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Le plastique n’est pas TOTALement fantastique.

Pour certains d’entre nous, l’écologie s’inscrit dans un imaginaire. Le vert symbolise le propos politique ; le bleu, une planète propre. La métaphore est souvent utilisée pour donner la vision globale, nous alerter qu’un « battement d’ailes de papillon » peut provoquer une catastrophe. La phrase de Jacques Chirac (« notre maison brûle et nous regardons ailleurs ») résonne encore, tandis que Yann Arthus Bertrand use des vues aériennes pour nous faire rêver tout en dénonçant notre incapacité à produire autrement qu’en épuisant les ressources.  Dans ce contexte, l’écologie a-t-elle toujours besoin des artistes pour amplifier le discours et ses métaphores ?

Elle peut compter sur la compagnie « Le bruit des images » qui avec « le balayeur céleste » (« hara-kiri écologique pour trois interprètes, 8 tourne-disques et quelques mètres cubes de déchets plastiques ») nous a offert un beau moment de propagande écolo. Présenté au 3bisF (lieu d’art contemporain niché au coeur de l’hôpital psychiatrique Montperrin, le 3bisF, à Aix en Provence), les patients ont joué la voix off de tant de spectateurs désemparés.

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La maison qui ne brûle pas encore est au centre de la scène. Nous la voyons à peine. Mais nous regardons déjà ailleurs, vers cet homme en combinaison, qui sort d’un tonneau. Il a peut-être été jeté à la mer à partir d’un bateau qui partait à la découverte d’un nouveau continent. C’est notre Robinson ; serions-nous son Crusoé ? Allez savoir. La scène est une jolie voie lactée où notre homme en déséquilibre, passe d’une rive à l’autre. Les vieux tourne-disques s’éclairent à tour de rôle. La  «voie » est musicale ; notre terre est encore loin, mais l’utopie est là. Simple et efficace. Mais voilà que le centre de gravité se déplace vers notre « maison container » où un homme et une femme se débattent avec des bidons en plastique. Le cycle « pollueur – pas payeur » se met en place et cela devient vite infernal. Après vingt minutes de spectacle, le « disque » est déjà rayé. Un spectateur, à la démarche hésitante, s’en va. Nous le suivons du regard tandis que la scène s’éloigne de nous. La poésie du début n’est qu’une métaphore usée jusqu’à la corde. Au moment où les deux acteurs endossent une combinaison rouge, un patient s’exclame: « tiens, c’est Total ». Rire dans l’assemblée. Les bidons n’en finissent plus d’être jetés au dehors de la maison pendant que notre Robinson s’empresse de les redonner à l’envoyeur. La mise en scène colle au propos (où allons-nous alors que le plastique envahit tout ?) et s’enferme dans un langage qui puise ses ressorts dans un imaginaire publicitaire. C’est alors qu’un troisième patient lâche: « chaussée aux moines ».

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La tension est  palpable entre la scène et le public comme si nous assistions impuissant à une ?uvre qui parle trop (alors que les acteurs sont muets), à notre place (à l’image d’un micro que l’on nous aurait enlevé) pour imposer un message que personne n’oserait contester. C’est un théâtre de séduction, où la musique colle comme un bonbon acidulé à la fraise pour servir la communication d’une noble cause.

Sauf que l’écologie est politique ; elle soutient notre émancipation (à la différence notable d’autres idéologies qui visent la soumission du peuple).

Sauf que « le balayeur céleste » enferme le spectateur dans un prêt « à penser » et « à voir » particulièrement fragile.

Cette oeuvre  sympathique, au croisement du cirque, de la danse, de la  musique et du théâtre, métaphorise le vide idéologique de notre époque. Mais nous sommes suffisament fous pour ne pas tomber dans le panneau, fût-il en plastique de toutes les couleurs.

Pascal Bélywww.festivalier.net

« Le balayeur céleste » de la compagnie « le bruit des images » a été présenté au 3bisF d’Aix en Provence les 27, 28 et 29 mai 2010.

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES

Histoires de crises.

Le KunstenFestivalDesArts aime nous raconter des histoires issues d’un autre continent ou d’une rue de Bruxelles! En jouant avec les distances, ce festival n’oppose pas le local et le global, mais les articule pour humaniser le processus de mondialisation qui, avec la crise systémique, nous effraye un peu plus chaque jour. En traversant les frontières du documentaire et du théâtre à partir du social, le Kunsten vibre avec son époque en s’émancipant de la spécialisation des arts.

Première histoire, celle racontée par un collectif italien, ZimmerFrei, qui a infiltré la rue de Laeken à Bruxelles pour nous offrir « Lkn confidential »,  un documentaire drôle et subtil. Du bitume aux devantures des magasins, en passant par les arrières boutiques, nous voilà émerveillé tel un enfant qui ouvrirait la trappe du grenier. L’économie « réelle », humaine, se dévoile. Tout n’est que contrastes, oppositions, décalages, à mille lieues des logiques d’uniformisation qui défigurent nos entrées de ville et standardisent nos comportements alimentaires et culturels. La rue de Laeken est un « biotope » où se nichent des « espèces » fragiles et déterminées (un vieux coiffeur prêt à coiffer son chien en attendant le client, une boulangère qui rêve du boulanger, un droguiste explosif, …). Le documentaire évite de sombrer dans la nostalgie, car cette économie-là est bien réelle : elle subsistera, car la rue reste le plus court chemin pour vivre dans une économie sociale et solidaire.

