Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Tous les articles du Festival “In” d’Avignon: les fausses nouvelles formes.

Au Festival d'Avignon, Garcia se carbonise.

????
Comment relier « insideout » par Sacha Waltz à « Cruda. Vuelta y vuelta. Al punto. Chamuscada » de Rodrigo Garcia, deux oeuvres vues dans la même soirée ? C'est un exercice d'autant plus délicat que je sors de la première proposition déstabilisé et que la deuxième m'attend sans me donner la moindre occasion de souffler un peu ! Si Sacha Waltz me propose un nouveau positionnement dans ce monde chaotique, Garcia me le sert sur un plateau, avec les bruits, les odeurs et la pensée qui va avec. Mon cerveau n'a plus qu'à se laisser porter d'autant plus que je connais Rodrigo Garcia (peut-il encore me surprendre après « L'histoire de Ronald, le clown de McDonald's » et « Borges + Goya ») et ses propos sur la place de l'humain dans la mondialisation.
Ici en Avignon, le public est sagement assis et le restera. Point de provocation comme en mars 2006 où nous étions un des éléments du décor avec « Borges + Goya ». Point d'humiliation comme en 2004 où les corps n'étaient qu'une marchandise à l'heure de la malbouffe pilotée par McDonald's. Ce soir, Garcia nous propose une (jolie) forme plus classique (le comédien Juan Loriente accompagné des « murgueros » de Buenos Aires, groupe carnavalesque) où la danse, la musique, les effets spéciaux servent la pensée toujours aussi torturée de Garcia sur l'évolution du monde à l'heure de la globalisation. Ici, il prend le temps de ce centrer sur ses personnages, laisse dans un premier temps le groupe s'exprimer comme force de contestation sociale. Le corps n'est plus un exutoire où l'on n’y jette que de la nourriture, mais une forme artistique à part entière (comme si Garcia se découvrait un tout petit peu chorégraphe), quitte à le mettre sous célophane ou créer une ambiance de fin du monde. Il peut alors distiller sur l'écran vidéo ses messages répétitifs, mille fois lus et entendus avec quelques attaques nauséabondes. Il s'en prend à la psychanalyse, thérapie pour petits bobos de bobos. Il catalogue ainsi des milliers de patients dans la case des acheteurs d'Ipod (ceux qui perdent une demie-journée pour choisir le bon modèle). Garcia ignore les raisons qui guident vers l'analyse, mais est-ce si important ? La démagogie ne supporte pas la psychanalyse, celle qui rend les individus autonomes, libre de penser. Garcia préfère asséner les amalgames, profitant du pouvoir que lui confèrent la scène et sa réputation. D'ailleurs, il n'hésite pas à détourner la psychanalyse en projetant sur l'écran vidéo des photos des enfants des « murgueros » (et leur zizi…) pour les faire parler sur leur paternité ! La ficelle est tout de même un peu grosse. Cela dit, il nous a évité le pipi – caca.
Le groupe finit pas s'effacer pour aller prendre sa douche et récupérer des codes vestimentaires plus acceptables. Avec son comédien fétiche, Juan Loriente, Garcia reprend vite la main pour nous décrire un Nouveau Monde qui réagirait de la même manière qu'une vache qui ne retrouverait pas ses veaux, partis à l'abattoir.  C'est drôle, caricatural, enfermant. Alors que le groupe se reforme autour d'un corps qui se carbonise tel un enterrement, je suis stupéfait par cette vision de notre avenir. L'art ne sert que les théories (fumeuses) de Garcia. Il se trouve que la forme a de l'allure. Pour le fond, cette nourriture est un peu dure à avaler, mais finalement facile à digérer.

Au Festival d'Avignon, la défiance envers Rodrigo Garcia.
?
Une tortue piégée, caméra vidéo sur le dos, essaye de s'échapper d'un enclos en plexiglas. L'image projetée sur grand écran a la qualité d'une émission de télé ? réalité. Soudain, une jeune fille, à moitié nue, tête en bas, se cogne contre l'image pour tenter d'y entrer. Les premiers rires d'énervement montent du public alors que je m'émeus de la solitude de cette femme. Deux hommes arrivent, et posent des poules sur scène et sur son corps. Déboussolées d'être là (comme nous), elles cherchent où aller. Ils utilisent leurs ailes pour s'y cacher et faire l'autruche. La première denrée alimentaire, le lait, est répandu sur le plateau comme pour délimiter le territoire de la mondialisation. À trois, ils replantent sur du terreau des légumes déjà coupés, métaphore de l'absurdité d'une planète qui épuise ses ressources. Je décide d'entrer dans cet univers foutraque, pour y rencontrer ces trois comédiens aux gestes désarticulés, perdus dans ce nouveau monde. Bienvenue dans la deuxième création de Rodigo Garcia, « Approche de l'idée de méfiance » présentée au Cloître des Célestins. Mais l'intimité a des limites. Très vite, le discours anti-européen refait surface, les accusations contre ses citoyens reviennent comme une rengaine (« nous sommes aisés ; comment pourrions-nous aider les peuples dans le besoin ? »). Ses approches binaires de l'état du monde se répètent et je ressens le mépris de Garcia à l'égard des spectateurs « compromis ». Cette façon verticale d'interpeller, culpabilisante, rend le public quasiment muet à la fin du spectacle. Pour ma part, je finis par n'éprouver qu'une distance polie et le dernier tableau où le trio patine dans le miel (qui n'est pas sans rappeler « Quando l’uomo principale è una donna» de Jan Fabre où danse dans de l'huile d'olive une femme nue) les conduit sur la pente glissante de l'imposture.
À la sortie, je tente un dialogue (impossible) avec certaines spectatrices qui trouvent chez Garcia de quoi conforter leur vote contre la constitution européenne de 2005. La discussion tourne en rond. Le clivage n'est plus entre la droite et la gauche, mais entre une conception ouverte de l'Europe dans la mondialisation et une approche fermée, verticale, repliée sur des dogmes usés. Garcia joue sur ce clivage : il croisera toujours un public paresseux pour gober ce prêt à penser.


