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OEUVRES MAJEURES PAS CONTENT Vidéos

2012, ma panne de danse.

Être spectateur de danse a été particulièrement difficile en 2012. Je ne reviens pas sur la disparition de l’art chorégraphique dans les théâtres de mon territoire (Aix – Marseille- Martigues), ni sur les deux festivals qui atomisent la danse, faute de projet de développement. Seule la création de Klap à Marseille sous l’impulsion de son directeur, Michel Kelemenis, a donné l’outil de travail dont les artistes avaient besoin. Peu à peu, Klap s’impose comme un lieu incontournable. Nul doute que les chorégraphes reviendront à Marseille. Mais il faudra du temps et un changement radical à la tête des établissements culturels  pour que la danse retrouve un public.

Chaque année, le Festival d’Avignon réussissait à combler le marasme marseillais. En 2012, il l’a accentué. Le bilan chorégraphique du festival a été mauvais (à l’exception notable de «Tragédie» d’Olivier Dubois): une danse cérébrale, célébrant les bons sentiments, s’enfermant dans une esthétique  influencée par les arts «plastiques» où le corps n’est que matière…Pour la première fois cette année, la danse ne m’a pas permis de penser la complexité.

La Biennale de la Danse de Lyon, originale à plus d’un titre sous la direction de Guy Darmet, ne m’a pas convaincu avec sa nouvelle directrice, Dominique Hervieu. Elle fut globalement sans surprise avec l’étrange sensation que la danse n’est qu’un produit de communication courante…Quant à Montpellier Danse, une santé défaillante ne m’a pas permis de suivre les spectacles que j’avais programmés. Me reste le merveilleux culot artistique de Radhouane El Medeb et de Thomas Lebrun ainsi que le parti pris plastique assumé de Mathilde Monnier.

C’est ainsi que j’ai parcouru les théâtres, parfois découragé, à la recherche de cet art qui nourrit le projet de ce blog depuis 2005.

2012 a été l’année d’Olivier Dubois. Il m’a tenu éveillé. Il a nourri ma relation à la danse. Il l’a fait par une approche de l’humain englobé dans une humanité célébrée et éprouvée par les danseurs et le spectateur. Pour lui, interprètes et publics forment un tout: scène et salle se répondent en continu. «Révolution», «Rouge» et «Tragédie», trois chorégraphies liées par une quête absolue de l’émancipation. Le corps est une conquête; la danse d’Olivier Dubois est sa révolution.

Avec «Mahalli», la chorégraphe libanaise Danya Hammoud m’est apparue comme une «sœur» d’Olivier Dubois. Ces deux-là ont
d’étranges “matières”: une chair politique pour une révolution sociale. Danya et Olivier sont probablement habités par une vision commune: le travail sur soi est politique.

Autre introspection réussie, celle d’Israel Galván qui a affronté le flamenco traditionnel. Avec «La curva», à partir de ses racines et de ses rites, il l’a fait trembler sur ses bases jusqu’à ouvrir ses entrailles et accueillir la modernité. Ce fut exceptionnel d’assister à la décomposition d’une partition qui se consume pour inventer l’Autre musique, celle d’un flamenco théâtral.

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Autres métamorphoses sidérantes. Au Festival d’Avignon, sous le plateau de la Cour d’Honneur, le performeur sud-africain Steven Cohen a fait du corps intime un territoire de la Shoah. Exceptionnel. Quant à Mitia Fedotenko dans le «Sujet à vif», il a réussi son pari artistique avec François Tanguy: celui d’oser chorégraphier un Hamlet déchiré entre le Danemark et la Russie de Poutine.

En 2012, il y a bien sûr eu le rendez-vous incontournable avec Maguy Marin et Denis Mariotte. «Nocturnes» fut dans la continuité des œuvres précédentes. Là où j’attendais une rupture esthétique, Maguy Marin ne m’a probablement pas surpris. Seulement accueilli par un propos assumé sur la fragmentation barbare du sens, sur l’éclatement d’une humanité piétinée.