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Deuxième histoire, celle écrite par Henrik Ibsen, « une maison de poupée », publiée en 1879 et adaptée par le metteur en scène argentin, Daniel Veronese. À l’époque d’Ibsen, Nora (femme considérée comme « simplette » par son mari avocat, Torvald Helmer) est mère de trois enfants. Elle fait un faux en écriture pour trouver l’argent nécessaire à la guérison de son époux. Une fois la tricherie dévoilée, elle doit faire face à la colère de cet homme dont la vision du mariage reste subordonnée à la société bourgeoise. Chez Daniel Veronese, Nora a tout de la femme émancipée : dynamique, jean’s moulant, danseuse à ses heures. Son mari est un ancien avocat qui a fait faillite pour devenir…banquier. Veronese amplifie les contrastes : au décor dépouillé digne d’une maison après le passage des huissiers (incarnée par la frêle silhouette de Christina, une amie dans le dénuement), il oppose les corps gros du mari, du prêteur et de l’amie médecin. La force de la mise en scène est d’accentuer l’étau entre le milieu bancaire qui impose ses valeurs jusque dans le couple et la corruption qui gangrène la société argentine. Le propos politique (à l’exception du désir d’émancipation de Nora) s’efface au profit des dictats de l’économie financière. Le salon devient un espace intermédiaire entre la rue et le bureau à domicile du banquier où circulent les flux d’une économie rigide pilotée par le pouvoir masculin. Daniel Veronese humanise ce que la banque voudrait bien gommer : la fragilité de chacun d’entre eux face à cette économie qui leur enlève leurs capacités à poser des choix. Alors que les femmes se sont émancipées par l’accès au savoir et à l’éducation, qu’elles ne sont plus sous le joug du religieux, qu’adviendra-t-il de leur autonomie alors que le pouvoir économique reste aux mains des hommes ? La dernière scène (que nous ne pouvons divulguer) esquisse une réponse et bouleverse le public jusqu’à ressentir dans la salle une peur collective qui n’annonce rien de bon.

Troisième histoire écrite par Zachary Oberzan. Auteur américain pour le théâtre, cinéaste et musicien, il est face à nous, guitare en bandoulière. Comme la contorsionniste Angéla Laurier qui nous avait présenté une oeuvre très personnelle autour du lien avec son frère schizophrène en mai dernier aux Subsistances de Lyon, Oberzan se dévoile. Adolescent, il réalisait des pastiches de films en vidéos avec sa mère et son frère (dont le kitchissime « Kickboxer  » de Jean-Claude Van Damme »). Gator fut emprisonné pour trafic de drogue. Vingt ans plus tard, l’un est devenu artiste, « as de la manipulation » et l’autre a acquis une solide expérience de scénariste, de direction d’acteurs pour sublimer la réalité carcérale. Oberzan enchevêtre les films (ceux de sa jeunesse puis rejoués à l’identique aujourd’hui, tandis que s’y glisse le vrai film de Van Damme) et chante sur scène de vieux standards. On rit beaucoup en fonction des raccords, on s’émeut face à la transformation des corps (ou comment la prison façonne une silhouette) et l’on se surprend à devenir le confident d’une famille reconstituée, mais jamais séparée. La force de « Your brother, remember ? » est de déjouer les statuts (qui est finalement l’acteur, le prisonnier ?) pour relier les destins autour d’une histoire commune qui n’est pas loin d’être la notre : nous jouons tous notre partition artistique pour échapper au sort que nous réserve notre classe sociale. Ce soir, à Bruxelles, nous sommes peut-être quelques-uns à reconnaître le frère qui nous a libérés.

Pascal Bély www.festivalier.net

“Your brother, remembert?” de Zachary Oberzan a été joué du 9 au 13 mai 2010,

“Lkn Confidential” de ZimmerFrei a été projeté du 9 au 29 mai 2010,

“El desarrollo de la civilizacion venidera” de Daniel Veronese a été joué du 13 au 15 mai 2010, dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

Crédit photo: (c) Almudena Crespo-Academie Anderlecht 

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FESTIVAL DES ARTS DE BRUXELLES Vidéos

Panique à Bruxelles.

À Bruxelles, le Musée Magritte  propose une déambulation poétique où les mots du peintre gravés dans les murs en bois résonnent avec les toiles. À parcourir les étages dans tous les sens, le visiteur passe d’une époque à l’autre : en traversant les courants, il change aussi son regard et se met en mouvement. Au même moment, le KunstenFestivalDesArts  présente «Zero», chorégraphie écrite par Ioannis Mandafounis, Fabrice Mazliah et May Zarhy. Par le fruit du hasard, «Panique au moyen âge » de Magritte opère le lien.

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Ici les têtes disparaissent et les corps s’enchevêtrent sans aucune logique. Tandis qu’une partie saute par la fenêtre, l’autre se transforme. Entre radicalité du geste et lente métamorphose, Magritte peint le corps comme témoin d’un changement de civilisation où à la panique générale répond le long travail des processus de transformation.

Avec ce trio originaire de Francfort, la « panique » se prolonge sur scène. Jouissif ! Ici, on ne danse pas le « corps objet » (paresse de tant de chorégraphes “tendance” qui, faute d’un propos, créent de l’emballage) mais un corps sans mémoire, sans passé et sans avenir, où chaque mouvement est une naissance. Alors qu’un se jette au dehors du plateau en s’enfouissant dans des objets (ici des « enceintes »), deux autres s’enchevêtrent pour nous offrir une danse profondément picturale qui nous laisse le temps de la contempler.

Leurs corps sans mémoire finissent par ne reposer sur rien, se nourrissent du déséquilibre et du toucher. Il s’en dégage une grande liberté d’explorer tout ce que le corps peut produire d’articulations insensées! On pense à l’espace de l’internet qui automatise notre mémoire par l’activation des réseaux d’information pour nous “stocker” sur des disques durs, où le corps biologique se prolonge dans le virtuel (l’oreille Bluetooth, le doigt sur l’Iphone, ..). Leur danse transforme le lien avec les spectateurs jusqu’à nous inclure dans la naissance des mouvements comme si nous en étions des accoucheurs. Ils n’hésitent pas à nous regarder droit dans les yeux, à éteindre les lumières pour nous faire entendre le bruit des déplacements, à faire vibrer les gradins en amplifiant le son d’un corps tombé à terre.