« Nord » de Frank Castorf s'explose au Festival d'Avignon.

???? Après le naïf « Tendre jeudi » de Mathieu Bauer adapté du roman de John Steinbeck, le Festival d'Avignon propose quelques heures plus tard au spectateur marathonien, un virage à 180° : « Nord », « une grand-guignolade de Louis-Ferdinand Céline » (en français dans le texte !) revisité par Frank Castorf, metteur en scène berlinois. Nous sommes prévenus dès l'entrée dans la cour du Lycée Saint-Joseph : les bruits de pistolets et aut
res pétarades peuvent abîmer les oreilles fragiles (avec Le Pen au second tour de l'élection en 2002, je me suis habitué aux vociférations). Des bouchons nous sont aimablement offerts : c'est la première provocation de Castorf pour stigmatiser une époque obsédée par le principe de précaution. Soit.
Le décor : longue barre transversale où s'étalent des sigles monétaires (euro, dollar, yen) ; en arrière-plan, rideaux de plastiques gris avec slogan germanique. La société marchande s'affiche pour mieux dégueuler son passé pas si lointain. Les premières minutes de la pièce ne tardent pas à nous jeter à la figure le contexte nauséabond d'une Allemagne dévastée, ruinée, que l'écrivain français Louis-Ferdinand Céline traversait pour fuir la France et dont le roman « Nord » retrace l'épopée.
Nous voilà donc embarqués pour trois heures dans ce wagon gris placé au c?ur de la scène, théâtre du chaos, de l'horreur, sur les voies qui mènent de l'Allemagne à Copenhague. Treize comédiens, tour à tour Céline, officier SS, artiste habité par le rôle de Jésus-Christ (l'acteur Robert Le Vigan !), bourgeois décadents, prostitués, nous accompagnent dans ce voyage où l'argot allemand (souvent intraduisible) et la complexité de la langue de Céline provoquent une traduction française aléatoire et périlleuse. Est-ce si important ? Le jeu des acteurs est époustouflant : ils donnent tout. Tout. Jusqu'à la nausée. Est-ce si grave au regard de ce champ de ruine intellectuel et moral? La farce et le drame s'enchevêtrent dans le récit de Celine, mais conduisent Castorf à ne privilégier qu'un processus : l'autodestruction. À mesure que la pièce avance, les acteurs s'enferment progressivement dans un jeu qui vise à tout casser, à caricaturer à outrance. Mais cette escalade dans le bruit, la fureur et la comédie suffit-elle à nous faire ressentir l'horreur de la guerre ?  Le tiers du public ne tient plus et s'en va, parfois accompagné par les comédiens eux-mêmes, comme un dernier geste de compassion d'Allemands envers des Français qui n'ont pas totalement fait l'introspection de leur histoire. Je reste, car je n'y suis plus. L'autodestruction me met à distance et la mise en scène de Castorf devient le spectacle pour écrabouiller la misanthropie de Céline.
 Mais pour quoi cette pièce ? Qu'en faire pour comprendre l'histoire et notre futur ? Qui suis-je face à cette scène dévastée, à ce wagon de la mort, aux compagnons de route de Céline ? Je ne sais plus. Je n'arrive même plus à applaudir.
Castorf, par Céline, veut-il seulement que je ressente une quelconque empathie ou colère ? Pas si sûr. Céline, à l'image de tous ces livres jetés, écrasés, est à terre. Les Français n'ont plus qu'à tourner la page pour oublier cette farce morbide. Ils en ont l’habitude.

Au Festival d’Avignon, Faustin Linyekula manque la rencontre.

???
Le chorégraphe congolais Faustin Linyekula est une belle personne. Je le ressens généreux, sensible, ouvert. Son corps traduit à la fois fragilité et force. Son regard, toujours bienveillant, accompagne sa voix douce et déterminée. Le Festival d'Avignon l'honore cette année avec deux propositions. Après ?Dynozord: the dialogue series III? qui ne m'avait pas convaincu, Faustin Linyekula récidive avec ?Le festival des mensonges? à la salle de Champfleury. Un orchestre, des chanteurs, un bar géré par une association, des bancs tout autour d'une scène délimitée par des néons et des fils électriques posent le contexte de la soirée. L'ambiance est à la fois décontractée, mais concentrée, au coeur d'un théâtre, d'une fête organisée pour le public. Elle s'inspire d'une coutume des paysans de Patagonie qui, une fois par an, se retrouvent une nuit entière pour un concours de mensonges.
Faustin Linyekula s'empare de cette tradition pour son pays, la République du Congo (ex-Zaïre), en Avignon. L'occasion est trop belle pour dénoncer, extraits sonores à l'appui, l'ensemble des mensonges, des crimes, perpétués par une classe politique locale et internationale. Ils sont donc trois danseurs (dont Faustin), une comédienne, un orchestre pour accompagner ces bonimenteurs. La danse, souvent à terre, entremêle les corps. Les néons s'interposent, barrent la route, clignotent comme autant de signaux d'alerte. Tout à la fois matériaux pour faire un feu et fluide électrique, ils envahissent le trio et finissent par l'engloutir. La comédienne évoque sa famille (surtout son père, fonctionnaire d'État) et son désir de voter, mais ses paroles tournent en rond comme un disque rayé d'autant plus que les voix de Mobutu, de Giscard brouillent les messages (c'étaient sûrement leur fonction à l'époque!). Soudain, alors que le trio se perd un peu dans la chorégraphie (sophistiquée) de Faustin Linyekula, la danse s'arrête: le public n'investit pas assez le bar! Or, consommer pendant le spectacle est la seule source de financement de la culture au Congo. Cette interruption, loin d'être anodine, renforce notre position ?haute? vis-à-vis de l'Afrique (n'aurions-nous que celle-là? A qui vont donc les 25 euros de chaque place?). On nous culpabilise, à moins que Faustin Linyekula assume difficilement sa chorégraphie, plus proche de la danse contemporaine européenne qu'africaine. Nous sommes plusieurs à ressentir ce malaise: le contexte du spectacle flotte entre scène de théâtre et fête populaire (pour des blancs?) et finit par brouiller le propos artistique. Pourtant, l'un des derniers tableaux est époustouflant de beauté et de justesse: sur une longue table, avec des poupées cassées et désarticulées, les artistes simulent une rencontre au sommet entre tous ces menteurs. Le collectif finit sous la table, de nouveau englouti. Au lieu d'ouvrir sur un futur possible pour leur pays, ce final signe le désespoir de ces jeunes artistes dont le seul projet est de partir.
Comment pourrions-nous faire la fête avec un telle conclusion? Pour de nombreux spectateurs, la soirée, prévue pour se prolonger, se termine à l'image d'un Festival qui a bien du mal à nous retenir pour débattre collectivement d’autant plus que les habitants du quartier populaire de Champfleury sont cruellement absents. L'occasion était trop belle, tel “le théâtre des idées” organisé l'après-midi, pour transformer ce ?festival des mensonges? en agora populaire sous l'arbre à palabres. Au lieu de cela, chacun repart chez soi pour enfermer à double tour sa vision d'un continent décidément trop loin de nous.
Faustin, revenez! 


