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AUTOUR DE MONTPELLIER THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

To be or not to be written

En cette fin de semaine, je sors hors des murs de la ville. Je roule, tambour battant, vers un de mes lieux préférés, Sortie Ouest à Béziers. La fraicheur de la nuit nous accueille, et dès le premier chapiteau, l’équipe est là, attentionnée pour chaque spectateur. Un sourire, un mot, un geste. Quel plaisir de retrouver Isabelle, Laurent, Jean et les autres !

Le deuxième, légèrement plus grand, nous invite dans le plaisir de la bonne bouche, autour de cuvées et de produits de la région. On y croise des visages connus, perdus de vue, on se raconte nos parcours divers, on rit et on est bien. L’atmosphère est chaleureuse et suscite les échanges.

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Ce vendredi, je viens retrouver David Ayala, comédien que j’avais remarqué à Avignon cet été, dans ” La carte du temps” au théâtre des Halles. Dans ce circuit de chapiteaux gigognes, nous prenons place dans le dernier. La salle reste éclairée. Les premières minutes me surprennent, car le public se met très vite à rire, aux moindres mimiques du comédien. Ce n’est pas un on man show pourtant? Je reste à l’écoute, silencieuse, j’attends.

Le metteur en scène a choisi de jouer sur sa posture. Celui qui dirige les comédiens, qui note ses idées de création…. David se campe, avec son grand corps, comme un monument du théâtre. Il étale sa puissance de savoir, connait toutes les ficelles du métier, les références littéraires ou cinématographiques. Il est en action vivante de recherche. On le sent boulimique de travail comme tout artiste passionné. Son visage prend la dimension de son imaginaire et se transforme à chaque instant. Il cherche à partager sa vision. Son regard s’appuie sur celui des spectateurs qu’il interpelle. Ils sont ses comédiens d’un soir. Dans ces allers et retours, nous rentrons dans l’envers du décor.

Régulièrement, comme dans une scène rêvée, le noir s’abat sur le plateau, et la clarté d’un projecteur révèle la qualité scénique du comédien, qui retrouve le texte de Shakespeare. Grâce à ces flashs,  nous suivons le fil de l’histoire terrible de Macbeth. Je sens des larmes pointer, et quand la lumière revient, la construction créative poursuit son processus. Les doutes, les questionnements, valsent entre les impulsions du metteur en scène. Il bouillonne à travers ses guerres intérieures et historiques, pour passer vers l’au-delà.

On ne sait plus s’il vit la réalité ou un cauchemar quand il se plonge dans la baignoire. Il prend un bain de souffrance, il se lave de ses échecs et se tourne vers nous, nu, dégoulinant;  il se donne à nous public. L’éclat du rouge sang sera le dernier costume qui inondera sa peau. Il est de chair.Nous sommes ses voyeurs censeurs, qui feront vivre ses créations.

Je pense à ceux qui ne sont plus là et qui nous ont tout donné sur scène…Je pense à ces guerriers prêts à sacrifier leur vie, pour la liberté de leur pays et de leurs concitoyens.

Au théâtre, je deviens, à mon tour, un être de chair et de pensée.

Sylvie Lefrere – Tadorne

“Macbeth”( The notes) de Shakespeare mis en scène de Jan Jemmett, à Sortie Ouest du 15 au 17 janvier 2014.
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PAS CONTENT

Sortie en vidéo de “Mort à Venise” par Thomas Ostermeier.

Voir une pièce de théâtre après une journée de travail met à vif mes attentes envers un spectacle. Encore plus lorsqu’il émane d’une «figure» importante du monde théâtral de ces dernières années, représentante attitrée d’un «théâtre politique» qui se veut renouvelé. Ce mardi en fin d’après-midi, je quitte mon établissement scolaire. Comme bien d’autres de ce type, il est confronté à de nombreuses difficultés aussi bien individuelles que collectives : un corps social en décomposition, des attitudes pulsionnelles de repli qui fissurent toute idée d’unité et de vie en commun, même si coexistent aussi des affects démultipliés, des appels à la solidarité et des manifestations d’humanité. Ces paradoxes sont particulièrement difficiles à penser, car y être confronté au quotidien présente le risque de manquer de discernement et de perspective ; tandis qu’adopter une posture distanciée peut faire manquer l’objet. Comment, cependant, faire l’impasse sur ce qui synthétise à bien des égards les enjeux politiques majeurs de notre temps ?

De mon établissement d’éducation prioritaire au Théâtre de la Ville de Paris, j’espère un changement de décor, mais pas seulement : ce qui importe, surtout, est d’essayer de penser notre monde et ce qui peut faire corps de nos jours. «Mort à Venise», le roman de Thomas Mann interroge l’intime, la transgression et l’attrait du mal. Mais ce récit présente surtout l’impossibilité d’un ailleurs. D’un espace à part, d’une utopie. La contamination progressive de Venise montre qu’il ne suffit pas d’être sur une île pour se préserver du choléra…ni place du Châtelet pour que «la banlieue» et ses problématiques s’évaporent. Cela pourrait faire justement l’objet d’un travail artistique, mais encore faut-il en avoir conscience.

L’adaptation du roman par Thomas Ostermeier repose sur un dispositif cynique davantage que scénique : fausse construction contre vraie déconstruction à moins que ce ne soit l’inverse, la mise en scène fait outrageusement penser au travail que Katie Mitchell a mené dans sa trilogie – Christine, d’après Mademoiselle Julie ; le Papier peint jaune ; Reise durch die nacht (Les Anneaux de Saturne entrent également dans cette catégorie). Il reprend presque tel quel le dispositif : des comédiens comme pure présence physique, une accession à leur intériorité par une voix-Off avec traduction immédiate, des images filmées/projetées en direct qui grossissent le plan du visage pour en accentuer les nuances d’expression, un jeu sur le champ-contrechamp invisible, mais prévisible : «La Mort».…Des images vidéos, donc, qui explicitent ce qui l’est déjà et n’a nul besoin de l’être davantage : les personnages d’Aschenbach, de Tardzio et de sa famille bourgeoise ; l’hôtel de villégiature ; le rythme des repas et des sorties à la plage. Il faut reconnaître à la mise en scène de chercher à s’affranchir du film de Visconti. Mais cette présence de la vidéo désincarne une relation que le metteur en scène peine à élaborer, des personnages entre eux ou avec le public. Le jeune Tadzio joue sur I-Pad un jeu de guerre..image sur image…pour quoi ? Cette pseudo-modernité s’avère en réalité bien stérile : elle traduit une relation en miroirs qui ne réfléchit jamais le dehors. Une façon de déconstruire le mythe qui se veut amusante, mais qui est surtout snob et condescendante. On croirait voir une mise en scène théâtrale du directeur de la rédaction de Libé : de la «déconstruction mondaine», comme lorsque le spectacle est perturbé de façon artificielle par un comédien qui interrompt le jeu de tous, demandant de rallumer les lumières. Imprévu tellement prévisible, qui ne fait d’ailleurs par rire grand monde. Ou lorsqu’un musicien et des danseurs flamenco font irruption sur scène…on se demande alors si Ostermeier ne confond pas l’Espagne avec l’Italie… ce sont certes deux pays du sud de l’Europe…Le «cirque médiatique» de ce spectacle se donne même à voir explicitement, lorsqu’un extrait d’article de journal est filmé puis projeté : il s’agit de propos critiques de Thomas Mann sur son roman, le qualifiant de «mi-érudit et mi-raté». Le théâtre politique se résumerait donc à cette plate ambition : être le média des médias…

