Elle fut à l’origine de ce blog lorsqu’elle m’a suggéré en mai 2005 d’écrire mes analyses sur les nombreux spectacles que je voyais. Un an plus tard, un « pass » à la main, elle arpente les lieux du Kunsten à Bruxelles pour se forger une idée sur la création contemporaine. Elle a d’ailleurs écrit pour le blog. Tout est lié?C’est donc avec Peggy que « Le Tadorne » commence une série d’interviews de spectateurs pour dresser le bilan des festivals. Elle inaugure celui du KunstenFestivalDesArts. Et puisque nous sommes sur un blog, c’est un dialogue à deux voix qui vous est proposé en direct d’un café de Bruxelles?
Le Tadorne : Une image de ce Kunsten ?
Peggy: Je revois cette grande scène lors du spectacle de Bock&Vicenzi où chacun vaque à ses occupations. C’est une image irréelle, hallucinante quand j’y repense.
Le Tadorne : Je nous revois tous les deux couché par terre lors de la première journée du Kunsten lors de l’exposition – vidéo de Yan Fudong. J’étais épuisé et je me souviens d’un rêve éveillé alors que les images de l’expo m’entouraient. Le Kunsten, c’est aussi cela?Un rêve éveillé.
Le Tadorne : Une émotion liée au Kunsten ?
Peggy: Toujours le spectacle de Bock&Vicenzi ! Je ne peux pas oublier mon énervement au cours de la représentation. Et pourtant, ce spectacle fut une bombe à retardement une semaine après. Encore aujourd’hui, dès que j’y repense, j’ai des émotions très variées.
Comment ne pas évoquer mon fou rire lors de « Lugares comunes » de Benoît Lachambre ? La scène où quatre comédiens se moquent du langage du marketing m’a provoqué une crise de rire mémorable ! D’ailleurs, j’ai souvent ri au cours de cette édition. Plusieurs fois, je me suis dit : « mais comment osent-ils faire cela ? »
Je repense aussi à deux jolis spectacles : « Penthesilea » de Françoise Berlanger et « Hier ist der apparat » de Chris Kondek . Ce sont deux ?uvres qui m’ont tout simplement fait du bien.
Le Tadorne : oui, j’appelle cela les spectacles « réparateurs » quand on est bousculé lors d’un Festival.Il en a manqué cruellement en Avignon l’été dernier.
J’ai été pris moi aussi d’un fou rire avec toi lors de « Lugares comunes ». Mais ma plus belle émotion est le spectacle de Platel, « VSPRS », où lors de la dernière scène, j’avais le ventre noué. Je vais d’ailleurs le revoir en Avignon, fin juillet.
Le Tadorne : comment qualifierais-tu le projet du Kunsten ?
Peggy : J’ai l’impression que l’équipe du Kunsten a voulu me libérer. La thématique de l’aliénation a été omniprésente au cours de cette édition. Or, il se trouve que cela m’a libéré de ma propre aliénation, de mes cadres. C’est comme si les spectacles sortaient du contenu pour interroger, toucher le spectateur dans sa relation à l’art. Tout au long du Festival, je me suis ressentie actrice de mon cheminement. Avec le Kunsten, on s’éloigne d’une conception classique du spectateur qui consommerait passivement de l’art.
Autre exemple, quand je repense au spectacle de Meg Stuart « Replacement ». Entre l’excellent et le nul, il y a des ?uvres qui ne peuvent pas entrer dans ce clivage. On ne peut pas rejeter en bloc. Il se trouve que « Replacement » m’a emmené à réfléchir ; je ne peux donc pas rejeter définitivement cette pièce. Le projet du Kunsten vise à nous guider vers un cheminement et à sortir du ponctuel, du factuel.
Le Tadorne : J’ai eu l’impression que le Festival d’Avignon, édition 2005, se poursuivait. A la différence notable : si la France se déchire autour d’un choix entre théâtre et danse (texte ou pas !), ce clivage n’est pas du tout d’actualité à Bruxelles. Le projet du Kunsten vise à nous décloisonner. J’ai ressenti très fortement la pensée d’Edgar Morin, comme je l’écrivais précédemment dans un post.
Le Tadorne : quels sont les spectacles qui sont passés à côté du projet du Kunsten ?
Peggy: Sans hésitation, « Swing » de la compagnie «De Parade ». Je suis resté passive face à cette création. Également,le spectacle du chorégraphe suisse Thomas H
auert « Walking Oscar » n’a pas été à la hauteur. Il y a une exigence de qualité dans le projet du Kunsten. Il ne suffit pas d’avoir un nouveau concept. Encore faut-il le faire partager.