La marche funèbre de Faustin Linyekula au Festival d'Avignon.

???? Je suis impatient de cette rencontre avec Faustin Linyekula. Je ne suis pas le seul, car comme me le fait remarquer ma voisine en attendant l'ouverture des portes, « l'Afrique, la danse, Mozart, un chanteur lyrique, la vidéo, cela donne envie ». Je suis plus mesuré, dans la mesure où l'addition des pratiques artistiques ne donne pas to
ujours une ?uvre. Et puis, Christophe Fiat est passé par là?
Pour ma part, je pense à toute autre chose en arrivant au gymnase du lycée Mistral pour « Dinozord : the dialogue series III » de Faustin Linyekula.  Je revois Raimund Hoghe, chorégraphe allemand, lors de son passage à Montpellier Danse. Pendant plus de quatre-vingt-dix minutes, « Meinwärts » reliait l'histoire de l'Allemangne nazie aux morts du sida. Une recherche sur le deuil pour le deuil que Raimund Hoghe restitua avec distance et émotion. Le chorégraphe et auteur congolais Faustin Lynyekula n'est pas encore prêt, mais son travail de deuil est sur les traces de Raimund Hoghe. Pour l'instant, il crée dans un fouillis où tout est posé, où la danse côtoie le texte, la vidéo, Mozart et un chanteur lyrique haute-contre. Tout se vaut pour exprimer la douleur, la colère, l'inquiétude face à l'avenir de son pays. Mais le spectateur peut-il seulement tout recevoir, en vrac, sans un minimum d'articulations ?
Faustin est triste, tel son visage blanc de clown sans nez rouge. Kabako, son ami, disparu pendant la dictature (l'ex-Zaïre), fut enterré avec des inconnus (« Mozart le fut aussi », lui rétorqua le metteur en scène Peter Sellars). Quelques années plus tard, il retourne à Kizangani pour lui donner une digne sépulture . C'est à ce rituel auquel nous sommes conviés avec quatre danseurs, un comédien et un contre-ténor. Telle une procession, les corps traduisent cette marche où, sortis de terre, alignés les uns à côté des autres, ils vont se métamorphoser pour se déployer le temps de réhabiliter les morts, de permettre le devoir de mémoire. Il s'agit de penser le présent pour imaginer le futur. Les rituels  du deuil saccadent la chorégraphie (des lettres cachées que l'on sort d'une malle, la musique de Mozart pour transcender le réel), tandis que le comédien joue brusquement la comédie pour se plaindre du spectacle auprès du public (salutaire mise à distance). Un reportage sur le rêve des Congolais, l'enregistrement audio d'un ami toujours emprisonné, la danse hip-hop de Dinozord s'ajoutent comme autant de pièces d'un puzzle que l'on peine à rassembler.
Tel un patchwork vivant du souvenir, « Dinozord : the dialogue series III » crée un lien trop distant avec le public. Il ne hiérarchise pas assez: Mozart est au même niveau qu’un reportage vidéo (où les paroles des habitants ont été entendues maintes fois ailleurs). Les séquences se suivent comme des petits cailloux qui seraient semés sur le chemin du deuil et nous sommes derrière, en queue de cette procession. Je veux bien me laisser guider, car ces acteurs sont beaux, que Faustin est profondément engagé (il est à la fois aux commandes de son ordinateur dans l'ombre et sur scène pour ne pas qu'il s'oublie) mais je me sens observateur d'une ?uvre politique alors que les occidentaux sont directement concernés par l’avenir de ce pays. Tout se bouscule comme si l'art ne pouvait nous aider : il est lui aussi pris en otage d'un dispositif scénique trop sophistiqué pour exprimer une histoire à fleur de peau.
Le théâtre aurait pu être une belle sépulture pour Kabako.

La fille collante de Roméo Castellucci au Festival d’Avignon.

