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BIENNALE DE LA DANSE ET D'ART CONTEMPORAIN DE LYON LE THEATRE BELGE! PAS CONTENT

La Biennale de la Danse de Lyon jette nos fleurs par la fenêtre.

D’un festival à l’autre, il y a mes passerelles. Elles m’appartiennent et insufflent dans les programmations savantes, des images qui s’incrustent sans crier gare. Ce samedi 15 septembre 2012, le Festival d’Avignon s’invite à la Biennale de la Danse de Lyon, tant les traces laissées par l’artiste plasticienne Sophie Calle sont durables. Cet été, à l’Église des Célestins, «Rachel Monique» fut une grande exposition au coeur d’un festival de théâtre (Au Festival d’Avignon, Sophie Calle: la traversée d’un continent intérieur). Elle y installa différentes oeuvres à la mémoire de sa mère, disparue en 2006 jusqu’à lire et découvrir quotidiennement les pages de son journal intime. Elle créa un lieu de mémoire, de ceux que l’on bâtit pour les grandes causes: elle l’a construit pour sa mère, vers notre destinée. D’elle(s) à nous. À chaque recoin de l’église, nous furent nombreux à nous inscrire dans cette filiation. «Rachel, Monique» n’était ni du théâtre, ni de la danse. Pourtant, combien d’oeuvres du spectacle soi-disant «vivant» sont-elles capables de susciter de telles résonances?

À Lyon, la proposition du plasticien Jan Fabre, «Preparatio Mortis», n’est pas de celles-là. Ce solo pour Lisa May est «dansé» comme un rituel après la mort subite des parents de Jan Fabre. Dès les premiers instants, l’exposition de Sophie Calle s’invite. Là où elle nous accueillait à l’entrée de l’Église avec un grand portrait de sa mère au milieu d’un fracas de vieilles pierres qui faisaient entendre les pages du journal intime, Jan Fabre nous plonge dans le noir, avec une musique d’église aux accents contemporains rapidement insupportables de Bernard Foccroulle. Cette obscurité dictée ne m’éclaire pas. Alors j’attends. C’est ainsi qu’un petit miracle se produit: par la lumière d’un lever de soleil, de longues fleurs bougent à peine et je perçois des figures, une évanescence de corps, de celle que l’on imagine dans les cimetières à la tombée de la nuit. À cet instant, les odeurs de fleurs invoquent le souvenir, presque le chagrin, et notre désir de survivre en convoquant Dionysos! Mais Jan Fabre tend rapidement le mouchoir, de celui que l’on s’empresse de vous donner de peur que vous ne débordiez. C’est alors qu’elle apparait. Lisa May se dévoile, se déterre, s’élève de cette pierre tombale de fleurs, tel un ver de terre. Elle renaît et je ne vois plus qu’elle. Elle fait et je la regarde faire. Elle pose pour Jan Fabre qui ne tarde pas à la posséder pour mieux la déposséder. Comme spectateur, je n’ai pas de place. Sur ce sol jonché de fleurs (la référence aux oeillets de Pina Bausch ne va pas plus loin que de les compter?), elle tourne autour de cette stèle mortuaire cachée par des couronnes fleuries qui peu à peu s’effondre?Je reconnais cette façon si particulière d’occuper l’espace (devant, derrière, au centre), d’hystériser les mouvements (ici les fleurs sont jetées, déchiquetées) à partir d’une gestuelle signifiant la mort par le sexe. Du déjà vu dans «quando l’uomo principale è une donna» où Lisbeth Gruwez dansait sur un sol rendu glissant par l’huile d’olive. Du déjà approché dans «Another Sleppy dusty delta day» où Ivana Jozic, sur un sol jonché de charbon, tentait le suicide par un saut dans le vide. Je reconnais tous les «gestes provocants» de Fabre qui mis bout à bout peine à créer le mouvement d’une faille, d’une incertitude. Il y a toujours ce combat avec le propos qu’il est censé transcender, comme s’il ne voulait rien lâcher. Ce sera une performance. Point. Peu à peu, ces solos tournent à l’obsession : mais de qui, de quoi, Jan Fabre est-il orphelin ?

Le corps entre dans la matière (fleurs, charbon, huile d’olive) mais n’entre pas en matière. Encore moins vers nous. Signifier, installer des évocations mortuaires, est-ce danser? À travers ses «égéries» guerrières, Jan Fabre «installe» sa posture. Que m’importe qu’il puise dans l’histoire des arts pour y trouver ses images et faire son deuil s’il ne les inscrit pas dans un lien généreux avec mon humanité!

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Tandis qu’elle s’installe nue dans un cercueil transparent où des papillons volent et se posent sur la vitre embuée, elle peint avec son doigt. Dans sa caverne, elle crée l’Image, tout en bougeant telle une chenille. Mais précisément: créer l’image ne fait pas Image. Je regarde et me revient le petit cercueil de verre où «Rachel, Monique» reposait en paix. Au-dessus, tel un papillon, le mot «souci» déployait ses ailes de désir.

Je suis déjà parti.  

Jan Fabre a du souci à se faire.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Pascale Logié a écrit un très bel article sur ce spectacle. Un de ces articles que l’on aimerait écrire: http://lilledissidanse.unblog.fr/2010/11/19/preparatio-mortis-jan-fabre/

“Preparatio Mortis” de Jan Fabre. A la Biennale de Lyon du 14 au 16 septembre 2012.

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Festival d’Avignon: les articles auxquels vous avez échappé.

L’heure du bilan du Festival d’Avignon n’est pas encore venue; Mais un fait s’impose. Je n’ai pas écrit sur tout ce que j’ai vu. Et pour cause.

Je n’ai pas écrit sur «My fait Lady, un laboratoire de langues» de Christoph Marthaler. J’ai pourtant hurlé de rire pendant près de deux heures. Mais ma joie était un cache-misère. Le sens de cette pièce a glissé à l’image de cette scène où une actrice descend l’escalier sur la rampe; Était-ce bien opportun d’inviter une fois de plus Christoph Marthaler au festival ?

Je n’ai pas écrit sur «L’orage à venir» de Forced Entertainment. J’ai pourtant hurlé de rire pendant deux heures. Mais ma joie était un cache-misère. Le sens de cette pièce a glissé à l’image de cette scène où une actrice ne cesse de disparaître derrière le piano alors qu’elle veut danser. Était-ce bien opportun d’inviter cette troupe probablement conseillée par Simon McBurney, artiste associé du festival ? 