Le Tadorne : Je partage ton analyse concernant l’articulation entre un concept et le projet. A ce titre, « Marseille#10 » de Roméo Castellucci et « Quantum » de Brice Leroux se sont enfermés dans leur concept alors qu’il y a une forte exigence d’ouverture au Kunsten.
Le Tadorne : quel est le spectacle qui t’est apparu le plus à l’avant-garde ?
Peggy: c’est « sx.rx.RX » de Patricia Allio. Ce spectacle était le c?ur même du projet du Kunsten. Voilà comment à partir de l’aliénation du personnage principal, Patricia Allio nous a invités à transcender nos clivages, à dépasser nos peurs, nos représentations.
Le Tadorne : Je suis absolument d’accord. Cette pièce va me marquer pendant longtemps. Il est quand même étonnant que cette oeuvre n’est pas trouvée de producteur en France et qu’elle soit absente du Festival d’Avignon cette année !
Le Tadorne : quel est le regard des artistes sur notre monde à travers le Kunsten ?
Peggy: C’est un regard dur, parfois pessimiste, mais l’optimisme, c’est le KunstenFestivalDesArts lui-même. Le cadre que pose la direction du Festival est tellement positif. On ne se permettrait pas cela en France ! L’affiche du festival en dit long : il y a un trou et à travers lui, on voit en fond l’affiche de l’exposition « Bing » qui a lieu actuellement au Musée de Bruxelles. S’ils voulaient communiquer sur la complémentarité, ils ne s’y prendraient pas autrement !
Le Tadorne : Effectivement, je vois mal le festival d’Avignon intégrer dans son affiche celles du « Off » ! Et puis, c’est étonnant de constater à quel point ils ont réussi à créer un lien fort entre flamand et francophones. On est loin de l’affrontement. Et que dire alors du lien avec le public ! Alors qu’au Festival d’Avignon les fêtes sont réservées aux V.I.P, au Kunsten elles sont ouvertes. C’est incroyable de faire la fête au sein du Théâtre National. Imaginerais ?t-on la même chose en France ? Le Théâtre National de la Criée transformé en boîte de nuit lors du Festival de Marseille!
Peggy : l’optimisme chez les artistes est à chercher dans les nouvelles formes artistiques qu’ils nous ont proposées pour lire autrement le monde. Christoph Marthaler avec « Wich only » où le son ne passe plus par les mots, mais par la voix. Alain Platel avec « VRPRS » qui nous a subjugués en reliant le jazz, la danse, la transe et Monteverdi. Comment ne pas évoquer « sx.rx.Rx » de Patricia Allio qui a su donner aux paroles de Samuel Daiber, interné en Suisse dans les années cinquante, une forme incroyablement créative. Et puis bien sûr, « Lugares comunes » de Lachambre qui par sa mise en scène, nous a offert une autre façon de voir l’espace du groupe.
Mais c’est Yang Fudong, avec son installation vidéo, qui nous a donné les clefs pour nous positionner dans ce monde si complexe. C’est lui qui nous a proposé le contexte le plus cruel du Festival. Et c’est lui, qui nous a offert les portes de sortie, la note d’optimisme.
Le Tadorne : comment as-tu vécu le fait d’écrire des articles sur le Kunsten pour un blog ?
Peggy: Le passage au « je » dans les cinq articles écrits pour « Le Tadorne » n’a pas été simple. Cela m’a parfois mis mal à l’aise par rapport à mon métier de journaliste. Mais comment évoquer un spectacle sans passer par le « je » ? Je pense que le blog est peut-être le média le plus pertinent actuellement pour décrire la relation entre le spectateur et l’art.
Le Tadorne : Je partage cette analyse. Le blog est sûrement une excellente école pour le spectateur (plus j’écris, plus je vois les spectacles autrement). Pour le journaliste, écrire pour un blog lui permet de repasser par le « je » pour restructurer son regard par rapport au monde, à l’art. J’aimerais tant que Fabienne Arvers des « Inrocks » accepte d’écrire pour mon blog. Cela l’aiderait à se rapprocher du public tant ses critiques de spectacles me paraissent décalées. Et puis, cela me permettrait d’apprendre par son regard.
Pour autant, le Kunsten n’a pas intégré la blogosphère dans son projet. On aurait pu imaginer qu’un des membres du staff tienne son blog ou qu’ils répondent aux deux mails que je leur ai envoyés !!
En tout cas, merci Peggy pour tous ces échanges au cours de ce mois de mai. J’ai beaucoup appris à partir de ton regard, lui aussi décalé.
