Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

A Actoral, rions, la poule caquette.

Imaginez une poule sur scène. Deux spectacles. Une symphonie riante. Une soirée de festival. Un caprice. Cherchez l’intru.

Peut-on faire parler le corps par le rire? La chorégraphe Antonia Baehr relève le défi avec sa performance qui fait actuellement le tour des festivals de création contemporaine, dont Actoral à Marseille. Qu'il soit de complaisance, gêné, moqueur, sarcastique, diabolique, le rire est communication et prolonge nos corps. Il reflète notre surmoi et nourrit le lien social.

Le rire d’Antonia Baehr est joué grâce à différentes partitions « musicales » écrites par ses amis comme cadeau d’anniversaire. Il  va au delà des mots car il est langage et finit par nous habiter. Bilingue, trilingue, il exploite les différentes facettes de l’humain. Du petit rire mélodieux de l’enfant, à celui qui convoque le jeu de balles de Laurel et Hardy, elle nous glace avec son rire diabolique et satanique, et finit par nous jeter en pâture aux dictateurs passés et futurs.
Le rire du public est subtilement instrumentalisé. Provoqué artificiellement, il n'a de valeur que dans son acte. Mais rire pourquoi ? La mère d'Antonia Baehr intervient lors d’un dialogue enregistré : « Tu ris pour rien mais pas moi. Tu ne me fais pas rire ». C’est ainsi que l'écriture scénique met un rire final à la démonstration : nous aussi, nous avons ri inutilement. Mais le paradoxe nourrit le sens : convier le rire, coûte que coûte, quelle que soit la situation, fût-elle artificielle, pour mieux appréhender toute la compléxité de l’humain.

Mais avant Antonia,  le performer Thomas Ferrand proposait  « Et les vivants ne mourront pas ». Comme programme, une tentative de provocation gratuite et lassante. En 2008, lors d’une étape de création au Centre Chorégraphique National de Montpellier, il avait étonné par son audace et sa mise en espace. A Marseille, il gravite autour de son thème de prédilection: avant le commencement, il y a toujours eu un avant et pour (sur)vivre à la réalité, nous avons introduit de la fictionnalité. Il convoque les mots mais son écriture se noie dans des artifices scéniques certes imposants (des néons tombent et s'explosent au contact du sol, un néon rouge où s’inscrit CUMSHOT, des incessants bruits d'orage) mais qui nous laissent aux portes de l'enfer. N’est pas Dante qui veut malgré la présence du circacien Xavier Kim qui, droit devant nous tenant son micro, disloque à peine son corps et peine à faire vivre les mots.

L'intérêt du public se déplace alors vers une poule qui nous avait accueilli dans la salle. Elle suscite un intérêt certain comme pour échapper à un univers qui n’est pas le notre. Dans le « Ferrand Land », nous sommes des êtres de débauches, nous regardons des films pornos sur nos Black Berry et nous nous masturbons dans la rue (image somme toute assez amusante). Vivants, sommes nous ? Certainement pas: les vivants ne vont pas à Actoral !A la fin de cet hymne à la survie de l'espèce humaine, le public a toujours les yeux rivés vers la poule. Réfugiée sous les chaises du premier rang, elle provoque des fous rires éloignés de la teneur tragique du discours.

Avec ce positionnement d’enfant capricieux, Thomas Ferrand perd en inventivité. Il ne suffit pas de convoquer la provocation. Encore faut-il lui donner sens en la prolongeant dans un discours qui ne se laisse pas contaminer par les codes superficiels de l’époque.
L’acte oral ne suffit pas.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net

 “Rire” d’Antonia Baehr et « Et les vivants ne mourront pas » de Thomas Ferrand ont été joués les 29 et 30 septembre 2009 lors du Festival Actoral à Marseille.

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

A Lyon, la résistance s’organise.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=vh9NnPsp7bQ&w=425&h=344]

Lyon est la ville des lumières et de la résistance. Rien d'étonnant à ce que le « Festival Sens Interdits » y voit le jour pour célébrer nos valeurs fondatrices : qu'est-ce qui fait notre culture commune européenne, celle qui va au-delà des frontières de l'Union ? Au moment même où se multiplient les événements mémoriels (n'avons-nous pas célébré le premier anniversaire de la crise financière ?), alors que nous avons accès à l'histoire avec un simple clic, où l'information instantanée réduit le temps de l'humain à une variable d'ajustement, comment le théâtre peut-il nous aider à retrouver le passé pour construire le futur ? Peut-il remettre l'humain au centre de tout d'autant plus que l'accélération de l'information minore le temps de la communication ? Le théâtre peut-il nous défendre face aux rationalités écrasantes de toutes sortes et promouvoir l'humain dans ses forces et ses fragilités? Au cours d'une journée, deux  metteurs en scène s'y sont essayés lors de ce festival prometteur, organisé par le Théâtre des Célestins.