Fini de rire.                                                           
Je n’ai pas écrit sur «Ch(ose)» et «Hic Sunt Leones» de Sandrine Buring et Stéphane Olry. Être enfumé ainsi au sens propre comme au sens figuré, brouille définitivement la vue pour écrire.
 Je n’ai pas écrit sur «W/GB84» de Jean-François Matignon parce que j’ai déjà beaucoup donné pendant ces deux heures et quarante minutes d’un naufrage théâtral où l’Angleterre Thatchérienne vue par David Peace se noie dans le Woyzecck de Büchner.
Je n’ai pas écrit sur «Est-ce que tu dors ?» de Katya et John Berger.  Cette proposition de médiation culturelle au musée est obscène. Le père la fille ne se rendent même pas compte que leur dissertation d’un niveau terminale sur l’oeuvre d’Andréa MantegnaLa chambre d’amour») ne vise finalement qu’à se coucher dans le même lit. Personne n’a quitté la Chapelle des Pénitents Blancs pour autant?
Je n’ai pas écrit sur «Ten Billion» de Katie Mitchell et Stephen Emmot. Que puis-je en dire ? Faire le compte-rendu de la conférence d’un chercheur? Je ne sais pas écrire s’il n’y a pas d’acteur, pas de dramaturgie. Katie Mitchell pense que l’art n’a plus rien à dire face  à la catastrophe écologique qui s’annonce. Soit. Qu’elle change vite de métier?
 
Fini de se scandaliser.
Je n’ai pas écrit sur “15%” de Bruno Meyssat. Pourtant, j’étais déterminé à le faire. Mais cette vision poétique de la crise de subprimes m’a épuisé tant j’ai cherché le sens de chaque image, de chaque tableau. Tout s’est empilé sans que je puisse trouver une trame dramaturgique qui m’aurait aidé à écrire. Bruno Meyssat et ses acteurs ont beaucoup travaillé pensant probablement que nous étions aussi en recherche sur le sens de cette crise. À une nuance près?nous n’y comprenons rien.
Je n’ai pas écrit sur «Disgrâce» de Kornel Mundruczo. Pourtant, j’étais déterminé à le faire. Pourtant la trame dramaturgique y était. Mais, je n’ai pas été touché par ce regard en biais sur la situation de la Hongrie à partir du roman sud-africain, «Disgrâce» de J.M. Coetzee. C’est une très belle mise en scène, percutante?Mais ma méconnaissance du roman m’a probablement empêché de repérer les subtilités de la mise en scène.
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Je n’ai pas écrit sur «Le berceau de l’humanité» de Steven Cohen. L’occupation du plateau par les objets éloigne du sens, car elle met à distance la relation très forte entre l’artiste et sa «nounou» de quatre-vingt-douze ans présente sur la scène. Parce que Steven Cohen a des «tics» de performeur qui sèment le doute sur sa sincérité. Parce que le théâtre est fragile et qu’il se doit de faire attention avec ses gros sabots?
Je n’ai pas écrit sur l’exposition, «Soyez les bienvenus» de Fanny Bouyagui. Victime de la surmédiatisation des sans-papiers, Fanny Bouyagui documente trop à partir d’entretiens vidéo là où j’aurais préféré une mise à distance, avec plus d’objets plastiques. Qu’il est difficile d’aborder cette question !
Je devais écrire sur «Un ennemi du peuple» d’Henrik Ibsen, mis en scène par Thomas Ostermeier. Mais de jour en jour, je n’ai pas trouvé utile de me mettre au travail ! J’ai détesté la manière dont Thomas Ostermeier s’est emparé du propos d’Ibsen pour nous faire croire qu’il était sien en manipulant le public lors d’une séquence de théâtre participatif assez pitoyable. Dans le roman d’Ibsen, le docteur qui révèle la bactérie présente dans les eaux des Termes de la ville est accusé de fascisme alors qu’il interpelle ses concitoyens dans un meeting. Lorsque Thomas Ostermeier rallume la salle et nous fait participer, il sait à l’avance que la question du fascisme sera abordée. Par contre, que se serait-il passé s’il avait déplacé le propos : «Que deviendrait Avignon sans le festival si une nouvelle grève des intermittents le menaçait?». Il est fort probable qu’Ostermeier serait descendu de son trône pour préserver ce qui pourrait l’être. «Un ennemi du peuple» démontra une fois de plus la représentation que se fait une certaine caste du système «culturel» : le public est une masse informe au service d’un modèle d’autorité épuisé.

Mais nous avons écrit sur:

Olivier Dubois / Au Festival d’Avignon. Secoué.

Nicolas Stemann / Rupture de contrat avec le Festival d’Avignon.

Roméo Castellucci / Au Festival d’Avignon, incritiquable Romeo Castellucci.

Terne bilan chorégraphique au Festival d’Avignon.

Markus Öhrn / Choc au Festival d’Avignon.

Jérôme Bel / Au Festival d’Avignon, l’art brut de Jérôme Bel.

Sidi Larbi Cherkaoui / Au Festival d’Avignon, les trop jolies «Zimages» de Sidi Larbi Cherkaoui.

Sophie Calle / Au Festival d’Avignon, Sophie Calle: la traversée d’un continent intérieur.

Simon McBurney / Au Festival d’Avignon, la Cour dans tous ses états…

Simon McBurney / Au Festival d’Avignon,?Sympathy for the Devil?…Les Rolling Stones.

Au Festival d’Avignon, l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français.

Camille / Ce soir au Festival d’Avignon, la lumineuse Camille.

Steven Cohen / Au Festival d’Avignon, Steven Cohen, vertigineux petit rat des camps?

Régine Chopinot / Au Festival d’Avignon, la triste colonie de vacances de Régine Chopinot.

Mitia Fedodenko / Au Festival d’Avignon, Hamlet, le vrai.

Katia Mitchell / Au Festival d’Avignon, l’ennui comme seule violence.

Lina Saneh et Rabih Mroué / Au Festival d’Avignon, tragique Liban, vital Facebook.

Simon McBurney / Au Festival d’Avignon, l’effondrement.

William Kentridge / Sale temps au Festival d’Avignon.

Pascal Bély, Le Tadorne.

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Rupture de contrat avec le Festival d’Avignon.

Trois années après la crise des subprimes, trois artistes du Festival d’Avignon s’emparent du sujet pour en restituer leur vision: Nicolas StemannLes contrats du commerçant, une comédie économique»), Thomas OstermeierUn ennemi du peuple») et Bruno Meyssat15%»).