Très kunsten, comme positionnement…
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Ils sont neuf sur scène coiffés de perruques grisonnantes. Ils sont assis dans des sièges noirs, très fonctionnels au design digne d’une salle d’un Conseil d’Administration de Clearstream. Ils se lèvent progressivement et leurs pas se font de plus en plus saccadés. Comme chez Alain Platel, la transe fait la danse. Les comportements frôlent la folie. Cela fait mal aux corps. Il s’agit alors de se regrouper pour tenter de dialoguer, mais rien n’est possible. L’important n’est pas d’écouter, mais d’affirmer ses arguments. Le débat n’est qu’illusion. On se croirait dans une émission d’Arlette Chabot, la directrice de l’information de France 2, célèbre spécialiste de la question qui clive ! Il faut donc réinventer l’espace entre eux et nous. Dans cette recherche d’un lieu commun, Benoît Lachambre semble vouloir nous associer. Il cherche avec nous. Cela tombe bien, je sens ses artistes si proches de moi que rien, de leurs faits et gestes, ne m’échappe. Plus je les observe, plus je crée moi aussi cet espace. C’est une sensation nouvelle!
Ainsi se succèdent plusieurs scènes où ces neuf danseurs – comédiens (tous magnifiques) tentent de créer le lieu commun, celui où toute leur créativité peut s’exprimer dans le non-jugement et loin des conventions du marketing (la scène où quatre d’entre eux semblent mimer le langage de la publicité est hilarant !). Et puis, deux instants purement magiques m’emmènent symboliquement sur scène. Sur la droite, trois femmes sur un podium lisent une magnifique poésie sur une musique entraînante, tapant la mesure avec leurs doigts. Au même moment, l’espace se transforme et deux trios investissent d’autres lieux où deux hommes et une femme se tiennent par la main, assis, n’échangeant que par la force de leur lien. A ce moment précis, la chorégraphie est de toute beauté alors que les corps bougent peu. Emerge ainsi la force de « Lugares communes »: ouvrir notre regard sur le collectif transversal, au moment où les sociétés se communautarisent. Lachambre nous aide à repérer le lien créatif au détriment du lien qui clive. En choisissant de faire parler les comédiens dans une langue inconnue que nous ne comprenons pas, ils nous invitent à sortir du langage qui enferme pour nous ouvrir sur le lien qui complexifie. Cette pièce a eu des effets trois jours après. Signe que Benoit Lachambre m’a touché. Quelque part au niveau du vécu. 
Un nouveau monde apparaît alors. Une cantatrice arrive et chante devant la scène où le chaos produit ses effets sur un écran vidéo. C'est beau, mais je ne suis pas touché. Tout est à distance comme si Castellucci avait eu peur de Marseille, aveuglé par la lumière, par la religiosité de cette ville. Je sors de cet épisode avec le sentiment que, décidément, Catellucci ne me touche pas avec son théâtre d'ombres, de sons et de lumières.
L'exposition du grand Palais
Le lendemain, devant les photographies de Willy Ronis, j'ai les larmes aux yeux. Le regard porté sur les parisiens est si touchant que l'on comprend pourquoi son ?uvre a été associée à la « photographie humaniste ». Nous hésitons à enchaîner sur l'expo Paris au cinéma, mais Willy Ronis m'a déjà rasséréné, je n'ai plus de place pour accueillir autre chose, je veux rester encore un peu dans son univers bienveillant.
Dernier jour. Mus par la volonté de comprendre, nous décidons de nous rendre à la Villette pour «
Le rideau se lève. Le décor, sur des roulettes, est à deux faces. Il est imposant et très massif sur cette petite scène. C’est une prison. Sur le toit, les policiers voient tout, le doigt sur la gâchette. Mais ils jouent aussi le soleil et la lune pour nous éclairer sur la dualité complexe des personnages, entre ombre et lumière, entre masculin et féminin. Sur scène, le Directeur, l’aumônier-économe et Marchetti, le plus beau gardien du bagne. Ils ont à eux trois main mise sur les neuf bagnards. Séduction, coups tordus, violence physique et verbale ponctuent les rapports entre ces hommes que tout oppose, mais dont le lien s’avère indestructible tant il est ancré dans des jeux pervers. L’arrivée d’un nouveau bagnard, Forlano, déstabilise ce bel équilibre. Tout au long de l’histoire, nous ne l’entendons presque pas, mais ses gestes et postures en disent long sur ses intentions. Il est l’enjeu du pouvoir entre deux autres bagnards (Rocky et Ferrand) qui se livrent aux plus basses stratégies pour conquérir ses faveurs. L’assassinat de Marchetti envoie Forlano à la guillotine (le Directeur ne s’embarrasse pas d’un procès !). Vous l’aurez compris, la pièce de Genet se joue en eaux troubles. Les dialogues sont inégaux (est-ce sa plus belle oeuvre?) ; certaines scènes prennent à la gorge (lorsque le gardien présente Forlano à ses compères ou quand les bagnards refusent à tour de rôle d’étendre le linge !).