1h20 de spectacle, ce peut être très long. L’accueil des spectateurs est mitigé. Visuellement belle, dotée d’un accompagnement musical superbe (piano comme caisse de résonance des désirs fous d’Aschenbach), la mise en scène ne suffit pas à penser l’objet. Le final, qui voit les soeurs de Tadzio se transformer en Erinyes dans une chorégraphie grotesque, ne laisse pas seulement vide la scène : où est le propos ? Où est le politique ? Où est ce théâtre prétendument engagé qui inviterait à re-panser le corps social ?

Thomas Ostermeier fait de la scène et de l’intime des îlots privilégiés, manifestement sans se douter que reléguer le réel dans un hors-champ conduit à une impasse : le retour du refoulé, toujours prompt à resurgir, comme nous le rappelle le roman. Mort à Venise, au Châtelet ou en « banlieue », les questions fondamentales restent en suspens…

Sylvain Saint-Pierre, Tadorne.

"Mort à Venise", mise en scène de Thomas Ostermeier au Théâtre de la Ville de Paris du 18 au 23 janvier 2013.
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LA VIE DU BLOG OEUVRES MAJEURES Vidéos

La belle année 2013.

15 grands rendez-vous ont jalonné mon année de spectateur. Ils reflètent mes choix de privilégier des lieux accueillants ,des auteurs et metteurs en scène engagés à renouveller les formes au profit d’une rencontre, d’un propos. Certains s’étonneront de la faible présence de la danse contemporaine. Mais il y a eu  peu de propositions dans l’aire marseillaise (malgré le travail remarquable de Klap, Maison pour la Danse, pour changer la donne) et le festival Montpellier Danse s’est muré dans des valeurs trop sûres. Reste deux belles rencontres : le croate Matija Ferlin et Mathieu Jedrazak qui ont fait le pari de positionner la danse sur le terrain d’une vision à partager.

2013, fut année de tous les superlatifs comme si l’excès devait contrer notre incapacitation à penser la complexité. Avec Katie Mitchell, ce fut le plus long travelling cinématographique sur scène où j’ai vécu de l’intérieur ce que le deuil d’amour veut dire ; dans «Mélanie Daniels» de Claude Schmitz,  le théâtre m’a guidé vers le cinéma, vers «Les oiseaux» d’Hitchcock, où il est l’art de l’art. Claude Schmitz proposa le plus bel espace mental pour et vers le spectateur où le cinéma ne se «fabrique pas», mais où l’Image est une émergence d’un long traveling théâtral.


Avec Angelica Liddell, ce fut le plus beau tango de Chine pour faire valser le propos sans concession d’une artiste unique; avec le collectif «L’avantage du doute», ce fut les dialogues les plus explosifs entre individus en proie à la marchandisation de la relation humaine. Dans « Le tourbillon de l’amour » de Daisuke Miura, le théâtre m’a immergé dans cette maison où l’on vient pour « baiser » avec des inconnus ; où l’on repart sans adresse, en mille morceaux, mais plus aimant…

« Après la répétition » d’Ingmar Bergman par le tg STAN a dévoilé deux acteurs en proie au tourment de leur théâtre amoureux où fiction et réalité forment un tourbillon poétique…

Je ne suis pas prêt d’oublier la troupe hongroise et roumaine emmenée par Alain Timar qui nous offrit un «Ubu papa», «Ubu maman» en papier, qui se froissent pour un oui ou pour un non. À l’image d’un pouvoir qui déchire les âmes pour régner sans toi, ni loi.

« Antiteatre » d’Après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin, a lui aussi joué du pouvoir. Et comment…pendant plus de six heures, j’ai quitté un contexte alourdi par les propos d’une classe politique épuisée pour rejoindre une contrée où des artistes abordent la douleur sociale en agitant la pensée créative d’un auteur.

Je me souviens encore des “Particules élémentaires de Julien Gosselin. Il a réussi à réunir des générations de spectateurs en déstructurant le texte de Houellebecq pour créer un lien ouvert entre littérature, science, art, tout en nous positionnant comme co-penseur de notre époque!

Dans « Sœur je ne sais pas quoi frère », Philippe Dorin nous a offert, petits et grands, une vision sans limites d’une fratrie où nous serions une partie et le tout ! Moment exceptionnel où le théâtre vous plonge dans les abymes de l’inconscient familial.

«À la renverse» de Karin Serres, mise en scène de Pascale Daniel-Lacombe, fut aussi une mise en abyme où j’ai ressenti ma trajectoire de vie incarnée dans celle d’un couple amoureux épris de Bretagne, de cosmos et de New York !

Et puis…en 2013, il y a eu deux grandes rencontres: avec le clown Ludor Citrick dans « Qui sommes-je ? » ; avec le Téatro Distinto dans « La pécora négra ». Deux rencontres pour puiser dans les ressorts créatifs des artistes, l’énergie de croire qu’il reste à créer ce que nous ne connaissons plus.

15 oeuvres…majeures.

«Reise Durch Natch », Katie Mitchell, Festival d’Avignon – Allemagne.

Angelica Liddel, «Tout le ciel au-dessus de la terre (Le Syndrome de Wendy)»Festival d’Avignon – Espagne.

«La légende de Borneo», le Collectif l’Avantage du Doute, Théâtre de Nîmes – France.

– « Ubu Kiraly », mise en scène d’Alain Timar, Théâtre des Halles, Avignon – France-Roumanie-Hongrie.