Premier épisode avec Nicolas Stemann pour la représentation la plus chère après celles de la Cour d’honneur (entre 29 et 36 €; à ce prix-là, il reste encore des places). Il s’avance sur la scène pour nous prévenir: la pièce est longue (un compteur de pages trône sur le plateau, bloqué à 99) et il n’est pas nécessaire de lire en continu les surtitres (effectivement, le texte d‘Elfriede Jelinek est une interminable logorrhée verbale à propos des conséquences de la spéculation financière sur l’économie réelle). Nicolas Stemann précise que nous pouvons quitter les gradins de la cour du Lycée Saint-Joseph pour nous désaltérer au bar et visionner “les contrats”. Manière élégante pour définir ce spectacle comme une installation.

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Ces principes de précaution étant posés, la pièce peut débuter. Feuillets à la main, les acteurs égrènent le texte tout en le ponctuant de différentes performances. Le mistral s’invite pour faire voler ce texte soporifique en éclats de papier. Les corps des acteurs en disent bien plus que les mots qui défilent tels des cours de la bourse sur les chaines d’information. La succession de performances met en scène les ravages d’un système financier hors de contrôle sur la vie d’un couple de retraités. Je m’ennuie très vite comme si ces images, même métaphoriques, m’étaient familières. En effet, la danse contemporaine et les arts plastiques véhiculent les symboles du corps «marchand» depuis longtemps sans faire explicitement référence à la crise financière. À cet instant, ce théâtre-là n’invente rien. Tout au plus recycle-t-il des procédés scéniques au profit d’un texte bien heureux d’être ainsi valorisé! L’absence de dramaturgie provoque la farce, malgré de «belles images» de corps ensanglantés, de corps crucifiés à la dérive et de scènes de boulimie de billets de banque qui tournent au vomi…

Lassé, je prends la tangente vers le bar où le prix des consommations n’a rien à envier à ceux pratiqués sur la Place de l’Horloge. On y discute, mais de quoi? Des spectateurs naufragés (couverture sur les épaules) errent dans le jardin, mais vers où? Étrange image que ces attroupements comme si le besoin de lien social prenait le pas sur les performances! Est-ce une métaphore de notre (in)conscience face à la crise? Je décide de ne pas regagner ma place. Je me positionne à l’entrée du couloir entre scène et jardin, tel un observateur attentif pour ne rien perdre de mon regard critique. Situation totalement inédite en vingt ans de fréquentation du Festival! Je savoure cette liberté…

C’est alors que Vincent Macaigne (metteur en scène d’un Hamlet décapant lors de l’édition de 2011 du Festival) s’insurge dans les gradins. Il veut stopper la pièce. De ma place, je comprends très vite que c’est un jeu de rôles calculé. Il finit par monter sur le plateau. La scène est assez pathétique: désinvolte, il semble découvrir le  texte. Mon attention est détournée par un enfant «comédien» (précédemment déguisé en superman) qui quitte le plateau par les coulisses. C’est la fille de Vincent Baudriller, directeur du Festival d’Avignon. Ainsi, la farce tourne vite à la mise en scène d’un milieu qui jouit du désordre généré par la crise (ici symbolisé par l’éclatement de la représentation où la performance et les arts plastiques prennent le pouvoir sur la dramaturgie). Aucun système de pensée n’émerge de ce théâtre, tout au plus une amusante dynamique d’un «jeu de rôles» où le spectateur non averti ignore des enjeux (par quel processus cet enfant est-il arrivé sur scène? Que se joue-t-il entre Vincent Macaigne, Nicolas Stemann et la Direction sachant que le lendemain, on me dit que Stanislas Nordey, artiste associé en 2013 du Festival, endossera le rôle?). Il y a dans ces «contrats» bien d’autres «transactions» et d’autres «comédies économiques» où le public n’est finalement qu’une variable d’ajustement: ses déplacements sont même orchestrés à des fins de mise en scène (fuite au-dehors ou vers le bar; qu’importe !).

Au Théâtre des Idées, événement programmé au sein du Festival, Clémence Hérout rapporte dans son blog l’intervention d’Alain Badiou: «Le théâtre représenterait ainsi la tension entre transcendance et immanence de l’idée». Ce soir, nous en sommes très loin. Infiniment loin. Comme si la crise de 2008 avait réussi à faire plonger certains artistes joliment subventionnés dans la mise en scène du cynisme avec une esthétique irréprochable pour amuser le bourgeois à défaut d’inviter le peuple à réfléchir sur son avenir.

Pascal Bély, Le Tadorne.

«Les contrats du commerçant, une comédie économique» de Nicolas Stemann au Festival d’Avignon du 21 au 26 juillet 2012.

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Terne bilan chorégraphique au Festival d’Avignon.

Trois chorégraphes ont été artistes associés au Festival d’Avignon. Jan Fabre en 2005, Joseph Nadj en 2006 et Boris Charmatz en 2011. Au final, quelles traces ont-ils laissés dans ce festival prestigieux reconnu surtout pour son engagement dans la création théâtrale? Quelle représentation se font les directeurs, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, d’un art qui irrigue la création contemporaine par ses prises de risques?

Jérôme Bel et Steven Cohen s’inscrivent dans la ligne promue par la direction depuis 2004 : le premier interroge les codes de la représentation pour une danse engagée, décomplexée (Au Festival d’Avignon, l’art brut de Jérôme Bel). Le second métamorphose le corps intime pour nourrir notre mémoire collective autour de la Shoah (Au Festival d’Avignon, Steven Cohen, vertigineux petit rat des camps). Quant à Mitia Fedotenko dans le «Sujet à vif», il a réussi son pari artistique avec François Tanguy: celui d’oser chorégraphier un Hamlet déchiré entre le Danemark et la Russie de Poutine (Au Festival d’Avignon, Hamlet, le vrai).

Pour le reste de la programmation, le bilan n’est pas bon. Le refrain est toujours le même à savoir une danse cérébrale, célébrant les bons sentiments, s’enfermant dans une esthétique  influencée par les arts «plastiques» où le corps n’est que matière. Pour la première fois cette année, la danse ne se permet plus de penser la complexité.

Je ne m’étendrais pas ici sur le spectacle caricatural de Régine Chopinot. «Very Wetr !» n’avait pas sa place à Avignon  (Au Festival d’Avignon, la triste colonie de vacances de Régine Chopinot). L’absence de création chorégraphique associée à une posture autoritaire à l’égard des danseurs kanaks a jeté le trouble. Pourquoi la danse est-elle réduite en un divertissement folklorique pour chorégraphe en quête de reconnaissance ?

