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FESTIVAL D'AVIGNON

Festival d’Avignon. ET après ?

Le Festival d'Avignon est un espace de rencontre où l'on échange sur le théâtre sans techniques d'approches ! Lors de la représentation de « Ciels » de Wajdi Mouawad, j'ai osé interpeller Martine Aubry sur la défaite des socialistes aux élections municipales partielles d'Aix en Provence (je passe sous silence sa réponse?sidérante) ? Le même soir, j'ai questionné Leïla Chaid, représentante de la Palestine à Bruxelles, sur les raisons de son absence dans les médias français. Décidement, la file d'attente abat bien des hiérarchies.

Il en va tout autrement de deux lieux pensés pour le spectateur par le festival et ses partenaires. Les débats à l'Ecole d'Art organisés par le CEMEA (mouvement d'éducation populaire) ont pour finalités de créer le dialogue entre artistes et public. Ils sont trois animateurs : un sur scène, un dans l'assistance, un de côté. En général, le ton est convenu et l'on en profite parfois pour régler des comptes avec la critique (ce fut le cas avec Joël Jouanneau). C'est un jeu de questions ? réponses sans dynamique transversale entre spectateurs. Le CEMEA contrôle, même quand le chorégraphe Rachid Ouramdane regrette l'absence de jugement négatif sur « Les témoins ordinaires ». Qu'importe. Un des animateurs joue le rôle. À d'autres occasions, l'un d'eux formule un avis sur le spectacle et saisit l'opportunité pour énoncer quelques principes chers au CEMEA. Alors que je suis un spectateur plutôt « actif », ils n'ont jamais donné une visibilité à ma démarche. J'avais envisagé que ces débats ouvrent mon blog à des spectateurs. Même si j'ai retranscrit certaines rencontres (Maguy Marin, Wajdi Mouawad, Jan Fabre, Amos Gitaï), cet espace, en reproduisant l'estrade et le parterre, ne m'a pas permis de m'affranchir des barrières hiérarchiques.

ARTE avait elle aussi son lieu à l'Ecole d'Art. Des tables, des ordinateurs, des transats, une télévision et quelques spectateurs allongés ou consultant mails et sites internet. Un cybercafé en somme. Je n'ai fait qu'y passer une tête pour constater le désert et la froideur de l'espace. Paradoxalement, c'est sur Twitter que j'ai pu dialoguer avec les professionnels d'Arte. Comment et avec qui questionner la pertinence de ce lieu ?

Finalement, ces espaces hiérarchisés sont en décalage avec les formes artistiques actuelles. Alors que metteurs en scène et programmateurs encouragent l'émancipation du spectateur, évoquent les traversées (en référence au transversal), les institutions contrôlent l'interaction verticale avec le public. Mais peuvent-elles faire autrement ? Est-ce leur mission de créer l'espace démocratique? Pourquoi ces débats ne sont-ils pas organisés par les spectateurs eux-mêmes, promus par le Festival et financés par des partenaires publics et privés plutôt que cette uniformité qui ne permet plus d'entendre la diversité des points de vue et nous enferme dans le lien « producteur-consommateur » ?

De mon côté, j'ai donc privilégié l'informel pour opérer des rencontres. En arborant un t-shirt siglé « Tadorne www.festivalier.net », j'affichais une identité singulière : spectateur mais différent ! Cette « peau » hybride a incontestablement facilité les liens. À la fin du concert « L'autre rive » de Zad Moultaka à l'Eglise de la Chartreuse, j'ai rencontré Hanane, comédienne. Elle venait à Avignon pour y rechercher du « politiquement réveillé », de « l'humanité »,  « des chemins de traverse » pour ne pas se cloisonner. Tout mon projet !

D'autres rencontres ont ponctué ce mois théâtral. Elles m'ont permis de créer des relations particulières, à l'articulation du critique et du spectateur. À la fin de certains spectacles,  j'ai souvent pris le temps d'écouter en relançant la question, tout en donnant un avis que je remettais en débat (Amos Gitai). Je me suis parfois immiscé dans une conversation de groupe pour provoquer la tension et échapper au consensus mou (Jan Fabre) ; à un autre moment, ce sont de parfaits inconnus qui attendaient le débat à la fin de « Casimir et Caroline » ou des «Inepties volantes » pour se rassurer et ne pas se sentir exclus. Avec « les témoins ordinaires » de Rachid Ouramdane, je n'ai pas hésité à questionner une rangée de jeunes spectateurs ! Ce fut aussi l'occasion de mesurer l'étonnante popularité du blog dans le milieu culturel (notamment chez certains artistes). Quelques spectateurs sont venus spontanément vers moi pour saluer ma démarche « engagée », « libre » (merci à Francis et à tous les autres !). Ce fut aussi l'opportunité de dialoguer autrement avec les professionnels de la culture : le lien s'est avéré plus souple, moins rigide que lors de nos échanges au cours de l'année.

Toutes ces rencontres m'ont permis d'appréhender certains processus du dialogue autour de l'?uvre (en finir avec le « j'aime » ou le « je n'aime pas »). La tâche n
'était pas facile. Qu'en faire aujourd'hui ? Comment poursuivre ce travail que j'avais initié lors du festival « Faits d'Hiver » en 2007 à Paris ?

Trois projets sont en préparation pour cette rentrée. Un avec la Ville d'Aubenas et Isabelle Flumian où en tant que formateur, je vais accompagner un groupe de professionnels du lien social (travailleurs sociaux, animateur de l'éducation, de la petite enfance, de la culture ?)  vers la culture afin de créer avec eux les conditions du décloisonnement pour inclure l’art dans leurs pratiques professionnelles.