« Je pense à vous, épisode XX » de Didier Ruiz fera date. Imaginez dix personnes âgées russes, assises  face à nous, issues de différents milieux sociaux. Tout commence par la projection d'un album photo, comme si nous étions côte à côte. C'est le début d'une « photo romance » qui prend le temps, quitte à ce que les trous de mémoire s'invitent et que la traductrice, un peu seule dans sa cabine, soit prise de signes de fatigue. A tour de rôles, ils nous racontent un instant de leur histoire qu'ils restituent avec leurs cinq sens pour nous y inclure : le parfum posé sur la peau, le goût  du premier baiser, l'odeur d’un champ de fleurs, les objets et les chansons de l'enfance. Malgré la guerre, ils ont poursuivi leur route qui les conduit jusqu'à nous. Ils semblent avoir eu peur de tout, « même d'une souris » mais ils ont  surmontés. Ils nous délivrent un message percutant : nous sommes aussi acteurs de nos propres peurs. Ces dix femmes et hommes sont au c?ur du théâtre du monde où ils ont traversé la seconde guerre mondiale, le totalitarisme soviétique, l'avènement de l'économie de marché. Ils ont cherché un père, une s?ur, disparus sans savoir ni où, ni comment. L'une en a même perdu la parole, tandis qu'une autre s'est mise à bégayer à l'adolescence. L'histoire est ainsi : elle se répète parfois, devient mutique quand les états refusent leur travail de mémoire. 

C'est un moment unique, fragile, car ces hommes et ces femmes sont les derniers témoins d'une époque qui a vu naître l'idée d'une Europe politique. Didier Ruiz s'appuie sur eux et leur offre une mise en scène de la transmission : les objets qu'ils nous tendent font maintenant partie de notre imaginaire, leurs photos sont un patrimoine de l'humanité et leurs chants résonnent tels des hymnes à la joie.

 

Quelques heures plus tard, nous retrouvons à nouveau dix témoins. Ils sont Allemands, Polonais, Ukrainiens et on tous vécus enfants et jeune adulte l'enfer de la Deuxième Guerre mondiale. Pour « Transfer ! »  du polonais Jan Klata, ils sont assis face à nous, mais au fond de la scène.  Ils viennent un à un raconter leur guerre.  On s'émeut, on sourit, on apprend ce que l'on ne nous a jamais dit : sur l'agonie des Polonais humiliés de toute part, sur la douloureuse introspection des Allemands, sur l'horreur vécue par les Russes au cours de cette boucherie. Ils sont tous exceptionnels à poursuivre leur devoir  de mémoire sur une scène de théâtre comme si la guerre ne s'était jamais arrêtée. Il y a dans leur regard, une détermination à interroger les valeurs de l'époque pour nous aider à les projeter dans un futur certes incertain, mais ouvert. 

Mais Jan Klata ne leur fait manifestement pas confiance. Il leur soumet une scène surélevée où officient trois comédiens dans les rôles de Staline, Roosevelt et Churchill. Entre les témoignages, ils s'imposent pour jouer un concert rock ( ?) et débiter des dialogues censés nous faire comprendre que décidément, quelles que soient les époques, les dirigeants sont d'une bêtise crasse. Cette farce n'apporte strictement rien, elle fait violence à la mémoire tel un spot de publicité au c?ur d'un film sur un génocide. Cette scène lacère le plateau, nous éloignent des acteurs ? témoins. Elle nous prouve que la résistance doit aussi s'organiser contre cette société du spectacle qui tend à brutaliser ce qu'il y a de plus fragile : notre capacité d'indignation.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

 

“Je pense à vous, Episode XX” de Didier Ruiz et “Tranfer!” de Jan Klata, joué le 19 septembre 2009 dans le cadre du festival “Sens Interdits” à Lyon (jusqu’au 26 septembre).

“Transfer!” sera joué dans le cadre du Festival d’Automne à Créteil les 5, 6 et 7 novembre 2009.

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

A Londres, de danser notre c?ur s’est emballé.


Dans l'hebdomadaire culturel londonien (« Time out »), on trouve quelques pages sur la danse, perdues dans la programmation foisonnante de concerts et de divertissements en tout genre. Cet art semble rare  comme si Londres affichait sa toute-puissance financière pour masquer ses fragilités.  Mais ma visite touristique n'aurait pas de sens si je n'approchais pas la danse. C'est elle qui nous permet de ressentir le « corps » social et politique.