Après «Un peu de tendresse, bordel de merde !» présenté à Avignon en 2009, nous étions nombreux à scruter sa nouvelle création à la Biennale de Lyon. «Foudres» de Dave St Pierre m’a une fois de plus enchanté sans que je sois surpris. Devenus de grands malades de l’amour consumériste, il nous faut réapprendre à danser, à nous habiller de nos costumes de bal pour nous entrainer à nous lâcher au bon moment, à nous reprendre quand le rythme l’impose. Beau propos, certes convenu, mais si vivifiant !

Avec «Brilliant corners», Emanuel Gat m’a littéralement subjugué par sa visée du groupe. Rarement, je n’ai ressenti, avec une telle
précision, la complexité des mouvements vers le collectif où, à l’image des communautés sur internet, le groupe se déplace pour amplifier la relation horizontale et s’approprier de nouveaux territoires. Le collectif relie les fragments et avance jusqu’à produire la lumière du spectacle. Magnifique !

Combien de chorégraphes considèrent la musique comme fond sonore pour chasser un silence pourtant vecteur de sens ?  Avec Maud le Pladec et l’ensemble musical Ictus, je me souviens avoir vécu cinquante minutes euphorisantes, énergisantes, palpitantes où mon corps a eu quelques difficultés à contrôler mes pulsationsrock’embolesques. «Professor/Live» a  vu trois danseurs virtuoses restituer avec humour et présence, le rock électronique et symphonique du compositeur Fausto Romitelli. Inoubliable.

Il me plaît de terminer ce bilan 2012, par une rencontre. Celle avec  Alexandre de la Caffinière qui lors de «Questions de danse» nous a présenté un extrait de «Sens fiction» (œuvre à voir les 16 et 17 février au Théâtre des Pratiques Amateurs de Paris). Avec deux danseurs (troublants Anaïs Lheureux et Julien Gaillac), il a composé une œuvre délicate au croisement de la musique électronique et d’une scénographie numérique. Tandis que le paysage chorégraphique est saturé de musiques chaotiques et de vidéos conceptuelles, Alexandre de la Caffinière a fait un tout autre pari: celui d’un environnement numérique au service de la danse, pour des corps en mutation, vers la métamorphose d’une relation duelle. Chapeau, à suivre…

Je vous propose de continuer la route en 2013, année où Marseille sera capitale européenne de la culture. La danse y occupera une place scandaleusement faible. Il va falloir chercher, voyager, se déplacer. Putain de danse !

Pascal Bély – Le Tadorne.

1- Olivier Dubois; “Rouge” – Festival Uzès Danse. /  “Révolution”- Le 104, Paris. / “Tragédie” – Festival
d’Avignon.

2- Radhouane El Medeb, Thomas Lebrun; “Sous leurs pieds, le paradis” – Festival Montpellier Danse.

3- Israel Galvan; “La curva”- Théâtre de Nîmes.

4- Emanuel Gat; “«Brilliant Corners» – Pavillon Noir d’Aix en Provence.

5- Mathilde Monnier; “Twin paradox” – Festival Montpellier Danse.

6- Maguy Marin – “Nocturne” – Biennale de la Danse de Lyon.

7- Maud le Pladec – “Proffesor / Live” – Festival « Les musiques », Marseille.

8- Danya Hammoud – « Mahalli » – Festival Montpellier Danse.

9- Mitia Fedotenko – « Sonata Hamlet » – «Sujet à vif », Festival d’Avignon.

10- Dave St Pierre – Création Biennale de la Danse de Lyon.

11- Alexandre de la Cafinière – « Sens fiction » – « Question de Danse » à Klap, Maison pour la Danse, Marseille.

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DANSE CULTE KLAP, MARSEILLE LE GROUPE EN DANSE OEUVRES MAJEURES

Dominique Bagouet, génération Strange.