«Les particules élémentaires” , mise en scène de Julien Gosselin, Festival d’Avignon – France.

«A la renverse» de Karin Serres, mise en scène de Pascale Daniel-Lacombe, Théâtre du Rivage, Festival « Théâtre à tout âge », Quimper – France.

– «Après la répétition» d’Ingmar Bergman par le TG STAn, Théâtre Garonne, Toulouse – Belgique.

– «Antiteatre» d’Après Rainer Werner Fassbinder, mise en scène de Gwenaël Morin, Théâtre de la Bastille, Festival d’Automne, Paris – France .

La Jeune Fille et la morve”  de Mathieu Jedrazak, Festival Off d’Avignon – France.

«Sad Sam Lucky» de Matija Ferlin, Festival Actoral, Marseille, Croatie.

«Le tourbillon de l’amour» de Daisuke Miura, Festival d’Automne de Paris – Japon.

– «Qui sommes-je ?» de Ludor Citrick, « Cirque en capitale », Marseille Provence 2013 – France.

« Sœur je ne sais pas quoi frère» par Philippe Dorin, Festival Petits et Grands, Nantes – France.

«Mélanie Daniels» de Claude Schmitz, KunstenFestivalDesArts de Bruxelles – Belgique.

«La pécora négra », Téatro Distinto, Festival Segni d’Infanzia, Mantova – Italie.

Pascal Bély – Le Tadorne.

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LE GROUPE EN DANSE

Aux inconsolables d’Alain Buffard.

Ce week-end, le chorégraphe Alain Buffard a disparu. Il a joué un rôle important dans ma vie de spectateur. Aucune de ses créations ne me laissaient indifférent et provoquaient au sein de l’équipe des Tadornes bien des débats (comme ici).

Je publie à nouveau un article sur “Tout va bien”, une de ses dernières créations. Qu’il en soit ainsi, là où il est.

Étrange télescopage. Ce soir, sur la route qui me mène au théâtre de Nîmes pour la création d’Alain Buffard «Tout va bien», l’émission «du grain à moudre» sur France Culture disserte sur l’art contemporain autour du critique d’art François Chevallier. Dans son dernier livre,  «La société du mépris de soi : de l’Urinoir de Duchamp aux suicidés de France Télécom” l’auteur dénonce une époque sans appétit, ni énergie, un monde de soumission où règne partout le mépris de soi. L’art contemporain a sa part de responsabilité à travers la domination de Duchamp sur Picasso qui signe le triomphe du grand ricanement de l’artiste sur lui-même. Nous sommes donc durablement entrés dans une ère où la séduction du mortifère s’opère au détriment d’un art aux formes signifiantes et consolatrices. Le débat est vif et passionnant même quand le discours «jargonne». Mais je ressens l’enjeu. François Chevallier rappelle que le cirque est un «art qui console, régénère, donne de l’énergie». Et la danse ? Pas un mot. Étrange coïncidence, car “Tout va bien” évoque précisément les processus qui conduisent à  l’asservissement. Plusieurs pensées me percutent tout au long de la représentation : en chorégraphiant l’époque du mépris, la danse n’est-elle pas un art qui ricane au lieu de consoler ?

Alain Buffard et ses huit danseurs-acteurs-chanteurs décrivent avec talent le désastre : nous sommes durablement immergés dans un système répressif et totalitaire. Tout commence à l’éducation où le parent confisque le désir avant qu’il ne le soit par la société  du  spectacle où l’habit fera le moine (où le bon petit soldat, c’est selon). Tout affublés d’un chapeau déformé pour cerveau disponible, de costumes de premier communiant d’où se dévoilent leurs dessous chic et leurs  portes-jarretelles, ils mènent une guerre sans merci contre l’intelligence et le sensible. Le sexe, autrefois émancipateur, est ici soumis aux pressions du désir pornographique d’autant plus que le politique à la main au cul. Plaqués contre le mur, ils sont à la fois bourreaux et victimes. À force d’être acculés, nous enculons.
Les scènes sont crues, mais ne provoquent pas inutilement, car Alain Buffard est avant tout un chorégraphe : le langage du corps prend toujours le dessus. Le tableau où des chemises blanches volent comme des corps exécutés par le totalitarisme ambiant est superbe. Comment ne pas penser aux suicidés de France Telecom que l’on finit par enfouir, cacher, manipuler, pour masquer notre impuissance ? Nous les sacrifions pour notre petit confort moderne enseveli par la bêtise de cette société consumériste. Avec  Alain Buffard, le matérialisme hystérique est à son apogée jusqu’à empêcher tout esprit de révolte. Mais comment en sommes-nous arrivés là alors que les jeunes ne font plus leur service militaire (dégagés de l’apprentissage de la soumission et du maniement des armes)?  Le langage paradoxal (la double contrainte pour reprendre les théories de l’École de Palo Alto) est utilisé dans la sphère publique et privé : en proposant des alternatives illusoires («pour faire plaisir à ta maman, tu veux cette chemise rouge ou cette chemise rouge?»), il rend fou et amplifie les processus de domination. L’art n’est ici que «ricanement» qui anéantit le regard critique (le passage sur la chanson qui tue est troublant): Duchamp aurait-il définitivement gagné ? Alain Buffard peut-il alors nous offrir Picasso? Car, la réponse est là : retrouver le beau, la contemplation, le sensible pour remettre le sens, les sens, au centre de tout. Sans oublier de réparer, de consoler, comme l’avait fait l’Espagnole Angelica Liddell cet été au Festival d’Avignon, lors de scènes inoubliables.
Avec «Tout va bien», (slogan de la propagande gouvernementale), Alain Buffard nous propose un langage chorégraphique débarrassé de ses frasques conceptuelles. Il nous console lui aussi en convoquant l’imaginaire sensible et décapant de Pina Bausch,  en nous envoyant des «salves» à la manière de Maguy Marin, en appelant le fou et les travestis d’Alain Platel. Nous avons tout cela pour riposter. Nos huit guerriers peuvent alors avancer vers nous, chanter la fleur au fusil, déposer les armes.
La danse est plus que jamais politique.
Aux danses citoyens !
Pascal Bély – Le Tadorne
« Tout va bien » d’Alain Buffard avec Lorenzo de Angelis, Raphaëlle Delaunay, Armelle Dousset, Jean-Claude Nelson, Olivier Normand, Tamar Shelef, Betty Tchomanga, Lise Vermot au Théâtre de Nîmes les 8 et 9 décembre 2010.
Crédit Photo : Marc Domage
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PETITE ENFANCE THEATRE FRANCAIS CONTEMPORAIN

Les amoureux du banc public sont en Bretagne.