 

À ces corps sans mémoire, ils répondent en créant la mémoire du spectateur, car tout se joue dans un « ici et maintenant » qui mobilise nos ressentis. Est-ce pour cette raison que nous ne les quittons jamais, que nous apprenons avec eux ce langage chorégraphique (à l’image d’un didacticiel créatif !), ce vocabulaire du prolongement qui nous guide de la ligne à la courbe…
« Zero » est une danse de l’acte créateur dont nous serions des porteurs de mémoires. C’est une oeuvre aussi rare qu’un lien entre un peintre et trois chorégraphes.
Pascal Bély – www.festivalier.net
« Zero » de Ioannis Mandafounis, Fabrice Mazliah et May Zarhy a été joué au KunstenFestivalDesArts de Bruxelles du 8 au 12 mai 2010.

 

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CONCERTS Vidéos

Mayereau, prénom Isabelle.

Il n’y a pas de hasard, il y a des rendez-vous, celui ci était pris à 20H33, « Bordeaux », un petit théâtre écrin propice à se blottir à une centaine pour retrouver, enfin, dans les « jeux des regards » votre voix si belle à l’oreille et à l’âme…

20H33 pile, on ne plaisante pas avec les rendez-vous d’amour, le rideau s’écarte côté cour et vous entrez en scène dans une douce lumière…

Bonsoir Isabelle… quel Bonheur de vous revoir. L’attente a été longue mais l’émotion est là intacte, le temps n’a rien griffé, la dévoreuse mémoire n’a eu raison ni de vos mots ni de vos couleurs. Et ce soir, en cadeau de retrouvailles, juste vous, nous et votre guitare.

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Isabelle, vous nous avez écrit un jour sur papier d’harmonie pour pouvoir nous « dire des mots très tendres, des mots comme l’on n’en dit plus ». Depuis, nous ne nous lassons pas de ces « films noirs » qu’on se déroule jusqu’à « plus d’heure » dans notre « orange bleue ». Certes on a pris quelques « coups de froid » et plus ou moins « trois kilos », le « chocolat brun » est tellement propice au « matin bleu »… mais « L’air marin » a toujours eu raison des « mouches ». Certains soirs, on traîne un peu tard au « Tequila bar » pour éviter la « déconfiture », on sort  alors la « Chevrolet Impala » pour une ballade avec  « Nanihi » dans les petits « matins des grandes villes ».

« La dame au renard » pianote toujours sa « différence » près des vespasiennes, mais elle trompe aujourd’hui « les bleus » et le « coup de blues » lovée dans son « duvet gris ». « Comme de la porcelaine » on est toujours un brin fragile  mais « sans défaut apparent ».  On glisse parfois « des mots étranges » dans une « belle histoire d’amour » qui vire alors au « ramponeau calypso ». « L’homme à l’imper » ballade en douce son « maso blues » « de Dédé à Mimi » tout en traquant les « stars fantômes » du « Shangaî Palace » à la lueur d’un « briquet tempête ». Pour des « bisbilles » on fonce « dans le mou » pour aller retrouver le temps où « la bouche de Gregory Peck » nous laissait le « souffle en l’air ». Qu’importe, « l’enfance » et ses « nuages blancs » nous garde encore « les mains au chaud »…

…Isabelle… vous êtes pourvoyeuse de soieries bleues. Vos mots ciselés sont des diamants noirs et des perles de lune, votre voix un vol de tendresse neigeuse glissant sur les rivières du plus doux de nos peaux. Merci de vous et de ce moment magique passé à vos lèvres et à vos genoux avec un petit « hasch » en doux partage et un magnifique baiser pour la route.

Cher lecteur, vous ne connaissez pas… par ici …choisissez un album, un titre et ouvrez vos oreilles à coeur… Vous connaissez…., alors « Tadornez » vos programmateurs préférés pour qu’ils vous offrent ce magique cadeau d’une parenthèse enchantée.

En attendant, foncez hors-pistes avec elle! « Amoureuse de vous » elle vous ouvrira les portes de « Méroé » !

Bernard Gaurier – www.festivalier.net

C’était Isabelle MAYEREAU à BORDEAUX les 6, 7 et 8 mai 20H33 à l’Onyx.

L’album Hors pistes (octobre 2009) est édité chez « Chant du monde ».

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Têtes de nazes.

Il est 22h40. Trois gerbes mortuaires signent le mot « fin » de « Versus », pièce de Rodrigo Garcia présentée au Kaaitheater de Bruxelles dans le cadre du KunstenFestivalDesArts. Le public applaudit mollement, sans hostilité apparente, presque désabusé. Encore une fois, l’auteur et metteur en scène argentin « dégueule », non plus contre le système capitaliste, mais contre nous. Bénéficiant des largesses des institutions culturelles d’Europe et d’ailleurs, il ne prend maintenant plus aucun gant.

Tout commence par cette scène où deux acteurs démontrent le comportement absurde des jeunes qui, de Rome à New York, en passant par Bruxelles, ne mangent que le coeur de la pizza. Pourquoi un tel gâchis ? À partir d’un discours culpabilisant et  moralisateur, les réponses ne tardent pas à venir.  Nous sommes incultes (préférant discourir sur le foot que sur l’avenir du monde), bestiaux avec les femmes, gavants et gavés, spécialistes des « coups de pute » dans nos rapports amoureux et sociaux. Rodrigo Garcia abandonne toute critique du système  pour se vautrer dans des lectures psycho-socio- comportementalistes de nos perversités ! Après tout, le diagnostic se tient. Sauf que Rodrigo Garcia avance sans nuance, clive tout ce qu’il touche, mais le fait proprement. Le temps où la scène était jonchée de liquides et de nourritures et qui éclaboussait jadis le public du Festival d’Avignon est terminé : à Bruxelles, le vin se transforme en eau pour ne pas tâcher et la distance entre les interprètes et le premier rang est significative.  