Ce soir, rendez-vous à « The Place », beau théâtre rénové, tout entièrement dédié à la danse qui s'apprête à fêter ses 40 années d'existence. Le programme propose cinq « work in progress » où se côtoient chorégraphes émergents et établis.  A la fin de la soirée, on finit par ne plus les différencier comme s'ils se nourrissaient entre eux.

Ce qui frappe d'emblée, c'est la vitalité des propositions. Ici, aucun regard mortifère, mais au contraire, un désir de danser sur la communication, à l'image de ce collectif composé d'enfants et d'adultes, d'amateurs et de professionnels, qui transforme la danse en langage pour mieux s'apprivoiser. C'est un travail sur la diversité qui sait amplifier la différence. Emmené par le chorégraphe Luca Silvestrini, « ?5,6, 7, 8 »  produit une belle dynamique qu'on aurait aimé trouver dans le « City maquette » de Mathilde Monnier présenté lors du dernier “Montpellier Danse” abordant la même forme et le même sujet. Le projet de Luca Silvestrini est à suivre. De près.

On reste éberlué face à ce duo : il est blanc, lui métis. Chorégraphes et performeurs, Colin Poole et Simon Ellis nous proposent avec « Colin, simon and I », vingt minutes sur la rencontre où la séduction marchandisée qui contamine les rapports humains nous ferait presque oublier que le lien avec l'autre est fait de turbulences, où l'approche « animale » entre en conflit avec nos codes sociaux. Cette danse est sincère, car elle vient nous chercher sans démagogie, mais avec détermination : « regardez à quoi nous jouons ». Après ce duo, on s'étonne à peine de voir Déborah Light et son solo « Untitled ». Face à des projecteurs et un flash qui la mitraille, elle nous offre une danse saccadée, où le visage caché par ses cheveux finit par donner à l'apparence des airs de folie. Très troublant.  Autres turbulences avec Zoi Dimitriou et Jos Baker accompagnés de trois figurants avec leurs cerceaux. Ici aussi, on se cherche, on se perd, on se gifle au cas où l'autre n'aurait toujours pas compris. La danse, profondément métissée, emprunte les codes du hip-hop et le lancer de cerceaux sur la scène propulse le danseur dans un espace urbain. La scène change alors de dimension en accueillant la vitesse qui rend notre homme plus seul que jamais. Cet espace complexe où la rapidité du cerceau (objet de consommation ?) rencontre l'humain bouleverse, car la danse nous restitue un miroir sur nos errances.

Ce soir, à Londres, le corps dansé est turbulent. À la sortie, nous ressentons un bien-être troublant, signe que ces chorégraphes « en travail » nous ont inclus dans leur recherche. Leur fragilité devient notre force.

Pascal Bély – www.festivalier.net

Pour prolonger cette invitation à découvrir la danse londonienne, une halte à Créteil entre le 15 et le 17 octobre 2009 pour découvrir le nouveau spectacle de Michael Clark. Renseignements ici.


“Touch Wood 2009” at “The Place” à Londres le 12 septembre 2009 avec:

Luca Silvestrini, “…5,6,7,8”.

Vera Tussing et Albert Quesada, “Your Eyes”.

Colin Poole et Simon Ellis, “Colin, Simon and I”

Deborah Light, “Untitled”

Zoi Dimitriou, “In the process of…”

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Bilan du Festival « Mens Alors ! »: mince alors.

Le Festival de Mens dans l'Isère a donc invité « Le Tadorne » pendant une semaine à jouer le rôle du spectateur-critique. Inscrit dans un programme composé de concerts, de bals, d'ateliers, de ballades et de déambulations, j'avais rendez-vous quotidiennement avec les festivaliers pour écouter leurs ressentis sur les différents spectacles proposés. Posté dans différents cafés à des heures improbables, je n'ai vu  personne. Il a donc fallu déambuler.

Pierre Quenehen, le directeur du festival, promeut « l'échange et la création », « la culture et le lien social », « la place à l'imprévu pour surprendre le spectateur », « la faille pour que l'artiste interroge son art ». Il ne cesse de répéter qu'artistes et intervenants doivent « porter leur projet de façon autonome pour que les lignes bougent et que l'acte de création prenne tout son sens ». Sur le site internet, il préconise  «…le choc des confrontations esthétiques, entre « art étrange », « art de l'ellipse » et « art festif »? et l'entêtement à ne jamais renoncer à ce que l'équipe, les partenaires et la population trouvent leur place dans ce projet ».