Je connais trop peu la danse de Dominique Bagouet. Depuis sa disparition il y a vingt ans, je  n’ai approché que deux œuvres. C’était lors d’une très belle soirée à Montpellier Danse en 2007 où «Une danse blanche avec Éliane» et «F et Stein – réinterprétation» m’avait totalement sidéré. Ce soir, un ancien danseur de Bagouet et directeur artistique de Klap, Maison pour la Danse, s’avance vers nous, en confiance: Michel Kelemenisprésente «+ de danse à Marseille»,  un manifeste où pendant une semaine, tout un programme est proposé pour entrer dans l’univers de ce chorégraphe d’exception. Ce soir, «Jours étranges» est repris sous la direction de Catherine Legrand etAnne-Karine Lescop pour neuf adolescents de Rennes. J’ai décidé de m’asseoir à côté des enfants: c’est un bain de jouvence, un geste à la mémoire de Dominique Bagouet, car je pressens que sa danse reliera petits et grands.

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Je ne suis pas déçu. Ces neuf adolescents sur scène dégagent une présence étonnante, un doux mélange de respect et d’affranchissement. Avec la danse de Dominique Bagouet, leur jeunesse est un bel affront; elle est une invitation généreuse à ceux qui connaissent peu l’art chorégraphique; elle est une énergie pour encourager les spectateurs engagés.

Le décor est loin, mais il en impose: de grosses enceintes musicales laissent entrevoir un filet de lumière, un tunnel entre ici et là-bas, d’où l’on entend l’album mythique des Doors, «Strange Days». D’où nous viennent-ils? Est-ce notre jeunesse qui défile ainsi? Probablement. Mais pas que…Il y a autre chose dans «Jours étranges», comme un système d’équations à multiples inconnues entre le désir de vivre et une solitude qui conduirait vers la disparition. Étrange…

Il faut imaginer ces quarante-cinq minutes comme un paysage (le groupe) où les éléments naturels (le rock, le silence) créent un climat (la danse) pour régénérer la nature (notre changement de regard par cette chorégraphie de l’introspection). C’est ainsi que le collectif est plaine, à moins qu’il ne soit terrain caillouteux pour propulser les corps dans le chaos de la métamorphose. Chacun cherche la meilleure façon de danser, d’avancer, de devancer pour créer sa trajectoire dans un paysage qui contient parfois, retient souvent. La danse autorise et empêche en même temps et fait face au désir de liberté de chacun contenu dans la solitude de l’adolescence.

La danse de Dominique Bagouet magnifie l’impuissance d’être «(seul)ement» libre dans son groupe d’appartenance. Il y a ceux qui n’ont peur de rien, dont le corps offre tout ce qu’il est possible de mouvementer. Puis, il y a l’Autre. Comment s’en affranchir tout en ne perdant pas de l’idée que sans lien, aucune liberté n’est à conquérir? C’est dans cet interstice que les gestes de Bagouet s’engouffrent et offrent des moments virtuoses où la danse d’un couple s’évanouit dans la brume d’un amour évanescent. A moins que d’autres corps puisent dans l’énergie de la musique, le désir de s’émanciper pour vivre la solitude comme une l’expérience d’un au-delà.

Je me prends au jeu d’entrer en relation avec chacun, sans perdre le collectif: à quelque endroit que je sois, Dominique Bagouet ne me laisse jamais seul. Ils sont fleuve, je suis de rock tendre.

Alors qu’ils rejoignent le fond de scène, le bruit de leurs pas est battements de cœur à l’approche d’une frontière où le paysage se mue en constellation planétaire.

Celle de nos rêves d’enfance égarés où Dominique Bagouet les éclaire de ses danseurs étoiles.

Pascal Bély – Le Tadorne

«Jours étranges» de Dominique Bagouet. Reprise sous la direction de Catherine Legrand et Anne-Marie Lescop pour 9 adolescents de Rennes. À Klap, Maison pour la Danse à Marseille, le 10 décembre 2012.