Dès septembre, j'intègre l'équipe de consultants de l'entreprise Entrepart  animée par Christian et Sylvie Mayeur dont la finalité est de “mêler étroitement l’art dans ses processus de création, l’entrepreneuriat et l’attention aux territoires“. Basée à l'Isle sur Tarn, elle y installe un espace artistique, « La Coursive » (« lieu plastique d'invention à chaleur ajoutée », photo), où j'écrirais régulièrement une chronique.

Le troisième projet est avec Annette Breuil, directrice du Théâtre des Salins de Martigues où j'inaugure  fin septembre un cycle de débats avec les spectateurs.

Dans ces trois situations, mon positionnement, telle une métaphore, sera questionné: spectateur et professionnel, spectateur et critique, dedans et dehors. C'est dans ce « et » que se nicheront tous nos possibles.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Un merci amical à Bernard qui m’a accompagné tout au long du Festival d’Avignon  pour me soutenir dans ma créativté, dans mes questionnements et ma fatigue!

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LES EXPOSITIONS

Sombre bilan des 40ème Rencontres Photographiques d’Arles.

Comment une idée folle, celle de créer un festival de la photographie,  naît -elle dans une petite ville comme Arles, que rien ne prédestinait à l'image? On suppose bien des hypothèses : le délire d'un pari, l'amitié, l'histoire, la politique, mais au final, c'est une forte volonté de fous bien pensants et pas des moins connus, de vivre la photo intensément. Cependant, à l'époque, la jeunesse n'ambitionnait pas la force de l'âge. On parlait du moment présent, de rencontre parce que l'on était d'abord entre amis. On évoque Lucien Clergue (photo), Michel Tournier? D'ailleurs au début, et Christian Caujolle (fondateur de l'Agence Vu) l'avoue bien sincèrement, il y avait peu de spectateurs, mais une envie de vivre la passion fougueusement. Et l'aventure a confirmé l'histoire de ces passionnés de l'argentique, puis du numérique, voire de l'informatique et de la vidéo. Aujourd'hui, ceux- là sont nombreux dans les rues d'Arles avec toujours le même désir qu'avant, découvrir et faire découvrir, autrement dit partager, rêver, car c'est bien la fonction première de la photographie. Aux prémices de ces retrouvailles, on dénombrait plus de clichés souvenirs que sur les années les plus récentes. Mais l'âme du départ se veut conserver.  On compte 40 ans d'images d'archives, d'ambiance et de contexte de travail, de visages connus, de renommées et d'un temps peu éloigné, mais déjà échappé.

Cependant, cette année, les Rencontres Internationales de la Photographie m'ont frappé par leur vide, malgré le nombre important de photographes exposés. Un vide comme un grand sentiment d'absence où l'on cherche encore ce que l'on pourrait retenir de toutes ces expositions. Ce sentiment m'a d'abord irritée : je me sentais leurrée. La colère n'étant pas bonne conseillère, j'ai laissé aller. Ma quête a engendré une vague amère, me poussant à prolonger le propos : pourquoi ?

Il me fallait trouver la raison de cet état. J'ai donc regardé. Beaucoup. J'ai écouté de façon indiscrète les échanges entre spectateurs. Le silence était souvent de mise devant les ?uvres, les propos échangés rapides et insignifiants, les expressions des visages impassibles, le pas fréquemment accéléré. Même les chaises prévues pour se poser et s'évader étaient immanquablement vide comme si l'on ne souhaitait pas s'imprégner des lieux ou rester sur une impression. Était-ce le signe du vide ? Et si les spectateurs triaient de façon ordonnée pour réagir plus vite et aller à l'essentiel estimable ? Serions-nous devenus des consommateurs d'art ? « On prend, on jette ». Entourés et bercés par un nombre de plus en plus écrasant d'images (pub, vidéo, télévision, cinéma, BD, photo d'amateurs, de professionnels, d'artistes?), serions-nous blasés à leur simple évocation ? Sommes-nous tombés, sans nous en rendre compte, dans l'industrie de l'image ? Ce processus ne serait-il pas au c?ur de la commande photographique exhibée à Arles en 2009 appauvrissant le contenu et le contenant? Le spectateur n'exprimait-il pas par ses attitudes si peu spontanées , la perte de la beauté au profit d'une  esthétique empêchant de dessiner le chemin qui nous conduit à rêver, à construire ?

Quelque chose n'a pas fonctionné à Arles comme si l'étonnement n'avait pas jailli avec son lot d'émerveillements, d'interpellations et de sublime.

La beauté permet à l'?uvre de continuer à exister hors contexte, dans nos souvenirs, jusqu'à la prochaine rencontre où l'on se souviendra de cette première sensation, comme le plaisir de la madeleine de Proust. Qu'est devenue la beauté à Arles? La « réalité » photographique m'est apparue prisonnière de sa forme jusqu'à modifier ses contours, rendre flou le c?ur pour  l'abstraire et la contraindre à exprimer un concept, parfois fort synthétique. On la modèle donc, la structure, la tend et l'étend afin d'en extraire toutes les possibilités. De là, on suppute  une explication  désignant ainsi l'orientation du cliché. Et c'est alors, que je bute. Ne va-t-on pas trop loin dans la déformation de la nature même de la photographie ? À force d'y voir un discours à rallonge, ne tend-on pas à mentir le propos, par vanité d'obtenir le meilleur artifice ? On finit par s'éloigner de la nature de l'objet du signifiant et du signifié. Et si tel en est le souhait, quelle en est la vraie portée ? Concept d'une non photo ? Celle qui aurait tout perdu jusqu'à son identité ?  