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Il explore l’intime pour en faire des histoires, mais il est incapable de les incarner avec poésie. Les acteurs sont ses marionnettes qu’il fait glisser et tomber pour accentuer la tragédie. Rodrigo Garcia parle de l’humain avec les mêmes ressorts dramatiques quand, jadis, il dénonçait les multinationales. En confondant le tout avec les parties, il fait preuve d’une paresse intellectuelle révoltante. Il ne nous voit qu’à travers le seul prisme de son impuissance à poétiser un monde qu’il hait. Sa pensée ne résisterait pas à un débat avec un sociologue, un psychanalyste et un anthropologue! Sa bonne conscience moralisatrice de gauche qu’il emballe dans un vernis écologiste puritain culpabilise sans cesse. Il met en scène le cynisme de toute une génération qui, après avoir bénéficié des largesses d’une époque, proclame qu’après eux, ce sera la fin. «Versus» symbolise un mode de pensée largement dépassé : binaire et jugeant, enfermant et sans distance. Comment sortir de ce cercle vicieux qui finit par contaminer la programmation d’un festival qui ne nous a jamais parlé ainsi ?

Inutile de compter sur la chorégraphe portugaise Vera Mantero. Avec « Vamos sentir flata de tudo quilo de que nao precisamos », elle rejoint la longue liste des artistes contestataires de la société de consommation (Rodrigo Garcia, Jan Fabre, François Verret, …).

Ici, deux hommes et deux femmes fouillent, chacun son tour, la tête d’un mannequin d’où ils extraient soit un collier, un avion, une voiture, des bonbons, une arme, de la poudre…Ce « ballet » incessant dure plus de quatre-vingt minutes soit trente de trop. Comme chez Rodrigo Garcia, le sol se macule de tous ces objets retirés de nos cervelles de consommateurs. Nos quatre danseurs, face à la vacuité de leur pensée dont le temps de réflexion dépasse rarement la vie des objets qu’ils désirent, finissent par devenir fous, par avoir peur d’eux-mêmes. L’apocalypse, métaphorisée par des hélicoptères volants ( !) n’est pas une fin du monde, mais un monde sans finalités. Ce défilé finit par «gaver ». Ce trop-plein d’images sature comme s’il fallait faire entrer dans nos têtes de spectateur le contenu et le contenant, la métaphore et son explication, le corps objet et l’objet du corps !

Je retire ce spectacle de ma tête, objet clinquant de consommation culturelle. Il m’encombre parce que le propos, tant entendu ailleurs, décourage. Il signe l’impuissance de l’artiste à penser l’après-crise, lui-même « objet » d’une économie du « toujours plus ». On ne retient que l’engagement sincère de Vera Mantero, laissant sur le côté la faiblesse de la dramaturgie.

Faute de mieux, le spectateur finit par ne goûter que le centre de la pizza.

Pascal Bély www.festivalier.net

“Versus” de Rodrigo Garcia a été joué du 14 au 16 mai 2010; « Vamos sentir flata de tudo quilo de que nao precisamos » de Vera Mantero du 12 au 15 mai 2010 dans le cadre du KunstenFestivalDesArts de Bruxelles.

crédit photo: © Christian Berthelot  

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LA VIE DU BLOG

Mai 2005-Mai 2010, «www.festivalier.net» a cinq ans : qui sont les artistes « Tadorne » ?

Depuis cinq ans, avec plus de 700 oeuvres vues, le spectateur Tadorne  a eu le temps de nouer des liens avec les créateurs, formant la toile qui soutient cette démarche particulière d’un spectateur en « travail». Certains en comprennent le sens, observant avec bienveillance cette émergence qui les positionne dans un rapport différent à la critique. Comment créer une relation ouverte avec un spectateur qui n’est pas un « acteur culturel », dont la parole est « reportée » par les moteurs de recherches de l’internet, et dont le lien à la culture va au-delà de ce qu’il voit sur scène ? Pour le Tadorne, écrire bouleverse ses représentations du lien à l’artiste : d’une position haute ou basse, il apprend la relation horizontale, fraternelle pour s’inclure dans un processus.

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Avec le chorégraphe Michel Kelemenis , ce lien est en dynamique depuis les «Aphorismes géométriques », oeuvre qui a changé son approche du mouvement dansé. En écrivant à partir de son ressenti, le Tadorne est entré dans la danse! En 2008, Michel Kelemenis prend l’initiative de l’inviter pour être membre du jury d’un concours organisé par l’ADAMI à Marseille. Pour la première fois, le Tadorne communique à égalité avec des « spécialistes ». Michel Kelemenis poursuit ce travail de mise en « mouvement » avec ce spectateur « atypique » : trois mois plus tard, il accepte sa demande d’assister aux répétitions. Au-delà d’une médiation classique qui consiste à présenter une étape de travail, cette ouverture dans le temps (elle a duré une dizaine de jours)  permet au spectateur Tadorne d’élargir son regard sur l’oeuvre, de relier le travail du chorégraphe à d’autres métiers de l’humain (professionnels du lien social, formateur, thérapeutes, animateur d’équipe,…),  et d’imaginer toutes les articulations possibles entre son travail et celui d’un artiste ! Le spectateur Tadorne finit donc par s’interroger : pourquoi n’intègre-t-on pas dans la formation initiale et continue des acteurs qui travaillent dans le champ de la complexité, d’assister à un processus de création artistique, et qui les aiderait à faire face aux défis des crises systémiques, où tout est lié ? Comment rendre visibles ces processus au moment où l’État baisse ses financements sur le “résultat” ? Comment accompagner les artistes à ouvrir ce qu’ils protègent (parfois à juste titre) ?