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR LA MUSIQUE EST DANSE Vidéos

Sens dessus dessous…

Mon cheminement de spectateur est jalonné de rencontres. «Question de Danse», festival proposé par le chorégraphe Michel Kelemenis à Marseille, est un rendez-vous annuel où des artistes présentent une étape de création et acceptent de la mettre en dialogue avec le public. C’est probablement l’une des rares manifestations à poser la rencontre comme un enjeu dans une programmation.

Alexandre de la Caffinière présente «Sens fiction». Avec deux danseurs (troublants Anaïs Lheureux et Julien Gaillac), il a composé une œuvre délicate au croisement de la musique électronique et d’une scénographie numérique. Ce soir, toute son équipe est là pour signifier une création en co-construction. Cela se voit et s’entend dans un propos qui m’embarque dans une aventure audacieuse et fragile, comme toute prise de risque. Tandis que le paysage chorégraphique est saturé de musiques chaotiques et de vidéos conceptuelles, Alexandre de la Caffinière fait un tout autre pari: celui d’un environnement numérique au service de la danse, pour des corps en mutation, vers la métamorphose d’une relation duelle.

Dès le premier tableau, des pixels multicolores se projettent sur des corps en position fœtale: l’imaginaire numérique les sculpte et évite de les transformer en concept futile et terrifiant! Cet instant offert est beau, sensible, mais trop vite disparu. Chacun se relève et ouvre la perspective pour entrer dans une profondeur de mouvements. C’est ainsi que se déploie sous nos yeux un paysage sensoriel en plusieurs dimensions pour qu’une relation sensuelle englobe le spectateur, auteur de son désir! Chaque danseur creuse le sol à la recherche des racines pour s’élever et s’inscrire dans des liens rhizomiques. Tout un environnement minéral accompagne cette transformation d’autant plus que chaque tableau est ponctué d’un étrange jeu de lumières qui amplifie l’apparition et la disparition.Ces mouvements parfois néo-classiques s’ouvrent pour relier les visions créatives de ce collectif d’artistes dans un tout, une terre du vivant qu’il me tarde de contempler, une fois l’œuvre achevée (en février 2013). La danse permet aux corps d’être de chair et de sens et célèbre le vivant, emporté par une musique et des images vidéos qui ne prennent jamais le pouvoir. “Sens fiction” est une chorégraphie de la puissance qui multiplie l’espace scénique pour y accueillir l’imaginaire du spectateur!

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Pour février 2013, je perçois déjà une fresque, où des faunes se perdraient lors d’une après-midi nocturne pour s’éveiller dans une nuit éclairée par nos imaginaires pixélisés…

Pascal Bély – Le Tadorne.

« Sens fiction » d’Alexandre de la Caffinière ; étape de création présentée à « Question de Danse » à Klap, Maison pour la Danse, Marseille, le 26 octobre 2012. A voir les 16 et 17 février 2013 à la Maison des Pratiques Amateurs à Paris.

Crédit photo : (c) C. Bailly / Cosmos

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KLAP, MARSEILLE

Mademoiselle Caroline Blanc.

Il est 8h55. Sur France Inter, François Morel chronique tous les vendredis. Ce matin, sa poésie tourbillonne autour du préfixe «Mademoiselle». Il regrette la prochaine disparition d’un symbole d’émancipation de la femme. Il évoque Mademoiselle Moreau, Mademoiselle Danièle Darrieu, Mademoiselle Greco. Je divague. J’aurais presque envie de chanter, de danser. Elle apparait. François Morel a oublié Mademoiselle Caroline Blanc dans sa liste. Je ne suis pas certain qu’il l’a connaisse. C’est une danseuse. Je l’ai rencontrée en 2005 alors qu’elle interprétait le chef d’oeuvre de Michel KelemenisAphorismes géométriques»).

Elles étaient quatre sur scène à célébrer la relation si particulière entre danse et musique. Elle m’emportait dans sa partition gestuelle où mon regard s’égarait dans les plis de sa peau, s’échouait sur les rivages de son visage vers une terre chorégraphique qui m’était encore inconnue. Depuis, je ne l’ai jamais perdue de vue. Car Mademoiselle Caroline Blanc a cette présence féminine qu’aucune chorégraphie ne pourra altérer.