À Arles, la réalité devient alors errante, prisonnière de représentations de plus en plus torturées puisées dans les profondeurs de nos âmes si noires. Les Rencontres Photographiques se sont appuyées sur toutes les pièces de l'escalier que nous avons collectivement construit pour descendre dans nos enfers de société malade. Maintenant que les repères s'effacent au  profit de l'angoisse collective du lendemain, que nous détruisons quotidiennement nos parts de rêve, que nous propose la photographie ? Quel horizon dessine-t-elle ? Arles est resté scotché à célébrer ses 40 ans et nos malheurs avec !

Pourtant, il y a quelques mois, j'avais constaté à Londres un phénomène de quête de refuge dans les arts, un comportement social qui m'avait alors marqué. Ces hommes, femmes et enfants qui entraient au Musée, paraissaient chercher la valeur guide et  identitaire qui serait le salut par sa réponse.

Un appel à la création du XXIème siècle ?

Diane Fonsegrive – www.festivalier.net

 

Les RIP sur le Tadorne:

Des Rencontres Photographiques d’Arles contrastées. 

Aux Rencontres Photographiques d’Arles, la ballade de la rupture. 

Aux Rencontres Photographiques d'Arles, Naoya Hatakeyama: pas vu, pas pris. 

Aux Rencontres Internationales de la Photographie d’Arles, on se bouscule pour Duane Michals. 

 

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Des Rencontres Photographiques d’Arles contrastées.

Sur la route des vacances, une halte aux RIP, comme on dit en Arles?

 

 

 

Paolo Nozolino

L'?il d'un certain Henri Cartier Bresson ? L'environnement y est beaucoup plus rude, plus métallique et ferré par sa contrainte sociale. L'espace d'une seconde, je retrouve la puissance du cliché Santa Clara pris en 1936 (photo de droite), où la force de l'image devient pieuse et biblique. C'est tout cela que l'on retrouve dans le travail de Paolo Nozolino. Et j'y ai cru à ce noir si noir, tellement sombre par le travail des nuances. A ces lignes acerbes et torturées, on se sent coupable de l'impuissance d'être sans pouvoir de changement. On croise alors l'enfer de la désolation si contemporaine de l'existence humaine. On tente modestement de s'inventer des couleurs pour lâcher les mots, ceux qui plaideront “non coupable” au verdict de Nozolino. Mais malgré la palette imaginée, on sort de l'exposition juste et vaincu par le cliché.

 

Martin Parr.                                                               

A chaque fois que l'on croise l'?il avisé de Martin Parr, revient éternellement la question : est-ce un montage ? Et force de constater qu'il a l'art de photographier, mais aussi d'être au bon moment, au bon endroit.

Du cliché absurde au fin, il présente ici la charge de la luxure, phénomène plus communément qualifié de « Bling bling »: de l'or en strass, pulsé de bulles de champagne. On idolâtre l'argent en l'étalant pour le faire exister. Le grotesque est la première mise. On adore renchérir. Plus on est riche, plus le burlesque nourrit. Plus on gagne, plus on joue. La réalité s'éloigne donc même pour celui qui regarde !

Au fur et à mesure que le photorama avance, on se sent comme adopté dans ce monde surfait de gens qui se veulent beaux, riches et passablement vivants. On ne rit pas, bien qu'au début l'envie d'exploser est là. À mesure que la photo défile, on réalise doucement la dérive du rien. Du clinquant, on glisse lentement dans l'horreur de n'être plus, malgré une apparence physique brillante. Il n'y a plus de pouvoir, car plus d'existence. Et la trace du vrai s'efface au profit de ce qui n'a jamais existé et ne le sera jamais, celui d'être simplement l'ombre de soi même.

Diane Fonsegrive – www.festivalier.net

 

Martin Parr et Paolo Nozolino sont exposés au Hall 15 ? ancien entrepôt sncf – ateliers des forges jusqu’au 13 septembre 2009.

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Aux Rencontres Photographiques d’Arles, la ballade de la rupture.