??? Je m'obstine à vouloir comprendre l'univers de Roméo Castellucci. Découvert en 2005 lors du festival d'Avignon avec «Berlin »et « Bruxelles », revu au KunstenFestivalDesArts en 2006 avec « Marseille », je me sens à côté, rarement enthousiaste, mais toujours curieux. Cette obstination est une quête d'un absolu, de l'objet perdu comme si mon inconscient poursuivait l'aventure d'année en année.
En 2007, Avignon nous propose « Hey Girl ! » à l'Église des Celestins vers une heure du matin. Le choix du site et du moment n'a rien du hasard : Roméo Castellucci a une haute idée de son travail pour que la fatigue des spectateurs et l'aura du lieu produisent leurs effets. A deux heures trente du matin, les rues désertes d'Avignon sont à l'image de ma vision : je ne vois rien et ne ressens plus grand-chose. « Hey Girl ! » est une injonction paradoxale : pour en parler, ne rien dire ; pour voir, écouter ; pour écrire, projeter le film de cette soirée.
Deux jours après, rien ne sort, tout est dedans comme un processus où je crée un rapport à l'art, où se construisent de nouveaux liens entre la scène et ma place de spectateur. Roméo Castellucci interroge ma perception de l'art, du symbole. Il déconstruit (à l'image du premier tableau où le corps émerge d'un chaos gluant, telle une naissance) pour que je puisse relier à ma guise les différentes scènes. Il y a donc un décalage entre la réactivité du blog (qui impose d'écrire rapidement de peur de perdre le processus) et l'?uvre de Castellucci qui demande du temps. Il y a d'ailleurs un élément étrange : tout au long de la représentation, je n'ai cessé de revenir au point de départ à savoir scruter la glu rose qui dégoulinait lentement de la table comme si tous les autres symboles proposés (et Dieu sait qu'il n'en manquait pas !) s'inscrivaient dans la temporalité de cette glu. Je peux donc écrire sur cette table?mais pour le reste ?
Trois jours après, « Hey Girl ! » semble devenir une ?uvre mineure où des images «flash » ressurgissent comme un diaporama où plus grand-chose ne se relie. Le sort de cette jeune fille, blonde et au look ado, dépend de beaucoup trop de symboles pour que je puisse y trouver ma part de vérité. Plongé dans une esthétique qui le dépasse, Castellucci a peut-être oublié qu'à trop jouer avec les formes, le sens se dilue. La glu continue de s'étaler dans mon cerveau comme si cette renaissance poursuivait son travail.
Je crois malgré tout à la force des symboles  (une église, une heure du matin) pour accepter de n'avoir pour l'instant plus rien à écrire, mais tout encore à relier.

Au Festival d’Avignon, le Roi Lear est déjà dépassé.

????
C'est le dernier spectacle de mon aventure festivalière. Je ne ressens pas la tristesse de l'an passé mais plutôt un soulagement comme si cette 61e édition, au parcours chaotique, finissait par me lasser, d'autant plus que « Nine Finger » vu quelques heures auparavant, m'a laissé sans voix et avec peu d'énergie. A quoi bon ce Roi Lear mis en scène par Jean-François Sivadier pour quatre heures d'un drame shakespearien ? C'est sans compter sur cette troupe qui sait fidéliser son public.
« La vie de Galilée » présentée au Festival en 2005, avait connu un joli succès d'estime au c?ur de la programmation contestée de Jan Fabre. Deux années plus tard, « Le Roi Lear » reprend les mêmes recettes : comportements d'observateurs des comédiens alors que le public s'installe ; prolongement de la scène jusqu'au fond des gradins ; positionnement inchangé des acteurs dans la hiérarchie des rôles ; reproduction quasi identique de la mise en scène. Bref, je n'ai plus qu'à me laisser aller d'autant plus que « Le Roi Lear » emprunte un peu trop (facilement) les effets du théâtre de guignol, agréables en cette fin de festival. Le divertissement est total : je ris, j'applaudis des deux mains d'autant plus que Norah Krief (le fou) et Nicolas Bouchaud (le roi Lear)  portent à bout de bras le premier acte. Euphorisant !

La deuxième partie ne tient plus la distance. À la déchéance du Roi s'ajoute une scène qui se fragmente progressivement (le décor, sur roulettes, ouvre de nouveaux espaces que le jeu des acteurs peine à occuper). L'orchestre, auparavant positionné en coulisses, est visible sans que l'on en comprenne la raison. Mais surtout, Stephen Butel (Edgar) et Christophe Ratandra (une des filles de Lear) manquent cruellement de crédibilité dans leur rôle: quasiment travestis (l'un sous la boue, l'autre avec une perruque), ils assument difficilement ces transformations (jusqu'à frôler la caricature). L'ennui gagne et certains spectateurs ne tiennent plus la distance à une heure du matin. Jean-François Sivadier montre là ses limites dans le passage de la tragi-comédie à la tragédie. Il cherche, tâtonne, à l'image de ce décor roulant sur une scène glissante alors que seule la scénographie prend de l'ampleur à mesure qu'avance le drame (magnifiques jeux de lumière).
Je me surprends à me lever pour applaudir la troupe. Il est quasiment certain qu'à ce moment précis, je salue le divertissement et ma performance d'avoir réussi le pari de ce 61e Festival d'Avignon: devenir le ?spect-acteur? si cher à l'artiste associé, Frédéric Fisbach. Pour le reste, je m'étonne du décalage entre le théâtre de Jean-François Sivadier, de Ludovic Lagarde avec celui de nos voisins flamands, allemands et polonais. Il est vrai que ?Le Roi Lear? et ?Richard III? sont sûrement compatibles avec le projet de Christine Lagarde, actuelle Ministre de l’économie et accessoirement de la culture.

Au Festival d'Avignon, Richard III rate la marche.

????
« Richard III » au Cloître des Carmes divise (calmement) le public. Que penser de cette adaptation libre de Peter Verheslt, mise en scène par Ludovic Lagarde et interprété dans le rôle de Richard III par Laurent Poitrenaux ? À vrai dire, je me sens un peu vide pour évoquer ce que j'ai vu. Tout au long du spectacle, je suis resté à distance comme si tous mes sens étaient sollicités pour observer la scénographie (beaux effets de lumière sur teintures rouges), les costumes (inspirés par la période disco), les jeux des acteurs (où l'on hésite entre un film de Tarantino et un soap opéra gay).
Ce « Richard III » est très actuel : rythmé comme un zapping télévisuel (comment s'attarder sur la psychologie des protagonistes ?), il n'habite que très rarement la scène dans sa largeur pour préférer les petits territoires comme autant de vignettes d'un album photo numérique. Ces espaces confinés privilégient les postures mécaniques donnant à ce drame shakespearien les formes d'un jeu de Lego. Laurent Poitrenaux est à son aise pour se déployer, avec brio, panache, charisme. Sous certains aspects, il pourrait ressemble à Sarkosy quand gestuellement il ramène tout à lui. Mais son déhanchement un peu trop voyant, réduit cette hypothèse bien qu'il n'est pas interdit de penser que le goût du pouvoir et certains penchants peuvent aller de pair! On ne s'ennuie jamais dans cette adaptation, car nous connaissons les codes de cette mise en scène, pour les avoir vus ailleurs. Ils relèveraient presque de notre culture.
Alors, je m'interroge ! Pourquoi ne pas être allé au-delà de ce déjà vu pour plonger ce « Richard III » dans le bouillon chaotique de nos sociétés mondialisées. Quitte à utiliser avec brio le langage de la modernité, Ludovic Lagarde aurait pu choisir une adaptation plus ambitieuse. Je me surprends à quitter le Cloître un peu dépité, ni triste, ni gai, juste un peu déçu de n'avoir rien appris du théâtre. Après « Les éphémères », « Le silence des communistes », « Angels in América », « Méphisto for ever », je m'étais habitué à devenir un spectateur actif. Ce soir, je me sens un peu dépourvu, à moins que je m'interroge sur le sens de la programmation du Festival.
Réponse dans quelques jours.