J’ai refusé d’acheter mon billet pour «Puz/zle» de Sidi Larbi Cherkaoui à la Carrière de Boulbon. Mon chemin s’est durablement éloigné de ce chorégraphe enfermé  dans un propos teinté de bons sentiments. Une belle danse qui tourne souvent à vide. Bernard Gaurier, contributeur pour le Tadorne, a vu : «Dans ce Puz/zle rien ne permet à nos pierres de rencontrer celles du lieu, nous sommes « trop » dans le spectaculaire pour trouver un espace où entendre se démêler nos enchevêtrements» (Au Festival d’Avignon, les trop jolies «Zimages» de Sidi Larbi Cherkaoui) .  

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De son côté, Joseph Nadj nous  propose, un «Atem le souffle» pour le moins hermétique. Comment suivre ce bel homme dans sa quête spirituelle, dans sa lecture complexe de l’une des oeuvres majeures de Dürer, «Melencolia» (1514)? Avec Anne-Sophie Lancelin, ils forment un couple étrange à transformer leur minuscule espace en toile de maître et musée de leurs obsessions. Peut-on accompagner quelqu’un dans un pèlerinage ou qui prie dans une église? C’est le type de chemin que je ne veux plus emprunter: celui d’un enfermement là où je réclame un espace ouvert pour penser en mouvement.

Nacera Belaza m’avait époustouflé avec «Le cri» en 2009. Cette année, elle nous propose «Le trait». oeuvre rectiligne qui ne mène nulle part. Découpé en trois tableaux, le premier est pourtant de toute beauté. Deux hommes dans un carré entrent en transe. Leur tête désarticulée commande une énergie verticale qui voit peut à peu leurs corps ancrés dans le sol se libérer. Mais les deux soli qui suivent reprennent largement le propos de ses anciennes créations. Nacera Belaza revient trop vite au Festival. Son image en a pâti: de nombreux spectateurs n’ont pas compris pourquoi ils devaient payer une place pour une ébauche de projet.

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Deux soli ont conquis le public, mais m’ont laissé perplexe. Le premier de Christian RizzoC’est l’oeil que tu protèges qui sera perforé») où Kerem Gelebek évolue dans un espace qu’il transforme peu à peu. Poème sur l’exil, le danseur métamorphose l’écriture de Christian Rizzo connu pour ses pauses au croisement de l’art plastique et chorégraphique. Mais rapidement, le malaise s’installe malgré un engagement esthétique évident: le mouvement est au service d’une «installation» où l’on passe trop vite d’un «ici» à un «là». La danse élabore trop, sculpte trop l’espace pour que je puisse me laisser apprivoiser: entre lui et moi, il y a Christian Rizzo et ses désirs de plasticien. La danse de Kerem Gelebek manque d’énergie pour m’aider à comprendre ce qu’exil veut dire pour un corps contraint au déplacement.

Le deuxième solo est une jolie «ficelle», un peu trop grosse à ma vue de spectateur fidèle du festival.  Romeu Runa est un danseur des Ballets C de a B. Nous l’avions repéré en «Out of context (for Pina)» où sa gestuelle désarticulée proche du langage du fou avait étonné. Échappé de chez Alain Platel, il la reproduit avec le chorégraphe Miguel Moreira. Toujours produit par les Ballets C de a B, «The old King» est un solo siglé “Platel” telle une marque de fabrique que l’on me ressert chaque année. Avec cette danse très consensuelle qui produit son lot d’images, chacun peut puiser pour faire sa petite histoire. Alain Platel devient ainsi le «fournisseur officiel» du Festival d’Avignon.

À une semaine de la fin du Festival, il ne reste plus qu’Olivier Dubois avec «Tragédies» pour sauver ce qui peut l’être. Après «Révolution» et «Rouge», il devrait provoquer le choc dont nous avons besoin. Car jusqu’à preuve du contraire, la danse est l’art de l’intranquillité.

Pascal Bély , Le Tadorne.

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Au Festival d’Avignon, les trop jolies «Zimages» de Sidi Larbi Cherkaoui.

Dans le cadre magnifique de Boulbon, Sidi Larbi Cherkaoui nous propose un «Puz/zle» d’une grande beauté. Trop, justement. Les images finissent par se tuer toutes seules, et l’on fini par trouver la proposition interminable! Dommage, tous les éléments sont là pour r/éveiller l’émotion, mais ce tout se fait lourd. On est envahi par l’esthétique et par l’accumulation de propos qui en deviennent clichés. On se retrouve happé par une lecture de premier degré trop imposée, empêchant de se laisser aller à des «voyages» plus intimement propres à nous mettre en marche.

Dans ce «Puz/zle» rien ne permet à nos pierres de rencontrer celles du lieu, nous sommes «trop» dans le spectaculaire pour trouver un espace où entendre se démêler nos enchevêtrements. Trop d’évidences nous bloquent pour déconstruire «palais» et «forteresses» afin d’y rencontrer un tangram-puzzle à agencer d’autre manière que celles dessinées. La belle danse du chorégraphe ne porte pas d’ouverture tant elle est enfermée dans un propos trop abondant, trop lisible et référencé. Le songe est impossible.

Pourtant la première scène est de bon augure. Sur la pierre, les images en boucle d’un musée vidé de son contenu. J’entends s’ouvrir  l’invitation à repeupler ces salles en voyageant au gré du temps «puzzlé» pour déconstruire, construire, reconstruire, créer. J’entrevois que cet espace m’est ouvert pour y déposer les «oeuvres» qui m’ont conduit jusque-là, pour y inviter les êtres chers et chair croisés sur le chemin à figurer traces et signatures de mon musée. Ouverture? Du corps, de la voix, Boulbon va raisonner de nos singularités pour s’ouvrir pluriels.

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Très vite, l’enfermement. Des Histoire(s) écrite(s), imposée(s). Pierres aux multiples noms d’un Dieu. Pierres fléaux et armes des humains en détresse ou en lutte. Pierre in-tranquille tant on la veut en mouvement, ordonnée, en mathématique avec probabilité calculée pour agencer des palais pacotilles, blocs destinés à porter la gloire un peu plus haut, illusoires abris aux corps friables. Alors la vague des corps «achoppe» en «angularité» et seule la voix porte encore le possible des mélanges. Axes étrangers perdant l’accord possible. Le groupal n’a pu trouver son langage «partagé» autrement que dans l’agencement de blocs de fausse pierre et dans une succession de soli. Dans ce travail, les corps en voix s’accorde et «font» «spectacle».

