tout sauf facile en dépit de partenaires assez sympathiques. Mais comme je suis par ailleurs entre Paris et Berlin, la différence sur le ratio créativité/moyen est tellement frappante que je trouve indécent de se plaindre!

Gilles: Le théâtre de Gennevilliers est devenu un lieu ouvert et chaleureux, le public rajeuni augmente chaque année, c’est un lieu unique par sa conception et qui nous propose des artistes de tout horizon qui sont de vrais créateurs ! Si vous êtes si malin, trouvez-nous de vraies solutions pour amener de l’argent !

Pascal: Gilles, est-ce possible de poser le débat là où il est ? Je réclame le droit à la critique, et cela n’entache en rien la qualité de la programmation du théâtre de Gennevilliers. Le pouvoir en place rêve de ce type de vidéo, où le théâtre est une “marque”, au même titre que d’autres services publics. D’autre part, la personnalisation du pouvoir politique entre en résonance avec ce film où l’on n’entend que “je”.

Gilles: cher Pascal, posons le débat calmement, je suis d’accord… Le théâtre se meurt ! Pourquoi ? Parce que c’est un art qui n’est plus médiatisé, parce que c’est un art dont on ne parle qu’au sein d’une communauté de plus en plus restreinte…Qui descend encore dans la rue pour défendre nos droits? Se servir aujourd’hui des mêmes moyens de communication me paraît tout simplement vital, et cette vidéo ne me choque en rien, je préfère parler du contenu de la programmation, c’est tout…Encore une fois, Pascal, ne nous trompons pas de débat et conservons nos forces pour la bonne cause !

Pierre-Jérôme : Je rejoins Pascal sur le fait que ce film est une forme d’auto-promo assez narcissique. Rambert dit : “un lieu simple et pas prétentieux”, c’est comme les gens qui s’autoproclament “généreux”, “bons”, charitables” etc. je trouve toujours ça un peu curieux et décalé. Et effectivement, où est l’équipe, où est le public, où sont les gens sinon à travers le prisme des œuvres produites? Je suis toujours extrêmement circonspect sur les personnes qui proposent un projet de proximité, de simplicité et de décloisonnement et qui se sentent tout de même obligées de le crier sur les toits, au-delà de leur périmètre d’action. Cela soulève trois hypothèses, dont aucune n’est exclusive de l’autre : la première, c’est que Rambert ne croit pas tout à fait à ce qu’il dit. La deuxième c’est qu’il ne peut pas se contenter de la réalité du projet (et des difficultés inhérentes à cette ambitieuse et louable entreprise), pas assez belle à l’oeil parisien; il lui faut donc maîtriser son image en produisant un beau film auto-célébrant la générosité de sa démarche. La troisième, c’est que ce film est destiné au Ministre de la Culture et aux diverses tutelles…

Gilles: Vous rendez compte de la difficulté de faire venir le public parisien à Gennevilliers? Pascal Rambert a réussi a transformé un lieu froid et vide, en un véritable lieu de rencontre et un espace chaleureux … Montrer que ce lieu est unique par sa conception n’est pas à négliger !

Pierre-Jérôme : Certes Gilles… Pour être venu au T2G avant Pascal Rambert je ne peux que confirmer que le lieu a été pris “à bras le corps”, et de façon tout à fait pertinente. Et concernant le projet, d’accord aussi : même si personnellement j’avais été agacé par le rapport aux amateurs dans “la micro-histoire”, ça ne m’empêche pas de reconnaître la validité globale du projet, qui détonne effectivement par rapport à pas mal d’autres théâtres…Vous parlez de la difficulté à faire venir le public de Paris ? Est-ce un but en soi ? Le public de Gennevilliers et ses environs ne vous suffit pas ? Ces foutus Parisiens n’ont pas besoin qu’on leur déroule le tapis rouge : ce serait tellement préférable qu’ils entendent le “bruit” qui gronde à Gennevilliers, sans com’ tapageuse, et qu’il se dise “mince, je suis en train de louper un truc, ou bien…”. Je suis peut-être un peu extrémiste, mais je me dis que le public du coin a mérité d’être le centre du monde (ce qui se produit apparemment dans le réel).

Neige Mélanie: mais voyons, ce n’est pas un documentaire sur Gennevilliers ou un court métrage artistique…! C’est un film sur le théâtre et ses activités. Et personnellement la présence de Rambert ne me dérange pas, car cela donne une image intime personnelle et accueillante du théâtre. Cette personnalisation n’est pas sans rappeler ce que font les Américains. D’ailleurs, ce film n’est-il pas destiné à l’étranger? Pour cela il faut faire quelque chose d’assez simple aussi, de clair et présentable.

Gilles: Aujourd’hui, le véritable problème aussi touche la difficulté de faire vivre sur la durée un spectacle dans le monde de l’art contemporain propre à faire vivre les artistes qui se défendent tant bien que mal depuis 2003… Nous autres, artistes de surcroît, ne sommes jamais cités ou mis en avant et les spectacles se construisent sur le nom du metteur en scène ou du chorégraphe et il devient de plus en plus très difficile de survivre…

Pierre-Jérôme : Pourquoi ne pas faire un film qui fasse la part belle aux gens dont parle Rambert ? Pourquoi ne pas concevoir des objets filmiques étranges, pourquoi pas sous forme de série, qui mette en scène ce qui se joue, dans tous les sens du terme, au T2G ? Ca ça créerait du buzz, interpellerait le parisien, qui se dirait tout à coup “et moi alors, on ne m’a pas invité ?”. Sous cet angle, le T2G se poserait en “place to be”, sur la base d’une réalité exposée de manière créative; et le mélange dont tu parles se ferait sur une base pour une fois équitable, les parisiens venant enfin en banlieue sans leur casque colonial. Or, que voyons-nous là? un film dont le titre pourrait être “Rambert, ce héros” (tu apprécieras le jeu de mot j’espère :-) ), où il se montre, se surmontre. Ceux qui connaissent PR assurent que c’est quelqu’un de simple, étranger à toute vanité. Soit, mais alors, il s’est fait avoir par les personnes qui ont tourné ce film ! Car ce truc trimballe dans son inconscient tout ce qui me fait dire qu’il est tourné vers les Parisiens et les tutelles…