Cette année, on n'habille pas les vieux murs des entrepôts désaffectés de la Sncf du chic de l'an passé. Lorsqu'on descend les escaliers vers ces lieux, un vent chaud souffle sur le désert de l'endroit. Les pans de ruines, d'ordinaire habillés, baillaient du néant de traces graphiques ou spatiales invitant à entrer. Cette année, pas de tenture, pas de photos d'accueil, juste le portrait géant d'une grand-mère édentée, tentant de nous souhaiter la bienvenue. On épure. A moins que l'ironie ne soit de mise.
Marchez tout droit. Prenez un ticket. Faites-le valider et descendez à gauche en enfer.
Et très vite, on s'immerge. Hall 13. On visite ou revisite pour ceux qui l'auraient déjà fait, la non moins célèbre Ballad of sexual dependancy“, ramenée à 45 minutes sur sa durée initiale de plus de deux heures trente en version initiale. Plus qu'un comportement physique, cette ballade se détermine en fresque sociologique d'une époque perdue et troublée par des questions d'existence et de mort. On se rêve un éden qui garantirait un amour sans romantisme et pur, hors contexte de sida, sans angoisse et naturel. En quatre photos, Nan Goldin fabrique un cercueil dans lequel elle jette l'obscur pour mieux voir et s'espérer sincèrement autrement. Une ode à l'Idéal parfait.
L'introduction à la ballade faite, on se jette (et c'est bien là le terme) aux ateliers mécaniques ? hall 16- où nous attendent les invités de Nan Goldin. Treize comme une scéne. Un jugement prochain ? On avance inquiet et dubitatif. Et c'est le clash sur l'intime poussé au plus cru de son expression où l'inceste, la naissance, l'errance et la mort se voit exposées. Jean-Christain Bourcart nous le prouve bien en nous attirant malgré nous dans le pays où l'on ne va jamais, sorte de cour des miracles américaine, au c?ur du New Jersey à deux heures de New-York. Et ses photos semblent nous dire : ici mais pas plus loin. On veut se retourner et repartir. Pour où ? Pour là, ce là, si confortable d'où l'on vient. La chaleur de la saison accentue le malaise de la visite. Et pourtant on continue. On erre dans un univers qui ne s'apparente en rien à celui de nos quotidiens rangés et sages. J'étouffe et m'insurge. Cependant, je sais qu'en cela le pari de Nan Goldin est gagné.
A retenir toutefois, le travail de David Armstrong, faisant parti au même titre que Nan Goldin du groupe des cinq de Boston, même si ce dernier ose avouer ne savoir si son travail valait piécette. On retient l'étrange du dandysme dans une sorte de « no man's land » de par son installation où le désordre organisé, ordonne l'atmosphère pour inviter le curieux dans son atelier ainsi transféré. Et le bel acte de la photo romanesque du « beaux gosses » s'étale façon Boston group. On lit l'image dans l'importance de la relation avec le sujet photographié qui ira jusqu'au petit panneau originel de l'entrepôt, en haut de la porte de l'espace d'exposition : Local Banc d'essai.
Je souris. L'illusion est parfaite.
Diane Fonsegrive – www.festivalier.net

 Photo : Nan Goldin

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EN COURS DE REFORMATAGE

Bilan du Festival « Mens Alors ! »: mince alors.

Le Festival de Mens dans l'Isère a donc invité « Le Tadorne » pendant une semaine à jouer le rôle du spectateur-critique. Inscrit dans un programme composé de concerts, de bals, d'ateliers, de ballades et de déambulations, j'avais rendez-vous quotidiennement avec les festivaliers pour écouter leurs ressentis sur les différents spectacles proposés. Posté dans différents cafés à des heures improbables, je n'ai vu  personne. Il a donc fallu déambuler.

Pierre Quenehen, le directeur du festival, promeut « l'échange et la création », « la culture et le lien social », « la place à l'imprévu pour surprendre le spectateur », « la faille pour que l'artiste interroge son art ». Il ne cesse de répéter qu'artistes et intervenants doivent « porter leur projet de façon autonome pour que les lignes bougent et que l'acte de création prenne tout son sens ». Sur le site internet, il préconise  «…le choc des confrontations esthétiques, entre « art étrange », « art de l'ellipse » et « art festif »? et l'entêtement à ne jamais renoncer à ce que l'équipe, les partenaires et la population trouvent leur place dans ce projet ».

« Mens Alors ! » est l'un des rares festivals à mettre en avant le processus plutôt que de promouvoir ses têtes d'affiche. Ainsi, « quelques bulles de sens » (pour reprendre l'expression d'un spectateur) ont put émerger ici ou là.

Les ateliers slam animés par Frédéric Nevchehirlian au Centre de Vacances « L'Ermitage Jean Reboul » avec des adultes handicapés ont tenu leurs promesses : la qualité des écrits en disait long sur le processus créatif et de confiance facilité par le chanteur. On a cependant vivement regretté que ces productions ne soient seulement proposées au public lors de premières parties ou d'impromptus sans qu'il puisse irriguer le reste de la programmation. Toutefois, le concert de Frédéric Nevchehirlian avec la batteuse Tatiana Mladenovitch fut émouvant comme en résonance avec le travail des ateliers.

Autre bulle avec la pianiste Sophie Agnel qui nous a offert un concert éloigné des schémas linéaires d'écoute. Deux rencontres « improvisées » avec Frédéric Nevchehirlian et la comédienne Clara le Picard ont agréablement étonné : il y a eu chocs, confrontations et une profonde écoute entre artistes qui ne se connaissaient pas. Le piano et les poètes vont décidément si bien ensemble? Mais on aurait aimé une rencontre avec les vacanciers de l'Ermitage pour que leurs créations poétiques trouvent un prolongement.

Autre bulle, avec le couple Deborah Walker et Greg Gilg. Réunis pour la circonstance, ces deux violoncellistes nous ont littéralement charmés avec leur répertoire de chansons d'amour. A la frontière de la « comédie » musicale, nous les encourageons à poursuivre le travail initié à Mens. Ces deux-là pourraient nous surprendre?

La bulle du film « Six » projetée le premier jour sous la Halle de Mens a enchanté, mais elle a fini par éclater! À partir de six personnages clefs, Victor de Las Heras a filmé la vie du festival en 2008. Mais déjà, le malaise était perceptible. Le public, absent du film, laissait place à une mise en scène où le festival était à lui seul un objet artistique. Ce processus autocentré fut alimenté en 2009 par le cloisonnement des publics: au « Café des sports » se réunissaient les musiciens et la jeunesse du festival; au Point Info, les bénévoles (accueillants) de Mens guidaient les festivaliers ; à l'Ermitage (à 20 km), l'artiste associé, Fréderic Nevchehirlian, animait les ateliers.  « Mens Alors ! » accueille aussi une communauté normande en plein Trièves : artistes, famille du directeur et la majorité des bénévoles sont originaires de Rouen! Les connexions entre les Mensois, les touristes et la communauté me sont apparues éphémères si bien que le festival semblait être une somme de collectifs en difficulté pour créer du « lien social » (encore faudrait-il définir cette notion !)