Ces questionnements trouvent un prolongement avec Pierre-Jérôme Adjedj. Ce jeune metteur en scène, rencontré grâce au réseau social Facebook, m’invite en novembre 2009 à suivre sa résidence de création d’« Initial Sarah Stadt » à la Ferme du Buisson près de Paris. L’expérience est troublante, car la présence du Tadorne interagit avec le processus sans que l’on puisse encore savoir exactement où. De retour à Aix en Provence, le Tadorne n’en dort quasiment plus ! Il a observé ce qu’il n’aurait pas dû voir, « la chose » comme lui renverrait sûrement la psychanalyse. Quelques semaines plus tard, cette ouverture permet au Tadorne d’écrire sur « le blogueur hybride  tandis que Pierre-Jérôme Adjedj lui envoie un article troublant : « Le chemin de la création est-il condamné à être un temps préalable au temps des spectateurs ?…En d’autres termes, formulons une proposition : supposons que le temps de la création devienne un temps partagé… Au paradigme du chemin parcouru jusqu’au public se substituerait la possibilité d’un temps immédiat, correspondant à un espace ouvert. Un espace public? D’entrée, balayons le soupçon démagogique : il ne s’agit pas de (faire) croire que le spectateur entre dans le rôle du comédien, du metteur en scène, ou de tout autre membre de l’équipe. Ce à quoi j’aimerais l’inviter, c’est à entrer en lui-même, entrer dans son rôle étymologique d’observateur, à donner à ce rôle de spectateur un poids, une importance, une noblesse à même de peser sourdement sur la création en cours. On ne demande pas au spectateur de voter pour décider de la fin ; on ne lui demande d’ailleurs rien ; on intègre simplement sa présence. La présence : on en parle volontiers pour louer le charisme d’un acteur. Et si l’on louait la présence des spectateurs (ça changerait des stratégies fourbes pour l’acheter, aux seules fins de faire briller le sacro-saint taux de remplissage) ?… Un spectacle vivant, dans la mesure où il cherche à échapper aux formats et recettes en vigueur, donne à voir tout au long d’un processus de création lui-même composé de multiples processus enchevêtrés. C’est au coeur même de la fragilité de ces processus que le spectateur peut tout à la fois puiser une matière inédite, intime, et apporter en retour la participation de son regard. Inévitablement, la forme de l’objet fini portera les traces de ces regards successifs… ». À ce jour, un homme de théâtre et de danse sont artistes « Tadorne », liés « comme si » nos projets étaient interdépendants.

Christiane Véricel ne tardera pas à les rejoindre. Auteuse et metteuse en scène, elle travaille avec des enfants acteurs et des comédiens adultes sur tout le continent européen. Toujours grâce à Facebook, nous nous sommes rencontrés à Lyon, pour faire connaissance. Puis sa dernière création, « « Les ogres ou le pouvoir rend joyeux et infatigable », a dévoré le Tadorne. Notre rencontre est inévitable. Son projet européen s’appuie sur le collectif, le maillage et promeut des valeurs universelles. Le spectateur Tadorne a beaucoup à apprendre de cette compagnie qui incarne un modèle de développement de la culture à partir du lien social.

Il y a bien sûr d’autres artistes qui sont fortement liés au Tadorne. Le metteur en scène David Bobée est toujours fidèle à la démarche et commente les articles critiques que nous écrivons sur lui. Des liens de confiance se sont noués avec d’autres et le Tadorne suit leur projet : la Vouivre, Robin Decourcy, Sofia Fitas, Renaud Cojo, Patrick Servius, Patricia Allio, Gilles Groppo, Anne Lopez, Nicolas Mathis, Christian Ubl. Mention toute spéciale au chorégraphe Philippe Lafeuille qui encourage et affectionne. On n’oublie pas Pascal Rambert à qui le Tadorne doit sa plus grande colère de spectateur tout en s’intéressant à la façon dont il ouvre le Théâtre de Gennevilliers au public.

Le Tadorne croise souvent le regard bienveillant d’Hubert Colas et cela fait du bien. Tout comme le merci chaleureux d’Olivier Dubois pour l’avoir soutenu dans sa création en Avignon. Il y aura toujours Jérôme Bel pour l’étincelle.

Et puis, Maguy Marin, qui nous offre un théâtre n é de la danse. Sa détermination n’a pas fini de faire voler le Tadorne.

Pascal Bély– www.festivalier.net

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LA VIE DU BLOG

Mai 2005- Mai 2010, le Tadorne a cinq ans : et avec les théâtres, cela se passe comment ?

 À sa (re)naissance en 2005, le spectateur Tadorne se cache. Il se protège avec un pseudo, écrit ce qu’il aime et surtout ce qu’il n’aime pas. Cela commence à faire du bruit surtout qu’il ne fait pas toujours dans la nuance. Le Tadorne se met en colère dès qu’on lui impose une parole ou qu’on la lui enlève. Autant dire que dans les années 2005 et 2006, l’accueil au sein des théâtres n’est pas particulièrement chaleureux. Les attachés de presse ne savent plus où le caser et les chargés des relations avec le public sont soient distants, soit amicaux comme s’il incarnait une synthèse, un idéal de spectateur ou un cauchemar.

Acteur de l’internet, le Tadorne cherche comment s’articuler aux intimidantes institutions culturelles. Il se nourrit des processus à partir de la  scène, l’environnement étant beaucoup plus procédurier (billetterie, abonnement, calendrier souvent calé sur les vacances scolaires). Il croule sous l’information (plaquette, newsletter, réseau social, …), mais on ne communique plus avec lui sauf à lui parler derrière une banque ou lui déchirer son billet. Il n’est ni un « public éloigné », ni un professionnel de la culture. Il est donc noyé dans la « masse ». En 2010, quand il entre dans les théâtres, on vient plus facilement vers lui, mais il n’est pas inclus dans le projet. Alors que l’on évoque l’«émancipation» du spectateur lors de colloques ou dans des livres, que notre « citoyenneté » est interpellée à coup d’éditoriaux enflammés des programmateurs, les institutions culturelles restent majoritairement fermées à la démocratie participative.