« Mens Alors ! » est l'un des rares festivals à mettre en avant le processus plutôt que de promouvoir ses têtes d'affiche. Ainsi, « quelques bulles de sens » (pour reprendre l'expression d'un spectateur) ont put émerger ici ou là.

Les ateliers slam animés par Frédéric Nevchehirlian au Centre de Vacances « L'Ermitage Jean Reboul » avec des adultes handicapés ont tenu leurs promesses : la qualité des écrits en disait long sur le processus créatif et de confiance facilité par le chanteur. On a cependant vivement regretté que ces productions ne soient seulement proposées au public lors de premières parties ou d'impromptus sans qu'il puisse irriguer le reste de la programmation. Toutefois, le concert de Frédéric Nevchehirlian avec la batteuse Tatiana Mladenovitch fut émouvant comme en résonance avec le travail des ateliers.

Autre bulle avec la pianiste Sophie Agnel qui nous a offert un concert éloigné des schémas linéaires d'écoute. Deux rencontres « improvisées » avec Frédéric Nevchehirlian et la comédienne Clara le Picard ont agréablement étonné : il y a eu chocs, confrontations et une profonde écoute entre artistes qui ne se connaissaient pas. Le piano et les poètes vont décidément si bien ensemble? Mais on aurait aimé une rencontre avec les vacanciers de l'Ermitage pour que leurs créations poétiques trouvent un prolongement.

Autre bulle, avec le couple Deborah Walker et Greg Gilg. Réunis pour la circonstance, ces deux violoncellistes nous ont littéralement charmés avec leur répertoire de chansons d'amour. A la frontière de la « comédie » musicale, nous les encourageons à poursuivre le travail initié à Mens. Ces deux-là pourraient nous surprendre?

La bulle du film « Six » projetée le premier jour sous la Halle de Mens a enchanté, mais elle a fini par éclater! À partir de six personnages clefs, Victor de Las Heras a filmé la vie du festival en 2008. Mais déjà, le malaise était perceptible. Le public, absent du film, laissait place à une mise en scène où le festival était à lui seul un objet artistique. Ce processus autocentré fut alimenté en 2009 par le cloisonnement des publics: au « Café des sports » se réunissaient les musiciens et la jeunesse du festival; au Point Info, les bénévoles (accueillants) de Mens guidaient les festivaliers ; à l'Ermitage (à 20 km), l'artiste associé, Fréderic Nevchehirlian, animait les ateliers.  « Mens Alors ! » accueille aussi une communauté normande en plein Trièves : artistes, famille du directeur et la majorité des bénévoles sont originaires de Rouen! Les connexions entre les Mensois, les touristes et la communauté me sont apparues éphémères si bien que le festival semblait être une somme de collectifs en difficulté pour créer du « lien social » (encore faudrait-il définir cette notion !)

D'autant plus qu'une confusion s'est installée tout au long de la semaine : les bénévoles étaient parfois « acteurs » au cours de parcours « artistiques ». L'impréparation dominait comme si l'on confondait improvisation et immédiateté. Or, l'improvisation est un processus qui s'inscrit généralement dans une pratique artistique affirmée. Elle le fruit d'un long travail de recherche : or, à Mens, elle se réduisait à une démonstration, à des objets, où la forme prenait le pas sur le fond (ici des lectures dans des églises et des caves, là des mouvements dansés dans la terre avec des combinaisons blanches, ailleurs un clarinettiste qui soufflait dans le vide accompagné d'une danseuse un peu perdue, là-bas des activités de relaxation). À défaut d'être acteur, on était  « récitant », tout en empruntant les codes du théâtre. Comme le faisait remarquer une spectatrice, « ce n'est pas ce que l'on voit qui importe, mais qui on voit ». Est-ce pour ces raisons que l'événementiel semble avoir pris le pas sur la dimension sociale du festival ?

À voir certaines affluences lors des soirées de concert, on ressent que « Mens Alors ! » gagne en notoriété et qu'il est peut-être à un tournant de sa jeune histoire. Il va devoir s'ouvrir à d'autres artistes, créer des partenariats avec la MC2 de Grenoble ou “La Passerelle” de Gap, s'implanter durablement sur le territoire, impliquer encore un peu plus la jeunesse locale dans le bénévolat,  inviter le théâtre (quitte à réduire la programmation), oser les arts performatifs créateurs de liens, initier des stages pour le public avec des artistes professionnels, articuler un peu mieux professionnels et amateurs à partir de « work in progress » qui stimulerait l'imaginaire du spectateur,  et s'inscrire dans les réseaux médico-sociaux du territoire.

Programme ambitieux et alors ?