En octobre 2011 lors de la soirée d’inauguration de Klap, Maison pour la Danse à Marseille, elle était le fil rouge entre les différentes représentations. Elle s’amusait de son statut, entre clown et personnage de conte de fées. C’était son «échappée belle».  Elle est probablement l’une des rares danseuses à pouvoir jouer un rôle, pour s’en abstraire, sans saturer l’espace de l’imaginaire. Fidèle à Michel Kelemenis, elle a incarné différents personnages pour que la danse s’invite là où l’on ne l’attend pas («Besame Mucho», «L’amoureuse de Monsieur Muscle» «Henriette et Matisse»). Mademoiselle Caroline Blanc est une «émerveilleuse». 
Ce soir, elle nous revient. Toujours à Klap alors que la Maison inaugure son «Channel» sur la plate-forme «Numeridanse.tv». Charles Picq (l’heureux créateur de ce site-carte aux trésors)  et Michel Kelemenis nous proposent “le Pasodoble de Caroline“, film de vingt-cinq minutes. Ils nous transmettent la vision de Mademoiselle Caroline Blanc alors qu’elle était l’une des interprètes de «Pasodoble», création de Michel Kelemenis.  Alternance de séquences filmées en 2007 et de confidences cinq ans après, ce film est un écrin: la caméra chorégraphie cette interprète pour en dessiner le portrait. Si la danse est un langage alors la caméra de Charles Picq est sa grammaire. Son corps en mouvement devient cette page où notre désir s’écrit. Ce film est un angle vivifiant pour évoquer l’histoire d’une danse: une «interprétation» de l’interprétation en quelque sorte !
Tandis que l’écran disparaît, apparaissent  sur la magnifique scène de Klap, Mademoiselle Caroline Blanc et Monsieur Michel Kelemenis pour dix minutes (probablement plus) d’un duo coloré. Leur histoire fait  mouvement: allez savoir ce qu’ils ont du se raconter pour prendre autant de plaisir. Entre coups de poing et stratégies de séduction, se lovent la confiance, la peur, leur créativité, leurs recherches. S’ils s’éloignent, c’est pour mieux se rapprocher. S’il l’approche, c’est pour mieux l’effleurer d’un geste qu’elle prolonge vers nous. Alors qu’ils jouent au chat et à la souris, on devine que leur projet est leur pelote! J’observe avec jubilation leur relation créative et leur corps se transformer par la musique de Philippe Fénelon. Entre ces ceux-là, la partition est leur territoire commun pour que la musique puisse s’écouter par le mouvement. À l’heure où les solos se multiplient sur scène en France, je ne saurais encourager ces deux explorateurs à poursuivre leur aventure pour nous mettre dans leur confidanse.
Mademoiselle Caroline Blanc ne sera jamais Madame. C’est la force de la danse que de résister aux pressions qui normalisent nos désirs d’émancipation. 
Pascal Bély, Le Tadorne.
Soirée Numéridanse à Marseille, le jeudi 8 mars 2012 à Klap, Marseille.
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KLAP, MARSEILLE Vidéos

Klap, Capitale maison pour la danse.

Depuis quelques saisons, la danse disparait peu à peu des programmations à Marseille et aux alentours, chacun déléguant la «tâche» au Pavillon Noir d’Angelin Preljocaj à Aix en Provence. Dans ce contexte, l’ouverture de Klap, Maison pour la Danse dirigée par Michel Kelemenis, est attendue. Pour qu’enfin, l’art chorégraphique se développe dans une ville qui fut, en son temps, si accueillante?