Pourtant, le Tadorne a tenté quelques expériences. Avec « le blogueur sort de la toile » pour le Festival Faits d’Hiver  à Paris, il est allé à la rencontre des spectateurs avant et après les représentations. Ce fut enrichissant même s’il n’y a jamais eu de retour de la part de l’équipe, car non incluse dans le projet. En 2009, avec le festival « Mens Alors ! », il est missionné pour créer un espace critique participatif avec les spectateurs. Mais sans articulation avec l’équipe et la programmation, le Tadorne s’est senti bien seul sur son banc. En 2009, les Amis du Théâtre Populaire d’Aix en Provence l’invitent à leur Conseil d’Administration pour avoir son regard de spectateur éclairé sur la programmation. Aucune suite. Le Tadorne n’est pas soluble dans les instances « démocratiques » des associations.

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Restent trois expériences stimulantes. La première avec le Théâtre des Salins de Martigues. Sa directrice, Annette Breuil, aime bien le Tadorne. Parce qu’il est un peu chez elle et qu’elle vit avec lui des moments de dialogue sincères et vifs sur ses choix artistiques! Elle a répondu au désir du Tadorne d’animer des débats entre spectateurs, professionnels et artistes. « Y’a des Ho ! Y’a débat  » est né, avec l’engagement de toute une équipe qui voit là l’opportunité d’ouvrir ses liens avec le public. Encore expérimental, le dispositif est reconduit pour la saison 2010- 2011 car il faut permettre à l’équipe de se positionner à partir des processus horizontaux sans pression, ni objectifs de résultats.

La deuxième expérience est avec « Les bancs Publics », lieu d’expérimentations cultuelles à Marseille. Le lien de confiance s’est instauré avec les deux fondateurs (Julie Kretzschmar et Guillaume Quiquerez). Il y a une reconnaissance mutuelle de nos processus de recherche. Ils ont intégré le Tadorne dans le comité de rédaction de leur revue « Esprit de Babel ». Un premier article est publié, d’autres suivront (peut-être à partir d’ateliers d’écritures participatifs …)

La troisième est avec le réseau des professionnels des relations publiques du Languedoc Roussillon. Alexandra Piaumier du festival « Uzès Danse » m’a invité à animer avec elle en avril 2010, un atelier sur la question de l’« horizontalité, communication globale, web 2.0 » (le compte-rendu est ici). Un réseau était donc à l’écoute d’un spectateur né du réseau (et inversement !). C’était le niveau pertinent pour aborder la communication à partir des valeurs (et non de l’outil d’information), pour croiser les expériences autour du lien. Cette écoute était fluide parce qu’elle s’inscrivait dans un espace suffisamment maillé par des processus (mise à distance, remise en question, interrogation transversales, …).

Finalement, est-ce possible d’articuler le positionnement du spectateur Tadorne avec les institutions ? Cela nécessite une équipe de professionnels structurée par des valeurs autour d’une représentation collective du lien envers le spectateur. Il faut en même temps une mise en réseau des publics à partir de projets participatifs artistiques ou d’espaces ouverts de rencontres avec les professionnels (non pas pour échanger seulement sur la programmation, mais pour communiquer sur le lien que nous avons tous avec elle et l’environnement qui l’entoure). Cela implique de mettre sur un pied d’égalité la programmation avec les processus qui l’accompagnent : médiation, expériences participatives, projet d’accueil de l’équipe. Il s’agir de substituer à la liste descendante du générique d’un film,  la vision dynamique de sa production ! Mais cela suppose de passer d’un régime de médiation hiérarchisée à basse température (chasse gardée des experts) à un mode de médiation ouvert et partagé, créateur de haute énergie, à l’articulation de la culture et du lien social !

C’est ainsi que l’on offrira au spectateur, non pas l’image d’un territoire morcelé née de la spécialisation des institutions culturelles, mais une vision des chemins de traverse produits par les réseaux. Le spectateur Tadorne à besoin d’une toile pour opérer ses mues et ses migrations, de portes et de ponts. Il veut bien d’un puzzle  mais inclus dans un vitrail qui, tout en étant protecteur, laisse passer la lumière, réchauffe et cloisonne si c’est seulement pour souder un nouveau contrat social entre spectateurs, artistes et professionnels.

Pascal Bély – www.festivalier.net

 

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LES FORMATIONS DU TADORNE PETITE ENFANCE

Artistes, professionnels de la culture et de la petite enfance : tous ensemble!

Depuis quelques mois, le monde de la petite enfance est en émoi : un décret actuellement en préparation organise la baisse de la qualité d’accueil du jeune enfant et de sa famille. Le 6 mai, les professionnels de la culture et de la petite enfance ont défilé dans les rues séparément. Pourquoi ? Quelle est donc cette frontière ? Et si l’on en finissait avec les mots d’ordre corporatistes qui freinent toute vision à long terme?

Nous sommes l’un des rares pays en Europe où la petite enfance est quasiment exclue de tout débat politique sur l’éducation comme si celle-ci débutait à la maternelle ! Et pourtant. Le premier rapport de la commission Attali « pour la libération de la croissance française » publié en 2008 préconisait comme première mesure (parmi 300 !), « d’améliorer la formation des éducateurs et éducatrices de crèche, des assistantes maternelles, revaloriser leur diplôme et en augmenter le nombre » parce que « l’acquisition de la confiance se fait pour les deux tiers de tous nos enfants, quels que soient la culture et le niveau social, lors des dix premiers mois, bien avant le début de la parole. Pratiquement tous les enfants épanouis se trouvent dans des milieux affectifs et sociaux stables : lorsqu’arrive l’âge de l’école, ils sont les mieux préparés à en profiter ». Une politique de la petite enfance est donc un enjeu sociétal majeur alors que nous entrons dans la civilisation de la connaissance. Mais pour cela, il faut l’ouvrir à d’autres services publics, car le cloisonnement dessert le politique, et ne permet plus d’identifier ce qui fait « politique ». Il est urgent de traverser les frontières si l’on veut que l’altérité se substitue à la défiance et mette fin aux logiques corporatistes qui émiettent toutes les politiques publiques.