Pascal Bély ? www.festivalier.net

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Festival de « Mens Alors ! ». Episode 4: peut-on héberger Google?

Au festival « Mens Alors ! », un mot ne cesse de revenir dans les conversations entre bénévoles : « hébergeur » ou « hébergé ». En effet, il n'y a qu'un seul hôtel, un camping et quelques chambres d'hôtes. Pour loger l'afflux de festivaliers, les habitants proposent de les héberger. Sur Google, ce mot a perdu toute son humanité. On « héberge » des images, un blog, on « stocke des documents ». Plus loin, on peut même « héberger son fournisseur d'identité », voire préférer un « hébergement mutualisé pour des applications métiers ».

Appliquées à mes hébergeurs (Mr et Mme Michel), ces définitions sont tout à fait pertinentes. En effet, chez eux, « mutualiser » semble faire partie de leur éthique de vie. Tout au long de mon séjour, j'ai pu constater à quel point ils stockaient  la mémoire du festival. Le slogan de « Mens Alors ! » (« Échange et création ») est le projet de toute leur vie jusqu'à l'inclure dans leurs pratiques d'enseignants.

 

 

Photos de Francis Helgorsky – Festival Mens 2008.

Denis Michel, professeur de biologie, aime les sons et la photographie. Son association « écoute voir » mène des actions pédagogiques pour offrir aux élèves l'opportunité de déployer leur créativité. Avec le photographe Francis Helgorsky, ils réalisent des reportages photographiques dans les villages de montagne (Tréminis, Miribel-Lanchâtre, Saint Martin de la Cluze) à partir de clichés pris par les habitants. Le résultat est époustouflant de sincérité et d'humanité. À force d'échanger sur leurs travaux, j'ai l'impression d'être dans le off du festival !

Mais, une question vous taraude cher lecteur : mes hébergeurs sont-ils des fournisseurs d'identité ? Oui ! Je me ressens bien plus blogueur chez eux qu'au sein du festival. Ils hébergent mon blog alors qu'il n'y a pas internet dans la maison, mais je sais qu'ils en ont une représentation, car leur écoute sur ma passion est profonde et sans limites.

Je ne me suis jamais senti aussi bien hébergé. Mr et Mme Michel et leur famille donne à ce mot leur part d'humanité que Google semble ne plus référencer, à l'image de notre pays qui en fait presque un délit concernant les sans-papiers.

Au festival « Mens alors ! », il y a de l'hébergement un peu partout. Quand la pianiste Sophie Agnel, elle-même hébergée à l'Atelier, accueille la comédienne Clara Le Picard pour un conte musical improvisé devant une vingtaine d'enfants, l'hébergement est alors un mot d'avenir tant il autorise la rencontre, les croisements, l'acte artistique.

Mais c'est un mot circulaire. Alors que la jeunesse Rouennaise est fortement implantée à Mens le temps d'un festival (Pierre Quenehen, le directeur, est originaire de Rouen), on se prend à rêver que les Mensois débarquent en Normandie pour y être hébergé. « Mens alors ! » serait le festival permanent de l'hospitalité réciproque. Qu'en dit Google ?

Pascal Bély – www.festivalier.net

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Festival de « Mens Alors ! ». Episode 3 : Oh, mon château !

Le festival « Mens Alors ! » est une grande famille. Depuis sept ans, les liens ont eu le temps de se créer. Aujourd'hui, elle nous montre son plus beau bijou : le château de Montmeilleur,  à trois kilomètres de Mens, généreusement mis à la disposition du festival par ses propriétaires. De 15h à 1h du matin, concerts, lectures, petites formes musicales se succèdent. On prend le temps de flâner et de contempler le magnifique paysage de montagnes qui entourent le site. Mais un château ne rassemble pas, il émiette les visiteurs. Tout en étant un temple de la séduction, il symbolise la relation hiérarchique (eux en haut, nous en bas). Autant dire que l'on n'erre pas, on s'y promène. Les bacs servent de piscine où les enfants font pipi dedans, les musiciens se planquent pour que l'on s'amuse à les débusquer.

Dans un château, il faut déambuler, car on ne se sent chez soi nulle part ; c'est toute la différence avec les espaces publics, telle la halle de Mens ouverte aux quatre vents. La Walt Disney Company l'a bien compris avec ses parcs où les châteaux rivalisent entre eux pour mieux enfermer tout regard critique et citoyen et séduire le consommateur.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=aFuox9Ab_rY&w=425&h=344]

Le spectateur-critique n'aime pas les châteaux comme lieu du spectacle vivant, car on n'y croise aucun « fou ». Sauf aujourd'hui. Bernard Combi avec sa voix d'ours mal léché, nous chante un poème en occitan dédié à son père. Il faut le voir pour le croire avec son accordéon si petit et lui si imposant. Combien de temps avons-nous laissé ce bel artiste au cachot ? Merci à « Mens Alors ! » de l'avoir libéré !