Catégories
FESTIVAL D'AVIGNON

Tous les articles du Festival “In” d’Avignon: la bande à Frédéric Fisbach échoue.

file-2419W-copie-1.jpgAu Festival d’Avignon, la recherche décomplexée de Gildas Milin.

??? C'est un groupe de sept acteurs, circulant dans un environnement tout blanc, où sur les murs des photos et dessins de papillons sont posés telles des radiographies (de notre métamorphose en chenille ?). À terre, des canettes de bière au graphisme papillonné forment une ?uvre d'art contemporain. Avec « Machine sans cible », l'auteur et metteur en scène Gildas Millin soumet sa troupe à une expérience grandeur nature devant un public dont on ne sait plus à la fin ce qu'il fait là… Il s'agit de disserter entre amis sur « l'amour et l'intelligence ». Magnifique trouvaille que celle de proposer au groupe une telle reliance : l'irrationnel à la pensée, l'individuel au collectif, le passionnel à la construction. Nous pourrions égrainer à l'infini les combinaisons possibles. Il n'y a donc rien d'étonnant à voir le groupe élaborer des stratégies d'évitement pour contourner la question (ils en font des tonnes et finissent par lasser un peu). Le leader se prend lui-même les pieds dans le tapis et même s'il paraît touchant de naïveté, on aurait préféré qu'il fasse preuve d'un peu plus d'intelligence dans sa manière d'accompagner l'équipe. Millin semble lui aussi contaminé par ces effets de scène plus proche du café théâtre qui n'apportent pas grand-chose, si ce n'est de remplir du vide.
Il faut donc attendre (cela fait peut-être parti du processus) pour que les acteurs dévoilent leurs intentions. Inviduellement, ils tentent de répondre à la question et entrent quasiment tous dans un état de confusion où le bégaiement fait langage, où la transe communique sur l'émotionnel. Aucun n'est ridicule, mais Millin (présent sur scène) contrôle en positionnant les autres acteurs comme spectateur du solo. J'ai l'étrange sensation qu'il y a un écran entre nous et ce qui se joue. Alors bien sûr, la langue déconstruite de Millin n'est pas celle de Novarina. Il faut attendre que le corps parle pour prendre la mesure du chaos. C'est la talentueuse danseuse et comédienne Julia Cima (repéré aux Hivernales, chez Boris Charmatz) qui donne à son solo une puissance phénoménale : son corps traduit l'articulation entre « l'amour et l'intelligence ». Magnifique.
Malheureusement, la danse va progressivement s'effacer pour faire place nette au robot. Celui-ci pourrait-il réagir aux messages mentaux d'amour en modifiant sa trajectoire ? Le groupe tente l'expérience?à chacun de se faire sa réponse. L'irrationnel au c?ur du rationnel méritait un texte plus travaillé plutôt que ce «n'importe quoi » censé être en soi un acte porteur de sens. Je m'ennuie ferme jusqu'à l'imprévu : la petite amie d'Adrien (joué par Milin) vient d'avoir un accident de voiture. Le groupe fuit, vers à l'hôpital. Seul, il danse, crie, proche de la folie et de la raison. C'est un très beau numéro d'acteur, mais qui n'ouvre pas comme si Gildas Milin se perdait dans son dispositif, dépassé par ce qu'il produit. Je reste en rase campagne, incapable d'applaudir cette performance d'acteurs, dépité face au résultat alors que « Machine sans cible » porte en elle les ressorts de l'intelligence. Au final, une ?uvre « ovni », expérimentale, assumée. Pas sûr d'y voir plus clair à l'heure où l'amour se débat dans une société numérisée, ipodée, portabilisée à outrance. On patine, mais reconnaissons à Gildas Milin de mettre en scène avec créativité ses recherches d'artistes. 

 

Au Festival d’Avignon, Superamas superpose.

???
Au gymnase Aubanel, le collectif franco- autrichien ?Superamas? propose dans une indifférence polie ?Big 3rd episode?. Cela aurait pu faire l'événement tant le style de cette proposition est étonnant, mais je cherche encore sa finalité. Je n'oublie pas que nous sommes au Festival d'Avignon.
Tout commence par une jolie chanson et les frontières se brouillent déjà. Certains spectateurs tapent dans les mains, d'autres ne bougent pas dans l'attente qu'il se passe quelque chose. Entre fond et forme, je choisis de rester à ma place: j'observe et je n'ai nullement envie de me laisser manipuler par des effets de style plutôt vains alors que je suis matraqué en longueur de journée par la publicité et autres pressions médiatiques bien pensantes. ?Superamas?, collectif composé de quatre jeunes hommes et quatre (très) belles filles entreprennent donc de nous aider à réfléchir sur les vanités de notre époque. Pour cela, ils jouent en play-back les dialogues débiles de séries américaines qu'ils répètent, entrecoupées d'un film où le psychiatre Boris Cyrulnik évoque le lien amoureux dans le couple, d'un feuilleton sur la tournée américaine du collectif pris dans les filets d'une secte, d'un texte de Jacques Derrida. Ce zapping vise à brouiller les pistes (où sont le réel, la fiction, le médiatique, le théâtre?), à mettre en réseau des champs artistiques habituellement cloisonnés.
Mais ?Superamas? se piège lui-même: pour dénoncer la perte du sens de nos sociétés ?marketing?, il utilise les mêmes ficelles qui justement nous le font perdre! ?Big 3rd episode? propose une belle scénographie qui fait écran (c'est le moins que l'on puisse dire) à une réflexion globale sur la place de l'art dans un monde globalisé, en perte de repères idéologiques, où la philosophie ne sert même plus à élever les consciences. En ouvrant pour multiplier les angles de vue, ?Superamas? pense que  le spectateur peut tisser lui même les liens porteurs de sens. Outre le fait qu'il surestime nos capacités de reliance dès que nous sommes happés par des jolies formes (sic), il suggère peu pour dépasser le paraître et la vacuité de l'esthétique. À eux seuls, Cyrulnik et Derrida n'ont jamais fait une oeuvre d'art, même reliés dans un réseau créatif!
Il ne suffit donc pas de dénoncer joliment, encore faut-il créer ces sublimes transpositions qui font parler d'elles, au-delà du Festival d'Avignon.

