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EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, Guy Cassiers met le sujet à vif. Exceptionnel.

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Il est 22h30 au Cloître des Célestins. La chaleur est étouffante. Comme si de rien n'était, Dirk Roofthooft se prépare dans un coin de la scène. Il porte une veste en laine. Il rappe sa voûte plantaire en émettant des petits grognements. La lumière s'éteint sur le public. Cet acteur exceptionnel découvert l'an dernier avec Jan Fabre, va bouleverser le public avec un monologue de plus d'une heure trente. « Rouge décanté » est adapté du livre éponyme autobiographique de Jeroen Brouwers « qui raconte les deux années passées avec sa mère et sa grand-mère en Indonésie dans le camp d'internement japonais de Tjideng (actuelle Djakarta) où ont été parqués les citoyens hollandais entre 1943 et 1945 ». Il avait cinq ans au moment des faits. À la mort de sa mère qu'il ne voit plus, il en a quarante. Il commence alors d'incessants allers ? retours entre les images de ce camp, ses ressentiments envers sa mère et son amour pour Lisa qui vient de mettre au monde sa petite fille. Cet homme libère cette parole, relie passé, présent, futur pour se retrouver. Il s’est longtemps perdu dans un espace vide où le beau n'existe pas, où la fonction maternelle fait souffrir, où la terreur de ses cinq ans s'est transformée en refoulements. Les atrocités vécues dans ce camp l'ont éloigné durablement du sublime, des émotions alors que sa femme vient d'accoucher. Face à nous, cet homme se reconstruit. Les transformations de l'espace scénique l'accompagnent dans ce cheminement. Du petit coin où il vit  reclus au début du monologue, il se lève pour affronter son passé. Le décor suggère le camp avec des petits bassins comme les rues de Djakarta. Il doit regarder cette réalité. Se regarder. C'est alors qu'il nous tourne le dos ; son visage se projette sur un écran en lamelles de bois qui s'ouvrent et se ferment, entre conscience et inconscience. Le décor parle aussi, se teinte de rouge et de blanc pour décanter la mémoire. Les caméras disposées aux quatre coins de la scène ne le lâchent pas comme pour mieux le soutenir dans sa démarche. Elles l'accompagnent comme un thérapeute. Elles lui renvoient son image, à partir d'angles de vues nichées au fond de son inconscient. Guy Cassiers ose créer un petit  espace scénique où l'acteur revit une scène sexuelle entre fantasme, rêve et réalité. La projection de son ventre se superpose sur son visage resté figé sur le grand écran. Il revient dans le ventre de sa mère. Magnifique. Sublime. 

Je reste accroché à ses lèvres comme suspendu à sa mémoire qui devient la notre. Comment de telles atrocités ont-elles pu se commettre ? Pourquoi l'humanité perpétue-t-elle encore aujourd'hui des crimes contre l’humanité? Dirk Roofthooft est Jeroen Brouwers. Mais il incarne bien plus que l'auteur. Son jeu transmet  au public cette mémoire, comme un bien commun, pour ne rien oublier. Il donne à voir ce qu'un homme peut faire pour revenir sujet : affronter le passé, le parler, ritualiser pour retrouver le sens et les sens.
En offrant à Guy Cassiers la scène du Cloître des Célestins, le Festival d'Avignon a vu juste. Il décante l'histoire universelle pour faire remonter à la surface de l'art théâtral un texte qui ne sera plus jamais enfoui sous le poids du déni.

Pascal Bély – www.festivalier.net

“Rouge décanté” de Guy Cassiers avec Dirk Roofthoot a été joué au Festival d’Avignon le 22 juillet 2006. En tournée (Martigues le 27 novembre 2009).

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EN COURS DE REFORMATAGE

Au Festival d’Avignon, Michel Laubu ne compte que 4 habitants.