En ce jour historique du 21 octobre 2011, je suis invité à l’inauguration officielle. Au déjeuner de presse, les journalistes parisiens semblent saluer le projet : le bâtiment est entièrement dédié à la création. Symboliquement, la capitale phocéenne revient donc sur le devant de la scène avec le soutien de la Fondation BNP PARIBAS. Sur le ton de la confidence, sa déléguée générale, Martine Tridde-Mazloum, affirme son engagement auprès d’un projet qu’elle accompagne depuis le début, signe qu’un mécène peut voir plus loin que le financement d’actions ponctuelles, souvent spectaculaires?

À 18h, vient le temps des discours. Michel Kelemenis débute par un hommage appuyé à l’Afrique du Sud, pays où il puise la force des valeurs d’accueil du bâtisseur créateur. Avec élégance et émotion, il nous communique sa détermination à voir ce lieu occuper sa place dans un paysage structuré autour des Centres Chorégraphiques Nationaux et des institutions prestigieuses (Maison de la Danse de Lyon, Centre National de la Danse, ?). Jean-Claude Gaudin, Maire de Marseille, poursuit sur la lancée dans un numéro de fanfaronnerie dont il a seul le secret. En insistant sur la préparation réussie de Marseille Provence 2013, dont Klap serait le symbole, il en oublierait presque le sens du projet: après 2013, il y a 2014?Puis vint le Préfet de Région dont l’intervention restera dans les annales : après cinq minutes d’un discours policé, il lâche son texte pour évoquer avec Michel Kelemenis un souvenir de danse. À cet instant précis, Klap joue déjà sa fonction : accueillir tous  nos désirs de danse?

À 20h30, apparaît la danseuse Caroline Blanc en maîtresse de cérémonie. Ses intermèdes espiègles et enfantins sont autant de fils conducteurs pour nous relier à la toile de Klap, patiemment tissée tout au long de sa carrière par Michel Kelemenis. Je retiens cinq moments comme autant de symboles de la Maison pour la Danse.

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L’extrait de «Cendrillon» interprété par le Ballet du Grand Théâtre de Genève provoque l’hilarité. Cinq anges affublés d’ailes sur les fesses, maculés d’étoiles filantes sur le corps, enrobés de chaussures à col plumé, font voler la belle et pas seulement pour la réveiller. Avec des gestes amples et circulaires, la danse est conte de fée pour ranimer nos émerveillements trop souvent empêchés. Quelques minutes plus tard, nous sommes prêts à plonger dans le bleu, celui d’ «Henriette et Matisse», spectacle créé pour la Biennale de Lyon en 2010. La peinture, art pictural et chorégraphique pour minots et parents : Klap au croisement pour relier les âges?

Entre alors Thomas Birzan pour «Faune Fomitch». Il n’a que 17 ans. Il est interprète pour Josette Baïz. Sur la musique de Claude Debussy, une bombe humaine traverse le magnifique plateau du « Grand Studio ». Sous nos yeux, un jeune adulte se métamorphose par la magie de la transmission de Michel Kelemenis. Son «corps fleuve» relie nos désirs affluents. Entre eux, s’engouffre le souffle vital d’une danse pour l’humanité, de celle qui s’affranchit des codes pour créer un langage universel. Thomas Birzan est né à Klap. Je serai là, spectateur-parrain?

Arrive «That Side», interprété par Fana Tshabalala, dialogue entre ce magnifique danseur sud-africain et Michel Kelemenis. De sa force sensible, il déploie une gestuelle «coulée», «ouatée» où le corps est source de transmission, récepteur et ouvert, nourri du vécu, de cultures. Solo ennivrant.

Et puis…Michel Kelemenis lui-même. Pétales de rose dans une main, qu’un souffle pose sur la scène. «Kiki la rose» fut ma première grande émotion de danse. C’était sur la scène du Théâtre de l’Archevêché lors du festival «Danse à Aix». Non annoncé dans le programme de la soirée, le solo surprend l’assistance, médusée. Submergé par l’émotion de ce souvenir, mon corps lâche et se donne: chaque mouvement, du plus petit au plus ample, est une déclaration pour la danse, vers le public. À cet instant précis, Michel Kelemenis explore ce magnifique plateau de ses gestes ciselés pour accueillir les publics : à chacun sa rose, à tous sa tulipe. Pina n’est plus très loin.