D'autant plus qu'une confusion s'est installée tout au long de la semaine : les bénévoles étaient parfois « acteurs » au cours de parcours « artistiques ». L'impréparation dominait comme si l'on confondait improvisation et immédiateté. Or, l'improvisation est un processus qui s'inscrit généralement dans une pratique artistique affirmée. Elle le fruit d'un long travail de recherche : or, à Mens, elle se réduisait à une démonstration, à des objets, où la forme prenait le pas sur le fond (ici des lectures dans des églises et des caves, là des mouvements dansés dans la terre avec des combinaisons blanches, ailleurs un clarinettiste qui soufflait dans le vide accompagné d'une danseuse un peu perdue, là-bas des activités de relaxation). À défaut d'être acteur, on était  « récitant », tout en empruntant les codes du théâtre. Comme le faisait remarquer une spectatrice, « ce n'est pas ce que l'on voit qui importe, mais qui on voit ». Est-ce pour ces raisons que l'événementiel semble avoir pris le pas sur la dimension sociale du festival ?

À voir certaines affluences lors des soirées de concert, on ressent que « Mens Alors ! » gagne en notoriété et qu'il est peut-être à un tournant de sa jeune histoire. Il va devoir s'ouvrir à d'autres artistes, créer des partenariats avec la MC2 de Grenoble ou “La Passerelle” de Gap, s'implanter durablement sur le territoire, impliquer encore un peu plus la jeunesse locale dans le bénévolat,  inviter le théâtre (quitte à réduire la programmation), oser les arts performatifs créateurs de liens, initier des stages pour le public avec des artistes professionnels, articuler un peu mieux professionnels et amateurs à partir de « work in progress » qui stimulerait l'imaginaire du spectateur,  et s'inscrire dans les réseaux médico-sociaux du territoire.

Programme ambitieux et alors ?

Pascal Bély ? www.festivalier.net

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Festival de « Mens Alors ! ». Episode 4: peut-on héberger Google?

Au festival « Mens Alors ! », un mot ne cesse de revenir dans les conversations entre bénévoles : « hébergeur » ou « hébergé ». En effet, il n'y a qu'un seul hôtel, un camping et quelques chambres d'hôtes. Pour loger l'afflux de festivaliers, les habitants proposent de les héberger. Sur Google, ce mot a perdu toute son humanité. On « héberge » des images, un blog, on « stocke des documents ». Plus loin, on peut même « héberger son fournisseur d'identité », voire préférer un « hébergement mutualisé pour des applications métiers ».

Appliquées à mes hébergeurs (Mr et Mme Michel), ces définitions sont tout à fait pertinentes. En effet, chez eux, « mutualiser » semble faire partie de leur éthique de vie. Tout au long de mon séjour, j'ai pu constater à quel point ils stockaient  la mémoire du festival. Le slogan de « Mens Alors ! » (« Échange et création ») est le projet de toute leur vie jusqu'à l'inclure dans leurs pratiques d'enseignants.

 

 

Photos de Francis Helgorsky – Festival Mens 2008.

Denis Michel, professeur de biologie, aime les sons et la photographie. Son association « écoute voir » mène des actions pédagogiques pour offrir aux élèves l'opportunité de déployer leur créativité. Avec le photographe Francis Helgorsky, ils réalisent des reportages photographiques dans les villages de montagne (Tréminis, Miribel-Lanchâtre, Saint Martin de la Cluze) à partir de clichés pris par les habitants. Le résultat est époustouflant de sincérité et d'humanité. À force d'échanger sur leurs travaux, j'ai l'impression d'être dans le off du festival !

Mais, une question vous taraude cher lecteur : mes hébergeurs sont-ils des fournisseurs d'identité ? Oui ! Je me ressens bien plus blogueur chez eux qu'au sein du festival. Ils hébergent mon blog alors qu'il n'y a pas internet dans la maison, mais je sais qu'ils en ont une représentation, car leur écoute sur ma passion est profonde et sans limites.

Je ne me suis jamais senti aussi bien hébergé. Mr et Mme Michel et leur famille donne à ce mot leur part d'humanité que Google semble ne plus référencer, à l'image de notre pays qui en fait presque un délit concernant les sans-papiers.

Au festival « Mens alors ! », il y a de l'hébergement un peu partout. Quand la pianiste Sophie Agnel, elle-même hébergée à l'Atelier, accueille la comédienne Clara Le Picard pour un conte musical improvisé devant une vingtaine d'enfants, l'hébergement est alors un mot d'avenir tant il autorise la rencontre, les croisements, l'acte artistique.

Mais c'est un mot circulaire. Alors que la jeunesse Rouennaise est fortement implantée à Mens le temps d'un festival (Pierre Quenehen, le directeur, est originaire de Rouen), on se prend à rêver que les Mensois débarquent en Normandie pour y être hébergé. « Mens alors ! » serait le festival permanent de l'hospitalité réciproque. Qu'en dit Google ?

Pascal Bély – www.festivalier.net

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EN COURS DE REFORMATAGE

Festival de « Mens Alors ! ». Episode 3 : Oh, mon château !