Mais après cette performance détonante, il faut errer à nouveau au son de la guitare électrique de Jean-François Pauvros. Planté au milieu du parc face à l'Obiou (2790 mètres), sa guitare part en live et sa musique se fond dans les montagnes abruptes environnantes.

 


À 19h30, la foule se presse pour « Histoire du soldat » d'Igor Stravinsky joué par Pierre Quenehen (directeur du festival), Juha Marsalo et Sara Orselli comme « danseurs récitants ». À l'articulation d'un défi entre amis et d'un travail artistique, l'?uvre nous éloigne par sa trop grande fragilité d'interprétation. La mise en scène hésite entre  « son et lumière » et spectacle pour enfants. À ratisser trop large, on ne bouscule personne, tout juste séduit-on ses amis, sa famille et écarte-t-on le nouveau public venu ce soir. D'autant plus que la présence du manager du festival sur scène brouille les pistes et renforce le clan familial!

En début de soirée, « Les Alcolytes » proposent un bal tzigane. Mais le blogueur critique a ses limites ! On s'amuse sur leur musique, mais nous continuons à persécuter les Roms à l'entrée de nos villes. Plus envie de danser…

Il est 22h30. Je quitte le château et je pense à ce modeste blog : il me protège de la séduction, m'aide à créer des ponts au coeur de mes archipels. C’est déjà pas si mal.

Pascal Bély ? www.festivalier.net

 

Photo: kibitzone.

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Festival de “Mens Alors” ! Episode 2 : attention fragile.

Déjà deux journées dans ce festival niché au creux des montagnes, et l'étrange impression que « Mens Alors ! » nous travaille, nous festivaliers et artistes. Ici, tout acte artistique semble fragile, en tension permanente parce qu'en interaction avec « la » représentation que nous nous en faisons.

Photo de Francis Helgorsky – Festival Mens 2008.

Quand le public vient chanter « nos chansons préférées » avec la chanteuse Anne-Laure Poulain et doit se mêler avec les personnes âgées de la maison de retraite de l'Obiou, la scène prend une tout autre configuration. C'est qu'il ne suffit pas d'entonner en c?ur « le temps des cerises » sans se poser la question : « que faisons-nous de nos vieux » ? Le positionnement du festivalier n'est plus le consommateur de culture, mais le producteur de liens à partir de sa fragilité. C'est parce que la vieillesse nous attrape à la gorge que nous pouvons chanter « nos copains d'abord » et participer à l'?uvre collective. La scène se construit lien à lien et il n'est pas étonnant que vers la fin de la représentation, nous ayons tous envie de danser. Le corps s'invite toujours au c?ur du maillage.

Quand le public vient écouter la pianiste Sophie Agnel, il ne sait pas encore qu'il s'agit de musique « expérimentale » ! Ici, le piano est ouvert et accueille toute une série d'objets (gobelets, balles, brosse, ?). Sophie Agnel improvise et sa musique produit les sons qui déconstruisent notre vision linéaire de la partition, du concert. Il nous faut alors lâcher pour prendre la mesure de la profondeur dans laquelle cette artiste hors du commun nous plonge.  La musique n'est plus ce chemin tout tracé que l'on emprunte, mais le fruit d'une interaction avec la pianiste. Et c'est l'intensité de ce lien qui la guide dans son improvisation. C'est impressionnant, envoûtant, car de cette interaction avec le public naît une esthétique de la représentation (l'intérieur du piano est une scène d'art contemporain !) et une musique au confluent du free jazz et du classique. Expérience unique.

 

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=c_eUd_bnWSU&w=425&h=344]

 

Quand le public vient regarder à 22h sous la halle de Mens « Six » de Victor de las Heras, il ne sait pas encore que ce jeune documentariste va lui tendre un miroir fait de tendresse, d'humour, de poésie et de sens. L'an dernier, caméra vidéo sur l'épaule, il a suivi pendant toute la durée de la 6ème édition du festival,  six personnages clefs (le directeur, le régisseur, un chorégraphe, ?). Magnifiquement monté, on bascule avec jouissance dans l'univers de Jacques Tati. Ces personnages deviennent alors des figures héroïques à l'heure de la marchandisation croissante de la culture. « Six » peint le portrait d'une France inconnue, celle qui pas à pas, sans moyens, construit les nouvelles solidarités à partir de la créativité cachée qu'il faut débusquer !