Gilles: “un film qui fasse la part belle aux gens dont parle PR “, existe déjà et sous différentes formes… Que dire des films qui sont tournés in situ à Gennevilliers, avec des gens de Gennevilliers…Que dire des Ateliers d’écritures ouverts à tous les gens de Gennevilliers gracieusement… Que dire des multiples spectacles où on a vu des gens de Gennevilliers présent sur scène et il y en aura d’autres très bientôt (et croît moi leur témoignage est poignant)… Enfin tout ça !

Pierre-Jérôme :  pardonnez-moi, mais le film produit une impression inverse de la réalité que vous décrivez.Vous dites “oubliez un peu l’homme”, mais comment faire à la vision d’un film Ramberto-centré ? À mon avis, le film ne raconte pas votre travail, il fait vitrine, de la manière la plus classique qui soit.

Pascal: ce débat pose pour moi une question essentielle. Peut-on longtemps enfermer le lien spectateur –structure culturelle dans  une approche de la communication de masse?  Je reconnais à Pascal Rambert de louables efforts pour ouvrir ce lien. Mais ce “clip” est venu annuler la représentation que je me faisais de ce théâtre. Tout change parce que rien ne change! J’aurais presque envie de lancer un défi aux structures culturelles: baissez de moitié vos budgets communication et développez vos relations humaines. Car le théâtre n’est pas une marchandise. C’est parce que les structures changeront le lien, que la relation avec le politique évoluera. Sinon, elle est condamnée durablement à se fossiliser dans un schéma infantilisant.

Merci à Neige Mélanie, Gilles et Pierre-Jérôme pour leur participation à ce débat et d’avoir accepté sa retranscription sur le Tadorne.

 Pascal Bély – Le Tadorne

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EN COURS DE REFORMATAGE FESTIVAL MONTPELLIER DANSE OEUVRES MAJEURES PAS CONTENT Vidéos

Anne Teresa de Keersmaeker ne fête pas les 30 ans de Montpellier Danse.

“C’est une pièce culte”; “A ne pas manquer”; “comment ça, tu ne l’as pas encore vue?”. La pression est forte à la veille de “Rosas Danst Rosas” d’Anne Teresa de Keersmaeker, jouée au Festival Montpellier Danse. Cette pièce, créée en 1983 pour quatre danseuses (dont la chorégraphe) est une oeuvre majeure du répertoire de la danse contemporaine. Car, comme le précise Wikipédia , “certains aspects de cette oeuvre marqueront les bases chorégraphiques des pièces d’Anne Teresa De Keersmaeker notamment quant aux circulations élaborées et l’utilisation du motif de la spirale”.  Vingt-sept après, elle est toujours là, avec trois danseuses de la compagnie.

Je suis au premier rang, métaphore du premier de la classe, bien décidé à passer l’examen avec succès. Mais, au fond de moi, une certitude: le lien avec une oeuvre de danse ne se commande pas. Je sais par expérience que c’est un art qui laisse chez chacun de nous des empreintes, où le spectateur élabore son histoire, loin d’être linéaire. Je pressens aussi que “Rosas Danst Rosas” vient un peu tard dans le lien que j’ai tissé avec Anne Teresa de Keersmaeker . Sa création “the Song, vue à l’automne dernier, résonne encore. Je sais ce soir que je ne suis pas là où le festival Montpellier Danse m’attend. Je sais que je suis ailleurs. 

Pendant plus d’une heure trente, mes émotions sont à distance. Cela ne passe pas alors que l’oeuvre est un chef d’oeuvre. Mais précisément, c’est de là où je la regarde. Je me sens écrasé par ces quatre femmes sublimes. J’observe leur danse comme si j’objectivais tout, à la recherche de ce qui fait “chef d’oeuvre”. Je ne m’en sors pas. Mais Anne Teresa de Keersmaeker n’est pas avec nous. Une intuition. Son visage est souvent fermé comme si elle ne pouvait pas être là. Comme si les 30 ans de Montpellier Danse la statufiaient au moment où elle prépare sa nouvelle création pour le Festival d’Avignon. À mesure que “Rosas Danst Rosas”  avance, le climat est de plus en plus lourd dans la salle. J’entends des soupirs d’exaspération, mon voisin somnole et je ne vois qu’elle. Son visage. Son corps. Je me remémore son répertoire, “The song” vu à Nîmes, “Steve Reich Evening à Cavaillon en avril 2007, deux folies de danse, deux empreintes. Mon premier article sur le blog, c’était pour elle, en 2005. À chaque mouvement du quatuor, je feuillette notre livre d’histoire. 
Ce soir, elle danse mécanique, je les regarde calculateur. Elle paraît souffrir, je n’ai aucune empathie. Elle non plus. Le quatrième et dernier tableau où elles dansent pendant plus de trente minutes quasiment un même mouvement qui se déploie du carré au circulaire, finit par ouvrir une brèche: je referme le livre.
Je commence à bouger.
Pascal Bély– Le Tadorne
“Rosas danst Rosas” d’Anne Teresa de Keersmaeker. Les 25 et 26 juin 2010 au Festival Montpellier Danse.
Crédit photo: Tristram Kenton