C’est à l’auditorium de Quimper. Je m’imaginais une grande salle. C’est finalement une église, transformée en lieu de spectacle comme il en existe tant dans le sud de la France (à Marseille, à Avignon). Ce choix n’a rien du hasard: on entre ici, non pour se recueillir, mais pour s’accueillir, spectateurs de passage, adolescents et adultes, en transit entre ici et là-bas. L’oeuvre «A la renverse» est la pause nécessaire, le temps de s’interroger sur sa route, sa trajectoire de vie ; de penser à ses amours de papier, de ronces et de brindilles, de brumes et d’aurores ; de ressentir la Bretagne comme une terre de tous les possibles, où l’infini est un horizon à sa portée ; où savoir rêvasser sur un banc bleu est aussi précieux que de s’abandonner à la poésie, à la mélancolie, en attendant que ma joie revienne.

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L’autrice Karin Serres et la metteure en scène Pascale Daniel-Lacombe nous donnent rendez-vous pour ce spectacle minutieux, d’une profonde intimité, d’une grâce infinie, loin des bavardages et autres effets spécieux dont on nous abreuve ailleurs pour nous faire croire que nous pensons par nous-mêmes. Ici, le texte de Karin Serres est une introspection à multiples facettes avec pour compagnons de route, deux gosses, Sardine et Gabriel. L’une habite en Bretagne, au bord de la mer, «là où il ne neige jamais». L’autre vient d’Alsace, là où la mer, à bout de souffle, ne peut arriver.. L’un est en déséquilibre permanent pour perdre pieds et poings liés, l’une est à la recherche d’un infini pour s’y voir toujours petite. L’un est axe, l’autre est galaxie. L’un me ressemble, l’autre m’assemble. Chaque été, ils se retrouvent sur le banc bleu, face à l’océan. La puissance évocatrice des rochers dessine New York, la destination où la Bretagne serait une de ses terres qu’une faille aurait séparées. Mais quel est donc cet espace béant entre ici et là-bas , entre elle et lui, entre moi spectateur et nous public?

Chaque hiver, il revient pour le carnaval. Pour tomber à nouveau le masque. Pour se rêver breton, serré comme une Sardine à fluide. Elle, en tutu noir, se voit déjà dans sa robe de ballerine à crier « New York ! » telle une petite princesse qui dessinerait enfin son mouton dans le ciel. Peu à peu, de saison en saison, de paradis en enfers, de chansons rock en ballades folk, nous traversons leur vie d’amour où les pleurs se confondent avec l’écume, où la brume véhicule les rêves les plus fous, où le vent est un souffle vital pour s’émanciper, même de celui que l’on aime. Peu à peu, j’assiste médusé à une vie, où la séparation n’est qu’apparente, car tout finit par se lier, se croiser, se mêler : on ne peut rien contre un fil d’Ariane, même dans le cosmos. Ils ont tout l’espace pour eux : celui de la Bretagne, de la Voie lactée où Sardine, doctorat de physique en main, décolle pour y chercher d’autres rochers d’Amérique. Entre temps, il faiblira…elle sera là. Entre temps, il y croira…elle sera loin. Entre temps, il la retiendra…elle filera rejoindre la robe de la ballerine céleste.

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Ces deux acteurs (Elisa Ruschke, Carol Cadilhac) sont des magiciens de la rencontre et réussissent le tour de force de métamorphoser une petite scène positionnée en bi-frontal en miroir grossissant de notre carte de vie d’où surgit le désir…celui de vivre, de rêver, de regarder au loin, de parier sur l’improbable, de résister à la fatalité de destins déjà écrits. «À la renverse» transporte d’autant plus qu’ici, le technicien plateau (Etienne Kimes), se déplace au grès des changements de temps et d’espace: sa présence nous offre un ballet de fantômes qui s’invite à la noce, sur la piste aux étoiles.

Sardine et Gabriel finissent par rejoindre leur quai des brumes. De mon côté, je quitte l’église et me plaque contre un mur au soleil. Ce théâtre-là m’a propulsé sur la trajectoire de ma ligne de vie ; celle de ma main, ouverte par des artistes marins.

Arcade Fire – Afterlife – Live du Grand Journal

Le lendemain, au bord de la mer d’Iroise, sur un banc vert, j’ai dansé sur “Afterlife” d’Arcade Fire. Pour graver à jamais dans le granit, ce théâtre de rock and rouleaux.

Pascal Bély – Le Tadorne

Crédit photo: Xavier Cantat.

«À la renverse» de Karine Serres, mise en scène par Pascale Daniel-Lacombe (Théâtre du Rivage) au Festiva «Théâtre à tout âge» de Quimper du 17 au 20  décembre 2013.
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Marseille Provence 2013

Tous au J1 de Marseille le 22 décembre 2013 !

Tandis que l’équipe de Marseille Provence 2013, capitale européenne de la culture, prépare un grand feu d’artifice pour le 31 décembre,

Tandis que les chiffres de fréquentation de l’année capitale tombent comme des trophées économiques,

Tandis que colloques et débats se succèdent pour déposer le bilan et inviter le public à poser  (…posément) des questions aux experts de la culture,

Tandis que peu à peu, chacun se projette en 2014 dans un contexte de fortes certitudes…il ne passera pas par moi…il ne repassera pas par là…

Tandis….

Il y a des citoyens qui s’interrogent, qui se mobilisent…Pourquoi le J1, espace appartenant au Port Autonome, est-il voué à disparaître du paysage culturel marseillais en 2014 ? Ce sublime lieu, plongé dans le site extraordinaire du port de Marseille, a fait de nous des visiteurs sensibles, des chercheurs de midi contemplatifs, des Méditerranéens déraisonnables, des corbusiens visionnaires vers des baies vitrées, focales de nos désirs de voyages imaginaires. Nous avons aimé cet espace suspendu, entre terre et mer, où le paysage environnant s’est fondu dans l’art, provoquant notre sidération de nous sentir profondément de Marseille, ville qui accepte de se voir si belle dans le reflet de nos regards marins…

Ce lieu populaire va donc disparaître parce que nos élites aveuglées de chiffres ne voient plus que l’art fait lien. Ils n’ont pas compris que le J1 était le lieu de rassemblement des personnages qui résident en nous. Ils ne savent plus qu’un port est l’ancrage de nos errances…

Nous ressentons le J1 comme le patrimoine capital d’une humanité de Marseille,

Nous ressentons le J1 comme le lieu des recherches de tous les midis,

Nous ressentons le J1 comme un bateau, ouvrant la dentelle du Mucem vers d’autres esplanades…vers d’autres rivages.