« Tendre Jeudi » par Mathieu Bauer au Festival d'Avignon : “tournez manège !”

???
Premier spectacle, première canicule, premier bide du Festival d’Avignon. L'équation est imparable. Et pourtant, « Tendre jeudi » d'après le roman de John Steinbeck et interprété par le sympathique « Sentimental Bourreau » de Mathieu Bauer a de quoi séduire. La scène est à l'articulation d'un concert rock, d'une projection cinématographique et du théâtre de rue : tout est en place pour positionner le spectateur au c?ur d'un enchev
êtrement. Au final, il reste collé au ras du sol. 
Nous sommes en Amérique, après la seconde guerre mondiale, dans une petite rue d'un port de pêche, « la rue de la sardine ». C'est une communauté qui vit à la marge où solidarité, combines en tout genre, prostitution et recherche scientifique se côtoient pour former une belle fresque humaine. Doc, le personnage principal, est en proie au démon de la solitude affective que ses travaux sur les poulpes, serpents et autre animaux gluants ne peuvent combler. La rue se mobilise pour que Suzy, jolie fille fraîchement débarquée et prostituée débutante, succombe au charme de ce scientifique hors norme pendant que le groupe lance une tombola douteuse pour lui offrir un nouveau microscope. Pour nous restituer l'atmosphère de cette Amérique, Mathieu Bauer ponctue l'histoire de morceaux musicaux bien choisis, mais peine à trouver les articulations qui permettraient à « Tendre jeudi » d'être une pièce décalée et innovante. Je me surprends à attendre patiemment qu'il se passe quelque chose.
La mise en scène est lourde : elle ne parvient pas à reconstituer le groupe, ni la complexité des individus. Elle flotte, tâtonne, balade le spectateur d'un bout à l'autre de la scène à la recherche du sens. Tout est joué au premier degré (la rencontre amoureuse) et l'atmosphère devient pesante, niaise et nous fait oublier le contexte social et politique de l'époque. C'est lisse, aseptisé à l'image du jeu des comédiens qui endosse difficilement leur rôle d'acteur ? chanteur.  Il faut attendre la dernière partie où Mathieu Bauer transcende le roman de Steinbeck pour en faire une ?uvre théâtrale. Ironie du sort, c'est le cinéma qui l'aide à donner du relief à ses personnages où, projeté sur l'écran, chacun expose sa stratégie pour rapprocher les deux tourtereaux. C'est le comique de situation (où deux comparses se lavent à la bière dans une minuscule cuvette) qui procure la mesure du potentiel de Mathieu Bauer à faire du théâtre, appuyé par des dialogues qui font mouche.
On est finalement troublé d'être gagné par l'ennui alors que tout est en place pour relier deux époques : celle de Steinbeck, celle d'aujourd'hui, paupérisée par la politique de Bush.
Tendre jeudi” est une pièce sentimentale et pas tout à fait bourreau?

Au Festival d’Avignon, “L’échange” poussiereux de Julie Brochen.

?? Le Cloître des Célestins accueille Julie Brochen et son Théâtre de l'Aquarium pour « L'échange »  de Paul Claudel. Le décor fait de planches, de bidons, de tapis et de linges étendus sur une corde, évoque la précarité. En fond de scène, un étrange musicien (Fréderic Le Junter), crée un environnement sonore à partir d'instruments pour le moins originaux, tel un scaphandrier plongé dans les profondeurs obscures de la musique contemporaine. À lui seul, il va donner à cette pièce ennuyeuse les raisons qui justifient sa programmation dans le Festival d'Avignon. Car, pour le reste?
Deux couples (Marthe ? Louis Laine / Thomas Pollock – Lechy Elbernon), socialement et culturellement différents, vont s'affronter lors de jeux de séduction et de pouvoir, où alliances et coalitions brouillent les cartes pour mieux les redistribuer. L'argent sert de monnaie d'échange pour posséder l'autre, mais conduit le quartet à sa perte. Nous sommes au c?ur d'une tragédie jouée avec les rites d'un opéra à partir d'une mise en scène aussi lourde que le poids d'un secret. J'attends patiemment que la pièce se termine pour quitter au plus vite cet espace clostrophobique. Tout est incohérent : à l'intensité du drame, Julie Brochen y répond par une distance physique incompréhensible entre les acteurs (la scène est si longue que notre regard ne suffit même pas pour suivre les liens). Tout se joue aux extrémités du plateau, rarement au centre, d'où l'étrange sensation que l'?uvre s'incarne « à la marge ».  Le Cloître est utilisé pour produire des effets « sensationnels » en totale contradiction avec le décor comme si Julie Brochen hésitait entre une scène de théâtre et l'espace d'un opéra ! Dans le rôle de Lechy, l'actrice Cecile Péricone habite laborieusement le rôle de la rivale réduite, par des effets de voix appuyés insupportables, à une méchante commère. Les autres rivalisent de gesticulations pour donner de la consistance, mais je les ressens vide de l'intérieur. Ce quartet ne fonctionne pas : je ne vois ni les couples, ni les amants. J'assiste à des chemins parallèles qui ne croisent jamais. Le tout est tellement à distance que mes affects le sont aussi, restreignant mon écoute aux mots de Claudel, noyés dans le jeu rigide des comédiens.
Le tout est figé, ampoulé, ennuyeux comme un repas dans une bonne famille bourgeoise. J'entends le travail de Julie Brochen, mais je ne trouve pas d'engagement chez les acteurs comme s'ils étaient à côté pour scruter les réactions du public à leur jeu égocentré.
« L'échange » s'avère être une pièce à sens unique. J'ai connu des théâtres plus circulaires.