Mais, les corps en danse sont perdus dans le beau geste à ne plus être que des corps dé-singularisés en performances collectives commandées et de fait en désordre au milieu d’un «Kapla» géant. Les découpes de pièces d’un puzzle sont toutes en rondeurs. Ici en lieu des courbes ondulatoires, pourtant toutes en puissance chez Monsieur Cherkaoui, je n’ai trouvé en écho à la barre séparant les deux Z du titre, qu’une zébrure noire ou blanche séparant les hommes en bande solitaire.

Boulbon ce soir m’a été amer et le temps interminable. En ce lieu minéral, aucun son de corps n’a frotté le roc «en vrai même pour de faux» afin d’offrir en harmonie à ces polyphonies du mélange vocal autre chose qu’un mur, pour de faux, en vrai désincarné.

Bernard Gaurier, Le Tadorne

«Puz/zle» de Sidi Larbi Cherkaoui, Carriére de Boulbon du 10 au 20 juillet 2012 dans le cadre du Festival d’Avignon.

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FESTIVAL D'AVIGNON PAS CONTENT THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Au Festival d’Avignon, l’inquiétante dérive d’un certain théâtre français.

Après une semaine au Festival d’Avignon, une évidence s’impose: le théâtre français que l’on m’a proposé est en crise et porte les stigmates d’un système culturel sans vision qui s’enferme dans un entre soi parisien terrifiant. Nous sommes très loin des créations allemandes, flamandes et d’Amérique du Sud qui percutent, embarquent les spectateurs dans un jeu où le corps rivalise avec le texte au profit d’un propos. Ce que j’ai vu à Avignon est profondément mortifère, ancré dans un théâtre où la forme, les effets visuels prennent le pas sur tout le reste. À chaque représentation, je ne me suis jamais ennuyé, séduit par une approche «produit» déconnectée du sens. Je me suis ressenti consommateur, mais jamais sujet.

J’ai subi «La faculté», mise en scène d’Éric Vigner à partir d’un roman de Christophe Honoré, thriller théâtral porté par les jeunes comédiens de l’Académie du CDDB- Théâtre de Lorient. Ici, la mise en espace (la cour du Lycée Mistral transformé en immense plateau de sable fin) s’est substituée à la mise en scène posant l’arrogance comme unique relation avec le spectateur.

Dans «La nuit tombe» de Guillaume Vincent, je n’ai même pas frémi à ce thriller théâtral (encore un !) dans lequel l’auteur – metteur en scène s’amuse à se faire peur. Avec comme décor une chambre d’hôtel, il emboîte différentes situations à partir d’un lien binaire comme seul ressort dramaturgique.

Dans «Six personnages en quête d’auteur» de Pirandello, le metteur en scène Stéphane Braunschweig semble s’être beaucoup préoccupé de faire «vrai» au détriment d’une conduite d’acteurs livrés à eux-mêmes dans une scénographie censée faire sens à elle toute seule.
Dans «Plage ultime» de Séverine Chavrier, un collectif d’acteurs trentenaires dépressifs s’enferme dans une vision romantique du monde dans laquelle nous observons à défaut d’être ému (ce dernier point étant un détail pour la metteuse en scène).
Mais de quels maux souffre donc ce théâtre? En premier lieu, tout est cérébralisé: le corps supporte le texte, mais ne le porte pas. Le jeu s’enferme dans la déclamation (dans «Six personnages…», on frôle même la caricature), dans une scénographie sophistiquée qui nous impose  des acteurs posés comme des pions (dans «La Faculté», ils passent plus de temps à se déplacer qu’à créer du mouvement). Affublés pour certains de micros, immergés dans un dispositif vidéo leur faisant concurrence, l’environnement technologique leur impose un tempo nous empêchant de ressentir la chair. On se contente tout au plus d’allures. Dans «Plage ultime», je peine même à identifier qui joue!
C’est un théâtre du comportement là où le théâtre européen nous avait habitués à un corps performatif, engagé. En 2012, les acteurs français ne transpirent pas. Ils ne sécrètent rien, car asséchés par les reflets de leurs miroirs.
J’ai été particulièrement étonné par la sophistication de la scénographie inspirée d’une culture du «design relationnel» là où le théâtre a me semble-t-il besoin d’objets signifiants (ou flottants). Nos metteurs en scène semblent très influencés par les ressorts de la téléréalité où il convient de faire «vrai» au détriment de la poésie. Nous sommes très loin des chaises de Pina Bausch, du mobilier recyclé du théâtre argentin, des objets d’art du théâtre belge. Cube blanc, table sans âme, échafaudage, décor en carton-pâte d’un cinéma de série B peinent à relier corps et dramaturgie pour des textes très plats. Serions-nous à ce point en panne d’auteurs pour subir une écriture démonstrative, explicative, si peu poétique (mention toute spéciale à Christophe Honoré et Guillaume Vincent). D’ailleurs, ces quatre mises en scène font souvent diversion à partir d’artifices répétitifs (provoquer constamment la peur dans «La nuit tombe», impressionner en convoquant un gros camion et des motos sur le plateau de «La Faculté», déplacer en permanence le décor dans «Plage ultime» pour «mettre» en scène, utiliser la vidéo pour fabriquer le 4ème mur à défaut de l’incarner dans «Six personnages..“). J’ai d’ailleurs été frappé par la façon dont ces quatre metteurs en scène structurent leur dramaturgie. Tout au plus deux ou trois “jeux” déclinés à l’infini jusqu’à donner  l’impression d’être pris dans un engrenage sans fin. On «fabrique» un théâtre  qui impose une «mécanique» de jeu au détriment de l’improvisation et du plaisir d’être sur scène. Je finis même par ressentir le cynisme comme unique forme d’engagement politique.
Jour après jour, le lien entre ces quatre oeuvres forme un étrange paysage: celui d’un théâtre d’État, de commande, qui permet probablement aux institutions d’avancer leurs pions dans un jeu d’échec où le public n’est qu’une variable d’ajustement. La question n’est plus de savoir s’il y a ou pas prise de risque dans un changement de paradigme (ce questionnement est au centre des propositions d’Angélica Liddell, Thomas Ostermeier, Roméo Castellucci, Rodrigo Garcia, …). Cette année, au Festival d’Avignon, un petit cercle d’auteurs et de metteurs en scène impose leur vision consumériste du théâtre, celle qui leur permet d’afficher un produit sans odeur, sans matières qui tâchent, sans fuite pour être aisément exportable sur des scènes dépolitisées.
Ainsi, le spectateur se trouve privé d’interroger leur légitimité puisqu’il n’est jamais interpellé.
Pascal Bély – Le Tadorne.
« Six personnages en quête d’auteur », mise en scène de Stéphane Braunschweig du 9 au 19 juillet 2012.
«  La nuit tombe » mise en scène de Guillaume Vincent du 10 au 18 juillet 2012.
« Plage ultime » mise en scène de Séverine Chavrier du 9 au 15 juillet 2012.
« La Faculté », mise en scène d’Éric Vigner du 13 au 22 juillet 2012.
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L’indigne colonie de vacances de Régine Chopinot.

