L’écoute est profonde. Le public est sur un fil, en équilibre, prêt à tomber parce que la hauteur donne le vertige. Nous le regardons, le suivons pas à pas, pour ne perdre aucun geste, n’égarer aucun mot. Aurions-nous peur pour lui ? A-t-il peur de nous alors que nous attendons tant de cette rencontre pour peupler notre imaginaire de mythes et de héros ? Tandis que le temps de la catastrophe habite les propositions chorégraphiques acutelles, aurions-nous paradoxalement besoin de ressentir celui de la fragilité ?
Le chorégraphe Angelin Preljocaj incarne le texte de Jean Genet, « le Funambule », texte passionné à l’attention de son amant acrobate. À 52 ans, alors que sa compagnie parcourt le monde avec « Blanche Neige », l’homme s’est retrouvé seul pour créer et adapter ce texte d’amour. Il répéta, tel un visionnaire, scrutant le ciel d’Aix en Provence du haut du dernier étage de son bien nommé Pavillon Noir, bâtiment de verre et de béton. Ici, sur la scène de l’Opéra, tout n’est que rouleaux de papier chutant du plafond, décollant du sol, et projettant en ombres chinoises le corps d’un artiste en équilibre entre danse et texte. Et l’on ne peut en faire l’impasse : cet artiste là, est Angelin Preljocaj. L’acrobate est son double. Rien ne vient troubler cette métaphore.
Ni le ton de la voix souvent monocorde : il se plaît à dire dans les interviews qu’il n’est pas comédien. Certes, mais c’est un “chorégraphe poète”.
Ni l’exceptionnelle scénographie dont il a l’habitude d’habiller ses ?uvres. Le papier roule, s’enroule, déboule comme un danseur ; colle au corps tel un suaire, et l’enveloppe de lumière pour le projeter vers les parois étanches de notre imaginaire.
Ni sa danse. Je le reconnais comme étant le treizième homme d’une de ses pièces « MC 14/22, ceci est mon corps» où douze danseurs, pour signifier le corps masculin, jouent avec des tables pour le disséquer, le malmener, l’interroger. Lui donner forme humaine.
Ce soir, Angelin Preljocaj semble poursuivre ce travail en incarnant le corps masculin avec une matière poétique qu’il malaxe, qu’il menace avec un couteau, avec ce décor qu’il déchire, qu’il fait saigner, qu’il décolle. En lieu et place des tables de « MC 14/22 », un autel. L’amour serait-il à ce point sacré ? Le décor épouse tout à la fois la puissance du lien amoureux et la fragilité d’un art, la danse, qui froisse les corps tel le bruit d’un gobelet en plastique écrasé. « Ceci est mon corps » semble-t-il nous dire en substituant au vin du calice ,une pluie d’or qui vient se coller à son corps transpirant. « Ceci est ta danse » voudrait lui répondre le funambule.
De ce dialogue imaginaire, né le spectateur équilibriste qui se plaît à tendre un fil d’Ariane pour retrouver son chemin parmi ce langage poético-chorégraphique. Mais surtout pour ne pas perdre le lien avec cet artiste funambule qui met le feu aux mots avec son corps brûlant d’amour pour la danse.
«Peu nous importe à toi et à moi un bon acrobate : tu seras cette merveille embrasée, toi qui brûles, qui dure quelques instants. Tu brûles. Sur ton fil tu es la foudre. Ou si tu veux encore un danseur solitaire. Allumé je ne sais par quoi qui t’éclaire et te consume à la fois, c’est une misère terrible qui te fait danser. Le public ? Il n’y voit que du feu, et croyant que tu joues, ignorant que tu es l’incendiaire, il applaudit l’incendie.» Jean Genet.
Pascal Bély
Le photographe Laurent Paillier a aimé ce funambule. Les photos sont ici.
« Le funambule » de Jean Genet par Angelin Preljocaj a été joué les 22, 23, et 24 juin 2009 dans le cadre du festival Montpellier Danse.
Crédit photo: Jean-Claude Carbone.
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Cinq femmes occupent le plateau pour une « projection fantasmée du désir masculin, dont les images contradictoires piègent même celles qui les refusent ». Toute la première partie n’est qu’une succession de poses, inspirées des tableaux italiens du Quattrocento, tandis que la deuxième, voit notre quintet danser sur des tubes discos et pop (Olivia Newton-John, Madonna et les Bee Gees). Parmi elles, une danseuse attire l’attention (sublime Dalila Khatir): elle est ronde et s’amuse (entre autres) avec ses gros seins et ses formes généreuses. Elle est un centre de gravité où se déploie l’imaginaire individuel et collectif. C’est autour de cette figure « maternelle » que se projette le désir. Il n’y a là rien de révolutionnaire dans le propos, mais la chorégraphie d’Herman Diephuis s’appuie sur ce contraste pour jouer avec les clichés et créer une belle dynamique circulaire entre elles et nous.
Ici, rien ne vient cliver la démonstration : il n’y a pas d’un côté un désir masculin dominant et de l’autre une soumission féminine (sinon, je n’aurais jamais pu m’inscrire dans cette proposition !). La danse remet au centre l’interaction : c’est là où tout se joue. C’est cet espace circulaire qui en jeu dans « Ciao Bella » : rien n’est imposé au spectateur et c’est à lui de jouer ou pas. Alors, jouons !




« Self & Others » est donc une ?uvre auto-suffisante, auto-égo-centrée. Quatre individualités, convoquées par Mr Buffard, nous proposent, à partir de différents matériaux, leur autoportrait. On y retrouve les danseurs tendance du moment (François Chaignaud et Cécilia Bengoléa), à peine échappés de leurs dernières créations, entre objets pénétrants, pratiques masturbatoires et orales, corps pliés et dépliés. Mathieu Doze, affublé de différents kits de survie, peine souvent à se faire une place alors qu’Hanna Hedman lit le «Manifeste du parti communiste » tout en pétrissant de la pâte à pain, métaphore de l’idéologie humanitaire du moment. On frôle souvent l’hystérie (comme s’ils étaient sous acide), ce qui n’est pas sans provoquer un certain essoufflement dans la durée. Le processus d’introspection dépasse rarement l’anecdotique (est-ce suffisant de s’amuser avec les objets de l’époque pour avoir quelque chose à dire sur l’époque ?) et l’on s’ennuie ferme face à cette collection d’individus, échappés d’un centre de rétention où Jan Fabre semble avoir été leur éducateur. Quand le groupe se forme , c’est pour ridiculiser quelques tubes chorégraphiques (dont un passage assez drôle sur le « Boléro » de Ravel) et fuir leur scène sous plastique.