Le festival « Mens Alors ! » est une grande famille. Depuis sept ans, les liens ont eu le temps de se créer. Aujourd'hui, elle nous montre son plus beau bijou : le château de Montmeilleur,  à trois kilomètres de Mens, généreusement mis à la disposition du festival par ses propriétaires. De 15h à 1h du matin, concerts, lectures, petites formes musicales se succèdent. On prend le temps de flâner et de contempler le magnifique paysage de montagnes qui entourent le site. Mais un château ne rassemble pas, il émiette les visiteurs. Tout en étant un temple de la séduction, il symbolise la relation hiérarchique (eux en haut, nous en bas). Autant dire que l'on n'erre pas, on s'y promène. Les bacs servent de piscine où les enfants font pipi dedans, les musiciens se planquent pour que l'on s'amuse à les débusquer.

Dans un château, il faut déambuler, car on ne se sent chez soi nulle part ; c'est toute la différence avec les espaces publics, telle la halle de Mens ouverte aux quatre vents. La Walt Disney Company l'a bien compris avec ses parcs où les châteaux rivalisent entre eux pour mieux enfermer tout regard critique et citoyen et séduire le consommateur.

 

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Le spectateur-critique n'aime pas les châteaux comme lieu du spectacle vivant, car on n'y croise aucun « fou ». Sauf aujourd'hui. Bernard Combi avec sa voix d'ours mal léché, nous chante un poème en occitan dédié à son père. Il faut le voir pour le croire avec son accordéon si petit et lui si imposant. Combien de temps avons-nous laissé ce bel artiste au cachot ? Merci à « Mens Alors ! » de l'avoir libéré !

Mais après cette performance détonante, il faut errer à nouveau au son de la guitare électrique de Jean-François Pauvros. Planté au milieu du parc face à l'Obiou (2790 mètres), sa guitare part en live et sa musique se fond dans les montagnes abruptes environnantes.

 


À 19h30, la foule se presse pour « Histoire du soldat » d'Igor Stravinsky joué par Pierre Quenehen (directeur du festival), Juha Marsalo et Sara Orselli comme « danseurs récitants ». À l'articulation d'un défi entre amis et d'un travail artistique, l'?uvre nous éloigne par sa trop grande fragilité d'interprétation. La mise en scène hésite entre  « son et lumière » et spectacle pour enfants. À ratisser trop large, on ne bouscule personne, tout juste séduit-on ses amis, sa famille et écarte-t-on le nouveau public venu ce soir. D'autant plus que la présence du manager du festival sur scène brouille les pistes et renforce le clan familial!

En début de soirée, « Les Alcolytes » proposent un bal tzigane. Mais le blogueur critique a ses limites ! On s'amuse sur leur musique, mais nous continuons à persécuter les Roms à l'entrée de nos villes. Plus envie de danser…

Il est 22h30. Je quitte le château et je pense à ce modeste blog : il me protège de la séduction, m'aide à créer des ponts au coeur de mes archipels. C’est déjà pas si mal.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

 

Photo: kibitzone.

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LES EXPOSITIONS

À la Fondation Maeght, Miró et son jardin extraordinaire.

À la fondation Maeght parmi les pins et le soleil de la côte, mon imagination vogue à l'âme de Joan Miró. Ce lieu fut son espace de travail, d'inspiration et de réflexion. Deux cent cinquante ?uvres y sont exposées dont certaines pour la première fois. L'opportunité poivre la curiosité. Il s'agit donc de découvrir un environnement de création lié intimement à Joan Miró et d'en révéler l'alchimie inventive.  Tout le monde a dans le coin de son imagination une ligne rouge, bleue ou noire extraite d'une toile de Miró, mais l'approcher de prés oblige l'?il à objecter, à rencontrer l'univers de l'artiste.  D'abord les jardins qui provoquent l'évasion, puis la chaleur de l'été qui nous fait jouir d'une lumière exceptionnelle sur les ?uvres.  Le rayonnement autour du Minotaure de  Miró, la fraîcheur exaltée de la fontaine de Bury, les sculptures longilignes de Giacometti forment l'ombre ludique au sol. Il est agréable de se laisser aller à cette épopée forte du surréalisme, faisant appel aux lectures des grands noms de l'époque.

Et Miró.

L'introduction étant happée, nous pouvons entrer à l'intérieur du bâtiment, d'une architecture très 60', et l'on pense à un certain oncle de Tati. Avant de comprendre, il faut laisser la théorie graphique nous envahir.  Ne pas penser, pas encore, se retenir à l'extrême et voir, rien que la ligne qui se courbe, se tend, danse ces corps de femmes, ces mythes et les peurs de l'artiste.  Qu'il s'agisse de lithographies, de sculptures, de céramiques, de peintures, surtout suivre la ligne, qu'elle soit brossée, grattée ou simplement tracée en eaux fortes, ne pas la quitter des yeux et attendre que la poésie de Miró vous submerge. Et elle chante vite, en profondeur ;  les histoires défilent. Ces femmes belles, à la courbe forte par leur féminité,  leur puissance à l'enfantement, passionnément  toutes, que l'on pourrait retrouver chez Picasso ;  ces étoiles qui frustrent l'artiste de ne pouvoir les toucher, et plus loin ces monstres qui réveillent nos cauchemars passés. Les mots se bousculent alors dans nos pensées, d'abord séparés puis groupés. Et plus loin de relire Apollinaire : « Avant tout les artistes sont des hommes qui veulent devenir inhumains. Ils cherchent péniblement les traces de l'inhumanité, traces que l'on ne rencontre nulle part dans la nature. Elles sont la vérité et en dehors d'elles nous ne connaissons aucune réalité. Mais on ne découvrira jamais la réalité une fois pour toutes. La vérité sera toujours nouvelle. »


C'est en cela la clef du monde surréaliste et fou que Miró nous a laissé en héritage. Afin que les rêves extraordinaires de chacun rejettent le mot fin et puisent leur pérennité dans la régénérescence de nos actes.