une scène plus longue avec un décor moins haut (comment regarder la lune et le soleil alors que les comédiens jouent en bas !). J’ai surtout l’étrange sensation que la mise en scène ne s’inscrit pas dans un contexte. Si Genet passe sous silence l’aspect politique du bagne, Bourseiller aurait pu replacer la pièce dans un contexte historique (certes la France n’a jamais fait ce travail d’introspection ; il aurait pu le faire). Au final, cette pièce ne mérite pas certains commentaires excessifs entendus à la sortie («
Le premier, « Transgedy » de Caterina est dansé par Alessandro Bernardeschi. Sur scène, un guéridon, une radio-cassette, et tous les ingrédients pour passer à l'heure de l'apéro. Une photo trône sur cette si petite table. L'homme fume puis se lève pour danser sur la musique des Bee Gees (« Tragedy »). Il danse sa solitude et je me sens dérouté. Rien n'est linéaire dans les gestes, tout est saccadé comme une vie qui perdrait le fil conducteur, le sens. Pendant plus de vingt minutes, j'assiste à la souffrance d'un homme seul, qui se jette à terre, pour se relever, souffrant, mythomane de surcroît (il se prend pour Shakespeare ? la photo, c'est lui !-). Et pourtant, je reste à distance, sans empathie particulière pour cet homme, comme si ma position ne faisait qu'accentuer sa solitude. Le final où il s'asperge de Ketch'up pour simuler un drame shakespearien frôle le pathétique. Mais loin du ridicule et du pathos, Caterina Sagna touche là où cela lui fait mal ; nous fait mal. Avec poésie.
Le deuxième solo (« Tourlourou ») dansé par Carlotta Sagna va faire l'effet d'une petite bombe dans ce si joli théâtre. Elle arrive, tutu vert et pointes au pied. Un petit plateau en forme de cible l'attend. Au cours d'un très beau texte, elle nous annonce qu'il ne lui reste que dix minutes à vivre. Une autre tragédie se joue devant nous (on n'est quand même pas là pour rigoler ce soir?). Dans ce si petit espace, Carlotta Sagna va danser l'impossible à savoir le passage de la danse classique à la danse moderne, métaphore des transformations, des virages qui parsèment la vie. Je reste ébloui par ce corps qui se plie, se déplie, se lève, se couche alors que tout va se terminer dans quelques minutes. Le corps habite l'intensité dramatique comme je l'ai rarement vu en danse. A la voir se remettre à danser avec ses pointes, provoque en moi un élan d'émotion comme si le film de sa vie se jouait là, face à nous, dans cet espace si petit. Carlotta Sagna est au cours de ces trente minutes, plus qu'une danseuse. Elle est une artiste qui repousse les frontières de son art à l'image de la Needcompany, espace de création pluridisciplinaire basé à Bruxelles et animé par Jan Lauwers. « Tourlourou » est beaucoup plus qu'une « Transgedy ». C'est un petit chef d'?uvre d'humanité.
Le KunstenFestivaldesArts à Bruxelles, c’est aussi la découverte de troupes aux moyens dérisoires issues de cultures lointaines, à 100 000 lieux de nos standards occidentaux. Ce fut le cas cet après-midi avec « Pression / Impro-visé_2 », du chorégraphe congolais Andréya Ouamba. Nous nous installons au Théâtre 140 pour un huis clos avec des danseurs sénégalais, sur quelques notes de musiques, deux caissons de bois, du papier journal, un abri modeste. On est loin du faste de
Mais que vous a-t-on fait ? Deux heures de spectacle et seulement dix minutes dansées, dix minutes d’un même enchaînement repris inlassablement – cette transe, ce tremblement compulsif que vous affectionnez tant.
Un homme, donc, se plie, se tord dans tout les sens. Soudain, l’ampoule qui pend à quelques mètres, tombe et s’explose. Noir. Une dizaine de personnes nous apparaissent alors occupant la scène, statique. Tableau magistral. L’ambiance est électrique, les couleurs métalliques hormis ce grand drap rouge pendu quasi au milieu. Trois êtres, tels des mannequins évadés d’un grand magasin, traversent la scène dans un pas mécanique, rapide, fou. Une femme, tout devant, drapée dans une toge noire, marmonne dans un micro. Bock&Vincenzi ont tout prévu pour nous rendre le tout insupportable : madame marmonne dans son micro suffisamment fort pour que l’on soit tenté d’écouter, pas assez pour que l’on puisse comprendre ; dans la sono toujours la même tension ponctuée d’explosions électriques qui traversent l’espace faisant bondir mes voisins et moi-même par intervalles réguliers ; il y a un problème avec la sono, ou peut-être ce sont les amplis …mais bon sang pourquoi ne pas partir ? Se casser tout simplement ?