Il est presque minuit. Alors que nous quittons la Halle, Nicolas Le Balch, professeur à Rouen et bénévole pour le festival, est perché sur la croix du jardin de l'Église. Il improvise une danse à partir d'un slam. Il tourne autour de nous, fait virevolter les mots et plonge son corps dans la fontaine d'eau glacée. Nous courons après lui dans les rues de Mens pour l'applaudir. Mais il a déjà disparu.

Ici, le fragile fait même des apparitions.

Pascal Bély

www.festivalier.net

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Aux Hivernales d’Avignon, “Métaphormose(s)” ou l’art de prendre un oeuf pour un boeuf

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=cmXP2liLj4o&w=425&h=344]

La compagnie Epiderme, de la région Rhône-Alpes, a installé son laboratoire de fortune pour seize jours au studio des Hivernales. « Métaphormose(s) » semble être un titre à tiroirs et l’on s’amuse à le décomposer : métaphore, métamorphose, osmose, méta… Et l’on pense à Kafka et rien qu’à lui. Le choix du titre n’est donc pas anodin.

 Plongé dans l’obscurité la plus totale, nous sommes conviés au jeu de la perception. La vue se trouve altérée avec une succession d’ombres et de lumières permanent. Est-ce une contrebasse ou le corps d’un homme, est-ce un ventre qui parle ou une forme indéfinie venue de l’espace, court-il ou fait-il du surplace?  Tout à la force d’être un et son contraire. Mais après? Les réflexions qui alimentent les tableaux tournent en rond annonçant une fin téléphonée, celle de l’effacement du corps du danseur.

Je décide de fermer les yeux et métamorphose à souhait ce spectacle jusqu’à sa disparition totale de ma mémoire.

Laurent Bourbousson – www.festivalier.net


“Métaphormose(s)” par la compagnie Epiderme (Nicolas Hubert) aux Hivernales dans le cadre du festival Off d’Avignon jusqu’au 26 juillet 2009.

Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

Un dimanche avec Pina Bausch. Toute une vie.

 


Cet article a été écrit en avril 2006, à mes débuts de “spectateur blogueur”. Ce fut une révélation.

Il s'est donc passé quelque chose au Théâtre du Merlan en ce dimanche après-midi pour qu'aujourd'hui ma tête divague, pour qu'il soit si difficile de me centrer sur une tâche.
Il s'est donc passé quelque chose pour qu'encore une fois la danse y aille de son joli travail sur mon inconscient.
En ce lundi opaque, il y a l'image de cette femme magnifique et de sa jolie robe bleue (en photo). Elle est “âgée” comme ses 26 autres partenaires. Elle danse « Kontakthof » de Pina Bausch à Marseille devant une salle comble. Cette pièce créée en 1978 est rejouée en 2006 à l'identique mais avec des danseurs de plus de 65 ans. La scène se joue dans le hall d'une maison close avec autant d'hommes que de femmes. Le contexte est explosif. Au bout de 2h45, je sors hagard, lessivé, ailleurs.
Pendant cet espace temps, ces hommes et ces femmes vont s'aimer, se toucher, se haïr, se séduire, nous séduire, se manipuler (dans tous les sens du terme), nous manipuler, s'émouvoir, se tuer, s'embrasser, jouer à l'enfant, se fuir, s'enfuir, s'enlacer, nous larguer, se séparer, revenir, partir. D'un bout à l'autre de la scène, je les suis, je la suis. Elle me submerge d'émotions. Qui est cette femme ? C'est l'Allemagne que je chéris, c'est la femme qui m'a mis au monde, c'est elle que je défends contre l'oppression masculine, qui me laisse pour un autre sans me quitter. Je sais ce que je suis pour elle ; lui n'est là qu’un court instant. Et les autres ? Je fais avec. Ils tournent autour d'elle, elle s'amuse d'eux. Avec eux, elle tourne en rond mais elles les aiment?c'est plus fort qu'elle. Ils sont toute sa vie ; jusqu'à la mort.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=hZT5XIqlyUU&w=425&h=344]

Le hall de cette maison est l'espace où toutes leurs vies se rejouent en accéléré, comme dans un film animalier qui suivrait une couvée de canards, de la naissance à la mort?A 65 ans, leurs corps parlent plus que jamais. Leur moindre geste est une danse. Leurs lèvres dansent la séduction, leurs pieds chorégraphient leur inconscient.
A 65 ans, leurs corps sont façonnés, pétris par les mains de l'amour et par la brutalité des sentiments. Ces corps ont tout encaissé ; ils dansent devant nous. A 65 ans, je danserai comme eux, pour elle.
« Kontakthof » est un chef d'?uvre d'humanité. Il nous renvoie à notre propre histoire, à notre vieillesse, à notre corps.
« Kontakthof » est cette maison close dans laquelle nous jouons nos vies amoureuses.
Pina Bausch nous ouvre la porte pour aller danser ailleurs.
Pascal Bély – www.festivalier.net

 
Catégories
EN COURS DE REFORMATAGE

A Montpellier Danse, le corps papyrus d’Angelin Preljocaj.