Diane Fonsegrive ? www.festivalier.net

 

Exposition Miro en son jardin Du 26 juin au 8 novembre 2009- Fondation Margueritte et Aimé Maeght à Saint Paul

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EN COURS DE REFORMATAGE

Festival de “Mens Alors” ! Episode 2 : attention fragile.

Déjà deux journées dans ce festival niché au creux des montagnes, et l'étrange impression que « Mens Alors ! » nous travaille, nous festivaliers et artistes. Ici, tout acte artistique semble fragile, en tension permanente parce qu'en interaction avec « la » représentation que nous nous en faisons.

Photo de Francis Helgorsky – Festival Mens 2008.

Quand le public vient chanter « nos chansons préférées » avec la chanteuse Anne-Laure Poulain et doit se mêler avec les personnes âgées de la maison de retraite de l'Obiou, la scène prend une tout autre configuration. C'est qu'il ne suffit pas d'entonner en c?ur « le temps des cerises » sans se poser la question : « que faisons-nous de nos vieux » ? Le positionnement du festivalier n'est plus le consommateur de culture, mais le producteur de liens à partir de sa fragilité. C'est parce que la vieillesse nous attrape à la gorge que nous pouvons chanter « nos copains d'abord » et participer à l'?uvre collective. La scène se construit lien à lien et il n'est pas étonnant que vers la fin de la représentation, nous ayons tous envie de danser. Le corps s'invite toujours au c?ur du maillage.

Quand le public vient écouter la pianiste Sophie Agnel, il ne sait pas encore qu'il s'agit de musique « expérimentale » ! Ici, le piano est ouvert et accueille toute une série d'objets (gobelets, balles, brosse, ?). Sophie Agnel improvise et sa musique produit les sons qui déconstruisent notre vision linéaire de la partition, du concert. Il nous faut alors lâcher pour prendre la mesure de la profondeur dans laquelle cette artiste hors du commun nous plonge.  La musique n'est plus ce chemin tout tracé que l'on emprunte, mais le fruit d'une interaction avec la pianiste. Et c'est l'intensité de ce lien qui la guide dans son improvisation. C'est impressionnant, envoûtant, car de cette interaction avec le public naît une esthétique de la représentation (l'intérieur du piano est une scène d'art contemporain !) et une musique au confluent du free jazz et du classique. Expérience unique.

 

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Quand le public vient regarder à 22h sous la halle de Mens « Six » de Victor de las Heras, il ne sait pas encore que ce jeune documentariste va lui tendre un miroir fait de tendresse, d'humour, de poésie et de sens. L'an dernier, caméra vidéo sur l'épaule, il a suivi pendant toute la durée de la 6ème édition du festival,  six personnages clefs (le directeur, le régisseur, un chorégraphe, ?). Magnifiquement monté, on bascule avec jouissance dans l'univers de Jacques Tati. Ces personnages deviennent alors des figures héroïques à l'heure de la marchandisation croissante de la culture. « Six » peint le portrait d'une France inconnue, celle qui pas à pas, sans moyens, construit les nouvelles solidarités à partir de la créativité cachée qu'il faut débusquer !

Il est presque minuit. Alors que nous quittons la Halle, Nicolas Le Balch, professeur à Rouen et bénévole pour le festival, est perché sur la croix du jardin de l'Église. Il improvise une danse à partir d'un slam. Il tourne autour de nous, fait virevolter les mots et plonge son corps dans la fontaine d'eau glacée. Nous courons après lui dans les rues de Mens pour l'applaudir. Mais il a déjà disparu.

Ici, le fragile fait même des apparitions.

Pascal Bély

www.festivalier.net

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FESTIVAL D'AVIGNON

L’impossible bilan du Festival Off d’Avignon 2009.

Au total, le Tadorne a vu vingt spectacles dans le festival « Off » d'Avignon, trente dans le  « In ».

Dans le « off », chercher une ?uvre parmi les 1000 proposées demande du temps pour tisser les liens entre les structures dignes de confiance (Théâtre des Halles, La Manufacture, le Théâtre des Doms, les Hivernales, la Fabrik'Théâtre) et les metteurs en scène déjà chroniqués sur le Tadorne ou ailleurs. Petit bilan impossible.


Quand Le « off » fait  son commerce.

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Comme dans le « In » avec Christophe Honoré, Jan Lauwers, Wajdi Mouawad, et Johan Simons, une esthétique du loisir a fait rage dans le off. « Stones » de la compagnie Israélienne « Orto ?Da » en est le meilleur exemple. Six acteurs, statufiés dans de la glaise, miment pendant une heure la vie des résistants du ghetto de Varsovie. La sculpture les propulse dans l'imaginaire de notre époque à partir de références cinématographiques, publicitaires, télévisuelles et musicales. Comme dans « Casimir et Caroline » présenté au Palais des Papes, l'esthétique gomme peu à peu le propos politique. Et l'on s'interroge d'entendre le public rire avec la marionnette d'Hitler comme s'il déambulait chez Eurodisney. « Stones » est un nivellement vers le bas de l'art du mime au profit d'une forme paresseuse visant à séduire le public dont le regard est saturé d'images publicitaires.