J1

Le 22 décembre sera le dernier jour d’ouverture du J1. Nous vous donnons rendez-vous à 15h30 pour que les grilles qui l’entourent puissent accueillir vos mots, vos images…

Pour que ce bateau imaginaire reste à quai sous la pression de nos attachements réunis.

Pascal Bély- Le Tadorne.

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FESTIVAL D'AUTOMNE DE PARIS FESTIVAL D'AVIGNON Vidéos

Festival d’Automne de Paris: Pourquoi “Partita 2” peut-être une pièce-clé et comment a-t-elle créé le dissensus?

Du 26 novembre au 2 décembre 2013, les chorégraphes Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz présenteront «Partita 2» au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne. Nous sommes nombreux parmi les Tadornes à l’avoir vu au Palais des Papes lors du dernier Festival d’Avignon. Je me souviens encore de nos colères à la sortie d’un spectacle que nous n’avons pas accepté tant l’art de l’entre-soi considère le public comme une variable d’ajustement. Une véritable fracture était apparue entre les professionnels de «la culture» et les spectateurs : d’un côté, une critique d’érudits; de l’autre un public qui n’aurait pas compris. Cela faisait longtemps que l’on ne m’avait pas classé dans les ignorants. Soit.

Nous publions le regard de Sylvain Pack à qui je reconnais un beau travail de recherche, mais qui ne parvient pas à relier ma sensibilité à ce travail chorégraphique trop en hauteur…de vue?

Pascal Bély- Tadorne.

Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz n’auront pas besoin de mon regard pour défendre la pièce qu’ils ont interprétée en clôture du dernier Festival d’Avignon, mais je souhaite expliquer pourquoi je me dissocie autant de la critique entendue depuis qu’ils l’ont présenté dans la cour d’honneur. Prétentieuse, fainéante, élitiste, mesquine, plusieurs adjectifs qui résumeraient les reproches lus et formulés contre l’expérience proposée.

La structure en 3 actes : le temps de l’écoute, le temps de la danse, le temps de la rencontre entre son et mouvement semble pourtant être le meilleur choix pour offrir aux spectateurs les points de vue cardinaux sur l’objet d’une recherche scénique. Recherche de deux chorégraphes liés par l’écriture de la danse, la musicalité dans la danse et les avant-gardes en danse contemporaine. Ces deux artistes ont rencontré, collaboré et étudié les ruptures décisives (Lucinda Childs, Odile Duboc, Yvonne Rainer Deborah Hay, Simone Forti, ou plus récemment Julyen Hamilton, Mark Tompkins, David Zambrano…) Faisant un écho tardif aux arts plastiques, ces positionnements d’artistes ont permis à la danse de se dégager de la notion de représentation en se concentrant sur le quotidien du mouvement humain, en permettant aux danseurs d’utiliser les découvertes kinesthésiques, les relations somatiques aux gestes, un rapport plus naturel au sol et aux éléments, imposant de fait un nouveau lien au public. Mais celui-ci n’a pas encore eu accès à tout ce travail de fourmis, soit parce qu’il n’a pas été suffisamment présenté et expliqué sur les scènes nationales, soit parce qu’il est resté là, comme un malentendu technique, à l’abri, dans les studios de répétitions… me reviennent en mémoire des pièces de Merce Cunningham présentées il y a quelques années à l’Opéra de Paris, huées pendant la représentation ! Je crois qu’il est bon d’admettre que le public est sérieusement en retard et ce serait signe d’humilité de le reconnaître, ce qui n’est pas trop dans le caractère français. Avec Partita 2, nous avons donc eu la chance d’assister à une étude de premier choix. L’écoute d’un son intimiste et rigoureux, une chorégraphie intérieure et sans effet et enfin comment ces deux partitions peuvent s’influencer. L’art de la danse quitte ses apprêts et Anne Teresa de Keersmaker nous invite à la table avec un associé plus jeune, gourmand de contact, de buto, de danse urbaine. Ensemble, sciemment, ils ne choisissent pas la voie de la facilité : peu de portée, aucune acrobatie, pas de dramaturgie ni de décor, une partition lumière, à minima, accompagnant les 3 actes de la pièce.


Nous assistons à l’écriture de la rencontre en train de se faire. On rejoint de nouveau l’art contemporain et son goût du processus rendu visible. Deux chorégraphes et Amandine Beyer, violoniste à l’écoute, en attention, ramène cet espace « sacralisé » par son lien à l’art vivant, à l’atelier brut de l’artiste au travail, comme celui de Bruce Nauman, se filmant, traçant un carré au sol et marchant patiemment sur la ligne, jouant une note de violon jusqu’à épuisement. Ils montrent leur faille, dévoilant les imperfections spectaculaires du plaisir brut lorsqu’il est exposé, et de gestes plus internes, se risquant sur des questions inconfortables de danse : verticalité, marche, arrêt. Je pense qu’il est bon alors d’insister sur la cohérence de l’écriture : l’hésitation, la pauvreté, la nuance, la douleur, l’amour du mouvement dansé sont des motifs émotionnels qui ont dû, à plusieurs reprises, et en écho à Bach, être pensés. De ce temps nettoyé du savoir et de la technique, affleurent les raisons profondes et la vibration qu’il s’en dégage, l’enfance de l’art, le jeu absurde et répétitif qui permet de nous séparer de tout tuteur, mais qui lui demande cependant d’être le témoin de ses bêtises. Devenu complice, doit-on alors leur imposer les limites de notre raison et les codes esthétiques que nous avons retenus ? Ne peut-on pas accepter de nous mettre au niveau « souterrain » du jeu qu’ils nous proposent, réduisant nos ambitions de fantasmeurs professionnels, se tenant simplement assis dans cet immense espace rendu à sa taille humaine, en laissant passer le temps puis en réalisant enfin que nous avons en face de nous 2 chorégraphes qui ont une pleine maîtrise de leur langage (leur répertoire le prouve amplement), et nous livrent en secret cailloux et joyaux mélangés  ?