Le thème du voyage, de l'imaginaire est au c?ur de cette 60e édition du Festival. Joseph Nadj n'a pas pu me faire décoller avec le trop hermétique «Asobu ». Malgré le souffle de ses machines, François Verret, ne m'a pas donné le billet aller pour « Sans retour » (il fallait bien que je case ce jeu de mots facile !).
Michel Laubu et son « Turak Théâtre » n'ont pas mieux réussi avec « Depuis hier. 4 habitants ». Pourtant, le lieu s'y prête. Nous ne sommes qu'à quelques mètres de la Maison Jean Vilar et du Palais des Papes, dans ce si joli jardin de la rue de Mons. Une centaine de spectateurs prend place face à ce dispositif scénique pour le moins original. C'est un petit espace fait d'objet de récupération. En attendant l'arrivée des comédiens, des violons mécaniques jouent de la musique et des vieilles machines à café envoient de la vapeur. Ils arrivent à trois pour faire fonctionner ce bric-à-brac. À chaque extrémité du dispositif, deux se positionnent dans des petites cahutes en bois tandis que Michel Laubu, le marionnettiste, est au centre. Il a ramené des matériaux après un voyage en kayak sur la Durance dont du bois patiné par l'érosion des courants. « Depuis hier. 4 habitants » est une galerie de quatre portraits avec un questionnement pour le moins complexe : « Sommes-nous au même moment dans quatre endroits du monde ?  Sommes-nous au même moment dans quatre endroits du monde ? Sommes-nous au même endroit à quatre instants différents ou avec le même individu à quatre moments de sa vie ? ».
Le résultat de ce questionnement est mitigé. Michel Laubu brouille les repères narratifs pour nous inviter à construire notre histoire alors que les objets sont omniprésents. Ils n'ont pas le pouvoir de me déconstruire: ils sont instrumentalisés et une technique linéaire régit leurs attitudes. Tout est trop bien huilé. Même si je ris à certaines scènes, je reste collé à cette mécanique. Je m'étonne même de ne rien ressentir comme si mon rire répondait aux rouages parfaits de l'objet. Seul un comédien peut réussir ce tour de force de m'emmener loin des sphères du réel.

J'ai passé un agréable moment, mais « Depuis hier. 4 habitants » sera vite oublié par le temps qui passe. Il n'y a plus qu'à souhaiter que le dispositif scénique devienne objet de récupération. Dans les mains des comédiens, il sera patiné et posé sur la scène comme  élément de décor d’une pièce d’Eric Lacascade!


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Le  bilan du Festival d’Avignon 2006, c’est ici!

Par thématiques, les articles du Festival d’Avignon:
“Les sublimes”
“Le théâtre des maux”
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“Les mondes enfermants”
“Les hors-jeu”

Le palmarés du Tadorne du Festival d’Avignon:

“VSPRS”
d’Alain Platel.
“Paso Doble” de Josef Nadj et Miquel Barcelo.
“Combat de nègre et de chiens” de Koltès par Arthur Nauzyciel.
“Au monde” de Joël Pommerat.
“Human” de Christophe Huysman.
“Rouge décanté” de Guy Cassiers.

“Faut qu’on parle!” d’Hamid Ben Mahi et Guy Alloucherie, “Sizwe Banzi est mort” de Peter Brook, “Récits de juin” de Pippo Delbono et “Pour tout l’or du monde” d’Olivier Dubois.

“La tour de la défense” et “Les poulets n’ont pas de chaises” de Copi par Marcial Di Fonzo Bo.
“Les marchands” de Joël Pommerat.

“Chaise”, “Si ce n’est toi” et “Le numéro d’équilibre” d’Edward Bond.
“Les barbares” d’Eric Lacascade.
“Pluie d’été à Hirosch
ima”
d’Eric Vigner.

“Asobu” de Josef Nadj.
“Mnemopark” de Stefan Kaegi.
“La poursuite du vent” par Jan Lauwers.
“Battuta” de Bartabas.
“Mondes, Monde” de Frank Micheletti.
“Journal d’inquiétude” de Thierry Baë.
“Depuis hier. 4 habitants” de Michel Laubu.

“La course au désastre” de Christophe Huysman.
“Gens de Séoul” de Frédéric Fisbach.


En bons derniers…
“Sans retour”
de François Verret
“Mozart et Salieri”
et “Iliade Chant XXIII” par Anatoli Vassiliev.
“Ecrits de Jean Vilar” par Olivier Py.

“Le bazar du Homard”
par Jan Lauwers.