Pascal Bély, Le Tadorne.

Soirées d’inauguration de Klap, Maison pour la Danse les 21 et 22 octobre 2011.

 

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L'IMAGINAIRE AU POUVOIR PETITE ENFANCE

Klap, Maison pour la danse d’Henriette et Matisse.

À quelques jours de l’ouverture officielle de «Klap, Maison pour la Danse» à Marseille, son directeur, Michel Kelemenis, présente «Henriette et Matisse» créée pour la Biennale de la Danse de Lyon en 2010. À voir du 11 au 13 octobre, dans le cadre de la programmation du Théâtre Massalia.  Puis en tournée dans toute la France.

De la Biennale de la Danse de Lyonau Théâtre des Salins de Martigues, toujours ce même enthousiasme : enfants, parents et professionnels de l’éducation jubilent en découvrant l’univers du peintre. Nous sommes à la fois au musée, dans l’atelier et au théâtre. Qui plus est avec un chorégraphe! Michel Kelemenis nous offre, avec « Henriette et Matisse » une immersion dans la beauté, dans la création et le chaos. Imaginons Matisse et son chapeau de paille, interprété par Davy Brun, tour à tour Artiste et probable grand frère pour les tout-petits. Rêvons d’Henriette, le Modèle, la muse (troublante Caroline Blanc) dont la beauté fait tache d’huile sur la toile blanche d’un film d’amour, de capes et de fées. Jouons avec deux pinceaux (espiègles Lila Abdelmoumène et Tristan Robilliard) qui, peu à peu, glissent entre nos mains comme les deux baguettes du chef d’orchestre.

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 À quatre, ils occupent la scène dans tous ses recoins pour pousser les cloisons de nos imaginaires. De la salle, les « Ouah », « Ouh la la », « c’est magique » ponctuent en cadence la création de la toile jusqu’au silence le plus absolu alors que « le clair de lune » de Debussy éclaire « les Nus bleus » de Matisse. L’émotion serre la gorge comme si nous étions bercés par le chorégraphe, ébloui par le peintre. Ces deux-là seraient-ils complices pour puiser dans nos fragilités les ressorts de notre sensibilité ?

« Henriette et Matisse », sont nos ailes du désir à moins que ce ne soit le nom d’un bonbon à la réglisse aux effets secondaires. C’est une invitation à la poésie, à se rapprocher les uns des autres. Cette oeuvre crée la communauté au moment où tant de liens se distendent. Il y a chez Michel Kelemenis le désir d’un art total profondément accueillant qui ne laisserait personne de côté. Les conditions de l’invitation sont donc réunies. Ici, la musique joue son rôle d’aiguillon : tout à la fois polissonne, déroutante, envoûtante, pénétrante, elle débusque à chaque tableau ! Mieux qu’un guide de musée, elle pose ses petits cailloux pour petits et grands poucets. L’univers du peintre est un théâtre à l’italienne où nous pénétrons de nuit pour jouer à nous faire peur avec les fantômes (c’est bien connu, ils sont partout), où le décor de papier vous tombe dessus comme une toile de cinéma et s’enrôle autour des corps pour faire valser les couleurs.

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La danse provoque l’alchimie entre les matières, créée la troisième dimension du tableau, génère le mouvement évanescent du geste créatif. Elle vous emporte et vous déplace pour que chacun d’entre nous soit traversé.

Ainsi, « Henriette et Matisse » n’est plus seulement une invitation à ressentir ces peintures mythiques. C’est une ?uvre qui peint la danse comme un mouvement populaire.
Pascal Bély – www.festivalier.net

A lire le très bel article de Denis Bonneville dans La Marseillaise.

“Henriette et Matisse” de Michel Kelemenis àKlap du 11 au 13 octobre 2011.

Crédit photo: Manon Milley.

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ACCUEIL DES LIEUX CULTURELS KLAP, MARSEILLE Vidéos

Une Maison pour la Danse à Marseille ! Klap ! Klap !