Cette proposition peut faire objet de défi à qui veut l’entendre et confirme le chemin que j’imagine dans la nouvelle voie engagée par Anne Teresa de Keersmaker depuis «En attendant» et «Cesena». Sa danse s’est subtilement détachée de l’illustration et de la narration musicale, comme si elle reprenait très lentement pour elle-même le changement de paradigme artistique du siècle dernier, confirmant cette transition en collaborant directement avec Boris Charmatz, qui a déjà assimilé ces modifications, né à la danse dans ce contexte et recevant une reconnaissance immédiate de ses pairs par la saisie convergente d’expressions physiques processuels.

Sylvain Pack.

«Partita 2» d’Anne Teresa de Keersmaker et Boris Charmatz  au Festival d’Avignon du 23 au 26 juillet 2013 puis au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival d’Automne du 26 novembre au 2 décembre 2013.

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AUTOUR DE MONTPELLIER Vidéos

QueZATko?

Le 11 novembre 2013, journée de la mémoire de la Grande Guerre de 14/18… Le 11 novembre, nos mémoires se réveillent, mais sur un quartier de notre ville. C’est la septième édition de la ZAT de Montpellier, «Zone Artisitique Temporaire». Depuis 2010, l’art nous entraine dans les plus petits recoins de la ville. Nous vivons à Montpellier, croyant la connaitre, mais à travers une démarche interactive d’accompagnement artistique, nous ouvrons  de nouvelles recherches cognitives.

Le froid, le vent, se sont levés ce matin. Nous sommes quelques intrépides à nous glisser hors de nos lits, en ce dimanche, pour suivre une visite urbaine ou écouter des chercheurs, architectes, sportifs, artistes, nous dévoiler leur conception du ” Do it your self”.” Faire soi même”, nous sommes au coeur de cette actualité. Habitants, spectateurs, acteurs, citoyens, nous devenons tout à la fois, dans la polyvalence de nos déambulations. Nos errances ont un but: glaner l’artistique à chaque coin de rue, ou dans des lieux fermés habituellement.

L’interaction est partout; la rue et son public vivent à l’heure d’ un festival éphémère. Les langues se délient, les regards s’agrandissent, les visages s’animent. Petits et grands, citadins et banlieusards, nous voici tous réunis. Autorisés à prendre son temps, dans des espaces nettoyés de voitures et de contraintes. Autorisés à partager avec nos voisins ses sentiments. L’émotion
devient le principal levier de communication. Le plaisir est palpable. La patience est mise à l’épreuve, car l’attente peut être ponctuée de frustrations, si les portes restent closes faute de place. Mais on prend l’initiative d’aller quelques mètres plus loin, trouver refuge dans une salle éclairée, devant la chaleur d’un brasero, rencontrer un ami perdu de vue, écouter une musique, regarder un mouvement de danse, saisir une poésie…L’art fuse tout à coup dans l’urbain et rassemble. Il faut accepter de ne pas pouvoir tout voir. Deux jours, c’est trop court. À nous de prolonger ces formes artistiques dans la ville, de les relier, de les penser et de bâtir de nouveaux projets citoyens.

L’introduction ” Du Bohneur est dans le chant” de la Compagnie les Grooms, nous a fait imaginer quelques instants, un adjoint municipal à l’urbanisme, la culture et au développement local.

Vacheries” ont cultivé nos champs de citadins à travers la voix de Jean Louis Trintignant, accompagné par Michel Arbatz et Olivier Roman Garcia.

Poêtre” a ému la foule, dans les textes à étages du collectif  Brigade d’interventions Poétiques/ Compagnie Zigzag.

La fanfare des Kadors est devenue troupe dignement descendue de Pina Baush, chorégraphiée par François Rascalou.

La Laiterie, lieu de convivialité connu de tous, nous  fait découvrir la vie des artisans locaux et sourire devant les créations de Cyriak.

Dynamogène a réveillé nos âmes d’enfant dans les cliquetis de leurs machines. Tout à coup je me suis transposée dans l’atelier de mon grand-père. J’ai frôlé son bleu du bout des doigts, j’ai senti l’odeur de l’huile, et la scie musicale m’a coupé le souffle…

Lors de la tchat Zat, un géographe, Luc Gwiazdzinski, nous a donné à voir la Zat derrière la lumière de son esprit de chercheur. La Zat a tout à coup transformé notre cité en pistes de réflexion. Nous avons touché la notion d’éprouver, de gouter au choix du mouvement, de l’imaginaire, du modeste ” Do it yourself”,  brillamment théorisé la veille par l’architecte Étienne Delprat, a pris toute sa dimension utopique. Thomas Riffaud a apporté sa dose de prise de risque, dans le ludique conceptualisé  au milieu de l’espace urbain.

J’ai fini ce week-end par une ligne bleue; celle dessinée sur l’épaule  de Dimoné, chanteur aux accents du Sud. Pendant que sa chair était percée par l’aiguille du tatoueur Bruno, nos coeurs battaient fort. Ce quartier, oui on le connaît. Cette voix, oui on la connait, cette complicité musicale on la reconnait.  Ses mots de mélancolie chaleureuse nous accompagnent dans la nuit bleutée. Demain nous nous  réveillerons jiminys, avec de nouveaux désirs, pour dessiner un nouvel horizon plus clair en sortant du ventre de la baleine.

La Zat a mis en valeur la dynamique d’un nouveau quartier, du potentiel qui vit en chacun de nous. Maintenant à nous de relier ces énergies :””Get lucky yourself “.

Sylvie Lefrère – Tadorne.

"ZAT" de Montpellier les 10 et 11 novembre 2013 dans le quartier Boutonnet.
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LA VIE DU BLOG

Où pister les spectateurs Tadornes en novembre 2013?

Le mois de novembre s’avère particulièrement chargé pour les spectateurs du Tadorne. De grands festivals (« Mettre en scène » à Rennes) côtoient des plus petits (« Les rencontres à l’échelle » à Marseille) tandis que les théâtres en profitent pour avancer dans leur saison. Pour la première année, le Tadorne sera à la ZAT de Montpellier (manifestation centrée sur un quartier où des artistes de plusieurs disciplines occupent la rue et les espaces culturels).

Parmi tous ces spectacles, combien feront l’objet d’un écrit, d’un engouement, d’un engagement de notre part ? À suivre…

Voici donc l’agenda du mois de novembre 2013 de Sylvie Lefrere, Bernard Gaurier, Laurent Bourbousson, Sylvain Saint Pierre et Pascal Bély.

De Marseille, à Paris, en passant par Rennes, Nantes, Nîmes, Montpellier, Marseille et Aix en Provence.

5 novembre >  “Café Lab” au Théatre de la Chapelle – Montpellier.