À la sortie de «Very Wetr !» de Régine Chopinot, nous sommes quelques spectateurs réunis à nous soutenir après ce que nous venons de voir. Nous sommes éberlués. Atterrés. Mon corps en tremble presque: rarement la danse n’est allée aussi loin dans un propos aux relents colonialistes, voire racistes. Car comment ne pas ressentir dans cette proposition l’inacceptable? Que se passe-t-il pour qu’une partie du public se prête à des applaudissements si complaisants? Comment écrire sur un spectacle que je n’aurai jamais dû voir?

Madame Chopinot a passé du temps en Nouvelle-Calédonie pour réussir à (re)venir vers nous avec onze danseurs. Ce qui frappe d’emblée, c’est le contraste entre elle et eux. Il ne cessera de s’amplifier tout au long du spectacle. Tous affublés de costumes de Jean-Paul Gaultier, on hésite entre rire et pleurer: que peut bien signifier ce déguisement grotesque? Reconnaissons que le couturier a eu la main très lourde sur Régine Chopinot : cuir de moto, fesse façon Robyn Orlin, et coiffe de paille style «Marie-Antoinette avant la décapitation». Cette dernière image me poursuivra jusqu’au bout. Concernant les autres danseurs, je suis frappé par la manière dont les corps des femmes sont traités : enserrés, empêchés de la tête au pied, plastifiés. Les hommes sont un peu mieux lotis pour qu’ils soient à leur aise dans leur montée aux arbres. Il faut ne rien comprendre à la danse, art de la métamorphose, pour la contraindre ainsi. Il faut ne pas entendre une culture pour la customiser de cette façon.

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C’est une prise de pouvoir. Presque assumée, voire revendiquée. Il y a Madame Chopinot qui lit un texte sur son IPAD: elle y évoque sa rencontre avec la culture kanake et enfile quelques perles sur la différence. Elle ne lit pas, mais se regarde dans un miroir où son petit doigt glissant lui donne la contenance offerte par l’outil technologique face à ceux qui ne l’ont pas. Elle se positionne à plusieurs reprises sur un tabouret. Elle n’a pas osé le trône. Mais son visage et sa gestuelle ne trompent pas lorsque son regard glacial et suffisant croise les interprètes qui se présentent face à elle comme à la Cour. Telle une reine déchue, elle s’accroche à ce qui lui reste de son pouvoir tandis qu’à l’extérieur, la danse contemporaine s’est depuis longtemps affranchi d’une telle relation descendante entre un chorégraphe et ses interprètes. Mais pas elle. Elle s’y croit encore. Jusqu’à ce chant sur «Madame Chopinot» qu’elle écoute avec jouissance. Le groupe est son deuxième miroir?

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Ils dansent avec parfois un bruit de fond d’avion prêt à atterrir. Je pense aussitôt à ses descentes de chef d’État quand, au pied de la passerelle, des groupes locaux folkloriques font le comité d’accueil. Ce soir, Régine Chopinot orchestre de multiples descentes aux enfers. Elle ose tout, comme cette partie de foot entre hommes tandis que les femmes assurent l’ambiance…comme cette  montée sur le platane! Après qu’ils aient fait place nette, elle assume même un mouvement dansé décalé, bien occidental. À aucun moment, elle ne se mêle au groupe. C’est probablement sa vision de la différence: scénographier la frontière, sculpter l’espace pour que l’on n’oublie jamais la grande chorégraphe qu’elle fut, structurer le groupe autour de la tribu, organiser les déplacements dans le rectangle, en rang, pour danseurs obéissants.


Je suis au premier rang. Je vois leurs visages. Ils sont tristes. Leurs regards sont ailleurs. Ils ne sont pas là. Je n’ai aucune peine à imaginer ce qu’ils endurent ce soir à jouer cette danse sous les cocotiers face à un public majoritairement blanc qui trouve cela si exotique pour applaudir entre les scènes. Il n’y a aucun propos artistique: juste une démonstration brute de différents aspects d’une culture chorégraphique sans aucune dramaturgie sauf celle de saluer le grand retour de Madame Chopinot sur le devant de la scène. Il n’y a rien de ce qui fait un spectacle au Festival d’Avignon: une création, une prise de risque, une esthétique innovante au service d’un propos lisible et assumé. Rien. Juste une danse métamorphosée en folklore où ressurgissent nos relents colonialistes.

Madame Chopinot célèbre notre inconscient colonial. Avouons que c’est tristement bien fait.

Pascal Bély – Le Tadorne.

Pascal Bély, « Very Wetr !! » au Festival d’Avignon du 9 au 16 juillet 2012.

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Au Festival d’Avignon, l’effondrement.

À peine le spectacle «Le maître et Marguerite» du Britannique Simon McBurney a-t-il commencé dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes que je m’inquiète. Comment me concentrer sur la mise en scène alors que les surtitres sont aux deux extrémités du plateau et que je suis au centre? Quelle gymnastique vais-je devoir trouver pour vivre ce spectacle parce que Monsieur McBurney ne veut pas déstabiliser son gigantesque dispositif vidéo? La question serait sans importance pour une pièce facile à «lire». Sauf que «Le maître et Marguerite» est un roman complexe. Écrit par Mikhaïl Boulgakov, il connut plusieurs versions avant d’être définitivement publié peu après sa mort en 1940. Il restera longtemps interdit par le pouvoir soviétique. Et pour cause: ce pamphlet contre le totalitarisme communiste est composé d’incessants allers-retours entre plusieurs contextes. D’abord avec la vie d’un couple où “le maître” est un  écrivain torturé épris d’amour pour Marguerite, femme aimante et courageuse qui affronte la lâcheté du pouvoir. Puis avec un «collectif» d’écrivains revendiquant la liberté, car soumis aux caprices de la censure qui les mèneront vers la mort ou l’internement en hôpital psychiatrique. Et enfin avec Jérusalem à l’époque de Ponce Pilate où celui-ci ressentait un certain «trouble» dans sa relation de pouvoir avec Jésus. Simon McBurney renverse donc la commode de ce roman à tiroirs et m’invite à m’emmêler dans ses noeuds pour les dénouer, me nouer à nouveau et me relier. A ce jeu-là, ce n’est plus une gymnastique, mais une torture qui navigue entre plaisir, fascination et colère.