D’un autre côté, les professionnels de la culture ressentent le besoin de décloisonner leur stratégie de conquête des publics. L’articulation entre  la culture et la petite enfance est prometteuse si l’on en juge par le nombre croissant de participants lors de colloques sur le sujet (festival « Reims Scène d’Europe » en décembre 2009, journée organisée par la CAF de l’Isère en mars 2010, …)  et les retours d’expériences d’acteurs engagés (saluons David Chauvet de la Scène Nationale de Cavaillon, la compagnie Skappa ! et les  professionnels de la petite enfance de la communauté de communes « Provence-Luberon – Durance qui depuis quatre ans ont mis en oeuvre un projet global autour du spectacle jeune public).

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Invités à développer leur créativité en situation d’incertitudes, à accueillir l’enfant et sa famille, à s’ouvrir vers des réseaux, auxiliaires de puériculture, puéricultrices, éducatrices de jeunes enfants trouvent dans l’art bien des ouvertures. Car l’enjeu est de communiquer sur les pratiques qui facilitent l’éveil culturel de l’enfant, de les rendre visibles au moment où les théories comportementalistes investissent le champ de la petite enfance.  Or, c’est vers « l’autre » différent que nous communiquons le mieux, où les finalités sont précisément décrites, bien plus qu’entre « pairs ». Cette ouverture vers les artistes et les structures culturelles positionne les professionnels sur des dynamiques de développement, au-delà des logiques de diagnostic où la difficulté finit par faire sens.

Toujours soucieux de décloisonner les publics, les professionnels de la culture ont la possibilité de créer des liens durables entre artistes, enfants, familles, éducateurs. Car les logiques qui visent à rechercher des « pourvoyeurs de spectateurs » les éloignent durablement du sens de leur métier.  En acceptant de co-construire des projets artistiques, de médiation (et non de présenter une plaquette pour recruter), théâtres, centres chorégraphiques, lieu d’art contemporain approchent le « spectateur » en devenir dans un contexte élargi puisqu’il intègre la famille et ses éducateurs. C’est l’articulation entre ces différents langages qui créée pour chaque acteur un nouveau lien à la culture. En apprenant ensemble à se connaître, se développe des processus durables de médiation avec des familles et des professionnels qui vont peu ou plus dans des lieux de culture. D’autant plus que les artistes trouveront dans les structures d’accueil de la petite enfance la motivation pour s’engager dans un projet artistique participatif, un désir d’être  accompagné pour ressentir les processus de créativité et s’éloigner du positionnement peu enviable de « consommateur » de spectacles collé au calendrier (Noël, Pâques et fin d’années).

En articulant « culture » et petite enfance, on pense le spectateur en mouvement. Ici, le lien se construit par la culture (et non plus seulement à partir de logiques normatives) et encourage une responsabilité partagée autour du tout petit. Le projet pédagogique n’est plus déconnecté de ce qui fait lien, les pratiques de guidance se substituent aux stratégies de prise de pouvoir où accompagner n’est plus surveiller.

Nous avons tous besoin de développer nos pratiques de coordination. Or, plus habitués à piloter du haut vers le bas, les projets complexes se nourrissent de maillages, d’amplification du collectif, d’intelligence par le réseau. Quand professionnels de la petite enfance, de la culture, du social et les artistes co-construisent, ils transmettent au tout-petit un mode de gouvernance qui le préparera à affronter les défis posés par la mondialisation. Et je formule un rêve : que les lieux d’éducation soient des résidences d’artistes. La croissance durable est à ce prix.

Pascal Bély – Le Tadorne

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG Vidéos

Mai 2005-Mai 2010, « www.festivalier.net » a cinq ans : Êtes-vous un «spectateur Tadorne»?

«www.festivalier.net » est l’adresse de ce blog. En mai 2005, j’envisage d’écrire exclusivement à partir de la programmation des festivals de Marseille, d’Avignon et d’Aix en Provence (« Danse à Aix »). Mon positionnement est celui d’un « spectateur festivalier », appellation peu engageante et qui s’inscrit dans un temps bien défini. « Tadorne » sera le nom du blog et rares sont ceux qui le retiennent encore aujourd’hui ! À l’époque, j’ignore que cette métaphore me guidera bien au-delà festivals…

Petit rappel.

Le Tadorne est un grand canard (clin d’oeil aux journalistes qui ont vu pendant longtemps le blogueur comme une menace), c’est-à-dire une espèce protégée. Sa particularité « c’est qu’au cours du mois de juillet, il effectue une migration de mue qui regroupe des adultes nicheurs et des non-reproducteurs. Ces regroupements réunissent sur les bancs de sable plusieurs dizaines de milliers d’individus qui, une fois la mue terminée, regagnent leurs pays d’origine. Les tadornes ont des moeurs à la fois diurnes et nocturnes et sont très sociables ». Je suis donc un Tadorne ; les théâtres sont mes bancs de sable et mes déplacements, mes mues régulières. Au coeur de cette métaphore, c’est tout un lien à la culture, et particulièrement au spectacle vivant, que je mets en mouvement.

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Cinq années plus tard, le Tadorne est une « espèce de spectateur » où le lien à la culture lui permet de décloisonner  vie privée et vie professionnelle, d’assumer un statut hybride entre homme et oiseau, spectateur engagé et blogueur à distance. Il est « et » avant d’être « ou ».


Si l’art crée du lien, le Tadorne pense que tout se relie à l’art. Il ne peut donc plus être consommateur, mais créateur des reliances entre l’oeuvre, le contexte sociétal et l’évolution des paradigmes. L’extrait d’une interview de Bernard Stiegler dans la Revue Mouvement l’y encourage «Il faut cesser d’opposer la technologie, l’industrie et la modernité à la culture… Il faut se battre pour que la culture vienne au coeur de la lutte économique…Je me bats beaucoup pour la renaissance des figures de l’amateur. Nous nous sommes habitués à avoir des publics de consommateurs : que le public consomme nos produits, et nous voilà satisfaits…Mais ce public, on a perdu toute relation avec lui, et c’est pourquoi ce n’est pas un véritable public. » (à partir de 2’31, Stiegler ne parle-t-il pas du Tadorne?)