L’écoute est profonde. Le public est sur un fil, en équilibre, prêt à tomber parce que la hauteur donne le vertige. Nous le regardons, le suivons pas à pas, pour ne perdre aucun geste, n’égarer aucun mot. Aurions-nous peur pour lui ? A-t-il peur de nous alors que nous attendons tant de cette rencontre pour peupler notre imaginaire de mythes et de héros ? Tandis que le temps de la catastrophe habite les propositions chorégraphiques acutelles,  aurions-nous paradoxalement besoin  de ressentir celui de la fragilité ?

Le chorégraphe Angelin Preljocaj incarne le texte de Jean Genet, « le Funambule », texte passionné à l’attention de son amant acrobate. À 52 ans, alors que sa compagnie parcourt le monde avec « Blanche Neige », l’homme s’est retrouvé seul pour créer et adapter ce texte d’amour. Il répéta, tel un visionnaire, scrutant le ciel d’Aix en Provence du haut du dernier étage de son bien nommé Pavillon Noir, bâtiment de verre et de béton. Ici, sur la scène de l’Opéra, tout n’est que rouleaux de papier chutant du plafond, décollant du sol, et projettant en ombres chinoises le corps d’un artiste en équilibre entre danse et texte. Et l’on ne peut en faire l’impasse : cet artiste là, est Angelin Preljocaj. L’acrobate est son double. Rien ne vient troubler cette métaphore.

Ni le ton de la voix souvent monocorde : il se plaît à dire dans les interviews qu’il n’est pas comédien. Certes, mais c’est un “chorégraphe poète”.

Ni l’exceptionnelle scénographie dont il a l’habitude d’habiller ses ?uvres. Le papier roule, s’enroule, déboule comme un danseur ; colle au corps tel un suaire, et l’enveloppe de lumière pour le projeter vers les parois étanches de notre imaginaire.

Ni sa danse. Je le reconnais comme étant le treizième homme d’une de ses pièces « MC 14/22, ceci est mon corps» où douze danseurs, pour signifier le corps masculin, jouent avec des tables pour le disséquer, le malmener, l’interroger. Lui donner forme humaine.

Ce soir, Angelin Preljocaj semble poursuivre ce travail en incarnant le corps masculin avec une matière poétique qu’il malaxe, qu’il menace avec un couteau, avec ce décor qu’il déchire, qu’il fait saigner, qu’il décolle.  En lieu et place des tables de « MC 14/22 », un autel. L’amour serait-il à ce point sacré ? Le décor épouse tout à la fois la puissance du lien amoureux et la fragilité d’un art, la danse, qui froisse les corps tel le bruit d’un gobelet en plastique écrasé.  « Ceci est mon corps » semble-t-il nous dire en substituant au vin du calice ,une pluie d’or qui vient se coller à son corps transpirant. « Ceci est ta danse » voudrait lui répondre le funambule.

De ce dialogue imaginaire, né le spectateur équilibriste qui se plaît à tendre un fil d’Ariane pour retrouver son chemin parmi ce langage poético-chorégraphique. Mais surtout pour  ne pas perdre le lien avec cet artiste funambule qui met le feu aux mots avec son corps brûlant d’amour pour la danse.

 

 «Peu nous importe à toi et à moi un bon acrobate : tu seras cette merveille embrasée, toi qui brûles, qui dure quelques instants. Tu brûles. Sur ton fil tu es la foudre. Ou si tu veux encore un danseur solitaire. Allumé je ne sais par quoi qui t’éclaire et te consume à la fois, c’est une misère terrible qui te fait danser. Le public ? Il n’y voit que du feu, et croyant que tu joues, ignorant que tu es l’incendiaire, il applaudit l’incendie.» Jean Genet.


Pascal Bély

www.festivalier.net

Le photographe Laurent Paillier a  aimé ce funambule. Les photos sont ici.

 

« Le funambule » de Jean Genet par Angelin Preljocaj a été joué les 22, 23, et 24 juin 2009 dans le cadre du festival Montpellier Danse.

Crédit photo: Jean-Claude Carbone.

 

 

Revenir au sommaire

Consulter la rubrique danse du site.