
Certes, ce n’est pas la pièce du siècle. Elle n’a pas fait l’évènement du KustenFestivaldesArts de Bruxelles. Malgré tout, « Alice Bell » de la compagnie britannique « Lone Twin Theatre » a correctement rempli son rôle. En effet, j’attends d’un festival qu’il me surprenne, qu’il bouge les frontières, qu’il m’aide pour appréhender la compléxité de ce monde, même avec légèreté. Pari réussi pour ce quintet britannique. Et pour couronner le tout, « Alice Bell » réussie pour la première fois à diviser Le Tadorne et Saisons, le blog scènes de Fluctuat.net !
L’espace pour accueillir le public est petit ; le dispositif est bifrontal. Le cadre est posé pour qu’acteurs et spectateurs se lient facilement. Au milieu, cinq comédiens (trois femmes, deux hommes) au look très british. Ils tiennent tous un ukulélé, objet transitionnel à l’image du doudou de notre enfance ! Mais ne nous y trompons pas, derrière ces apparences et un prénom « merveilleux », le destin d’« Alice Bell » est tragique. Victime d’un attentat terroriste par l’homme qui vient de la sauver, elle doit changer d’identité pour continuer à l’aimer. Le stratagème découvert, un autre homme la tue en la faisant exploser avec une bombe. Au cœur de cette histoire, le conflit de loyauté croise la violence du terrorisme pour briser une vie que tout destinait à devenir linéaire. La mise en scène accompagne le spectateur à suivre cette histoire où passé, présent et futur s’entrechoquent. Parce qu’il s’agit de sortir de la linéarité pour entendre les ressentis tumultueux d’Alice, les comédiens sont toujours sur scène (il n’y a pas de coulisses) et adoptent tour à tour des positionnements d’observateurs ou d’acteurs, comme si Alice observait et jouait en même temps sa propre vie. Le jeu des comédiens et la mise en scène quelque peu enfantine (on croirait parfois qu’ils jouent à la marelle) s’apparentent plus au conte qu’à la tragédie et me permettent d’entrer dans la vie d’Alice à partir de mon imagination. Derrières les anecdotes dont est truffée l’histoire, le sens vient toujours du collectif qui soutient Alice à coup de chansons et de danses. Car à travers l’histoire d’Alice, c’est toute une communauté qui est touchée (de la famille à la société). La force de la mise en scène est à chercher dans cette volonté de nous raconter la trajectoire d’une femme, mais aussi celle d’un groupe dont nous pourrions faire partie. Le tout avec doigté et créativité.
Photo: © Michèle Rossignol
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Dimanche, pendant que vous regardiez peut-être la télé ( !), je m’apprêtais à partir au Théâtre d’Arles pour voir la chorégraphie de Pierre Rigal, « Erection ».
Le KustenFestivaldesArts de Bruxelles nous invite en ce dimanche printanier à la Maison Pelgrims (on dirait l'adresse d'un château hanté !) dans le joli quartier de Saint Gilles. Cette maison, transformée en théâtre, n'accueille que cinquante-cinq spectateurs installés dans le salon. Nous sommes invités à visiter préalablement le musée de cette grande famille argentine dans une petite pièce attenante au salon. Celle-ci va se donner en spectacle sous la houlette du metteur en scène et auteur Ricardo Bartis du Sportivo Théâtral. Il vaut mieux lire la plaquette du Kusten pour savoir où nous mettons les pieds:
Le KustenFestivaldesArts nous invite à l'heure des Vêpres, un dimanche, au Théâtre National de Bruxelles, pour « VSPRS », la nouvelle chorégraphie d'Alain Platel. Celle-ci sera présentée au Festival D’Avignon en juillet 2006. Après Bach (« Lets op Bach »), Mozart (« Wolf »), Platel intègre Monteverdi revisitée par Fabrizio Cassol, compositeur et musicien « éclectique » de la scène musicale bruxelloise. Imaginez?Monteverdi joué par un orchestre de jazz, accompagné par une soprano, entourée de onze danseurs, dans un décor où des lambeaux de tissus forment une montagne que l'on peut escalader et traverser. Ajoutez à ce bouillon créatif, une chorégraphie s'inspirant des films du neurologue Arthur Van Gehuchten sur l'hystérie et ceux de Jean Rouche sur les transes africaines, et vous avez une ?uvre magistrale, transdisciplinaire, euphorisante. Elle atteint votre inconscient, comme un rêve éveillé. La danse flamande et belge bouleverse profondément les repères du spectacle vivant. Ainsi, pour évoquer « VSPRS » de Platel, je dois passer par mon histoire (le blog devient le cadre idéal). Rarement le théâtre m'amène vers ce cheminement.