5 novembre > « La mouette » Yann-Joël Collin- L’aire libre  – Saint Jacques de la Lande.

6 novembre > “Trace(s)” de Sabine Tamisier – Salle du Bois de l’Aune – Aix en Provence.

7 novembre > « Henry VI » (épisode 3) Thomas Jolly – TNB – Rennes

7 novembre > “Les jeunes” de David Lescot – ATP – Aix en Provence.

8 novembre > “To B, the real tragedy” par Germana Civera – 3 Bis F – Aix en Provence.

9 novembre > “Bleu!” par la compagnie TPO – Théâtre Minoterie Joliette – Marseille.

9 novembre > “Mémoire du grand nord” par Mathieu ma fille Foundation – Théâtre des Bernardines – Marseille.

9 novembre > “22h13” de Pierrick Sorin – Théâtre de la Criée – Marseille.

9 novembre > Forum Libération – Montpellier Danse , “Pour corps féminin , corps étendart et danse: la révolution sur la pointe des pieds”. Corum – Montpellier.

9 novembre > “Orlando” de Guy Cassiers- Théâtre de la Bastille – Paris.

9 novembre > “Tambours dans la nuit” d’après Brecht mis en scène par Dag Jeanneret – Sortie Ouest – Béziers.

9 novembre > « Passim » François Tanguy – TNB Gabily – Rennes

9 novembre > « Carne » Sandrine Roche – La Paillette – Rennes

10 novembre > Festival Instants vidéos – Friche Belle de mai – Marseille

10 et 11 novembre > La Zat – Montpellier.

11 novembre > « Secret » Johann Le Guillerm – Chapiteau Cosec – Bruz

12 novembre > « Adieu et merci » Latifa Laâbissi – Musée de la danse – Rennes

13 novembre > « Aïlòviou » Didier Galas/Pascal Contet, Joël Grare/Christian Rizzo – TNB – Rennes

13 novembre > « Democracy » Maud Le Pladec – TNB  Ropartz – Rennes

13 novembre > “Dead Dog / vision” de Mounir Saeed – Les Rencontres à l’Echelle – Marseille.

13 novembre > “Early Works” Trisha Brown Danse Company – Marseille Objectif Danse – Marseille.

14 novembre > “AIR” de Vincent Dupond – Théâtre de l’Odéon – Nîmes.

15 novembre >  “Viejo, solo, y puto” de Sergio Boris.  Théâtre de la Vignette – Montpellier

15 novembre > « Utopia » Anne-Cécile Vandalem – La Paillette – Rennes

15 novembre > “Al Atlal” de Sharif Andoura – Les Rencontres à l’Echelle – Marseille.

16 novembre > “Taste me de Gurshad Shaheman – Les Rencontres à l’Echelle – Marseille.

16 novembre > “Touch me de Gurshad Shaheman- Les Rencontres à l’Echelle – Marseille.

16 novembre >« Polices ! » Rachid Ouramdane/Sonia Chiambretto – Le Triangle – Rennes

16 novembre > « Beaux Arts » Philippe Decouflé – Musée des Beaux Arts – Rennes

16 et 17 novembre >Festival Cour c’est court – Cabrières d’Avignon

19 novembre > « Ionesco suite » d’Emmanuel Demarcy-Mota – TNB  Gabily – Rennes

20 novembre > « Soirée composée » Marlene Monteiro Freitas/Volmir Cordeiro – Musée de la danse – Rennes

20 novembre > Danielle Ninarello – sortie de résidence au CDC Les Hivernales

21 novembre >  ” Histoires parallèles, pays mélés” d’Alain Buffard- Centre Chorégraphique de Montpellier .

21 novembre > “Fuck americapar la Compagnie Théâtre provisoire – Théâtre Joliette Minoterie – Marseille.

21 novembre > « Au bord du gouffre » Cédric Gourmelon – Vieux Saint-Etienne – Rennes

21 novembre >  Lecture de Carole Thibault – Une liaison contemporaine à la CHartreuse de Villeneuve les Avignon

22 novembre > « Rendez-vous sous la couette » Benoît Gasnier – TNB – Rennes

22 novembre > « Kristin/Fräulein Julie » Katie Mitchell, Léo Warner – TNB – Rennes

22 novembre > “Le Batman dans ta tête“, chantier de résidence d’artiste de David Léon- La Baignoire – Montpellier.

23 novembre >  ZAL, zone artistique littéraire – Montpellier.

23 novembre > « S Druge Strane » Nataša Rajković, Bobo Jelćić – La Paillette – Rennes

23 novembre >  « Nella Tempesta » Motus – TNB  Ropartz – Rennes

23 novembre > « Pleurage et scintillement » Jean-Baptiste André, Julia Christ – Grand Logis – Bruz

25 novembre > ” Têtes mortes de Beckett mis en scène par Marie Lamachaire – Théâtre de la Vignette- Montpellier.

26 novembre > ” Mauvais genre” d’Alain Buffard- Théâtre de Gramont, Montpellier Danse.

27 novembre : Le tourbillon de l’amour – Théâtre de Nîmes

28 novembre >« Le songe d’une nuit d’été » Compagnie l’unijambiste – Le Canal – Redon

30 novembre > “Todo el cielo sobre la tierra” d’Angélica Liddell – Théâtre de l’Odéon – Paris

30 novembre > « Antitéâtre l’intégrale » Gwenaël Morin – T U – Nantes

30 novembre > “La réunification des deux Corées” – Joël Pommerat – Chateauvallon.

 

 

 

 

 

 

 

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PETITE ENFANCE Vidéos

À Mantova, j’ai trouvé une brebis dans un kinder surprise.

Rendez-vous m’a été donné par Cristina Cazzola, directrice artistique du festival «Segni d’Infanzia» à Mantova. Nous nous étions rencontrés à «Petits et grands» à Nantes. Avec une détermination qui force le respect, elle anime depuis plusieurs années un festival pour les enfants dans un contexte économique particulièrement délicat en Italie. Afin d’amplifier la lisibilité de la programmation, elle propose au public et aux professionnels, d’entendre différents regards, d’où qu’ils viennent (de spectateurs et de journalistes). Six critiques internationaux ont donc été invités à débattre, démontrant pour l’occasion que le théâtre dit «jeune public» suscite un échange de qualité capable de transcender le clivage entre critique professionnel et amateur. Les contributeurs du Tadorne aimeraient que cet exemple soit suivi en France…

Quelles visions émergent de ce festival? Globalement, la parole est fortement présente sur les plateaux. Certaines propositions font le pari d’une approche didactique à partir d’une pédagogie créative de la différence entre forme et matière tandis que d’autres utilisent des effets de mise en scène au détriment du jeu de l’acteur. À l’enfant souvent bruyant dans la salle, répondent certaines oeuvres qui le sont tout autant parce que l’esthétique s’efface au profit de la démonstration. À la saturation de l’imaginaire des enfants par la société consumériste, répond sur scène une avalanche d’effets et de mots où l’objet tout puissant gomme le sujet. Le poids de la crise et la fatigue d’une civilisation sont palpables: corps courbés, habits des années soixante-dix, mécanismes de répétition, logiques de domination. Le tout dégage parfois un parfum nostalgique, voire mélancolique pour rejeter notre époque.