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Car ce metteur en scène a plusieurs cordes à son arc pour me séduire par un théâtre d’effets qui, telle une piqûre paralysante, me sidère avant que je reprenne conscience de mon regard critique. Il est un incroyable manipulateur qui articule comme par magie les mouvements de seize comédiens avec des décors d’une belle légèreté et des projections vidéos sur le mur de la Cour qui réduisent la distance avec la salle. Tout semble sur roulettes et donne l’étrange impression que chaque élément humain et matériel glisse, vole et qu’il est flambeau pour éviter toute rupture. On s’approche d’une fresque, d’un dessin animé, d’une performance picturale quand les corps nus mettent l’âme à nue, lorsque la crucifixion du Christ répond au désespoir de Marguerite. «Le Maître et Marguerite» est un espace symphonique où chaque acteur est élément d’une partition destinée à élever la conscience pour s’échapper d’un système totalitaire. Je reconnais là sa virtuosité qui m’avait emporté en 2010 au Festival d’Automne avec «Shun-Kin» où son génie de marionnettiste avait fait merveille.

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Je suis rapidement perdu, mais je me laisse porter par les images en 3D d’un Google Mapp de Moscou, par la neige qui balaie le mur, par ses métamorphoses jusqu’à son effondrement (les pierres du Palais nous tomberaient presque dessus). Mais l’ensemble m’éloigne un peu plus du jeu théâtral surtout quand la vidéo se substitue à la danse, quand la musique devient autoritaire. Des longueurs s’installent parce que le sens s’échappe: celui-ci a besoin de dépouillement jusqu’au nu (suffit-il de peindre le corps en bleu de Marguerite pour faire penser à Matisse?). Il requiert un espace mental pour laisser le spectateur interroger ses désirs et non faire diversion en permanence parce que Simon McBurney est à la peine pour s’y retrouver. Peu à peu, je passe mon temps à enlever le feuillage pour repérer une clairière dans une forêt aux multiples dimensions et y ressentir le corps du texte, la chair des corps au croisement de la religion, du pouvoir, de l’amour et de l’art. Peu à peu, le dispositif scénique m’assiège à l’image de la censure soviétique: «c’est ici qu’il faut voir», me gueule Mc Burney. La Cour est son IPAD géant qui finit par me glisser dessus. Ce déluge de moyens est un théâtre qui mobilise la pulsion, la même qui nous conduit dans les pièges posés par le consumérisme le plus abject. Simon McBurney est certes inventif, mais ce qu’il fait passer pour de l’innovation n’est qu’un recyclage d’images digérées par la société de consommation qu’il érige en système de pensée pour voir le beau.

A la perte du texte, est venue s’ajouter peu à peu la disparation ce qui fait corps entre la scène et moi.

Inqualifiable.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Le Maître et Marguerite » par Simon Mc Burney dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes du 7 au 16 juillet 2012.

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Au Festival d’Avignon, l’ennui comme seule violence.

Die Ring des Saturn” («Les Anneaux de Saturne»), mis en scène par la Britannique Katie Mitchell, tourne essentiellement autour d’une fausse bonne idée. Le spectacle consiste en l’adaptation d’un roman de l’écrivain W. G. Sebald, récit mené à la première personne, plongé dans la conscience du narrateur-personnage sous forme de monologue intérieur. Le texte, sinueux, foisonnant, est de toute beauté, et l’on comprend aisément ce qui a pu pousser la metteuse en scène à l’adapter. Le narrateur évoque son errance le long de la côte anglaise au sud de la ville de Norwich, les réminiscences suscitées par la promenade (Première, Seconde Guerre mondiale, attaque des Hollandais au XVIIe siècle, etc.) mais aussi des considérations sur l’avenir de la planète, rendu incertain par les changements climatiques. Ces diverses pensées se muent en véritable investigation philosophique qui permet à l’auteur de développer sa théorie sur la relativité du temps (le passé est produit par la mémoire. Le futur consiste en nos désirs ou nos craintes. Seul le présent existe, nous dit-il). Elles font également basculer le récit à de nombreuses reprises dans le registre de l’étrange, lorsque la distinction entre réel et imaginaire se brouille pour le narrateur et les lecteurs-spectateurs.

La nature même du texte, abstraite, solennelle, pour ne pas dire austère, rend le pari de la mise en scène particulièrement risqué, tant il est aux antipodes de ce qui relève du spectaculaire. La mélancolie du propos, la monotonie de la prosodie, la quasi-absence de personnages, et surtout, le fait que tout n’est que projection, visuelle ou imaginaire, issue de l’esprit du narrateur (voire de l’auteur) rendent forcément difficile à résoudre la question de l’incarnation. C’est là justement que Katie Mitchell tente de déjouer les attentes. Alors que de nombreux metteurs en scène auraient conçu une mise en scène classique autour d’un comédien qui donnerait corps et voix à celle du narrateur, la Britannique cherche à éviter cette facilité : on trouve avant tout, sur scène, des “acteurs”, davantage que des comédiens. Par acteur, il faut entendre des personnes qui agissent, au sens propre du terme. Au premier plan, se trouvent des musiciens (pianiste, programmatrice), trois lecteurs qui se succèdent à intervalles réguliers pour donner voix au texte, et des “faiseurs de bruits” (parfois les mêmes que les lecteurs) qui tentent de recréer la perception auditive de ce qui est énoncé. Trois grandes images projetées en haut du mur se chargent de diffuser en noir et blanc la vision produite par le texte. Enfin, l’arrière-plan cache une chambre d’hôpital, où un homme (l’auteur? le narrateur?) est alité, immobile, le regard dans le vide. Tel un rideau de théâtre, une porte s’ouvre de temps à autre pour nous révéler cet espace. Le seul comédien n’a pas d’identité clairement définie, même si l’on peut supposer qu’il s’agit de Sebald, et il ne fait, pour ainsi dire, qu’acte de présence.