Autre succès, « Tabu » de la Compagnie britannique « nofitstate », qui a installé son chapiteau de « cirque contemporain » sur l'Île Piot. Le public déambule debout, de scène en scène. Ici aussi, on zappe d'un imaginaire à un autre, accompagnée d'une musique d'ascenseur légèrement énervée et énervante. Les clichés se succèdent et l'on ressent vite que  le cirque est ici une foire. Commerciale ?


En 2008, cette pièce affichait complet. Idem en 2009. « Confidences à Allah », mise en scène de Gérard Gelas, est un cas d'école. La comédienne, Alice Belaïdi, joue seule un texte qui ne réserve aucune surprise : il reprend la trame des contes de fées, plaquée ici à une jeune fille pauvre en terre islamique. Les clichés abondent et la mise en scène accompagne un déluge gluant de bons sentiments. Le public est rassuré dans ses représentations et jamais bousculé ou interpellé dans ses préjugés racistes.


Quand le  « off » se fait « on ».

Si le « in » évoque peu les phénomènes de société en tant que tels, le « Off » peut nous éclairer sur leur complexité.

Avec « Chatroom », mise en scène par Sylvie de Braekeleer, nous comprenons que l'internet diffère  de l'image qu'en donnent les discours frileux de la génération 68 ! Une pièce d'adolescents pour éviter de vieillir trop vite.

« Hamelin » de Juan Mayorga, mise en scène par Christophe Sermet, surprend par sa sobriété sur le thème délicat de la pédophilie. Positionné à la fois comme spectateur et acteur, le public vit cette ?uvre comme une déstabilisation de son positionnement d'observateur passif et voyeur d'un crime en passe d'être un phénomène de société. Percutant.

« Occident » de Rémi de Vos est une très belle mise en scène par la Compagnie Corse Alibi, pour des mots qui finissent par saigner au c?ur de la crise d'un couple. La nôtre ?


Quand le « off » célèbre la danse.

Nous avions aimé Rita Cioffi à Montpellier Danse en 2007. Sa pièce « Pas de deux » présentée aux Hivernales, a fait un joli carton. L'exigence de cette chorégraphe est en soi un langage.

Au « In », Rachid Ouramdame dans « Les témoins ordinaires » a mis le son au centre de sa proposition chorégraphique. Avec son musicien Jean-Baptiste Julien, la guitare électrique danse. Aux Hivernales, la compagnie « La Vouivre » nous a offert un bel opus sur le couple (encore lui) où le son de Gabriel Fabing a fait vibrer nos cordes sensibles.

Tout comme la Compagnie Chicos Mambo qui nous a fait rire sur la danse à en pleurer. Avec les danseurs de Dave St Pierre qui ont enflammé le “In”, Pina et Merce ont dû se marrer. 

 

Quand le « off » jubile avec Isabelle Starkier.

La metteuse en scène Isabelle Starkier a illuminé le off avec pas moins de six créations ! Nous n'avons vu que « Le Bal de Kafka » et « Monsieur de Pourceaugnac » et découvert un théâtre que l'on croyait disparu : des acteurs engagés, un décor qui joue toujours entre réalité et coulisses pour y cacher nos démons, l'utilisation du masque pour accentuer la comédie-tragédie. Isabelle Starkier est une grande: elle comprend qu'en chacun de nous, il y a une part de lumière qui éclaire son théâtre aux multiples visages.

 

Quand le « Off » se fait « In ».


Trois ?uvres auraient eu toute leur place dans la « traversée » du « In » :

Avec « Et puis j'ai demandé à Christian de jouer l'intro de Ziggy Stardust », Renaud Cojo est revenu en Avignon. Avec lui, le « double » est unique. Magnifique travail.

Au Théâtre des Halles (exceptionnelle programmation), François Clavier avec « Une voix sous la cendre » interprète le texte de Zalmen Gradowski pour nous interpeller sur la Shoah. La mise en scène d'Alain Timar nous habite encore.

« Naître à jamais » (photo) par le Théâtre Hongrois de Cluj est LA pièce du « off ». Un chef d'?uvre absolu entre « May B » de Maguy Marin et « (A) pollonia » de Kristof Warlikowski. Quand l'évocation de la Shoah touche à ce point le sublime, on se demande si « Naître à jamais » n'est pas déjà entré dans le patrimoine de l'humanité.

 

Pascal Bély ? www.festivalier.net

Le bilan du “In” est ici!

 

Le palmarès OFF 2009 du Tadorne.

« Naître à jamais » d'Andras Visky ? Théâtre des Halles.

« Et puis j'ai demandé à Christian de jouer l'intro de Ziggy Stardust » de  Renaud Cojo ? La Manufacture.

« Une voix sous la cendre », d'Alain Timar ? Théâtre des Halles.

« Le bal de Kafka » de Timothy Daly, mise en scène d'Isabelle Starkier ? Théâtre des Halles.

« Oups + Opus » de la Compagnie « La Vouivre » – Studio des Hivernales.

« Chatroom »,  mise en scène de Sylvie de Braekeleer ? Théâtre des Doms.

« Monsieur de Pourceaugnac », mise en scène d'Isabelle Starkier ? La Fabrik Théâtre.

« Pas de deux », Rita Cioffi. Théâtre des Hivernales.

« Occident », mise en scène de François Bergoin- La Manufacture.

« Hamelin »,  mise en scène par Christophe Sermet ? Théâtre des Doms.