La créativité est alors la seule ressource pour résister, l’unique solution pour redonner une autre parole, trop longtemps confisquée comme dans « Pour la petite histoire » de la compagnie Sémaphore, où l’on questionne la manière de  raconter les histoires tout en y invitant le théâtre. Le dialogue entre la narratrice et “Scribout » (petite souris) est une occasion de renouveller le genre : au traditionnel Petit Chaperon Rouge, vient se substituer un petit prince né dans un livre qui se met en mouvement sur différents écrans vidéos de papiers mobiles et fragiles. L’histoire est un paysage de passages dans laquelle le tout-petit et son éducateur sont du voyage. On aurait aimé une chorégraphie pour fluidifier les liens entre les beaux moments de vidéo et la scène : car au-delà des mots, c’est le corps qui est langage. Mais là, c’est une tout autre histoire…

Avec « The House » par les Britanniques Sofie Krog et David Faraco, les plus grands sont gâtés. Cette compagnie anglaise nourrit le genre hitchcockien avec pour protagonistes les habitants d’une maison…hantée par la mort. Sujet délicat, mais abordé avec malice par des marionnettes aussi adroites que leur désir d’en découdre avec l’art funéraire ! Sur le plateau, la maison en miniature en impose et voit s’affronter des morts-vivants, des croque-morts, des cambrioleurs apeurés par leurs ombres…L’histoire trouve ses ressorts dans un rythme qui ne faiblit jamais et joue avec nos fantasmes sur la mort. Le public rit d’autant plus que la maison se dévoile là où l’on ne l’attend pas toujours. Mais j’aurais aimé une pause, une fragilité, une émotion : évoquer la mort n’exclut pas la profondeur poétique d’une tristesse.

Nous la trouvons dans « La bicicletta rossa » par la compagnie Attivo Teatro, l’un des spectacles les plus forts du festival. Ici, l’appartement d’une famille pauvre est aussi unité de production de boules en plastique où se cache une surprise. Les enfants connaissent bien cette friandise martelée à coup de publicités avant leur dessin animé préféré. Sauf qu’ici, le jeu a un gout amer : la famille s’épuise dans ce travail et doit produire toujours plus pour satisfaire un homme à l’allure berlusconnienne qui contrôle également les ressorts de leur imaginaire. Tandis que le plus petit rêve d’une bicyclette pour se promener dans la voie lactée, les plus grands s’appuient sur le système économique pour le corrompre de l’intérieur et appeler les enfants à la révolution ! La mise en scène est majestueuse, car elle sait humaniser la mécanique des corps, poétiser le désir d’émancipation, incarner le rêve par un dispositif vidéo particulièrement inventif.

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Changement radical de registre avec « Ode Alla Vita » par la compagnie Rodisio. Un couple âgé, habillé façon Deschiens (que l’on imagine parent avec la famille de la «bicicletta rosa»), débarque lentement sur scène, plié en deux, de fatigue, mais aussi de rire ! Ces deux-là veulent en découdre avec cette fin inéluctable que leur promettent leurs corps cassés. Leur créativité les guide vers un imaginaire florissant où la fête est une danse. Ils ne reculent devant aucune de leur invention pourvu qu’elle provoque amour, gloire et beauté ! C’est parfois répétitif parce que l’autre en redemande jusqu’à plus soif…Le public est convié à ce délire sénile, rit beaucoup, mais je me questionne encore : la vieillesse est-elle un retour à la liberté créative de l’enfant ? Ce spectacle rencontre-t-il le monde de l’enfance ? N’est-il pas une façon pour les adultes de se justifier d’être si peu créatifs,  de se rattraper de leurs erreurs présentes, de se promettre un futur joyeux ? J’ai eu l’étrange impression que les enfants étaient spectateurs passifs d’un rendez-vous entre adultes. J’ai moi-même attendu une «bicicletta rosa» qui n’est jamais venue…

«La pecora nera» du Teatro Distinto a réussi le pari de réunir petits et grands avec une œuvre d’une belle qualité d’écriture. Ils sont deux, tel Laurel et Hardy : moi le petit blanc chauve avec une cloche autour du cou, toi le grand noir avec grosse touffe de cheveux. L’un protège ses brebis blanches ; l’autre accueille un cochon dans son pré capillaire ! L’un semble avoir le pouvoir ; l’autre la puissance créative. À ce petit jeu sans parole où la danse et le jazz se taillent la part du lion (!), rien d’étonnant à ce que l’un impose à l’autre sa vision de l’animalité: ce cochon sera recouvert de laine! Après d’âpres négociations et de batailles, il sera brebis mi-blanche, mi-noire. La scène métaphorise à merveille le cloisonnement entre les genres, l’antagonisme entre deux approches de l’humanité : biologique et culturelle. Je n’ai pu m’empêcher de faire le lien avec le récent débat autour du mariage pour tous. La force de «La pecora nera» est de nous proposer un langage artistique qui transcende les différences, qui offre une vision dynamique de la mondialisation où la diversité crée l’unité pourvu que le lien soit au service du sens. C’est rondement bien interprété, joliment scénographié, musicalement astucieux. Ce spectacle est un tour de force parce qu’il invite petits et grands à questionner leur image du village global là où le politique leur promet de faire sienne une maxime populiste : «chacun sa brebis, les cochons seront bien gardés».

Pascal Bély – Le Tadorne.

« La pecora nera » du Teatro Distinto ;  « Ode Alla Vita » par la compagnie Rodisio ; « La bicicletta rossa » par la compagnie Attivo Teatro ; « The House » par Sofie Krog et David Faraco ; « Pour la petite histoire » de la compagnie Sémaphore ; au Festival Segni d’Infanzia à Mantova du 30 octobre au 3 novembre 2013.