Par ce dispositif, Katie Mitchell a donc choisi de fragmenter la perception du texte et du monde pour éviter, sans doute, une sorte d’illusion référentielle, justement dénoncée par ce texte même. Le problème est qu’elle la retrouve comme malgré elle. Ce retour du refoulé est même particulièrement violent, hélas, pour le spectateur, la violence prenant ici la forme de l’ennui. L’écrit est omniprésent et pour les non-germanophones, la majeure partie de la pièce consistera à lire une traduction projetée sur deux grands écrans noirs situés aux extrémités de la scène. Lire le texte, donc, mais aussi entendre des bruits d’eau, de pas, de vent, de porte ouverte, fermée, etc., c’est-à-dire l’incarnation la plus littérale, la plus signifiante, la plus réaliste qui soit.

Outre le fait qu’il est difficile à la fois de lire et d’observer les “faiseurs de bruits” accomplir leur tâche (pourquoi alors les montrer sur scène ?), ce choix réintroduit un rapport au réel d’une grande naïveté. Qu’apporte par exemple le bruit d’une ouverture de canette à la mention de cet épisode dans le texte, si ce n’est l’impression dérisoire d’un dispositif inutile ? À deux reprises, les “faiseurs de bruits” cessent leur activité, se tiennent de profil et entament le même geste : le bras droit se soulève, la main vient masquer le regard. On en vient à se demander s’il ne s’agit pas là d’un signe adressé au public pour qu’il fasse de même. La vidéo n’est pas en reste, qu’elle diffuse des images produites en direct ou tournées auparavant. Ce dispositif visuel, déjà vu mille fois, erre dans les mêmes contradictions que déjà mentionnées: il tente de donner à voir le monde et le texte, filtrés par la poésie de l’image. Mais suffit-il d’un noir et blanc rendu flou par la pluie ou d’un plan fixe sur un regard perdu dans le vide pour faire ?uvre poétique ?

Peut-être aurait-il été plus intéressant de poser de façon scénique la question de l’univers mental du personnage, sans se soucier d’un théâtre à effets de réel. Il ne suffit pas de fragmenter un effet pour le faire disparaître : il faut inventer d’autres formes, d’autres façons de faire sentir l’errance, l’exil, thématiques à l’?uvre aussi bien dans la vie de Katie Mitchell (Britannique vivant à Berlin) et de W. G. Sebald (exilé allemand en Angleterre) que dans leurs productions.

Sylvain Saint-Pierre, Le Tadorne

Katie Mitchell sur le Tadorne:  Au Festival d’Avignon 2011, le théâtre crève l’écran.

“Les anneaux de Saturne” mis en scène de Katie Mitchell au Festival d’Avignon du 8 au 11 juillet 2012.

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Sale temps au Festival d’Avignon.

Le Festival d’Avignon suppose des prises de risques. Elles sont d’autant plus fortes qu’elles sont liées avec le positionnement de «l’artiste associé» qui ne vient généralement pas seul: accompagné de son réseau, le metteur en scène britannique Simon Mc Burney parsème cette année la programmation de propositions d’amis. Une d’entre elles ne franchirait probablement pas les jurys de nos chers programmateurs français. Et pour cause.

«Refuse the Hour» (la négation du temps) du Sud-Africain William Kentridge étonne d’emblée: musiciens et acteurs palabrent pendant que nous prenons place. L’ambiance festive et les costumes colorés m’évoquent immédiatement la chorégraphe Robyn Orlin avant que l’image ne soit chassée par d’autres: celles de l’opéra loufoque «Via Intolleranza II» de Christoph Schlingensief joué en 2010 au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles où il s’amusait à comparer l’Europe Culturelle à l’Afrique créative. Une autre image percute: celle de l’installation vidéo de William Kentridge  pour la dOCUMENTA de Kassel qui m’avait particulièrement étonné le mois dernier. Elle y évoquait notre soumission au temps mécanique, celui de nos «urgences» à désirer inconsciemment faire exploser le temps du sens. La plupart des animations vues à Kassel sont intégrées à «Refuse the Hour», commande du Festival d’Avignon. Et puis il y a ce décor totalement fascinant: en levant la tête, un orchestre mécanique à l’envers avec tambours et trompettes trône prêt à faire tomber sur nos têtes une pluie de notes sur nos rêves de partitions. Je pense alors au piano majestueux d’Heiner Goebbels vu à Avignon il y a quelques années.

Me voici donc accueilli: reliant ce plateau animé avec de belles références, je suis prêt à me laisser aller pour entrer dans ce concert de mots et de sons nés des dialogues de William Kentridge avec le physicien Peter Galion, le compositeur Philip Miller, la chorégraphe Dada Basilo et la vidéaste Catherine Marburg. Mais je déchante très rapidement. À peine l’acteur s’avance-t-il avec son carnet nous pour faire sa leçon (elle traverse le temps des mythes, celui des colonies, de Paris,…) que je ressens l’impasse de la proposition. L’absence de dramaturgie ne permet pas d’articuler les différents langages (opéra, danse, installation, vidéo), se contentant de les accumuler. Ce qui ne peut-être «joué» sur scène est projeté à partir des vidéos de Kassel. On passe de l’écran à l’orchestre, de l’opéra à la danse, de la performance à la narration par une mécanique de la représentation très vite ennuyeuse: le temps de l’installation de Kassel peine à s’inclure au temps théâtral. Un comble pour une oeuvre censée nous faire réfléchir sur la relativité du temps scientifique qui s’impose à nous dans nos contextes…même au théâtre! William Kentridge «organise» la démonstration tel un «curator» d’une salle d’exposition d’arts pluridisciplinaires sauf que nous sommes assis, sans possibilité de nous mouvoir pour entrer dans le temps de la contemplation, de la divagation, de la danse partagée. Ne fallait-il pas envisager une performance participative avec les spectateurs? Rien n’encourage le rêve pour ressentir l’époque où, enfant, nous nous émerveillions à poser des questions incongrues pour y trouver des réponses imaginaires incomprises des adultes (entendu l’autre jour dans le train : «Dis maman, pourquoi une minute ne fait qu’une minute alors que ça passe trop vite»). De tout cela, je n’ai rien tant «Refuse the Hour» démontre, mais ne «joue» pas. L’oeuvre n’est qu’un cours récréatif à défaut d’être transcendant. Le temps s’allonge tellement que l’ennui n’en finit plus.

Cette proposition est  le fruit de l’orgueil: William Kentridge pense qu’il suffit de traverser les arts pour les imposer sur scène. Sauf que la scène n’est pas là où il croit la dompter.

Pascal Bély, Le Tadorne.

« Refuse de Hour » de William Kentridge au Festival d’Avignon du 7 au 13 juillet 2012.

A la dOCUMENTA de Kassel en Allemagne jusqu’au 16 septembre 2012.