Le Festival d'Avignon, espace d'expérimentation raté du futur ?104? de la Ville de Paris

?? La Maison Jean Vilar propose deux expositions: au rez-de-chaussée, un espace est dédié à Fréderic Fisbach, l'artiste associé. Au premier étage, une installation pour célébrer le 60e anniversaire du Festival d'Avignon par une jolie série de portraits suspendus dans le temps et la projection d'un film sur Jean Vilar. Entre les deux, un escalier. C'est tout. Pas de pont, ni de passerelles. La Maison est fragmentée. Pourtant, Fréderic Fisbach est un conteur d'histoire (il aurait pu au moins nous raconter son parcours de festivalier au fil du temps). Il préfère accrocher sa prose dans des cadres vissés au mur, mettre un lit au centre (pour s'y coucher? Devant tout le monde?). Une installation nous permet de marcher sur des petits coussinets en caoutchouc et nous asseoir (ou s'allonger) pour écouter avec des casques les explications de Fisbach sur la genèse de ses pièces, sur ses tournées…L'endroit est idéal pour se reposer, mais vide de tout contenu. Quel peut bien être le sens de cette installation qui ne relie rien, ne suggére rien si ce n'est de la radio en conserve? En sortant, je suis un film sur la construction du ?104? (un lieu d'art pour tous de la ville de Paris). Aucun intérêt. Aucun.
Je quitte la Maison Jean Vilar pour le gymnase du lycée Mistral où Robert Cantarella (co-animateur du futur 104!) propose ?Hyppolyte? de Robert Garnier . La jauge est minuscule (à peine 50 spectateurs). En entrant, j'ai la surprise de me trouver à nouveau dans un appartement (après le loft dans ?Les feuillets d'Hypnos? et le plumard de la Maison Jean Vilar, je me lasse de cette proximité!). Quelques casques sont posés sur les sièges, mais pas assez pour tout le monde (on y écoute la voix des acteurs accompagnée par une guitar
e électrique). Le musicien est d'ailleurs présent devant son ordinateur (je ne verrais jamais son visage) et un technicien filme la pièce (où il sera possible de la visionner sur grand écran dans une salle adjacente!). Vous l'aurez compris, nous sommes face à un déluge de moyens. Mais servent-ils au moins une recherche autour du théâtre? Donne-t-il au texte de Garnier (c'est une langue du 16e siècle) une force, une ?méta- compréhension ?? À moins qu'ils ne permettent aux comédiens de poser un contexte si porteur qu'ils innoveraient dans leur jeu sur scène (ou sur le lino, c'est au choix)?
Rien de tout cela. ?Hyppolyte? est ennuyeux, mal interprété (Nicolas Maury, déjà remarqué dans ?les feuillets? est toujours aussi insupportable à écouter), où les objets de la vie moderne (un micro-ondes) ne servent strictement à rien si ce n'est à occuper un espace laissé vide par des comédiens qui clame leur texte avec application (c'est quand même une performance). Ils sont desservis par une mise en scène clostrophobique, entravée par le mobilier d'Ikea et surtout gêné par la présence d'un chien qui se contente de leur courir après (le sens m'échappe à la même vitesse que l'animal). Fatigué par ce théâtre prétentieux, je ne pense qu'à partir. Impossible. J'ai peur du chien et cela se voit. Je me contorsionne, ouvre un livre, penche la tête en avant, en arrière. Je souffre. Et j'ai toujours peur de ce chien pas du tout sympathique. Pourquoi n'ai-je pas de casque? A quoi rime cette discrimination? Comme vous le constatez, mes questionnements volent haut…
Ainsi, je deviens le spectateur ? acteur dont rêve tant Fréderic Fisbach.
En partant, je n'ose pas lui dire à quel point je me suis trouvé convaincant dans mon rôle.
Je cavale vers la sortie de peur de tomber sur le maître-chien.

Christophe Fiat, performeur très fuck  au Festival d'Avignon.

? L'écrivain Christophe Fiat se cherche. À la question « êtes-vous un écrivain ou d'abord un performeur ? », il répond : « Je suis un écrivain et je fais des performances? Performance est le seul terme que j'ai trouvé pour dire comment je lis mes textes sur scène en les accompagnant de sons venus d'une guitare électrique ». La confusion conduit-elle au talent ?  Pas si sûr…
Afin d'aider Christophe Fiat dans sa recherche, voici quelques pistes :
Dominique A est un chanteur. Ses textes « littéraires » sont accompagnés de guitares électriques majestueuses. Il lui arrive de danser sur scène. C'est prodigieux. Il ne se proclame pas performeur et pourtant…
Les correspondances de Manosque se déroulent à la fin de l'été et nous proposent des concerts littéraires de toute beauté (animés depuis deux ans par l'écrivain Arnaud Cathrine). J'ai pu assister à de vraies performances de chanteurs rock (Florent Marchet, Armand Méliès, Claire Diterzi) où l'engagement dans une approche pluridisciplinaire de la littérature est visible.
En 2005, le Fesitval d'Avignon nous permettait aux spectateurs d’approcher la performance comme forme artistique à part entière. Marina Abramovic, Jean-Lambert Wild et d'autres ont réussis à capter l'attention d'un public curieux et déboussolé. Nous savons ce que le terme « performeur » veut dire.
En 2007, Christophe Fiat est sur la scène de la salle Benoît XII pour sa lecture qui se donne en performance (ai-je juste ?), « la jeune fille à la bombe ». Sa guitare n'est pas loin pour assurer le fond sonore d'un roman paranoïaque sur notre société de surveillance. Deux danseurs l'accompagnent comme faire-valoir pour lire ce roman délirant sur le terrorisme et les femmes. Une soprano fait frissonner le public dès qu'elle chante, mais doit lire la plupart du temps les chapitres de ce roman de science-fiction que refuserait même de filmer David Lynch.
Le tout dure deux heures (dont une où l’on nous parle de dos…). La scène finale où le groupe quitte la scène pour nous laisser écouter une chanson très “fuck attitude” est à l'image de cette performance : vide.
Une vidéaste filme pendant deux heures la chose. J’espère qu’elle n'oubliera pas de la diffuser sur « Daylimotion »  pour que l'on se marre un peu.
Dominique A n'a jamais été invité au Festival d'Avignon.