C’est certain. À l’automne 2011, Marseille aura sa « Maison pour la danse ». Elle est déjà membre du réseau «European Dancehouse Network». Joli présage. Ce matin, sur la scène du Théâtre des Bernardines (dans le cadre de la 5ème édition de «Question de Danse»), ils sont huit (1) à s’engager pour ce projet. En première ligne, le chorégraphe Michel Kelemenis précise que ce ne sera pas la maison de sa compagnie, mais bien un espace d’accueil privilégié pour la danse.

Cet équipement de 1900 m2, au c?ur d’un quartier populaire de Marseille, sera un lieu de production et de création en lien avec l’action culturelle existante de la compagnie. En positionnant la Maison (joliment nommée Klap) comme un lieu de partage, de rencontre et d’élaboration commune avec les acteurs culturels de la ville, Michel Kelemenis pose un postulat : la danse a besoin d’un espace temps protégé, mais aussi d’ouvertures nourries par le dialogue entre tous les acteurs qui la croise. Klap ne sera donc pas une chapelle pour quelques esthétiques

Le plateau, animé par Philippe Fanjas (président de Kelemenis & cie) est à l’image de ces intentions : chacun est invité à faire part de sa représentation et de ses hésitations ! Maison «de» (en référence à celle de Lyon),  maison «pour», tandis qu’Alexandre Carelle de la Fondation BNP Paribas préfère «maison avec». Sûrement, les trois à la fois ! Ce sera un «outil à usage partagé» comme se plaît à préciser Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM ; «à nous d’en construire les ponts, mais pour cela, il faudra reconnaître l’endroit où chacun de nous a travaillé». La question de l’épaisseur des murs est donc indirectement posée. Le chorégraphe Christophe Haleb questionne : «comment allons-nous l’habiter tout en permettant sa porosité ? Entre la danse éphémère et le mur pérenne, quelle tension allons-nous créer pour accueillir l’étrange ?».

«Fabriquez ! , « cherchez !», «donnez du temps au temps de la création» semble répondre Michèle Luquet-Bonvallet qui rappelle que la Maison de la Danse de Lyon est un lieu de diffusion. Elle ressent déjà la complémentarité entre les deux établissements. Deuxième joli présage. Car faut-il le préciser, Klap ne sera pas à proprement parler un lieu de diffusion («même si la tentation sera grande de dériver vers la programmation» souligne Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines) mais surtout un outil « à disposition des acteurs culturels » pour «creuser les complémentarités» et «amener plus de danse à Marseille» lui répond Michel Kelemenis. D’autant plus que Klap sera propulsé au niveau international dès son ouverture à la fois par le réseau européen des Maisons de la Danse et par Marseille Capitale 2013. Car «le local s’attrape par le global» souligne Christophe Haleb.

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Tandis que la chorégraphe Perrine Valli (de nationalité franco-suisse et originaire d’Aix en Provence) précise tout le chemin qu’elle a dû faire ce matin pour revenir dans sa région d’origine (faute d’équipements pour travailler ses créations), je fais un rêve : celui d’inviter des spectateurs actifs à créer un maillage autour de Klap afin que le processus de création chorégraphique se nourrisse de nos visées de danse. Pour qu’il ne soit plus nécessaire de courir après elle aux quatre coins de l’hexagone.
C’est une Question de Danse.

Une question démocratique.

Pascal Bély – Le Tadorne

(1) Michèle Luquet-Bonvallet, secrétaire générale de la Maison de la danse de Lyon, Christophe Haleb, chorégraphe,
Perrine Valli, chorégraphe lauréate du programme Modul Dance de l’EDN, European Dancehouse Network, sélection Question de danse 2010
Alexandre Carelle, responsable du pôle culture, Fondation BNP-Paribas,
Les partenaires de Question de danse :
Cristiano Carpanini, directeur du festival DanseM et Alain Fourneau, directeur du Théâtre des Bernardines.