Le Tadorne veut donc appartenir au « véritable public ». Il met en place les conditions de son émancipation pour n’entrer dans aucune « case ». Qu’importe qu’il ne comprenne pas tout, l’important c’est qu’il soit touché, qu’il puise dans son ressenti les ressources pour explorer son imaginaire. Le Tadorne s’éloigne des formes classiques de la critique à partir d’analyses inscrites dans un cheminement. Aux regards binaires sur les oeuvres, il préfère des approches engagées où le politique se lie avec la poésie, où l’individu, la communauté et le devenir de l’humanité s’enchevêtrent. Le Tadorne tente des bilans (souvent à partir des festivals), des mises en résonance, des prolongements, des traversées loin des thèmes imposés dans les programmations. Il se pose localement (Aix-Marseille) mais ressent le besoin de « migrer » sur d’autres territoires (l’art contemporain au Printemps de Septembre à Toulouse ou à Munster, les spectacles petite enfance à Reims, le cirque,…) pour créer ses chemins de traverse (jongler n’est-ce pas danser ?). C’est d’ailleurs son regard sur la danse qui lui permet d’approcher les oeuvres à partir de leur dynamique : toute mise en scène est un langage des corps. C’est par la danse qu’il questionne la communication pour se mettre en mouvement. C’est de la danse qu’il puise le désir d’entrer dans des processus participatifs avec les artistes et les institutions pour s’éloigner de posture statique du « spectateur-consommateur ».

Le Tadorne milite pour une politique culturelle globale, au croisement du social, de l’accueil de l’enfant et de sa famille, de l’économique et du développement durable pour un nouveau contrat social entre artistes, citoyen et institutions pour en finir avec les prises de pouvoir de quelques-uns au profit d’articulations créatives. Il préconise une plus grande ouverture des structures culturelles vers le spectateur et son environnement afin de substituer aux logiques « industrielles » de remplissage des salles, une approche globale de la communication. Le réseau plutôt que les cases, car le Tadorne pense que l’art peut nous aider à libérer la créativité, ressource indispensable pour affronter les défis d’un monde globalisé.

L’enjeu est de permettre au Tadorne de « nidifier » et à l’ensemble de la société d’accueillir la culture comme moteur de son développement. Cela suppose des programmations qui « énoncent » plutôt que d’enfermer notre lien à l’art dans un « prêt à penser » sous prétexte de dénoncer.

Le Tadorne est une espèce protégée.

C’est un drôle d’oiseau. 

Pascal Bély- www.festivalier.net

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ETRE SPECTATEUR LA VIE DU BLOG Vidéos

Mai 2005-Mai 2010, le Tadorne a cinq ans : aux origines…

Il y a mon enfance. Fils d’ouvriers, la culture ne vient pas à moi. Mais un metteur en scène me remarque (François-Henri Soulié ). Premiers pas sur les planches, premier court métrage. J’ai 12 ans. Je serais banquier comme mon grand frère pour financer le théâtre !

Il y a ma vie étudiante et le Théâtre Garonne à Toulouse. Éternelle reconnaissance pour ce lieu culturel qui m’a ouvert aux formes contemporaines de l’art. De l’option « économie privée », je bifurque vers une maîtrise « économie publique ».

Il y a un trou noir. Le sida est « passé par ici, il repassera par là ». Je tiens la main des amis qui s’en vont. Je ne vais plus au théâtre.

Il y a  le concert de Barbara à la Halle aux Grains de Toulouse en 1987. Elle chante « Sid’ amour à mort  ». Le public debout ne quittera la salle qu’à deux heures du matin. À ce moment précis, je sens que l’art est politique.

Il y a le festival « Danse à Aix » en 1997. Bernard me prend par la main pour « Paysage après la bataille » d’Angelin Preljocaj. J’ai 33 ans et c’est mon premier spectacle de danse. Le choc. Je ressens  que la danse peut-être démocratique.

Il y a la crise de l’intermittence en 2003. Ça hurle de toute part. Le public en veut pour son argent. Moi, j’erre dans les rues d’Avignon à la recherche d’un espace de parole. Au cours des saisons théâtrales qui suivirent, les spectateurs sont priés d’être solidaires et de ne pas trop bousculer le protocole : lecture d’un tract de la CGT ou du Syndeac, spectacle, applaudissements et ainsi de suite. Je bouillonne d’être aussi passif. Du haut vers le bas.


En 2004, il y a « The show must go on », du chorégraphe Jérôme Bel au Théâtre des Salins de Martigues. Confortablement installé, les projecteurs se retournent vers la salle. Les danseurs nous regardent. L’attente est interminable. Les cris fusent, les insultes aussi. La culture se mêle à l’intime…J’en sors bouleversé, avec cette question lancinante : « mais pourquoi vais-je au théâtre ? »

En 2004, il y a le théâtre du Gymnase qui organise un festival des jeunes créateurs. Je prends le bus entre Marseille et Aix en Provence avec des spectateurs. On échange. « J’aime », « je n’aime pas ». Mes arguments ne vont pas bien loin.

Il y a  le « non » au référendum en mai 2005. À Bruxelles, j’assiste dans un bar à un débat sur le traité constitutionnel. Les Français, rivés sur le rétroviseur, me mettent mal à l’aise, enfermés dans leurs cases. Je veux être acteur de l’ouverture plutôt que spectateur passif de la contestation permanente.

Il y a le KunstenFestivalDesArts de Bruxelles. Capitale de l’hybridité, je respire. Les spectacles « pluridisciplinaires » m’ouvrent.

Il y a Peggy, journaliste, européenne enthousiaste. Elle me dit : « toi qui vas tant au spectacle, tu devrais créer ton blog ».

22 mai 2005, 14h22. www.festivalier.net  est né.

Pascal Bély – www.festivalier.net