Au Festival d’Avignon, “Claire”, vachement lourd…

?
Alors qu'une vidéo projette sur les comédiens un troupeau de vaches, une spectatrice ose faire « meuh, meuh? ». « Claire » de René Char, mise en scène par Alexis Forestier, finit par agacer une partie du public, lassé par tant de prétentions. Comme avec Frédéric Fisbach et ses controversés « Feuillets d'Hypnos », Alexis Forestier pense jouer René Char en ajoutant de la poésie à un texte qui n'en manque pas. À ce jeu-là, il faut avoir beaucoup de talent, illustrer le texte par une puissante présence d'acteurs « poètes » et utiliser avec parcimonie la métaphore pour ne pas alourdir le propos. Ici, rien de tout cela. « Claire » est une juxtaposition de scènes où les guitares saturent, les corps s'affaissent dès que l'on s'improvise danseurs. La scénographie (lumières, décors, mouvements sur le plateau) est incapable de restituer l'atmosphère particulière portée par la figure symbolique de Claire, femme et rivière à la fois. Le plus troublant est le jeu des acteurs plus proche d'une thérapie de groupe que d'une troupe de théâtre ! Comme avec Fisbach, les mots de René Char sont systématiquement appuyés par des effets de scène provocants, lourds, grossiers : plus c'est beau, plus les acteurs en font trop. À ce rythme, je perds le texte de Char, le contexte dans lequel il a été écrit (la résistance) et je finis par me concentrer sur le pianiste, seul musicien manifestement habité par la poésie. Ce texte est vache, mais je suis fatigué d'être pris pour un mouton.

Au Festival d’Avignon, Char écrasé, Fisbach dissocié, public complice.

? J'arrive dans la Cour d'Honneur. Le choc. Alors que le public s'installe comme si de rien n'était, je scrute le décor des « Feuillets d'Hypnos » de René Char mis en scène par Frédéric Fisbach avec angoisse et déjà colère. Imaginez, un long loft, quasiment dessiné par la production de TF1, sur la scène d'un lieu mythique. Cette imposante baraque, avec ses appartements, sa place, ses petits gra
dins, envahit toute la cour. Fisbach se fout du passé. Il l'écrase de sa suffisance et de son bon droit d'artiste associé du Festival d’Avignon, à l'image d'un directeur des programmes d'une chaîne publique qui n'a que le vocable « audimat » comme argument. Mais personne autour de moi pour s'en émouvoir. J'ai envie de vomir. La suite va confirmer mon dégoût?
Deux centre trente-sept feuillets, poèmes, de René Char se mettent en scène dans cette ambiance trash. Les comédiens dégueulent leurs mots (mention toute particulière à Nicolas Maury, caricature de lui-même), gesticulent, prennent une douche, aboient. Ils déconstruisent les vers de René Char, les rendent quasiment incompréhensibles. Une entreprise de démolition est en marche. René Char, l'enfant du pays, le résistant est ridiculisé, avec l'accent. Je commence à protester. À côté de moi, la clameur monte, mais la présence des proches des amateurs nous empêche d'aller plus loin. Certains partent bruyamment en imitant le bruit des bottes?Quarante-cinq minutes qui font honte au théâtre français, mais toujours aucune manifestation d'un public que l'on a connu bien plus sévère en 2005, lors des spectacles de Jan Fabre.
Après ce premier carnage, une centaine d'amateurs disséminés dans les gradins atteignent la scène. Ils l'occupent pour mieux noyer ces comédiens. L'effet masse est impressionnant. Les textes retrouvent leur consistance malgré les quelques happenings déplacés de la troupe de Fisbach. Soudain, la fumée envahit les pièces du loft, le lieu même où un homme nu prenait sa douche, où une femme se maquillait quelques miniutes auparavant. Fisbach simule les chambres à gaz. En l'espace d'une heure, il transforme le décor pour manipuler l'histoire à sa guise, utilise des amateurs pour revenir au théâtre, enferme le public dans la passivité (comment peut-il protester alors qu'il est métaphoriquement sur scène ?). Resister aurait été de descendre, de monter avec les amateurs pour mettre fin à cette mascarade. Nous sommes plusieurs en avoir envie mais le courage nous manque. Lors des applaudissements complaisants d'une partie du public, alors qu'une autre reste silencieuse comme sidérée, je me dirige vers les comédiens pour leur tendre un poing vengeur (« c'est une honte »).
Je quitte la cour. Je repense aux leçons de résistance données par Edgar Morin dans l'après-midi lors du « Théâtre des Idées » devant un nombreux public. Je pense à son sourire, à sa pensée lumineuse. Je l'imagine aux côtés de René Char. Mais j'ai mal partout. Deux amis me rejoignent dans un café. Miracle du Festival, nous entamons un débat avec un couple d'Allemands. Ils sortent de la Cour d'Honneur. Ils y ont vu une « bonne lecture publique » (Fisbach perd son statut de metteur en scène !), s'attristent sur les chambres à gaz, saluent les amateurs pour avoir procuré du corps au texte. Nos échanges sont beaux, lumineux. Edgar Morin est là,presque parmi nous.
Monsieur Fisbach n'existe déjà plus. Il peut ranger son loft. Il n'aura même pas les honneurs de l'histoire. Juste la honte de l'avoir bafoué.