La cantatrice quitte sa place, s'approche du groupe pour devenir « folle » à son tour. Les musiciens intègrent le groupe, le batteur échange sa caisse contre une chaise tendue par une danseuse. Le lien solidaire entre danseurs et musiciens provoque le sentiment religieux. Le groupe solidaire se substitue à Dieu. Il permet à chacun de se dépasser, d'escalader cette montagne (qu'il y a-t-il derrière elle ?), voire de la traverser. Avec « VSPRS », Platel désacralise les rites religieux pour les replacer au c?ur du groupe, de l'humain. J'en perds tous mes repères. A mesure que le spectacle avance, cette perte provoque l'émotion, me met en « transe ». Grâce à Platel, je vois ce que je ne peux plus approcher par mon passé. «VSPRS» devient alors une ?uvre sublime, à l'image d'une peinture de Michel-Ange à Florence.
Il marche devant la vidéo, puis derrière. Parfois, il est devant et derrière, entre conscience et inconscience. Le dispositif scénique est saisissant de beauté car il dessine un nouveau cadre pour appréhender la complexité. Je me sens sortir de mon conditionnement linguistique (vouloir à tout prix comprendre le sens des mots !). C'est l'articulation entre lui, ses mots et la vidéo qui fait le langage ! Je lâche? 1 + 1 ne fait pas 2 mais 3 ! La réalité n'existe pas. Elle est une construction que nous opérons. Patricia Allio nous aide à élaborer cette réalité pour entrer en relation avec Samuel Daiber, joué par Didier Galas, acteur magnifique. Par sa puissance sur scène, il nous guide à entrer dans son univers, à nous réapproprier ses mots. Sa réalité pourrait devenir la mienne. Je me surprends à l'aimer. Le moment où il évoque la Suisse, métaphore de l'enfermement par ses frontières (qui se dessinent sur l'écran vidéo), provoque l'hilarité ! Jamais on m'avait parlé avec autant de justesse de la Suisse ! Je jubile?Quand il passe de la vidéo à la scène, quand il monte sur la rambarde du théâtre en m'obligeant à la suivre des yeux jusqu'à le perdre, je construis mon propre cheminement. De vertical, je me sens transversal. Et toujours ses mots qui me percutent, me bousculent. Leur sens n'a plus d'importance. Le sens vient de mon ressenti.
Le chorégraphe suisse Thomas Hauert reprend ce soir l'?uvre littéraire d'Oscar Van Den Boogaard pour un spectacle qui s'intitule « Walking Oscar ». La tache est d'autant plus ambitieuse que le travail de l'écrivain est tout sauf linéaire. Oscar Van den Boogaard est du genre à écrire « Je me souviens des difficultés que j éprouvais en tant qu'enfant à rendre la couleur de l'être humain. J'employais du jaune, du rose et du brun, je mélangeais les couleurs, mais jamais je n'arrivais à la couleur de la chair humaine?. ». En gros, il était si frustré qu'il ne coloriait plus la peau et laissait la couleur du papier! Thomas Hauert s'est donc donné pour défi de redonner un peu de sens à cette ?uvre. Le résultat est mitigé.
